Jean Talon, intendant de la Nouvelle-France/Chapitre XIV

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CHAPITRE XIV


La France en 1668. — La guerre des droits de la reine et le traité d’Aix-la-Chapelle. — Période brillante et prospère. — La cour, les lettres et les arts. — Boileau et Colbert. — La carrière de celui-ci est à son apogée. — Talon arrive à Paris dans un moment propice. — Il est accueilli avec faveur et fait accepter ses vues. — Le roi et le ministre s’occupent activement du Canada. — Le retour de Talon est décidé. — Il obtient la liberté du commerce. — Édit relatif aux mariages et aux familles nombreuses. — Avantages accordés au Canada pour l’exportation en France de la morue et du charbon. — Lettre de Colbert à M. de Courcelle. — Expédition d’immigrants, de troupes et d’animaux domestiques. — La nouvelle commission de Talon. — Les Récollets et leur retour au Canada. — Départ de Talon et son naufrage près de Lisbonne. — M. de Bouteroue. — Son administration au Canada. — Danger de rupture avec les Iroquois. — La paix est maintenue. — Dissentiments entre Courcelle et Bouteroue. — Automne fécond en tempêtes. — Le sort de Talon inspire des inquiétudes à Québec. — Il revient au Canada en 1670.


Talon revenait en France au moment où le règne de Louis XIV entrait dans sa période la plus brillante. La guerre dite de « dévolution » ou des « droits de la reine »[1] — si l’on peut appeler guerre une promenade militaire triomphante —, s’était terminée le 2 mai 1668 par le traité d’Aix-la-Chapelle, qui faisait passer sous la domination française une partie de la Flandre, avec des places comme Charleroi, Ath, Douai, Tournai, Oudenarde, Lille, Courtrai, etc. Le roi, qui était allé se former au « métier de la guerre » sous Turenne et Condé, était revenu à Saint-Germain après deux campagnes où la victoire avait constamment suivi ses pas, et pendant lesquelles l’Europe inquiète avait appris de quelle formidable puissance il disposait. En attendant de nouvelles entreprises, que plusieurs appelaient de leurs vœux, tout le monde jouissait des douceurs de la paix, et se laissait aller à l’enivrement des jours heureux que traversait la France. Les années qui s’écoulèrent de 1667 à 1672 furent probablement les plus belles et les plus sereines de tout le règne de Louis XIV. Le roi était jeune, laborieux, dévoué à sa tâche, avide de grandeur autant que de plaisir ; un incomparable cortège de généraux illustres et de ministres éminents l’entouraient et rehaussaient son prestige. Sa cour brillante et policée fixait les regards de l’Europe. Les lettres, l’éloquence et les arts semblaient rivaliser pour ajouter à l’éclat de ce radieux moment. Au lendemain d’Andromaque, Racine venait de donner les Plaideurs et préparait Britannicus[2]. Tout en s’évertuant à faire jouer son Tartufe si discutable et si discuté, Molière continuait à créer des types immortels, et mettait en scène Harpagon après Alceste, l’Avare après le Misanthrope[3]. Lafontaine publiait ses premières Fables[4]. Boileau composait son Épître au roi, et commençait son Art poétique[5]. Bossuet, au seuil de l’épiscopat, s’effaçait comme sermonnaire à l’heure où débutait Bourdaloue dans les chaires de la capitale ; mais son génie oratoire allait toucher l’un de ses plus hauts sommets dans l’oraison funèbre de la reine d’Angleterre[6]. Perrault construisait la colonnade du Louvre[7]. Levau, prédécesseur de Mansart[8], bâtissait Versailles, pendant que Lebrun[9] décorait au Louvre la galerie d’Apollon et que Mignard terminait la Gloire du Val-de-Grâce[10]. Pour célébrer ses conquêtes et la paix qui les couronnait, Louis XIV avait donné, le 18 juillet 1668, une fête dont la splendeur éblouit les contemporains. Cette année s’achevait dans la joie, dans la sécurité, dans la gloire, dans un rayonnement admirable de la vitalité, de la puissance et du génie français.

Colbert avait alors atteint l’apogée de son influence et de son pouvoir. Ministre des finances, ministre de la marine et des colonies, ministre de l’agriculture, ministre des travaux publics, ministre des beaux-arts, ministre du commerce[11], il tenait en ses mains, sous la direction suprême du roi, presque tous les ressorts de l’administration publique. Heureux de voir régner la paix, qui lui permettait de consacrer tous ses efforts au développement de la prospérité nationale, il souhaitait ardemment la voir durer, et c’est sous son inspiration que Boileau composait à l’adresse du roi ces vers où il exaltait les bienfaits d’un gouvernement pacifique :


Pour moi, loin des combats, sur un ton moins terrible,
Je dirai les exploits de ton règne paisible.
Je peindrai les plaisirs en foule renaissants :
Les oppresseurs du peuple à leur tour gémissants…

On verra les abus par ta main réformés ;
La licence et l’orgueil en tous lieux réprimés ;
Du débris des traitants ton épargne grossie ;
Des subsides affreux la rigueur adoucie ;
Le soldat dans la paix sage et laborieux ;
Nos artisans grossiers rendus industrieux :
Et nos voisins frustrés de ces tribus serviles
Que payait à leur art le luxe de nos villes.
Tantôt je tracerai tes pompeux bâtiments,
Des loisirs d’un héros nobles amusements.
J’entends déjà frémir les deux mers étonnées
De voir leurs flots unis aux pieds des Pyrénées.
Déjà de tous côtés la chicane aux abois
S’enfuit au seul aspect de tes nouvelles lois[12].


Ces poétiques éloges s’adressaient au roi sans doute, car rien ne se faisait sans lui, et il ordonnait tout lui-même. Mais ils contenaient aussi une véritable esquisse de l’œuvre de Colbert. Les procédures de la chambre de justice, les édits pour réformer le luxe, la restauration des finances, la diminution des impôts, l’emploi des soldats pour les travaux publics, l’établissement des manufactures, la codification des lois, la construction du canal des deux mers ou du Languedoc : c’étaient toutes ces initiatives et toutes ces réformes bienfaisantes de l’illustre administrateur que le poète décrivait en périphrases harmonieuses.

L’intendant Talon arrivant à Paris dans les derniers jours de 1668, ou au commencement de 1669, n’aurait pu choisir un moment plus propice pour lui-même et pour la Nouvelle-France. Il avait accompli avec succès la tâche confiée à son zèle. Louis XIV et Colbert devaient donc être contents de lui, et d’autant plus inclinés à le manifester qu’ils étaient plus satisfaits d’eux-mêmes et de leur fortune. Colbert conduisit Talon chez le roi. Il fit à celui-ci, en présence de l’intendant, l’éloge de ce dernier, et rendit le plus favorable témoignage aux services rendus par lui dans l’exercice de ses fonctions au Canada[13].

À ce moment de sa carrière ministérielle, Colbert libre de ses mouvements, et pouvant consacrer un budget considérable aux entreprises pacifiques, se trouvait disposé à faire de plus grands efforts pour le développement de la marine et l’accroissement des colonies. Talon n’eut aucune peine à le persuader qu’il fallait continuer à fortifier la Nouvelle-France. Et Louis XIV entra dans toutes leurs vues. Le résultat des audiences de Talon avec le roi et le ministre fut donc une recrudescence d’activité et d’ardeur pour le peuplement et le progrès du Canada. On résolut d’y renvoyer des troupes pour assurer davantage la sécurité du pays, tout en contribuant ultérieurement à le coloniser, et d’y faire passer encore un grand nombre de filles et d’hommes de travail, ainsi que des animaux domestiques, si utiles à l’agriculture. Des sommes relativement considérables furent affectées à ces objets. Mais tous ces efforts, toute cette dépense, ces envois de soldats et de colons, produiraient-ils leur maximum d’efficacité sans la direction du fonctionnaire expérimenté qui durant trois ans avait réalisé tant de progrès ? Convaincus du contraire, Louis XIV et Colbert se persuadèrent qu’il fallait le déterminer à retourner au Canada. Sans doute le roi lui avait donné son congé, Colbert l’avait rappelé, un autre intendant avait été nommé à sa place, vraisemblablement pour un terme d’office de deux ans au moins. Sans doute aussi Talon avait eu des raisons sérieuses de demander son rappel. Néanmoins, tout cela ne devait-il pas s’effacer quand il s’agissait du service du roi et du bien public ?

En quittant Québec, Talon s’attendait à y revenir, mais non pas immédiatement. Il repassait en France pour rétablir sa santé, pour régler des affaires de famille, et aussi pour permettre au temps et à l’absence d’adoucir certaines susceptibilités, et de désarmer certaines critiques. Cependant la volonté royale supprima toutes ses objections. Trois mois à peine après, son retour, il lui fallut se préparer à traverser de nouveau l’Océan pour reprendre ici ses fonctions[14]. Il était arrivé à Paris à la fin de décembre ; dès le 3 avril 1669, le roi écrivait à M. de Bouteroue pour l’informer que M. Talon irait au printemps le relever[15]. Ce dernier dut trouver grand le sacrifice exigé de lui ; mais d’un autre côté il ne pouvait recevoir un plus éclatant témoignage de la satisfaction, de l’estime et de la confiance royales. Le renvoyer si vite, en dépit de toutes les considérations qui auraient pu faire prolonger son séjour dans la mère-patrie, c’était proclamer bien haut qu’il était l’homme nécessaire, le facteur essentiel du progrès de la Nouvelle-France. Il faut croire que ce court changement d’air et de régime avait suffisamment raffermi sa santé. Quant à ses affaires de famille, il eut le temps de les régler avant de repartir[16].

