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Journal d’une enfant vicieuse/Livre II

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Livre II
ROSE, DEMOISELLE À MARIER
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CHAPITRE PREMIER. Je jouis en grande fille et l’on me traite en enfant[modifier]

Paris, 1776.

Quel bonheur ! Ma tante est venue la semaine dernière me chercher au couvent. Il paraît que je n’y retournerai plus. Je ne connaîtrai plus le fouet, les pensums, le cachot, les moqueries de mes camarades, la voix aigre des religieuses, et les devoirs qui empêchent de sortir par les beaux jours de soleil, et la cloche qui vous prive de sommeil le matin. Je n’ai plus maintenant qu’à me promener et à lire des histoires.

Malheureusement celles qu’on me donne sont un peu plus morales que je ne le souhaiterais.

À la place de ces ennuyeuses et sévères maîtresses d’autrefois, j’ai pour professeur un monsieur qui, ma foi, n’a point mauvaise tournure, et qui m’enseigne le chant et la danse. Je ne puis pourtant faire avec lui tout ce que je désirerais ; par exemple, je souhaiterais d’être seule avec lui, quand je prends mes leçons, mais ma tante ne me quitte pas des yeux tout le temps que le professeur est avec moi. Cela est ridicule et m’ennuie beaucoup. Est-ce que je ne suis pas une assez grande fille à présent pour qu’on ne puisse oublier une seule minute de me surveiller.

Songez donc ! Je suis bonne à marier. Hier, après m’être lavée, pendant que ma tante était sortie, je me suis regardée, dans la grande glace de sa chambre, toute nue. Cela m’a fait plaisir de me voir, et par-devant et par-derrière ; je ne m’étais jamais regardée avec autant d’attention. Je suis plus belle que toutes mes amies. Valentine, il est vrai, a des traits plus réguliers que les miens, mais n’a pas des yeux si beaux et une bouche si expressive : on me l’a toujours dit. J’ai de jolies dents, une oreille bien dessinée, mes cheveux, qui me descendent jusqu’aux reins, sont fins et d’un blond agréable. Je ne connais que les seins d’Olympe qui soient d’un dessin plus ferme et plus délicat que les miens : et encore, à mon goût, sont-ils trop gros. Mes hanches s’arrondissent délicatement, mes cuisses sont fortes, mon mollet mince, mais bien fait. Après m’être regardée le devant, je me suis tournée et j’ai aimé mes larges épaules et mes belles grosses fesses. S’est-on amusé à taper sur elles au couvent. N’importe ! Je suis une jolie fille et l’homme qui me prendra ne sera pas malheureux. Mais, j’y songe ? Comment sera-t-il, mon mari ? Blond ou brun, grand ou petit ? Je veux toujours qu’il soit bien doux, bien empressé à me satisfaire et à m’aimer. Un baiser d’un mari, ça doit être si bon ! Je voudrais embrasser mon professeur de danse : ça me donnerait un avant-goût de la chose.

Pendant que je me divertissais à me regarder le derrière, à écarter et à avancer mes fesses vers la glace, j’ai entendu la porte de la rue se refermer : c’était ma tante. J’ai eu grand peur d’être surprise et je me suis hâtée de m’habiller.

Ma grande joie, maintenant, c’est de pouvoir me coucher et me lever à l’heure qu’il me plaît. Pourvu que je sois prête aux heures des repas, ma tante ne me fait aucune observation. Mon lit est si moelleux, surtout si je le compare à la petite et dure couchette que j’avais au couvent. L’autre soir, à huit heures, après le souper, le vent s’était levé et il faisait froid au jardin : je demandai à ma tante la permission de me coucher, alléguant la grande fatigue que j’éprouvais. Ma tante voulut bien me permettre de me retirer. En réalité, je me portais à merveille, mais la conversation de ma tante et des dames, ses amies, m’ennuyait, et j’avais hâte de jouer dans mon bon lit. Je me déshabille à la hâte, puis me mets un instant devant la glace, dégrafant ma chemise par-devant pour regarder mes seins que je caresse doucement quelques minutes, puis la troussant par derrière pour voir mes fesses, que je tends et que je gonfle à plaisir. D’abord satisfaite de ce spectacle, je me coule dans mon lit où le froid des draps, puis la chaleur que je parviens à ressentir au milieu des couvertures me procure des sensations délicieuses. Une fois réchauffée, je rejette les couvertures, je retire ma chemise elle-même, et, toute nue, je m’enveloppe dans les draps, de manière à ce qu’ils couvrent mes formes sans les déguiser. Le contact fin de la toile me chatouillait agréablement et je prenais plaisir à me caresser tout le corps. À un moment, je fus si excitée, que je roulai une partie du drap entre mes jambes, puis je me frottai sur ce bourrelet voluptueux jusqu’à ce que j’eusse éprouvé la plus exquise des jouissances. Un peu honteuse, je m’éveillais de mon ivresse, quand, tout à coup, la porte s’est ouverte et ma tante a paru :

― Est-ce que vous êtes souffrante, Rose ? M’a-t-elle dit.

