Journal (Eugène Delacroix)/24 novembre 1853

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Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 2p. 279-280).

Jeudi 24 novembre. — Promenade le soir dans la galerie Vivienne, où j’ai vu des photographies chez un libraire. Ce qui m’a attiré, c’est l’Elévation en croix[1] de Rubens, qui m’a beaucoup intéressé : les incorrections, n’étant plus sauvées par le faire et la couleur, paraissent davantage.

La vue ou plutôt le souvenir de mon émotion devant ce chef-d’œuvre m’ont occupé tout le reste de la soirée, d’une manière charmante. Je pense, par forme de contraste, à ces dessins du Carrache, que je voyais avant-hier : j’ai vu des dessins de Rubens pour ce tableau ; certes ils ne sont pas consciencieux, et il s’y montre lui-même plus que le modèle qu’il avait sous les yeux ; mais telle est l’impulsion de cette force secrète, qui est celle des hommes à la Rubens ; le sentiment particulier domine tout et s’impose au spectateur. Ses formes, au premier coup d’œil, sont aussi banales que celles du Carrache, mais elles sont tout autrement significatives… Carrache grand esprit, grand talent, grande habileté, je parle au moins de ce que j’ai vu, mais rien de ce qui transporte et donne des émotions ineffaçables !

  1. Voir suprà, t. II, p. 28.