Journal (Eugène Delacroix)/26 mai 1856

La bibliothèque libre.
Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 3p. 148-149).

26 mai. — Acheter la Presse de dimanche 25 mai, article de Saint-Victor[1] sur le Cid. Aller voir Mme Lamey.

J’ai travaillé beaucoup à Champrosay. J’ai ébauché sur la toile, où j’avais commencé il y a beaucoup d’années, le Fils qui porte le corps de son père sur le champ de bataille et que j’avais abandonné tout à fait ; j’y ai ébauché le Templier emportant Rebecca du château de Frondeley pendant le sac et C incendie de ce repaire[2].

J’ai ébauché également les Chevaux qui se battent dans l'écurie[3], et un petit sujet : Cheval en liberté que son maître s’apprête à seller et qui joue avec un chien[4].

Avancé les esquisses de M. Hartman, l’Ugolin, la Pieta, etc.

J’ai reçu ce matin la lettre de Bouchereau, qui m’annonce qu’il va venir.

Je suis parti par le dernier convoi le soir.

  1. À cette époque déjà Paul de Saint-Victor écrivait dans la Presse cette série de feuilletons dramatiques qu’il devait continuer plus tard au Moniteur universel) et dans lesquels, sous prétexte de faire le compte rendu des pièces nouvelles, il exécutait d’admirables variations littéraires sur les grandes œuvres classiques. On se rappelle la série de ses études sur le drame grec, qui furent réunies plus tard sous le titre des Deux Masques. À propos de cet article sur le Cid qu’on trouvera dans la Presse du 25 mai 1856, et dont M. Burty a cité un fragment dans la Correspondance de Delacroix, voici ce que Delacroix écrivait à Paul de Saint-Victor : « Je trouve ce matin dans la Presse votre article sur le Cid, et je ne puis m’empêcher de vous en faire compliment du fond de ma retraite momentanée. Quel dommage que vous dépensiez votre verve et votre esprit dans des feuilles qui se dispersent si vite ! c’est au point que revenant demain ou après-demain à Paris, je ne sais si je pourrai trouver à acheter le numéro paru depuis deux jours. » Puis ensuite, discutant avec le critique une des idées qu’il a émises, il termine en disant : « Ma lettre n’est à autre fin que de vous parler de mon émotion. C’est une pente que je suis quelquefois et à coup sûr. J’écris cette lettre avec plus de plaisir que presque toutes les autres. » {Corresp., tome II, p. 144, 145.) Il ne faut pas oublier d’ailleurs que Paul de Saint-Victor avait été l’un de ses enthousiastes partisans, et qu’il avait écrit, notamment après la décoration du Palais-Bourbon, une série d’articles qui comptent parmi les plus remarquables commentaires de l’œuvre du maître peintre.
  2. Voir Catalogue Bobaut, no 1383.
  3. Voir Catalogue Robaut, no 1409.
  4. Voir Catalogue Robaut, no 1317.