Journal (Eugène Delacroix)/7 juin 1855

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Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 3p. 30-32).

Paris, 7 juin. — J’ai été à Paris pour le banquet de l’Hôtel de ville donné en l’honneur du lord-maire ; faute d’être averti, j’ai manqué la cérémonie du matin qui a été, dit-on, fort imposante ; il s’agissait de la présentation par le lord-maire de l’adresse de la corporation de Londres à la municipalité de Paris. Les costumes du lord-maire et des aldermen valaient la peine d’être vus.

Je suis parti à onze heures par l’omnibus de Lyon, escorté de Julie[1] ; en arrivant, et par une chaleur étouffante, j’ai été au Jardin des Plantes : il y a deux beaux lions, de jeunes lions, etc. Je mourais de chaud à les regarder : j’ai remarqué qu’en général le ton clair qui se remarque sous le ventre, sous les pattes, etc., se mariait plus doucement avec le reste de la peau que je ne le fais ordinairement : j’exagère le blanc. Le ton des oreilles est brun, mais en dehors seulement.

De là, chez Sirouy, le lithographe, voir la planche qu’il a commencée (les Croisés de Moreau)[2] ; ensuite, à la maison, où je me suis senti très fatigué, très accablé. J’ai une nature singulière : ces déplacements, dès le matin, me causent toujours une fatigue nerveuse extrême, et je peux me remettre pour très peu de chose.

Le soleil me nuit toujours ; je me rappelle l’homme d’Épinal qui me disait que s’il se mettait au soleil après son déjeuner, il éprouvait un malaise considérable.

À peine m’étais-je habillé que je me suis senti rafraîchi et rajeuni, et la soirée m’a fort ennuyé. Le banquet donné dans la salle des Fêtes était splendide ; les lustres faisaient un effet magnifique ; jetais à côté d’un pauvre Anglais qui ne savait pas un mot de français ; j’ai presque oublié mon anglais ; je cherchais tous mes mots ; nous faisions mutuellement semblant de comprendre ce que nous nous disions, et nous n’en avons guère dit.

Fouché m’a ramené.

  1. Servante de Delacroix.
  2. C’est une variante de la toile de la salle des Croisades au musée de Versailles, actuellement au musée du Louvre. Elle a été lithographiée par Sirouy et adjugée à la vente Bonnet, le 19 février 1853, 3,199 francs à M. Moreau. (Voir Catalogue Robaut, no 1189.) Elle diffère assez sensiblement, surtout dans les premiers plans, de la grande composition du Louvre. (Voir Catalogue Robaut, no 734.)