Journal (Eugène Delacroix)/26 novembre 1853

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Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 2p. 281-282).

Samedi 26 novembre. — J’ai le torticolis ; le temps est sombre ; je me promène dans mon atelier ou je dors.

Fait quelques croquis d’après la suite flamande des Métamorphoses.

A quatre heures été chez Rivet, que j’ai trouvé plus affectueux que jamais. Il me parle avec grand plaisir de la répétition du Christ au tombeau, de Thomas[1].

Le soir, Lucrezia Borgia[2] : je me suis amusé d’un bout à l’autre, encore plus que l’autre jour, à la Cenerentola. Musique, acteurs, décorations, costumes, tout cela m’a intéressé. J’ai fait réparation, dans cette soirée, à l’infortuné Donizetti, mort à présent, et à qui je rends justice, imitant en cela le commun des mortels, hélas ! et même les premiers parmi eux. Ils sont tous injustes pour le talent contemporain. J’ai été ravi du chœur d’hommes en manteau, dans la charmante décoration de l’escalier du jardin au clair de lune. Il y a des réminiscences de Meyerbeer, au milieu de cette élégance italienne, qui se marient très bien au reste. Ravi surtout de l’air qui suit, chanté délicieusement par Mario : autre injustice réparée ; je le trouve charmant aujourd’hui. Cela ressemble à ces amours qui vous prennent tout d’un coup, après des années, pour une personne que vous étiez habitué à voir tous les jours avec indifférence. Voilà la bonne école de Rossini ; il lui a emprunté, parmi les meilleures choses, ces introductions qui mettent le spectateur dans la disposition de l’âme où le veut le musicien. Il lui doit aussi, comme Bellini, et il ne les gâte pas, ces chœurs mystérieux dans le genre de celui que je citais… le chœur des prêtres, dans Sémiramis, etc.

  1. Voir Catalogue Robaut, nos 1035-1037.
  2. Opéra de Donizetti.