― Non, ma tante, mais je ne puis dormir.

― Aussi pourquoi vous agitez-vous comme cela, s’est-elle écriée, en remettant les couvertures sur mon lit. Il faut souffler cette bougie et ne plus songer à rien : vous êtes trop préoccupée, ma fille.

Je me suis tournée dans la ruelle pour qu’elle ne vît pas ma figure rouge et elle ne s’est pas aperçue de mon trouble ni de ma frayeur.

28 mai.

Il faisait si chaud aujourd’hui, que j’ai obtenu de ma tante la permission d’aller aux bains.

L’eau tiède m’a rafraîchie tout en me donnant cette sensation de chaleur modérée qui est si agréable.

Quand j’en suis sortie, j’étais alerte et joyeuse, un petit vent s’était élevé qui me fouettait les jupes sur mon corps et devait joliment dessiner ma croupe et mes jambes. À un moment, je me retournai et je vis deux jeunes garçons qui regardaient précisément le bas de mon corps ; je leur ai fait de gros yeux de reproche et d’indignation, mais je n’ai pu ensuite m’empêcher d’éclater de rire, en songeant qu’un coup de vent malhonnête pourrait me trousser complètement à leurs yeux.

― Qu’avez-vous ? me dit ma tante en me considérant d’un air étonné et soupçonneux.

Je ne lui ai rien répondu et suis redevenue subitement sérieuse.

De retour à la maison, j’ai eu très grand faim et j’ai demandé à Manon, la cuisinière, de me donner quelque chose à manger, bien que le souper dût avoir lieu dans une heure, je ne pouvais attendre, j’étais impatiente de manger. Ma tante s’y est opposée, mais je sais où elle met ses confitures de fraises, qu’elle sucre avec autant de science que la meilleure des pâtissières. Je lui ai volé un pot de ces excellentes confitures et j’ai fait la gourmande et la goulue jusqu’au souper. Comme devant ma tante je mangeais très peu et qu’elle s’en étonnait :

― Ma faim est passée, Madame, lui ai-je répondu.

Mais après le dîner j’eus besoin de délacer mon corset, de dégrafer ma robe et de me jeter sur mon lit, en léchant, comme ma chatte, mes lèvres encore sucrées et parfumées. J’étais punie de ma gourmandise.

Moulin-Galant, 28 mai.

Nous sommes allées à la campagne, ma tante, notre jeune cuisinière Manon et moi. Ma tante alla faire visite à monsieur le curé, et, pendant ce temps-là, Manon et moi, nous fumes à la promenade.

Je n’ai pu voir ces belles prairies couvertes d’une herbe haute et toutes ombragées du soleil par de grands chênes, sans avoir l’idée de m’étendre tout de mon long par terre :

― Mademoiselle ! Mademoiselle ! M’a crié Manon, quand elle me vit m’élancer dans l’herbe. Que va dire votre tante ? Vous allez salir votre belle robe blanche. Votre tante est capable de vous battre.

On ne bat pas une fille de mon âge, Manon, répondis-je avec fierté.

Et pour prouver que je n’avais pas peur de ma tante, je me jetai d’abord à plat ventre dans l’herbe fraîche et m’y roulai avec délices. Dans cette couche encore plus voluptueuse qu’un lit, flairant l’odeur exquise du foin, je glissai un doigt entre mes cuisses et me pâmai de plaisir.

Quand je rentrai j’avais très grand soif et je cherchai Manon pour lui demander à boire ; elle n’était pas à la cuisine, ni dans l’office. J’eus l’idée d’aller moi-même dans la cave. Qu’est-ce que je vois ? Dans la pénombre, couchée sur une barrique, la robe relevée, Manon qui avait une longue carotte entre les jambes et poussait des soupirs :

― À quelle pratique vous livrez-vous, Manon, lui dis-je.