Une des preuves les plus frappantes de son influence et de son crédit, ce fut le succès qu’il remporta en faisant décréter par Colbert la liberté définitive du commerce, malgré les prétentions de la compagnie des Indes Occidentales. Le 15 mai le ministre annonçait cette nouvelle à M. de Courcelle dans les termes suivants : « Vous apprendrez par le retour de M. Talon que Sa Majesté a rendu la liberté du commerce au Canada, en sorte qu’à présent il pourra recevoir avec plus de facilité les vivres et denrées qui lui sont nécessaires ; mais aussi est-il nécessaire que vous excitiez les habitants à chercher des marchandises qui puissent convier les Français à leur porter des vivres et denrées pour les prendre en échange ; et cela est d’autant plus nécessaire que, y ayant maintenant une très grande quantité de pelleteries dans le royaume, s’ils n’avaient d’autres marchandises à donner par échange, peut-être que les Français se dégoûteraient bientôt de leur porter leurs besoins[17]. C’était pour la colonie un heureux événement, et une grande victoire pour Talon qui bataillait depuis quatre ans contre le monopole. Il avait vraiment communiqué à Colbert sa flamme colonisatrice et obtint de lui à peu près tout ce qu’il voulut.

Le 5 avril 1669, le ministre faisait rendre le célèbre arrêt pour encourager les mariages et les familles nombreuses. Il y était décrété ce qui suit : « Voulant que les habitants du dit pays (du Canada) soient participants aux grâces que Sa Majesté a faites à ses peuples en considération de la multiplicité des enfants et pour les porter au mariage, Sa dite Majesté a ordonné et ordonne qu’à l’avenir les habitants du dit pays qui auront jusqu’au nombre de dix enfants vivants, nés en légitime mariage, ni prêtres, ni religieux, ni religieuses, seront payés des deniers qu’elle enverra au dit pays, d’une pension de 300 livres par chacun an, et ceux qui en auront douze, de 400 livres. Qu’à cet effet ils seront tenus de représenter à l’intendant de la justice, police et finances qui sera établi au dit pays le nombre de leurs enfants au mois de juin ou juillet de chaque année, lequel après en avoir fait la vérification, leur ordonnera le payement des dites pensions, moitié comptant et l’autre moitié en fin d’année. Veut de plus, Sa dite Majesté, qu’il soit payé par les ordres du dit intendant à tous les garçons qui se marieront à vingt ans et au-dessous, vingt livres pour chacun le jour de leurs noces, ce qui sera appelé le « présent du roi » ; que par le Conseil Souverain établi à Québec pour le dit pays, il soit fait une division générale de tous les habitants par paroisses et bourgades, qu’il soit réglé quelques honneurs aux principaux habitants qui prendront soin des affaires de chacune bourgade et communauté, soit pour leur rang dans l’église soit ailleurs ; et que ceux des habitants qui auront plus grand nombre d’enfants soient toujours préférés aux autres, si quelque raison puissante ne l’empêche ; et qu’il soit établi quelque peine pécuniaire, applicable aux hôpitaux des lieux, contre les pères qui ne marieront pas leurs enfants à l’âge de vingt ans, pour les garçons, et de seize ans pour les filles[18]. La disposition finale nous paraît aujourd’hui entachée de cet arbitraire administratif qui était l’un des traits caractéristiques de l’époque. Mais dans son ensemble l’arrêt dénotait le plus louable zèle pour l’augmentation des familles et l’accroissement de la population. Colbert ne faisait qu’appliquer au Canada, en 1669, ce qu’il avait décrété pour la France, en 1666. Par un arrêt du mois de novembre de cette année, le roi déclarait qu’à l’exemple des Romains, imité par la province de Bourgogne dans ses usages particuliers, il avait résolu d’accorder des privilèges à la fécondité des mariages. Il exemptait donc de toutes contributions aux charges publiques, jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans, ceux de ses sujets qui se marieraient avant d’avoir vingt ans. Tout père ayant dix enfants vivants, nés en loyal mariage, sans qu’aucun soit prêtre ou religieux, serait exempt de toute contribution aux charges publiques, soit d’état, soit de ville et communauté. L’enfant mort sous les drapeaux compterait comme vivant. Tout père ayant douze enfants vivants ou morts serait également exempt. Tous sujets taillables, non mariés à vingt et un ans, seraient, au contraire, imposés en proportion de leurs biens, moyens et commerce. Les gentilshommes et leurs femmes, ayant dix enfants vivants, ou morts au service, non prêtres, ni religieux, auraient 100 livres de pension ; ceux qui en auraient douze auraient 200 livres. Les bourgeois non taillables et habitants des villes franches et leurs femmes auraient, dans les mêmes cas, moitié de la pension attribuée aux nobles. En juillet 1667, on étendit à tous les sujets du roi les pensions accordées aux gentilshommes[19]. Dans l’édit de 1666, comme dans celui de 1669, on excluait les enfants qui avaient embrassé l’état religieux, pour la computation du nombre privilégié. C’était toujours la suite du fâcheux préjugé souvent signalé par nous dans ces pages.

Le 16 avril 1669, le Conseil du roi rendait un autre arrêt qui accordait aux habitants du Canada les mêmes avantages qu’à ceux du Havre pour l’entrée de la morue dans le royaume, et qui mettait le charbon de la colonie sur le même pied que celui de France.

Colbert voulait évidemment que cette année fît époque, comme celle de 1665, dans les annales de la Nouvelle-France. Durant tout ce printemps on le voit occupé à organiser les envois. Il est tellement pénétré et satisfait de l’importance des renforts qui vont être expédiés par ses soins, qu’il lui tarde d’en informer M. de Courcelle. Il lui écrit le 15 mai : « Quoique vous deviez apprendre par M. Talon tout ce que le roi fait pour le dit pays cette année, je ne laisserai pas de vous dire en trois mots que Sa Majesté a employé plus de 200,000 livres pour toutes les choses qu’elle a estimé nécessaire d’y faire ; qu’il passe 150 filles pour y être mariées, six compagnies effectuées de 50 hommes chacune, avec plus de 30 officiers ou gentilshommes pour s’y établir tous, et plus de 200 autres personnes qui passent pareillement dans cette vue. Vous voyez bien qu’un effort si considérable marque bien l’estime que Sa Majesté fait de ce pays-là, et qu’elle considérera bien les services qui lui seront rendus pour l’augmenter[20]. » Au sujet de ces envois, l’intendant de Rochefort, Colbert de Terron[21], se montra à la fois actif et économe ; et le ministre l’en félicita dans une lettre où l’on voit que son zèle était, non pas un engouement éphémère, mais la manifestation d’une politique arrêtée : « Je suis bien aise, lui disait-il, que vous n’ayez pas dépassé les fonds que je vous avais envoyés pour les personnes à passer au Canada. Vous savez de quelle conséquence il est de se contenir dans des bornes, particulièrement à l’égard d’une dépense qui doit recommencer tous les ans »[22].

Colbert avait commencé dès le 16 février à pourvoir aux dépenses de ces expéditions. On voit à cette date, dans le registre des ordres du roi, — année 1669, — une ordonnance de fonds « pour le paiement de la dépense à faire pour la levée et passage de 500 personnes de l’un et l’autre sexe au Canada, de 12 cavales, 2 étalons et 50 brebis (64,000 livres) ». Le 11 mars, le ministre adresse un billet à M. de Pelissari pour lui ordonner de remettre à son commis à la Rochelle la somme de 28,070 livres à compte de celle dont il avait été fait fonds par l’ordonnance ci-dessus. Le 29 mars il enjoint au trésorier de la marine de payer au sieur Patoulet, secrétaire de M. Talon, la somme de 21,000 livres à compte de la même ordonnance. De cette somme 15,000 livres devaient être employées pour la nourriture de Paris à Dieppe, pour le voyage de Dieppe, à Québec, et pour la nourriture en Canada des 150 filles qui allaient y passer. Enfin, le 8 avril, il émettait une nouvelle ordonnance de décharge au trésorier de la marine de payer au dit sieur Patoulet 14,170 livres, toujours à compte des 64,000[23].

Colbert et Talon s’occupaient en même temps des troupes destinées au Canada. Le 25 mars les capitaines de Chambly, de La Durantaye, de Grandfontaine, de Laubia et Berthier, — qui étaient retournés en France en 1668 — signaient un écrit par lequel ils s’engageaient à mettre leurs compagnies sur le pied de 50 bons hommes chacune, depuis vingt jusqu’à trente ans, et à leur fournir leur subsistance moyennant 1000 écus. Et quatre jours plus tard, le 29 mars, deux ordonnances étaient émises, l’une pour « la levée et l’armement de six compagnies d’infanterie passant en Canada et pour leur subsistance pendant neuf mois ; » l’autre pour la subsistance des six compagnies pendant les premiers six mois de 1670[24].

