Journal (Eugène Delacroix)/1er juin 1848

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Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 1p. 373-374).

Vendredi 1er juin. — Travaillé beaucoup ce matin et jours précédents pour terminer la petite Fiancée d’Abydos[1] et la Baigneuse de dos[2].

Vers trois heures au Musée, pour mettre la petite retouche à mon tableau. Vu le tableau de Cœdès[3], qui m’a fait le plus grand plaisir : il y a mille études à en faire.

Villot m’a fait remarquer dans la grande salle française la supériorité que témoigne une telle École. Très frappé surtout de Gros et principalement de la Bataille d’Eylau ; tout m’en plaît à présent. Il est plus maître que dans Jaffa ; l’exécution est plus libre.

Dans la grande galerie, admiré les Rubens : sa figure de la Victoire placée dans lavant-dernier tableau. Comme cette figure tranche sur les autres ! les jambes même semblent faites par un autre que le maître ; le soin s’y montre ; mais la sublime tête en feu et le bras plié,… tout cela est le génie même.

Les Sirènes également ne m’ont jamais semblé si belles. L’abandon seul et l’audace la plus complète peuvent produire de semblables impressions.

Vu le Christ ressuscitant, du Carrache. Le terne et le poids de cette peinture m’ont fait voir ce que le sujet a de beau. L’ange, les yeux brillants comme un éclair, écartant la pierre ; le Christ éblouissant de lumière, s’élançant du sein de la mort, et les gardes renversés de tous côtés.

  1. Voir Catalogue Robaut, no 772.
  2. Voir Catalogue Robaut, no 1297.
  3. Louis-Eugine Cœdès, peintre, né en 1810, mort en 1868. Il exposa au Salon de 1861.