Journal (Eugène Delacroix)/26 février 1858

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Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 3p. 308-309).

26 février. — La conversation que j’ai avec J… à propos de la jambe imparfaite de la Médée : que les hommes de talent sont frappés d’une idée à laquelle tout doit être subordonné. De là les parties faibles, sacrifiées par force ; tant mieux si l’idée est venue toute nette et se développant d’elle-même. Le travail difficile ne s’applique, dans l’homme de talent, qu'à faire passer les endroits faibles. Comme tout est faible chez les hommes d’un faible talent, tout étant le produit de la réflexion ou de réminiscences plus que de l’inspiration, ces lacunes sont moins sensibles. Toutes les parties de leur ouvrage insipide sont l’objet d’un travail opiniâtre et soutenu. Une nature avare leur fait payer cher leur moindre trouvaille. Aux hommes mieux doués le ciel donne pour rien les idées heureuses et frappantes ; c’est à les mettre en lumière le mieux possible que s’applique pour eux le travail.