Journal (Eugène Delacroix)/13 octobre 1848

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Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 1p. 395-396).

Samedi 13. — Matinée employée à terminer la lecture d’Arsace et Isménie[1], de Montesquieu. Tout le talent de l’auteur ne peut vaincre l’ennui de ces aventures rebattues, de ces amours, de cette constance éternelle ; la mode et, je crois aussi, un sentiment de la vérité, ont relégué ces sortes d’ouvrages dans l’oubli.

Avant déjeuner, examiné les vitraux. Se rappeler ce beau caractère raphaélesque et plus encore corrégien : le beau et simple modelé et la hardiesse de l’indication. Contours noirs très prononcés pour la distance, etc. Après déjeuner, au cimetière.

Auparavant vers Saint-Ouen, chez une pauvre fabricante de mouchoirs au métier. Pauvres gens ! on leur paye vingt francs les vingt-quatre douzaines de ces mouchoirs ; cela ne fait pas vingt sous pour chaque douzaine.

La chapelle où repose le corps de Bataille ne me plaît pas. Je regrette de n’avoir pas été consulté.

Tué le temps jusqu’à dîner. Dormi dans ma chambre, puis fait un tour de parc à la nuit tombante. Ce parc et ces arbres gigantesques ont pris un aspect qui est presque lugubre ; mais en vérité, si l’on pouvait, en peinture, rendre de pareils effets, ce serait ce que j’ai vu en paysage de plus sublime. Je ne peux rien comparer à cela… Cette forêt de colonnes formées par les sapins, le vieux noyer en montant, etc.

Le pharmacien M. Leglay, la directrice des postes, venus dîner.

  1. L’Arsace et Isménie, petit roman oriental de Montesquieu, où l’affabulation romanesque se trouve entremêlée de considérations politiques, et qui fait partie des œuvres posthumes de l’écrivain.