― Ah ! Mademoiselle, on fait ce qu’on peut quand on n’a pas d’amoureux.

Et elle continua l’opération que j’avais si mal à propos interrompue. Je voulus aussi, moi, suivre son exemple. J’allai chercher, dans la cuisine, une grosse carotte qui trempait dans l’eau fraîche, je me mis à côté de Manon et prit son attitude. Je n’enfonçai pas la carotte, mais je m’en chatouillai mon petit bouton avec un vif plaisir, puis, peu à peu, je l’introduisis dans mon derrière.

― La sucerez-vous bien à présent, me dit Marion en riant.

― Suce-la toi-même, lui dis-je.

Et je mis presque de force, dans sa bouche, la carotte souillée ; elle me repoussa et rejeta le légume de dégoût, en crachant.

Une idée bizarre me vint alors d’exprimer le jus des prunes sur cette délicate partie qui venait de me procurer de si grandes jouissances. Je fis part de mon idée à Marion, et bientôt nous étions toutes deux à écraser de belles prunes de Reine-Claude entre nos cuisses et entre nos fesses, excitées de la plus voluptueuse façon par ce jus de fruit gluant qui nous inondait devant et derrière.

La voix sévère de ma tante se fit alors entendre, nous n’eûmes que le temps d’abaisser nos jupes. Ma tante était accompagnée de monsieur le curé et venait avertir Manon que nous aurions le soir plusieurs invités.

― Que complotez-vous ensemble toutes les deux, nous a-t-elle demandé, en nous jetant à toutes deux un coup d’œil scrutateur.

Soudain elle a vu ma robe et est entrée en fureur.

― C’est ainsi que vous arrangez votre toilette, Mademoiselle. Ah ! c’est trop fort.

La poussière de la cave s’était jointe à la tache verte de l’herbe, pour faire de ma jupe un chiffon fort sale. J’avais honte de paraître ainsi devant le prêtre, mais ma tante m’a forcée de me présenter à lui et de la plus honteuse façon. M’attirant jusqu’à la porte du jardin et me faisant courber, elle m’a administré sur le derrière une dizaine de cinglées d’une petite houssine qu’elle avait coupée dans une haie durant sa promenade. Par égard pour le prêtre, elle ne m’avait pas levé ma robe, mais j’ai bien senti tout de même la force de sa main ; j’étais si confuse et si humiliée que je ne me suis pas défendue et je me suis retenue de crier. Quand elle eut fini de me fouetter :

― Allez, Mademoiselle, et soyez exacte à revenir pour le dîner, m’a-t-elle crié.

Je suis partie sans demander mon reste, tandis que le prêtre souriait de la correction ; mais à peine me suis-je trouvée dans ma chambre, que j’ai éclaté en sanglots. Quoi ! me disais-je, me donner le fouet ! à mon âge et comme à une fillette ! Méchante ! misérable tante ! J’étais indignée. Et je rêvai mille vengeances. Ce qui me révoltait le plus, c’était cette ironie cruelle de m’inviter à dîner après m’avoir battue. Je jurai de mourir de faim plutôt que d’assister au repas. Mais ma tante vint elle-même me chercher et me contraignit de descendre, me menaçant d’une seconde correction si je refusais de la suivre.

Je dus me montrer avec mes yeux rouges, non seulement au prêtre, mais à l’assistance qui était assez nombreuse. Je crus mourir de honte. Il fallut m’asseoir au milieu de cette compagnie et soutenir les regards railleurs des invités. Pour comble d’humiliation, on parla, ce soir-là, de la façon de punir les enfants.

Décidément on ne me regardait pas comme une grande fille.

― Ma pauvre demoiselle, me dit mon voisin, un gros homme rouge qui avait des verrues sur le nez, vous avez donc eu le fouet.

― Et ce ne sera pas la dernière fois qu’elle le recevra, dit ma tante, tant que Mademoiselle se conduira aussi mal, on n’aura point d’égards pour son derrière.

― Le fouet est d’ailleurs bien bon pour la santé, dit le médecin d’un air grave, cela prévient la constipation et donne au sang de l’activité.

Je me retirai du dîner toute confuse et sans avoir eu le courage de rien manger.

2 juin.

