Journal (Eugène Delacroix)/3 mars 1847

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Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 1p. 279-280).

3 mars. — Ce mercredi, repris les rochers du fond du Christ et achevé l’ébauche de la Madeleine[1] : la figure nue du devant. Je regrette que cette ébauche manque un peu d’empâtement. Le temps lisse incroyablement les tableaux ; ma Sibylle[2] me paraissait déjà toute rentrée en quelque sorte dans la toile. C’est une chose à observer avec soin.

— Vu les Puritains[3] le mardi soir, avec Mme de Forget. Cette musique m’a fait grand plaisir. Le clair de lune de la fin est magnifique, comme ceux que fait le décorateur au théâtre. Ce sont des teintes très simples, je pense, du noir, du bleu et peut-être de la terre d’ombre, seulement bien entendu de plans, les uns sur les autres. La terrasse qui figure le dessus des remparts, ton très simple, avec rehauts très vifs de blanc, figurant les intervalles du mortier dans les pierres. La détrempe prête admirablement à cette simplicité d’effets, les teintes ne se mêlant pas comme dans l’huile. Sur le ciel très simplement peint, il y a plusieurs tours ou bâtiments crénelés, se détachant les uns sur les autres par la seule intensité du ton, les reflets bien marqués, et il suffit de quelques touches de blanc à peine modifié, pour toucher les clairs.

  1. Voir Catalogue Robaut, no 920 et 921.
  2. La Sibylle au rameau d’or fut envoyée par Delacroix au Salon de 1845. « Cette Sibylle avait les yeux ardents, la bouche hautaine, le geste noble, la souple allure de mademoiselle Rachel, que Delacroix admirait passionnément. » (Voir Catalogue Robaut, no 918.)
  3. Les Puritains d’Écosse, opéra de Bellini, représenté au théâtre Italien en 1835. Ce fut le dernier ouvrage de Bellini.