Journal (Eugène Delacroix)/29 avril 1824

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Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 1p. 103-104).

Jeudi 29 avril. — La gloire n’est pas un vain mot pour moi. Le bruit des éloges enivre d’un bonheur réel ; la nature a mis ce sentiment dans tous les cœurs. Ceux qui renoncent à la gloire ou qui ne peuvent y arriver font sagement de montrer, pour cette fumée, cette ambroisie des grandes âmes, un dédain qu’ils appellent philosophique. Dans ces derniers temps, les hommes ont été possédés de je ne sais quelle envie de s’ôter eux-mêmes ce que la nature leur avait donné en plus qu’aux animaux qu’ils chargent des plus vils fardeaux.

Un philosophe, c’est un monsieur qui fait ses quatre repas les meilleurs possible, pour qui vertu, gloire et noblesse de sentiments ne sont à ménager qu’autant qu’ils ne retranchent rien à ces quatre indispensables fonctions et à leurs petites aises corporelles et individuelles. En ce sens, un mulet est un philosophe bien préférable, puisqu’il supporte de plus, sans se plaindre, les coups et les privations. C’est que ces gens regardent comme une chose dont ils doivent surtout tirer vanité, cette renonciation volontaire à des dons sublimes qui ne sont point à leur portée.

— J’ai été de bonne heure à mon atelier. J’ai fait deux traits de deux dessins arabes et leurs chevaux.

Venus Laure et Hélène et Lopez, jusqu’à trois heures et quart. Resté à l’atelier jusqu’à sept heures passées. Thil est venu à la fin. Ses éloges, qui m’ont paru sincères, m’ont réchauffé. Je suis retourné avec lui jusqu’auprès du Palais-Royal. J’irai ces jours-ci le voir.

— Été chez M. Guillemardet, après mon dîner. Rentré vers dix heures.