Comme cette correction m’avait toute bouleversée, que ce matin j’étais fort pâle et que je n’avais point d’appétit au déjeuner, ma tante a fait venir le docteur qui a ordonné de me purger. J’étais honteuse d’un pareil remède, mais j’ai dû l’accepter. Moi qui avais si grand plaisir à montrer mon derrière aux jeunes filles du couvent, il a fallu me menacer d’une correction pour que je me décidasse à me mettre en position. Rose était chargée de la délicate opération de me donner le lavement et, sans le vouloir, elle m’a causé un plaisir auquel je ne m’attendais pas. Comme je m’étais mise sur le côté pour lui présenter mon postérieur, elle ne put faire pénétrer la canule. Je dus me coucher à plat ventre, en travers du lit, la tête en bas et les fesses en l’air bien écartées. Rose m’amusa vivement à chercher le trou, comme si elle était aveugle, et quand elle l’eut trouvé, l’introduction de la canule dans mon derrière ne me causa que du plaisir. J’eus même de la peine à retenir un rire, réellement désastreux s’il avait éclaté, car il aurait renvoyé la canule et le lavement au nez de mon apothicaire. Enfin je me laissai emplir le derrière : le gourmand bouffa tout.

Ce qui suivit, par exemple, m’a causé un vif désagrément. Les latrines sont à côté de la cuisine et, pour aller me soulager, je dus quatre fois passer devant l’amoureux de Rose, qui ne put s’empêcher de rire en me voyant dans mon accoutrement de malade, me rendre aussi souvent au seul réduit, sans compter que le bruit malhonnête que produisaient presque inévitablement ces violents soulagements leur devait bien parvenir à l’oreille.

Le soir, enfin, ma tante, pour laquelle je cherchais à me guérir de ma frayeur, me prouva que je n’avais pas tort de craindre sa sévérité. Comme le médecin m’avait ordonné de demeurer au lit et que j’étais un peu impatiente de n’y rien faire, pour me divertir j’eus l’idée d’aller voir, en l’absence de ma tante, si je ne découvrirais pas, dans la petite bibliothèque qui se trouvait dans une chambre voisine de la mienne, un livre amusant. On m’a défendu de lire des livres autres que ceux qu’on me donnait. Mais c’étaient justement les autres que je désirais connaître. J’aperçus derrière les vitres de la bibliothèque des titres qui m’alléchèrent : Les Amours d’Élise, Le Nain amoureux, La belle Maîtresse. Je me disais que ces livres parlaient d’amour et qu’ils devaient être fort intéressants. La bibliothèque, malheureusement, était fermée, mais en cherchant ici et là, j’eus le bonheur de trouver la clef. Avec quelle précipitation je l’introduisis dans la serrure ! j’ouvris et je saisis les livres, sans même prendre le soin de remettre à leur place les volumes que j’avais dérangés. Je me recouchai à la hâte avec les livres précieux et je les ouvris le cœur battant. Quel ravissement ! On n’y parlait que de caresses et de baisers ! Des gravures ne représentaient que de belles femmes et de beaux hommes, mais je me suis étonnée de la façon dont les hommes sont conformés, ce qu’ils portent au milieu du corps m’intrigue et me fait rire. Est-ce une difformité ? Je ne comprends pas tout ce que je lis, mais cela m’intéresse aussi vivement que si je comprenais tout, j’essaie de deviner des énigmes, je me pose des questions. Il y a ça et là des passages qui me plaisent tant à l’imagination qu’il m’en coûte, au milieu d’une si profonde jouissance, d’oublier mon pauvre corps ; bientôt je ne tiens plus le livre que d’une main, l’autre vient me gratter nerveusement mon bouton ; tout à ma lecture et à mon divertissement, je suis sur le point de me pâmer encore une fois, quand ma tante apparaît, m’arrache le livre des mains et m’applique une paire de terribles soufflets qui m’enflamment les joues et les oreilles :

― Ah ! je vais vous apprendre, Mademoiselle, à me désobéir de la sorte.

Un drap mince, une chemise me défendent seuls du châtiment. On les écarte et ma tante m’a vite jetée en travers du lit, les fesses en l’air. Tout lui est bon pour me châtier, et du cuir de ma propre ceinture oubliée près de mon lit, ma tante fait un fouet qui me déchire la peau. Alors je n’essaie plus de retenir les cris, je pleure et je demande grâce, mais on ne m’écoute pas et on me frappe sans pitié.

Je n’avais jamais été traitée aussi durement. Elle a voulu, sans doute, m’en laisser un long souvenir. Pendant quelques jours, je n’ai pu m’asseoir, sans ressentir au derrière une vive douleur ; pour excuser ma tante il est bon de dire, qu’à ses yeux, je méritais cette dure punition.

