Journal (Eugène Delacroix)/8 juillet 1850

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Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 2p. 5-6).

Anvers, lundi 8 juillet. — Parti pour Anvers à huit heures.

— Le Musée très mal arrangé. L’ancien faisait plus d’effet[1]. Les Rubens disséminés perdent beaucoup. Je ne leur ai toutefois jamais trouvé à ce degré cette supériorité qui écrase tout le reste. Le Saint François que je n’estimais pas autant, a été mon favori cette fois, et j’ai beaucoup goûté aussi le Christ sur les genoux du Père éternel, qui doit être du même temps. Je lis dans le catalogue que le Saint François a été peint quand Rubens avait quarante ou quarante-deux ans.

— Il y a des primitifs très remarquables au fond. En sortant, le Jésus flagellé, le Saint Paul…, chef-d’œuvre de génie s’il en fut. Il est un peu déparé par le grand bourreau qui est à gauche. Il faut vraiment un degré de sublime incroyable pour que cette ridicule figure ne gâte pas tout. A gauche, au contraire, et à peine visible, un nègre ou mulâtre qui fait partie des bourreaux, et qui est digne du reste. Ce dos en face, cette tête qui exprime si bien la fièvre de la douleur, le bras qu’on voit, tout cela est d’une inexprimable beauté.

— Je n’ai pas vu Saint-Jacques : je voulais revenir de bonne heure, et on ne se pressait pas d’ouvrir.

— J’avais été auparavant à Saint-Augustin. Grand tableau de Rubens à l’autel, et fait pour la place. — Mariage mystique de sainte Catherine ; superbe composition, dont j’ai la gravure ; mais l’effet est nul, à cause de la dégradation, de la moisissure et de l’absence complète de vernis. — Le Christ sortant du tombeau, de la cathédrale, est tout à fait invisible, à cause de la moisissure.

  1. Depuis quelques années, le Musée a été encore transporté dans un nouvel édifice spacieux et bien aménagé.