Colbert n’avait garde de perdre de vue la construction des navires. Le 16 mai, il recommandait à Colbert de Terron d’envoyer à Québec des personnes compétentes dans ce métier. « Il faut prendre des mesures, ajoutait-il, pour se mettre en état de construire chaque année au Canada trois ou quatre vaisseaux de guerre[25]. »

Louis XIV prenait une part personnelle à ces préparatifs. Il remettait à Talon quatre lettres de cachet l’autorisant à ordonner à ses capitaines de vaisseau tout ce qu’il jugerait utile, et il écrivait lui-même à M. Colbert de Terron de l’aider en toutes choses. Il donnait aussi à notre intendant plein pouvoir pour faire repasser en France ceux qui ne concourraient pas au bien du service. Enfin il lui permettait d’avance de revenir au bout de deux années.

Le 10 mai, à St-Germain-en-Laye, le roi signa la nouvelle commission de Talon ; et le 17 mai il lui adressa un mémoire succinct de ses intentions. L’intendant recevait instruction de lire toutes les lettres de Colbert à l’évêque de Pétrée, ainsi qu’à MM. de Queylus et autres, pour bien se pénétrer de leur esprit ; de vivre en bonne intelligence avec les autorités ecclésiastiques ; de travailler à l’établissement des Récollets et de favoriser les Sulpiciens, pour modérer l’autorité des Jésuites, de favoriser la construction des vaisseaux ainsi que le commerce avec les îles et la France, etc. Ces instructions étaient beaucoup moins longues et moins détaillées que celles reçues par Talon en 1665. On se rendait compte de l’expérience qu’il avait acquise durant les trois années de sa première intendance.

Le nom des Récollets est venu plus haut se placer sous notre plume. Le retour de ces religieux au Canada fut un événement assez considérable pour que nous nous y arrêtions quelques instants. Ils avaient été les premiers missionnaires de ce pays, en 1615. Quelques années plus tard, en 1625, ils appelèrent les Jésuites à leur aide. Les uns et les autres furent forcés de retourner en France en 1629, lorsque les frères Kertk prirent Québec. Après un intervalle de trois ans, le Canada ayant été rendu à la France en vertu du traité de St-Germain-en-Laye, les Jésuites repassèrent ici et furent pendant longtemps les seuls ministres de la religion dans la colonie. Les Récollets essayèrent à plusieurs reprises de revenir, mais inutilement. Plusieurs de leurs écrivains ont accusé les Jésuites d’y avoir secrètement mis obstacle, imputation que ces derniers ont toujours repoussée avec énergie[26]. L’examen de ce débat serait ici un hors-d’œuvre. En 1669, les circonstances favorisèrent le retour des fils de St-François. Nous avons vu quels étaient les sentiments de M. Talon au sujet de l’autorité spirituelle, de la trop grande rigueur de l’évêque et des Jésuites, de « la gêne des consciences. » Nos lecteurs se rappellent qu’il avait suggéré l’envoi au Canada de « quatre ecclésiastiques entre les séculiers ou les réguliers, les faisant bien autoriser pour l’administration des sacrements, sans qu’ils puissent être inquiétés. » Au printemps de 1669, il détermina le roi et le ministre à ordonner le départ de trois Récollets pour la Nouvelle-France.

Le 15 mai, le roi adressa au Père Allart, provincial des Récollets de la province de St-Denis, une lettre de cachet lui enjoignant de donner obédience aux pères Herveau, Romuald et Hilarion, du couvent de Paris, pour s’embarquer sur le premier vaisseau[27]. Les bons Franciscains reçurent avec joie cet ordre qui comblait leurs vœux longtemps contrariés. Mais si la vivacité de leurs désirs les eût laissés libres de bien saisir la situation, leur satisfaction n’eût pas été sans mélange. Ils auraient compris que leur retour en Canada s’opérait dans de fâcheuses conditions, et que, pour des religieux, être envoyés dans un pays par la puissance séculière, afin d’y affaiblir l’autorité épiscopale, d’y ruiner la discipline ecclésiastique, d’y ériger confessionnal contre confessionnal et chaire contre chaire, d’y être en un mot les tenants de l’État contre l’Église, ce n’était pas précisément l’idéal. Ce fut un grand malheur pour les Récollets que de se prêter à l’entreprise gallicane de Louis XIV, de Colbert et de Talon. Nous ne voulons pas dire qu’ils auraient pu refuser de venir au Canada en 1669. Devant la lettre de cachet du roi, cela leur eût été difficile. Mais leur faute fut d’entrer dans l’esprit de ceux qui les envoyaient, et de correspondre à leur attente.

En effet, peu de temps après leur arrivée ici[28], on les vit guerroyer contre l’évêque et rédiger des mémoires où ils faisaient écho à toutes les déclamations des dénonciateurs du clergé relativement à « la gêne des consciences[29]. » Nous regrettons d’avoir à faire d’aussi sévères appréciations, mais la vérité historique nous y oblige. La lecture des documents et des correspondances de cette époque, des pièces mêmes rédigées par les Récollets et en leur faveur, nous force à déclarer que, de 1673 jusqu’à la fin du dix-septième siècle, ils donnèrent ici de trop nombreux exemples d’insubordination et d’opiniâtreté. Un esprit de critique, de discorde, de contention, sembla les posséder. Leur attitude fut peu satisfaisante dans la question de l’eau-de-vie ; ils donnèrent leur appui moral au gouverneur Frontenac dans ses luttes contre le pouvoir spirituel ; ils outragèrent l’autorité épiscopale dans la personne de Mgr  de Laval et de Mgr  de Saint-Vallier ; en un mot ils jouèrent souvent pendant ce quart de siècle un regrettable rôle[30]. Et leurs écrivains tels que le Père Chrétien Leclercq, le Père Louis Hennepin, le Père Sixte LeTac, continuèrent cette œuvre malheureuse dans des pages où l’exactitude historique, la charité et la justice étaient également offensées[31]. En écrivant ces lignes, nous accomplissons un bien pénible devoir. Personne ne vénère plus que nous cet illustre ordre franciscain qui a donné tant de saints à l’Église, à qui le Canada doit quelques-uns de ses premiers apôtres, et dont il a été si heureux de saluer le retour depuis quelques années. Mais nous savons qu’en signalant l’erreur de quelques religieux, et les ombres passagères d’une époque, nous ne portons pas atteinte à la gloire de cet ordre admirable, ni à l’auréole de ces milliers d’amants de la pauvreté et de l’humilité qui ont promené à travers le monde la flamme du divin amour jaillie du cœur de leur père séraphique. Lorsque M. de Frontenac, qui fut pour eux un dangereux protecteur et un pernicieux ami, fut disparu de la scène, les Récollets canadiens rentrèrent dans l’esprit et dans les traditions de leur ordre. « Ils s’assimilèrent de plus en plus avec le reste du clergé, se soumirent parfaitement à la direction de l’évêque, et produisirent par leur ministère d’heureux fruits de salut… Par leur vie pieuse et régulière, leurs habitudes simples et frugales, ils acquirent bientôt l’estime de tout le monde, et devinrent très populaires en Canada. Vivant de quêtes, allant de famille en famille, parcourant les campagnes à des époques à peu près déterminées, ils étaient reçus partout à bras ouverts. Leur visite était attendue avec impatience, comme un jour de fête. On avait hâte de revoir ces bons moines, à la robe de bure, au visage serein et réjoui, à l’humeur toujours égale, qui reflétait si bien la simplicité de leur âme. Ils étaient les favoris du peuple canadien[32]. »

Le retour des Récollets au Canada était une des choses auxquelles tenait le plus M. Talon. Lorsqu’elle fût réglée, il put se dire qu’il avait réussi dans tous ses projets. Colbert désirait le voir partir le plus tôt possible. Cependant des affaires personnelles le retardèrent quelque temps. Le ministre lui écrivait le 14 juin qu’il ne pouvait s’expliquer comment il n’était pas encore rendu à La Rochelle. Il lui adressait en même temps diverses recommandations, lui demandait de constater s’il serait possible aux vaisseaux de faire deux voyages par année, au moyen d’un entrepôt dans le bas du fleuve ou en Acadie. Il lui parlait aussi de l’exploitation des mines de fer et de l’établissement de hauts-fourneaux. Malgré toute sa diligence, le 3 juillet Talon n’était pas encore parti, et Colbert lui mandait de se hâter. Enfin le 15 juillet, il s’embarquait à la Rochelle en compagnie de M. François-Marie Perrot, nommé gouverneur de Montréal[33], ainsi que des Pères Romuald Papillion, Hilarion Guesnin, Césaire Herveau, et du Frère Cosme Graveran. Ils pouvaient espérer atteindre Québec au plus tard vers la fin d’octobre. Mais l’homme propose et Dieu dispose. La Providence avait décidé que ni Talon ni les Récollets ne verraient le Canada en l’an de grâce 1669. Leur vaisseau fut assailli par des tempêtes qui le détournèrent de sa route. Pendant trois mois il lutta contre l’Océan. La famine se déclara à bord. Le Père Romuald tomba malade et mourut. Enfin le navire fut forcé de relâcher à Lisbonne. Talon y passa quelques jours avec son neveu M. Perrot et les Pères Récollets. Mais ils n’étaient pas au bout de leurs épreuves. Le vaisseau, après s’être ravitaillé dans la capitale du Portugal et avoir repris la mer, fit naufrage à trois lieues de cette ville. Heureusement ni l’intendant ni ses compagnons ne périrent, et ils purent retourner en France où ils arrivèrent au commencement de 1670[34].

