Journal (Eugène Delacroix)/3 octobre 1855

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Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 3p. 98-99).

3 octobre. — J’avais déjà pris mon parti de la perte de ma malle ; je ne regrettais que mes croquis de Strasbourg, mais surtout ce même petit livre dans lequel j'écris ; je voyais tout cela dans les mains de quelque Allemand ! La malle revient, et je m’embarque à une heure.

Je trouve Nieuwerkerke, qui monte dans la même voiture que moi. Il y a là un ménage étrange : la femme est Belge, coquette avec Nieuwerkerke ; je prends la femme de chambre, qui a les plus beaux traits du monde, pour une amie ou une parente ; heureusement la bévue se fait en moi, et je ne m’expose pas au crime impardonnable d’adresser une chose aimable à une pauvre créature, belle comme les anges et accablée du mépris de sa maîtresse, dont le nez retroussé et la petite figure commune semblent, au contraire, la classer dans l’emploi des soubrettes.

Après Rouen, où reste mon séducteur, je fais route avec l’Anglais et sa femme ; je cause et continue la connaissance ; je les rencontre le lendemain matin sur la plage ; ils m’invitent à les venir voir, ce que je leur promets et ce que je n’ai pas encore exécuté.