Pendant ce temps, que se passait-il au Canada ? Peu d’événements importants. M. Claude de Bouteroue, qui remplaçait Talon, était un homme distingué. Il occupait le poste de conseiller à la cour des monnaies en 1654. En 1666 il avait publié un important ouvrage intitulé : Recherches curieuses des monnaies de France depuis le commencement de la monarchie [35]. Nous lisons à son sujet dans l’Histoire de l’Hôtel-Dieu : « M. de Bouteroue était un homme grand et bien fait, d’une physionomie fort spirituelle, savant, poli et gracieux, qui prévenait tout le monde et qui savait se faire craindre et se faire aimer. » Il était accompagné de sa fille, Mademoiselle de Bouteroue[36]. La commission de M. de Bouteroue était absolument semblable à celle de Talon. Ses instructions contenaient des recommandations générales relativement à l’augmentation de la population, aux mariages, aux recensements, à l’administration de la justice, au commerce avec les îles et la France, à l’établissement des pêches sédentaires, à la recherche des mines, à la francisation des sauvages, etc. Naturellement le couplet gallican sur l’esprit dominateur du pouvoir spirituel y occupait une place d’honneur. « Les avis de ce pays-là, disait le document, portent que l’évêque de Pétrée et les Jésuites y établissent trop fortement leur autorité par la crainte des excommunications, et par une trop grande sévérité de vie qu’ils veulent maintenir. L’intendant doit observer tout ce qui se passe sur ce point sans prendre le parti de blâmer leur conduite, mais seulement en les considérant et les estimant comme gens d’une piété exemplaire


et qui ont beaucoup contribué à la découverte et conservation de ce pays-là, s’entremettre quelquefois et dans les occasions pour les porter à adoucir cette trop grande sévérité, étant très important que les dits évêque et Jésuites ne s’aperçoivent jamais qu’il veuille blâmer leur conduite, parce qu’il se rendrait presque inutile au service du roi. » Comme nous l’avons vu dans un précédent chapitre, ce que l’on reprochait à l’évêque et aux Jésuites c’était leur zèle pour le maintien des bonnes mœurs, et surtout pour la suppression des scandales causés par la traite de l’eau-de-vie. Sur ce dernier point, Colbert faisait à M. de Bouteroue les recommandations suivantes : « Le commerce du vin et des eaux-de-vie avec les sauvages, ce qui s’appelle la traite des boissons, a été un sujet de perpétuelle contestation entre l’évêque de Pétrée et les Jésuites, et les principaux habitants, et ceux qui trafiquent en ce pays-là. L’évêque et les Jésuites ont prétendu que ces boissons enivraient les sauvages, qu’ils n’y pouvaient prendre aucune modération et que l’ivresse les rendait paresseux à la chasse et leur donnait toutes sortes de mauvaises habitudes tant pour la religion que pour l’État. Les principaux habitants et les trafiquants au contraire prétendent que l’envie d’avoir des boissons, qui sont troquées chacune, oblige les sauvages d’aller à la chasse avec plus d’application. Il faut bien examiner ces deux sentiments, et que l’intendant en donne son avis raisonné au roi. » Citons encore ce passage caractéristique des instructions de M. de Bouteroue : « Il faut empêcher autant qu’il se pourra la trop grande quantité de prêtres, religieux et religieuses, il suffit qu’il y en ait le nécessaire pour le besoin des âmes et pour l’administration des sacrements. » On retrouve ici la singulière préoccupation de circonscrire l’action religieuse qui possédait alors toute une école de parlementaires et de ministres de la couronne. Elle faillit faire commettre à Colbert l’une des plus graves erreurs de son administration[37].

Durant son séjour au Canada, M. de Bouteroue s’occupa très activement de l’administration de la justice. Lorsque l’on parcourt les plumitifs du Conseil Souverain, on le voit assister à presque toutes les séances de ce corps ; on constate qu’il instruisait lui-même beaucoup de procès, et qu’il agissait comme rapporteur dans un grand nombre de causes.

Un des arrêts les plus importants rendus pendant son intendance fut celui du 26 juin 1669 relativement à la vente des boissons aux sauvages. On ressentait déjà les inconvénients de la décision prise le dix novembre précédent. Le conseil, considérant que des particuliers étaient allés dans les bois trente, quarante et cinquante lieues au devant des sauvages, pour leur porter de l’eau-de-vie afin de traiter avec eux, et que ceux-ci s’étaient enivrés et avaient commis des désordres, défendit strictement « à toutes personnes d’aller dans les bois au-devant des sauvages sous quelque prétexte que ce fût et de leur porter des boissons et marchandises pour traiter avec eux, à peine de confiscation d’icelle et de cinquante livres d’amende pour la première fois et de punition corporelle pour la seconde. » Le même arrêt défendait encore aux sauvages de s’enivrer, les tenait responsables de l’ivresse de leurs femmes, et faisait aussi défense aux Français de s’enivrer avec eux. On permettait aux uns et aux autres d’aller à la chasse dans les bois, mais ils devaient préalablement en obtenir congé du commandant ou du prochain juge, et déclarer ce qu’ils portaient dans leur bagage. La quantité d’eau-de-vie qu’ils pouvaient prendre avec eux ne devait pas dépasser un pot par homme pour huit jours, deux pots pour quinze jours, et ainsi à proportion, sous peine de confiscation de leur équipage et d’amende, la première fois, et de punition corporelle en cas de récidive. Le fléau des coureurs de bois commençait ses ravages, et les chefs de la colonie essayaient de l’enrayer.

Le 19 mars 1669, M. de Bouteroue fit rendre par le Conseil un arrêt fixant le prix du blé. Plusieurs particuliers s’étaient plaints que leurs créanciers refusaient de prendre leur blé en paiement, ou ne le voulaient prendre qu’à un prix ridiculement bas, ce qui les mettait hors d’état de s’acquitter. Conformément à l’avis de l’intendant, le Conseil décréta que, durant trois mois à partir de la publication de l’arrêt, les débiteurs pourraient donner en paiement à leurs créanciers le blé loyal et marchand à raison de quatre livres le minot ; il était défendu de le refuser, comme aussi d’en acheter pour le donner en paiement.

Dans l’été de 1669 la guerre faillit se rallumer entre les Iroquois et les Français. Trois soldats avaient massacré six Onneyouts, après les avoir enivrés pour leur enlever leurs pelleteries. Un peu plus tard trois autres soldats assassinèrent un chef tsonnontouan et volèrent ses fourrures. Vers le même temps les Outaouais, alliés des Français, attaquèrent un parti iroquois, tuèrent plusieurs hommes et firent un bon nombre de prisonniers. Les Iroquois, irrités de ces actes d’hostilité, menacèrent de se venger et de déterrer la hache de guerre. La Nouvelle-France était exposée à voir recommencer l’ère des massacres et des incursions sanglantes. M. de Courcelle ne négligea rien pour conjurer le péril. Il se rendit à Montréal, où plusieurs centaines d’Outaouais et une foule de sauvages de diverses nations étaient réunis pour la traite, et les ayant convoqués dans une grande assemblée, il les harangua, par le truchement du Père Chaumonot, « avec tant de bonheur, selon le génie de ces peuples, que moyennant des présents pour ressusciter les morts, essuyer les larmes, aplanir les chemins et les difficultés du commerce, tout fut apaisé de part et d’autre, et les traités de paix renouvelés[38]. » Les Outaouais rendirent trois de leurs captifs, et promirent d’en rendre encore douze. Et quant aux trois assassins du chef tsonnontouan, M. de Courcelle les fit fusiller en présence des sauvages assemblés, afin de montrer à ces derniers que la justice française n’était ni boiteuse ni hésitante. Les Iroquois furent surpris qu’on fît mourir trois hommes lorsqu’un seul avait été assassiné. Cette exécution eut lieu le 6 juillet 1669[39]. Elle produisit une profonde impression et contribua puissamment à maintenir la paix. Le danger de voir renaître les hostilités avait été tellement grand, que Mgr  de Laval avait cru devoir recommander des prières publiques.

Au printemps de cette même année 1669, le roi avait écrit à M. de Courcelle une lettre dans laquelle il le priait d’organiser la milice canadienne. « Mon intention, disait Louis XIV, est que vous divisiez tous mes sujets au dit pays par compagnies, ayant égard à leur proximité ; qu’après les avoir ainsi divisés vous établissiez des capitaines, lieutenants et enseignes pour les commander ; qu’en cas que ceux qui composent les dites compagnies puissent s’assembler avec facilité et s’en retourner chez eux en un jour, vous donniez les ordres qu’ils s’assemblent une fois chaque mois pour faire l’exercice du maniement des armes, et en cas qu’ils soient trop éloignés vous subdivisiez les compagnies par escouades de 40 à 50 hommes et que vous leur fassiez faire l’exercice une fois le mois ainsi qu’il est dit ci-dessus, et à l’égard des compagnies entières vous les fassiez assembler une fois ou deux l’année. Que vous preniez soin qu’il soient tous bien armés et qu’ils aient toujours la poudre, plomb et mèche nécessaires pour pouvoir se servir de leurs armes dans les occasions. Que vous visitiez souvent les escouades ou compagnies, et leur fassiez faire l’exercice en votre présence. Qu’autant qu’il sera possible vous fassiez assembler, une fois l’année, le plus grand nombre d’habitants qu’il se pourra pour leur faire faire pareillement l’exercice en corps. » Voilà le premier ordre général qui ait été rendu pour l’organisation régulière de la milice canadienne. Il y avait eu auparavant des milices volontaires au Canada. De longue date les habitants de la colonie s’étaient habitués à faire le coup de feu, et à prêter main forte aux quelques douzaines de soldats envoyés ici de temps à autre. En 1651, M. d’Ailleboust avait donné ordre à M. Pierre Boucher, « capitaine des habitants des Trois-Rivières, » de diviser ceux-ci en trois ou quatre escouades, et de leur faire faire l’exercice le plus souvent possible[40]. À Montréal, M. de Maisonneuve avait formé, en 1653, la milice de la Sainte-Vierge, et en 1663, celle de la Sainte-Famille[41]. Mais avant 1669, on ne rencontre dans nos vieilles archives aucune ordonnance, aucun règlement ayant le caractère de ces instructions précises données par Louis XIV à M. de Courcelle.

Dans cette lettre du 3 avril, le roi recommandait aussi au gouverneur d’armer tous les deux ou trois ans un corps de 1200 hommes pour aller faire une démonstration militaire du côté des cantons iroquois. Suivant les expressions d’une lettre de Colbert, il importait « d’établir dans l’esprit de ces nations une grande opinion de la nôtre, pour les contenir dans leurs devoirs »[42]. Ces instructions relatives à la milice avaient probablement été inspirées par le mémoire de Talon sur l’état du Canada, dont nous avons rectifié la date dans un précédent chapitre. Ou y lisait : « Le gouverneur visite chaque année tous les postes avancés, et y ordonne ce qu’il estime à propos pour leur sécurité et le bien du service du roi ; et s’il y a quelque chose à désirer de sa part, c’est qu’il exerce ou fasse exercer au port et maniement des armes les habitants du pays, ce qu’il n’a pas encore pratiqué, mais ce qu’il a promis de faire. Une dépense de cent pistoles, dans toute une année, mises en prix pour les plus adroits, exciterait bien de l’émulation au fait de la guerre[43]. » L’année suivante, après son retour à Québec, Talon écrivait à Colbert : « Mon dit sieur de Courcelle que j’ai entretenu sur ce que le roi désire qu’il fasse agir les habitants, les rassemblant de temps en temps pour les dresser au maniement et port des armes, a promis de le faire, et m’assure qu’il n’y manquera pas. Je crois qu’il serait bon de leur distribuer des drapeaux après qu’ils seront mis sous un chef en forme de compagnie. J’ai dit à mon secrétaire d’en faire la dépense, supposé que Sa Majesté l’ait agréable, de même que celle qu’il conviendra faire pour acheter quelques épées de médiocre valeur pour leur proposer en prix afin de les exciter à s’exercer à tirer adroitement aux jours de dimanches et fêtes[44]. » Petit à petit l’organisation de la milice canadienne prit son développement régulier. Dans nos paroisses et seigneuries les capitaines des côtes firent leur apparition. Outre leurs fonctions militaires, on les chargea de quelques fonctions civiles ; ils eurent, par exemple, à faire exécuter les ordonnances des gouverneurs et des intendants. Pour reconnaître leurs services, on leur accorda certains honneurs et préséances, comme ceux de marcher les premiers dans les processions, de recevoir le pain bénit avant les autres fidèles, etc. L’institution des capitaines des côtes, ou de milice, a duré plus de deux siècles dans sa forme ancienne et traditionnelle, et ce fut l’une de celles qui survécurent le plus longtemps à la grande transformation politique et sociale de 1760.

Les premiers vaisseaux arrivés de France apprirent à MM. de Courcelle et de Bouteroue le prochain retour de M. Talon. Nous ignorons quels furent alors les sentiments des deux fonctionnaires. M. de Bouteroue se trouva peut-être remplacé bien vite ; et M. de Courcelle dut goûter médiocrement la perspective de voir arriver son rival entouré d’un nouveau prestige. Cependant, comme les relations entre le gouverneur et le successeur de Talon laissaient beaucoup à désirer, le regret de la séparation annoncée ne dut pas être très vif de part et d’autre. M. de Courcelle était loin de s’entendre parfaitement avec M. de Bouteroue. Il trouvait celui-ci trop favorable aux autorités religieuses, et s’en était plaint à Colbert, qui lui répondit comme suit dans sa lettre du 15 mai 1669 : « Pour ce qui concerne M. de Bouteroue, comme Sa Majesté a résolu de renvoyer M. Talon, et qu’il vous porte lui-même cette dépêche, je n’ai rien à vous dire sur son esprit, mais peut-être que, avec le temps, vous auriez reconnu en lui de meilleures qualités que vous n’avez fait en si peu de temps que vous l’aviez pratiqué lors de la date de vos lettres ; au moins vous puis-je assurer que c’est un homme qui est en fort bonne estime et qui avait rempli dignement les fonctions de son emploi ; et quoique je sois persuadé qu’il n’eût pas été, avec le temps, si absolument dépendant de M. l’Évêque et des pères Jésuites, je crois néanmoins qu’il est fort à estimer d’avoir eu de la déférence et de l’estime pour eux. » Puis Colbert ajoutait ces lignes, où la leçon était fort peu dissimulée : « En un mot, je dois vous dire qu’il est nécessaire qu’un homme, au poste où vous êtes, souffre quelquefois les défauts des autres et qu’il sache se servir de leurs bonnes qualités, encore même qu’elles soient mêlées de mauvaises, pour concourir au bien du service et à l’exécution des intentions du roi[45]. »

Quelles que fussent les impressions de MM. de Courcelle et de Bouteroue, la nouvelle du retour de Talon causa une grande joie dans la colonie. La Mère de l’Incarnation écrivait : « L’on attend de jour en jour M. Talon que le roi renvoie pour régler toutes choses en ce pays, et les former selon le dessein de Sa Majesté. Il a cinq cents hommes avec lui, et seulement deux femmes de qualité avec leurs servantes. » Et plus loin, dans la même lettre : « Je reviens encore à M. Talon. Si Dieu le fait arriver heureusement au port, il trouvera de nouveaux moyens d’enrichir le pays. L’on a découvert une belle mine de plomb ou d’étain à quarante lieues au delà de Montréal, avec une mine d’ardoise, et une autre de charbon de terre. Mon dit sieur est homme à faire valoir tout cela avec avantage. Il a déjà fait faire une très grande brasserie avec de très grands frais. Il a encore fait de grands ouvrages dans Québec et ailleurs ; et si Dieu lui inspire de retrancher le commerce des boissons, c’est ce qui achèvera d’immortaliser sa mémoire dans cette nouvelle église »[46]. Mais la saison avançait et M. Talon ne paraissait point. On commença à s’alarmer. La même correspondante écrivait dans une autre lettre, datée du 21 octobre 1669 : « Le vaisseau unique qui est retenu par force à notre port doit lever l’ancre samedi prochain, ou lundi au plus tard ; autrement il serait contraint d’hiverner ici. La terre est déjà couverte de neige, et le froid fort aigu et capable de geler les cordages. Avec tout cela, M. Talon n’est point arrivé, ni ses deux navires ; dans le sien seul, il y avait cinq cents personnes, et l’on est ici en très grande peine de ce retardement qui fait juger qu’ils ont relâché en France, ou qu’ils ont péri par la violence de la tempête, qui a été si horrible que nous l’avons prise pour un ouragan semblable à ceux qui arrivent dans les îles. » Cet automne avait été effroyablement tempétueux. Durant quinze jours de formidables tourmentes firent à Québec les plus terribles ravages. La marée monta dans la basse-ville jusqu’au troisième étage des maisons. Beaucoup d’édifices furent abattus à la haute-ville, et d’autres furent secoués comme durant les tremblements de terre. Le vent arracha le toit du logis des domestiques aux Ursulines ; il renversa les clôtures de charpente de ce monastère, celles des Hospitalières, de l’évêque, des Jésuites et plusieurs autres. On estima les pertes subies à 100,000 livres[47]. Cette fureur des éléments inspirait la réflexion suivante à la mère de l’Incarnation : « Voilà le sujet de nos inquiétudes au regard de M. Talon, dans lequel le pays ferait une perte irréparable s’il avait fait naufrage, parce que le roi lui ayant donné tout pouvoir, il fait de grandes entreprises sans craindre la dépense. » Patoulet, le dévoué secrétaire de Talon, parti de France par un autre navire que son chef, et arrivé heureusement à Québec, écrivait à Colbert : « S’il lui était arrivé un plus funeste accident, Sa Majesté aura perdu un bon sujet, vous, Monseigneur, un fidèle serviteur, le Canada un père qui le chérit, et moi un bon maître[48]. »

Cependant plusieurs navires parvinrent sans encombre à Québec. Les cent cinquante filles du roi arrivèrent à bord d’un vaisseau parti du Havre[49]. C’était madame Bourdon, veuve du procureur-général, qui, revenant de France, en avait accepté la direction durant le voyage. Elles lui donnèrent assez d’exercice, car la traversée fut longue, il y en avait de toutes les conditions, et quelques-unes se trouvèrent difficiles à conduire. Peu de temps auparavant un navire de La Rochelle avait mouillé à Québec, chargé d’hommes, de filles et de familles formées. Plusieurs capitaines et autres officiers étaient aussi arrivés pour s’établir[50] ainsi que 225 immigrants dont 80 engagés, embarqués à La Rochelle[51]. Onze cavales et deux étalons furent débarqués cet automne à Québec[52]. Tout cela fortifiait considérablement la colonie.

Nous prions maintenant nos lecteurs de retourner avec nous en France. Les contre-temps et les pertes subies n’avaient point rebuté Colbert. Et nous le voyons encore à l’œuvre au commencement de 1670, pour préparer avec Talon les expéditions de colons et de soldats.

Le premier et le trois avril des ordonnances sont émises pour la subsistance de six compagnies qui doivent passer dans la colonie, pendant les six derniers mois de 1670, et pendant les six premiers mois de 1671, ainsi que pour le passage, la nourriture des engagés et des filles, et pour l’achat, la nourriture et le passage des cavales, étalons et brebis, destinés au Canada[53]. Le 9 avril, le roi écrit à M. de Courcelle de donner créance à M. Talon. Le même jour, le ministre écrit au gouverneur pour lui apprendre le naufrage de l’ancien intendant, et à M. de Bouteroue pour l’informer que celui-ci le remplacera certainement cette année. L’envoi des Récollets n’est point abandonné, et le roi adresse au Père Germain Allart une nouvelle lettre de cachet pour lui demander de passer lui-même au Canada avec quatre de ses religieux[54].

Comme l’année précédente, Colbert manifeste une grande sollicitude au sujet des envois destinés à la colonie. Dès le 21 mars il écrit à Colbert de Terron : « À l’égard du Canada, Sa Majesté désire, ainsi que je vous l’ai déjà fait savoir, que vous pressiez autant qu’il sera possible l’expédition du vaisseau qui doit porter M. Talon en ce pays. Il est parti ces jours-ci pour Notre-Dame de Liesse[55] d’où il doit revenir dans peu. Cependant nous préparons de deçà les cent cinquante filles, les cavales, chevaux entiers et brebis qu’il faut y faire passer. Quant aux fonds nécessaires pour les compagnies qui s’embarqueront pour y passer de même, aussitôt que M. Talon sera de retour, j’examinerai avec lui tous les mémoires pour faire ces fonds, vous les envoyer et le faire partir[56]. » Le 21 avril, Colbert adresse à l’intendant de Rochefort, les lignes suivantes : « L’on vit partir samedi dernier seulement, à deux heures après midi, M. Talon qui se doit rendre en sept jours à La Rochelle, en sorte que vous le verrez assurément vendredi ou samedi prochain. Disposez toutes choses pour le faire embarquer et le faire partir aussitôt. Je presse l’embarquement des cent cinquante filles, afin que nous soyons entièrement débarrassés de cette affaire. Vous aurez vu par l’état des fonds faits pour le Canada qu’il y a fonds faits pour le passage de cent engagés, outre les trois cents de troupes, et cent matelots pour établir la pêche sédentaire à l’île Percée, si je ne me trompe. Mandez-moi si ces cent hommes et cent matelots sont disposés à partir, et si M. Talon les embarquera avec lui[57]. »

Colbert n’eut à se plaindre d’aucun retard. Tout fut prêt au temps voulu, et Talon quitta la France, vers le milieu de mai[58]. Il était encore accompagné de M. Perrot, et de six Récollets, dont quatre Pères et deux Frères[59]. Sa nièce resta cette fois en France. La traversée fut longue ; l’intendant arriva à Québec au bout de trois mois seulement. Et il faillit encore faire naufrage, non pas sur l’Océan, mais presque au terme du voyage, près de Tadoussac. Un ouragan jeta le vaisseau entre des rochers où il se trouva serré comme dans un étau et faillit être broyé. Heureusement la marée montante le dégagea sans avaries. Il jeta l’ancre devant Québec le 18 août 1670[60].

Talon fut accueilli avec la joie la plus vive. Le Père LeMercier écrivit dans la Relation de cette année : « Monsieur Talon, notre intendant, est enfin arrivé ici heureusement, ayant quasi fait naufrage au port, plus dangereusement que ne fut le naufrage qu’il fit l’année précédente au port de Lisbonne en Portugal. Ce fut ici vers Tadoussac où son vaisseau échoua sur une roche dont il ne put se retirer que par un secours extraordinaire du Ciel que sainte Anne lui procura. On peut dire que la joie que son heureuse arrivée nous a donnée à tous n’a pas été moindre que la crainte et la consternation universelle où la nouvelle de ses naufrages nous avait jetés. »

Un an et neuf mois environ s’étaient écoulés depuis son départ du Canada et la fin de sa première intendance.



  1. — À la mort de Philippe IV, roi d’Espagne, qui ne laissait qu’un fils en bas âge pour lui succéder, Louis XIV prétendit que sa femme Marie-Thérèse, fille aînée du monarque défunt, par un premier mariage, devait hériter d’une partie des Pays-Bas, suivant la loi civile de ces provinces. Le droit sur lequel il fonda cette prétention s’appelait « le droit de dévolution. » Le roi de France réclamait aussi une partie de la Franche-Comté, en vertu d’une coutume spéciale.
  2. Andromaque avait été jouée le 17 novembre 1667, les Plaideurs à la fin d’octobre 1668, et Britannicus fut représenté le 13 décembre 1669.
  3. — Tartufe écrit en 1665, joué une première fois le 5 août 1667, interdit ensuite par le président de Lamoignon, ne put avoir sa seconde représentation que le 5 février 1669. Le Misanthrope fut joué pour la première fois le 4 juin 1666 et l’Avare le 9 septembre 1668.
  4. — Les six premiers livres des Fables parurent en 1668.
  5. — L’Épître au roi est la première, elle date de 1669. L’Art poétique fut composé de 1669 à 1674.
  6. — De 1659 à 1669, Bossuet fut le grand prédicateur de Paris et de la Cour. En 1669 il fut nommé évêque de Condom. Il prononça l’oraison funèbre de la reine d’Angleterre le 10 novembre 1669. Bourdaloue commença de prêcher à Paris, cette même année.
  7. — Claude Perrault (1613-1688), médecin, savant, architecte et écrivain. Colbert ayant mis au concours la grande façade du Louvre, les plans de Perrault furent adoptés. Il en commença l’exécution en 1666. Elle dura plusieurs années.
  8. — Levau (1612-1672), et Mansart (1645-1701) furent l’un après l’autre les architectes du château de Versailles.
  9. — Charles Lebrun, peintre illustre (1619-1690), posséda la faveur de Louis XIV et fut l’arbitre des beaux-arts en France pendant un quart de siècle.
  10. — Pierre Mignard (1610-1695), peintre du roi ; une de ses œuvres les plus remarquables est la décoration de la coupole du Val-de-Grâce, célébrée par Molière, dont il fit le portrait.
  11. — Colbert avait reçu le titre de contrôleur-général des finances en décembre 1665 ; il fut nommé secrétaire d’État le 7 mars 1669. Au chapitre deuxième du présent ouvrage nous avons vu quelle était l’étendue de sa juridiction ministérielle.
  12. — Dans une édition des œuvres de Boileau publiée en 1718 par Brossette, l’ami et le correspondant du poète durant les douze dernières années de la vie de ce dernier, nous lisons la note suivante : « Après le traité d’Aix-la-Chapelle, conclu au mois de mai 1668, la France jouissait d’une heureuse paix. Mais la précédente guerre n’ayant duré qu’un peu plus d’une année, la valeur de la nation n’était point satisfaite, et la plupart des Français ne respiraient que la guerre. M. Colbert seul en détournait le roi : disant que la paix était l’unique moyen de faire fleurir les arts et les sciences et de maintenir l’abondance dans le royaume. Ce fut pour seconder les intentions de ce grand ministre que notre auteur composa cette pièce (l’Épître an roi), dans laquelle il entreprend de louer le roi comme un héros paisible, en faisant voir qu’un roi n’est ni moins grand, ni moins glorieux dans la paix que dans la guerre. Cette épître fut faite en 1669 et ce fut Madame de Thiange qui la présenta au roi. »
  13. Talon à Colbert, 11 nov. 1670 ; Arch. féd., corr. gén., vol. III.
  14. — « Puisqu’il plaît au roi, écrivait-il, que Talon retourne au Canada, il est prêt à le faire, mais pour que le service qu’il doit y rendre soit aussi utile qu’il le désire, il demande qu’il plaise à Sa Majesté d’ordonner sur les articles qui suivent. » La suite de ce chapitre indiquera les principaux de ces articles. Nous mentionnerons simplement ici la demande faite par Talon que le sieur Talon de Villeneuve, son cousin germain, âgé de 35 ans, longtemps conseiller au Châtelet, et procureur du roi en la chambre souveraine du domaine, fût désigné comme son successeur, et reçut en attendant une commission de subdélégué. Pour une raison ou pour une autre, cette nomination ne se fit pas.
  15. Ordres du roi, vol. I, p. 117 Supplément Richard, p. 238.
  16. — Acte passé en commun au mois de juin 1669 par François, Jean et Nicolas Talon — Jal, Dictionnaire critique de biographie et d’histoire, Pion, 1867, p. 1173.
  17. Lettres, Instructions et Mémoires de Colbert, 3, II, p. 449.
  18. — Cet arrêt est reproduit dans nos Édits et Ordonnances (volume I, p. 67) comme étant du 12 avril 1670. Mais les Lettres, Instructions et Mémoires de Colbert (3, II, p. 657) le datent du 5 avril 1669. À l’appui de cette dernière indication, nous citerons les lignes suivantes écrites par le ministre à M. de Courcelle, le 15 mai 1669 : « Comme vous verrez, par les expéditions que M. Talon reporte au dit pays, les grâces que Sa Majesté a bien voulu accorder en faveur des mariages, elle désire aussi que vous vous appliquiez à y porter tous les habitants de l’un et l’autre sexe. » Mais ce qui est encore plus catégorique, c’est ce passage d’une lettre de Colbert à M. de Frontenac, du 21 janvier 1672 : « Le roi ayant accordé plusieurs grâces, par l’arrêt de son conseil du 3 avril 1669, en considération de la fécondité des familles et des garçons qui se marieraient à vingt et les filles à quinze, Sa Majesté ne doute pas que le sieur de Frontenac ne se serve avantageusement de ces moyens », etc. (Lettres, Instructions, etc., 3, II, p. 536).
  19. — Henri Martin, Histoire de France, vol. 13, p. 88.
  20. Lettres, Instructions, etc., 3, II, pp. 450, 451.
  21. — Colbert de Terron était cousin germain du ministre ; il exerçait les fonctions d’intendant de marine à Rochefort. « Il appartenait à la race des administrateurs actifs, habiles, pleins de ressources, et Colbert, sûr de son dévouement, s’ouvrait pleinement à lui et l’initiait à ses vues. » (Clément, Histoire de Colbert, I, p. 75).
  22. Lettres, Instructions, etc., 3, II, p. 451.
  23. Ordres du roi, vol. I, pages 101 à 104 — Supplément Richard, pp. 237, 238.
  24. Ordres du roi, vol. I, pages 106 à 108 — Supplément Richard, p. 238. — Colbert écrivait à Mgr  de Laval, le 15 mai 1669 : « Je vous dirai que j’ai traité au nom du roi avec six capitaines pour y mener six compagnies de 50 bons hommes chacune, âgés depuis vingt jusqu’à trente ans, lesquels se doivent habituer dans ce pays-là, après dix-huit mois de paye. » Plus haut l’on a vu les noms de cinq capitaines. Le sixième était M. Perrot, dont le nom reviendra plus loin.
  25. — Colbert à Colbert de Terron, 16 mai 1669. — Ordres du Roi, Vol. 1 — Supplément Richard, p. 239.
  26. — Pour les causes qui empêchèrent le retour des Récollets après 1632, on peut consulter avec avantage l’Histoire de la colonie française par l’abbé Faillon, vol. I, p. 279 et suivantes. Voir aussi Les Jésuites et la Nouvelle-France, par le P. de Rochemonteix, vol. I, pp. 184 et suivantes, et le Premier établissement de la foi, par le P. Chrétien Leclercq, II, p. 465.
  27. Histoire chronologique de la Nouvelle-France, par le P. Sixte Le Tac, p. 182.
  28. — Les Récollets arrivés en 1670 ne doivent pas être confondus avec ceux qui les suivirent. M. l’abbé de Latour a écrit à leur sujet : « C’étaient de bons religieux, qui furent unis au clergé ; le caractère de leurs successeurs fut bien différent. »
  29. — Nous lisons dans un mémoire rédigé par les Récollets en 1681 : « Nous sommes envoyés en ce pays pour y soulager les consciences étrangement gênées par une conduite aussi extraordinaire que celle des autres » (c’est-à-dire les Jésuites et Mgr  de Laval). Plus loin, le mémoire désigne ceux-ci comme « la cabale immortelle du pays » ; il affirme que les Récollets « confessent en secret », et n’exercent leur ministère « que comme dans une Hollande et dans une Angleterre. » (Le Tac, pp. 200, 202, 203).
  30. — Au sujet de la traite de l’eau-de-vie, M. Dudouyt écrivait à Mgr  de Laval en 1681 : « Un des principaux et des mieux intentionnés (des Récollets) dit hier que le mal était qu’on ne convenait du principe, qui consiste en ce que M. l’évêque et les Jésuites défendent l’eau-de vie pour en traiter seuls. Ces bons pères sont si bien affermis dans cette impression, que quelque chose qu’on leur puisse dire au contraire, ils n’en reviennent pas ».

    Plusieurs Récollets, au mépris de l’autorité épiscopale, persistèrent à exercer dans les paroisses, sans juridiction, les fonctions du ministère sacré. (Lettre de M. Dudouyt, du 26 mai 1682 ; Archives du Séminaire de Québec).

    « Le Père Louis étant arrivé à St-Germain, commença à débiter contre vous, les Jésuites, M. l’intendant, toutes sortes de calomnies et généralement tout ce que M. de Frontenac a coutume de dire et d’écrire. Il publiait un mémoire qui contenait 52 articles ». (Ibid.)

    On peut lire dans Le Tac et Gosselin, comment les Récollets fondèrent leur couvent de la Haute-Ville, malgré l’évêque et en bravant ses défenses. (Gosselin, Vie de Mgr  de Laval, vol. II, pp. 95 et suivantes ; Le Tac, pp. 199 et suiv.)

    À lire aussi dans la Vie de Mgr  de Laval, l’épisode du Père Adrian, récollet, qui s’obstinait à parler en chaire, malgré les ordres de l’évêque, des différends entre Frontenac et Duchesneau.

    L’affaire du prie-Dieu de M. de Callières, dans lequel les Récollets de Montréal se rangèrent du côté de ce gouverneur contre Mgr  de St-Vallier, et foulèrent aux pieds l’interdit prononcé par celui-ci, nous fait voir encore chez eux un fâcheux exemple d’insoumission.

  31. Le premier établissement de la foi, par le P. Chrétien Leclerc ; la Description de la Louisiane, par le P. Louis Hennepin, et l’Histoire chronologique de la Nouvelle-France, par le P. Sixte LeTac.
  32. Vie de Mgr  de Laval, par l’abbé Auguste Gosselin, vol. II, p. 108.
  33. — M. Perrot, officier au régiment d’Auvergne, avait épousé récemment Madeleine Laguide, nièce de l’intendant. Il commandait une compagnie de troupes et avait reçu, au mois de juin 1669, sa commission de gouverneur de Montréal, des mains de M. de Bretonvilliers, supérieur des Messieurs de St-Sulpice, qui étaient seigneurs de l’île. Madame Perrot accompagnait son mari et son oncle dans ce voyage. Perrot prit possession de son gouvernement en 1670, se rendit fameux par ses démêlés avec Frontenac en 1674, fut incarcéré pendant trois semaines à la Bastille en 1675, conserva cependant le poste de gouverneur de Montréal jusqu’en 1684, devint ensuite gouverneur de l’Acadie, charge dans laquelle il fut remplacé par M. de Menneval en 1687, fut fait prisonnier par des forbans après la capitulation de Port-Royal, en 1690 ; il était mort en 1693.
  34. Premier Établissement de la Foi, II, pp. 86, 87, 88 — Nous avons peu de renseignements relativement à ce voyage de Talon. Voici ce qui nous induit à croire qu’il s’embarqua avec les Pères Récollets et qu’ils subirent ensemble les mêmes accidents. Le P. Leclercq écrit que les Récollets s’embarquèrent à la Rochelle, que leur vaisseau battu par les tempêtes dut relâcher en Portugal, et que de là, ayant fait voile pour retourner en France, il se brisa sur des rochers près de Lisbonne. Dans une pièce intitulée « Copie de titres pour les révérends Pères Récollets donnés par Mgr  le comte de Frontenac, gouverneur, » nous lisons : « les dits Pères Récollets s’embarquèrent avec leurs titres pour revenir en ce dit pays, mais ayant été obligés de relâcher en Portugal, Dieu aurait permis qu’en faisant voile du havre de Lisbonne pour retourner en France ils firent naufrage et y perdirent leurs titres. » (Le Tac, p. 184.) D’autre part on lit dans l’Histoire de l’Hôtel-Dieu : « M. Talon s’étant embarqué pour ce pays-ci son vaisseau fit naufrage sur les côtes du Portugal où il se sauva miraculeusement, après avoir fait un vœu à Ste-Anne qui le secourut sensiblement. Pour marque de reconnaissance il fit faire un tableau où il est dépeint et où l’on voit les dangers qu’il courut dans cette occasion et les assistances qu’il reçut du ciel : ce tableau fait le fond de la chapelle de Sainte-Anne de la cathédrale de Québec. (Il nous a été impossible de découvrir ce que cette peinture est devenue.) De son côté la Mère de l’Incarnation dit dans une lettre : « Le vaisseau de M. Talon fut emporté de la tempête et s’alla briser sur des roches proche de Lisbonne en Portugal. » La relation de 1670 parle aussi du « naufrage que fit M. Talon l’année précédente, au port de Lisbonne en Portugal. » Citons encore M. Dollier de Casson, dans son Histoire du Montréal : « Nous concluerons cette année (1670) par M. Perrot, gouverneur de Montréal, qui y est arrivé après avoir bien essuyé des hasards et des périls sur la mer avec M. Talon, l’intendant son oncle, tant cette année que la précédente année, où il fut obligé de relâcher dans le Portugal, où ils firent naufrage. » Au dire de Frontenac, Perrot, dont l’humeur était difficile, fit quelques algarades à Talon, durant leur séjour forcé à Lisbonne. (Faillon, III, p. 455). Si l’on en croit les annales de l’Hôtel-Dieu Saint-Joseph par la sœur Morin, Talon, M. Perrot et sa femme se sauvèrent sur un mât rompu de leur navire en promettant aux matelots une grosse somme d’argent. (Ibid. p. 447).

    En rapprochant tous ces textes, il nous semble clair que Talon, Perrot et les Récollets voyagèrent et firent naufrage ensemble, en 1669.

  35. — Publié à Paris, chez Edme Martin, en 1666. « Ouvrage recherché, dont les exemplaires sont rares, » dit Brunet, (Manuel des libraires, Paris, chez Firmin Didot, 1860-65). Voici le titre complet de l’ouvrage : « Recherches anciennes des monnaies de France, avec des observations, des preuves et des figures de monnaies ; tome I et unique, 1666. Cet ouvrage est profond et plein de recherches savantes sur l’histoire des monnaies de la première race ; ce qu’il dit sur les médailles romaines et gauloises est moins bon… L’auteur devait publier trois autres tômes. Ce travail resté manuscrit en 5 volumes a passé entre les mains de F. Leblanc, qui en a sans doute fait usage dans son Traité historique des monnaies de France. » (Biographie universelle, Michaud, vol. 5, p. 344).
  36. — On lit dans l’histoire de l’Hôtel-Dieu : « Elle demeura chez nous pendant tous les voyages que fit son père dans la colonie. »
  37. Histoire de Colbert, II, pp. 366 et suivantes. Colbert avait conçu la pensée de reculer l’ordination des prêtres à vingt-sept ans. Il voulait établir l’autorité du roi sur « la police spirituelle », et imposer certaines restrictions au recrutement des ordres religieux.
  38. Lettres de la M. de l’Incarnation, II, p. 440.
  39. — Faillon, III, p. 324.
  40. Chronique trifluvienne, par Benjamin Suite, Revue Canadienne, 1879, p. 4.
  41. Histoire de la colonie française, par Faillon, II, p. 213, et III, p. 15.
  42. Colbert à Courcelle, 15 mai 1669.
  43. Collection de Mémoires et de Relations sur l’histoire ancienne du Canada — Le secrétaire de Talon, Patoulet, écrivait, le 11 novembre 1669 : « L’air de ce pays rend les hommes guerriers, et pour peu qu’ils soient instruits du fait de la guerre, ils la feront fort bien. »
  44. Talon à Colbert, 10 novembre 1670 ; Arch. prov. Man. N.-F., 1ère série, vol. I.
  45. Lettres, Instructions, etc., 3, II, pp. 450, 451. — M. de Bouteroue vivait encore en 1674 ; il était mort en 1680. (Michaud, loc. cit.) — Talon écrivait à Colbert, le 10 novembre 1670 : « Si ma très humble prière pouvait auprès de vous quelque chose en faveur de M. de Bouteroue, je l’emploierais très volontiers pour qu’il reçût par votre moyen quelque grâce du roi. En vérité quoiqu’il n’ait pas l’action que demande le Canada, il a pour les emplois d’un moindre détail beaucoup de bonnes et de belles qualités, et s’étant autant bien acquitté qu’il a pu de celui qu’il avait ici, il part avec l’approbation des honnêtes gens. »
  46. Lettres de la Mère de l’Incarnation, II, p. 441.
  47. Lettres de la Mère de l’Incarnation, II, p. 436.
  48. Patoulet à Colbert, 11 nov. 1669 ; Arch. féd., Canada, corr. gén., vol. III.
  49. — L’une d’elles mourut en mer. (Patoulet à Colbert, 11 nov. 1669).
  50. — Lettres de la M. de l'Incarnation, II, p. 435.
  51. — L’arrivée de ces 225 immigrants était mentionnée par M. Patoulet, dans sa lettre à Colbert, du 11 novembre 1669.
  52. — Une cavale avait péri durant la traversée. — Nous avons vu plus haut que le 16 février 1669 une ordonnance de 64,000 livres avait été émise pour le passage au Canada de 500 personnes des deux sexes, de 12 cavales et de deux étalons. En exécution de cette ordonnance 200 émigrants furent embarqués à la Rochelle sur l’Hirondelle, le St-Aubert et le Pot de-Beurre, frétés par le sieur Legaigneur, armateur considérable de cette ville ; et 164 personnes, dont 150 filles, au Havre, sur le St-Jean-Baptiste, frété par le sieur Guenet. On remarque ici une différence de 25 personnes en plus dans le chiffre des immigrants de la Rochelle, mentionné par M. Patoulet. Nous n’en avons pas trouvé l’explication. Les 14 personnes embarquées sur le St-Jean-Baptiste, outre les 150 filles, étaient madame Bourdon, quelques conducteurs et conductrices de ces filles, le sieur Dumesnil, gentilhomme de Normandie, et sa femme, etc. Cela faisait en tout 364 personnes embarquées tant au Havre qu’à La Rochelle, soit 136 de moins que le nombre indiqué dans l’ordonnance du 16 février. À 100 livres par tête, ces 136 personnes représentaient 13,600 livres, qui furent employées à donner un supplément de 2,400 livres à chacune des six compagnies, pour lesquelles les fonds faits par le ministre n’étaient pas suffisants, et auxquelles il manqua encore 800 livres.

    Les 2 étalons et les 12 cavales furent mis à bord du St-Jean-Baptiste. On embarqua aussi à la Rochelle, pour le compte du roi, 50 brebis, 6 chèvres et 2 boucs, sur la Ste-Agathe, frétée par le sieur Allaire. M. Talon avait expédié à son compte 50 autres brebis sur un navire appartenant à M. de la Chesnaye.

    Le 22 juin 1669, les six compagnies de troupes étaient complètes dans l’île de Ré ; elles devaient s’embarquer sur le St-Charles de Bayonne et la Magdelaine. Était-ce sur un de ces vaisseaux que Talon prit passage ? C’est probable. Dans tous les cas, les troupes ne parvinrent pas au Canada cette année. À consulter sur tout cela le Mémoire instructif de tout ce qui a été fait pour le Canada, etc. (Arch. féd., Canada, corr. gén. vol. III).

  53. — Supplément-Richard, p. 241.
  54. Histoire chronologique de la Nouvelle-France, par le P. Le Tac, p. 182.
  55. — Notre-Dame-de-Liesse était un lieu de pèlerinage situé près de Laon, — ancienne province de l’Île-de-France —, actuellement dans le département de l’Oise.
  56. Lettres, instructions, etc., vol. II, p. 481.
  57. Ibid.
  58. — Il avait été nommé par le roi capitaine du château de Mariemont, en récompense de ses services. Nous verrons dans un chapitre subséquent en quoi consistait cette charge.
  59. — C’étaient les PP. Germain Allart, provincial, Gabriel de la Ribourde, Simple Landon, Hilarion Guenin, et les Frères Luc Lefrançois et Anselme Bardon.
  60. — Lettre de Talon à Colbert, 29 août 1670. — Arch. féd., Canada, correspondance générale, vol. III.