Je suis allée aujourd’hui avec Manon chercher de la crème, à un petit village qui se trouve sur le bord d’une jolie rivière.

Le matin était gai de soleil. Il y avait des roulades d’oiseaux d’un bout à l’autre des haies. Une petite pluie avait rafraîchi l’air et donnait aux feuilles une odeur d’humidité qui m’énervait. Je m’amusais de la boue des chemins, sautant pardessus les ornières pleines d’eau, qu’avaient creusées les charrettes des paysans. Deux fois je me trempai les pieds et de la boue jaillit sur ma robe :

― Vous serez grondée à votre retour, Mademoiselle, s’écria Manon.

Mais je ne fis pas attention à ses paroles.

Enfin nous sommes arrivées. La fermière qui nous a vendu la crème a, derrière sa maison, un petit jardin auquel elle donne les plus grands soins. Je n’ai vu que chez monsieur de Vieilleville, fermier général, de si belles fleurs, et encore monsieur de Vieilleville serait-il jaloux de ses héliotropes. Mon Dieu ! les belles fleurs. Leur odeur mielleuse et pimentée me transportait. Sans Manon, je me fusse jetée à plat ventre parmi ces longues tiges violettes et embaumées. Mais Manon m’en a empêchée en me disant « qu’encore que je fusse une dame de la ville, la fermière pourrait très bien me battre, car elle tient plus à ses fleurs qu’à ma dignité et que si je lui déplaisais elle me trousserait et me claquerait le cul (ce sont les expressions de Marion), ni plus ni moins qu’une petite vachère. » J’ai eu peur de la paysanne, d’autant plus que lorsque nous sommes arrivées, elle venait justement de houssiner une grande fille qui sanglotait, tout en se frottant le derrière, tandis que son bourreau la considérait d’un œil brillant de cruauté, qui ne m’a point rassurée. « La méchante femme », ai-je dit tout bas à Manon, en lançant un coup d’œil de pitié à la pauvre enfant fessée. Il s’en est fallu de peu, sous prétexte que la fillette l’ennuyait par ses gémissements, que sa marâtre ne la fouettât encore. La mégère contait à une commère, qui était là, les prétendus méfaits de la petite.

― Une pie borgne, faisait-elle, qui ne fait œuvre de ses dix doigts et qui est tout le jour à jouer à la biscambille et à gueuler à tout le village, à plein baquet, des histoires qui ne sont que des menteries. Croit-on que ça fasse bien de l’honneur à une brave femme comme moi, de gaver de mangeaille des creyatures à ne rien faire. Mais je lui torcherai le cû proprement à c’te guenipe ; je l’y baillerai le fouet à sa récréance. J’ai dans les champs assez de genêt qui n’attend que ma main pour lui décrotter le fessier.

La femme menaçait toujours la pauvre enfant qui voulait s’enfuir, mais qui n’osait. Elle parlait d’une façon si drôle que j’avais grand peine à me retenir de rire, bien que les paroles qu’elle prononçait me fissent rougir. À peine sorties, je me suis mise à l’imiter, à contrefaire sa voix, ses gestes. Et je disais des gros mots, et je roulais des yeux et je levais la main. Manon se tenait les côtés à force de rire, mais de temps à autre elle s’écriait :

― Ah ! si votre tante vous entendait.

Puis aussitôt sa gaieté reprenait de plus belle.

Nous sommes allées ensemble jusqu’à la rivière où nous avons trouvé, sur le bord, un petit coin de terre où le soleil donnait en plein et où nous avons eu plaisir à nous asseoir. Le sol, bien chauffé, nous cuisait agréablement les fesses, tandis qu’à côté de nous, le feuillage léger des saules, agité par le vent, nous éventait d’une façon délicieuse. Nous avons regardé la rivière qui étincelait, puis Manon a tiré d’un panier qu’elle avait apporté, des assiettes, des cuillers et du pain. Ma tante nous avait permis d’aller goûter au bord de l’eau et je lui en ai su bon gré, car jamais je n’ai eu plus de plaisir. La crème était excellente et le parfum piquant des fruits s’y mêlait délicieusement. Nous avons croqué le pain frais à belles dents, puis nous nous sommes couchées sur l’herbe. Comme l’ombre commençait à s’étendre et il faisait un peu plus frais, nous avons arraché des ciguës, des pissenlits et des marguerites et nous nous sommes diverties à nous chatouiller le nez et la figure. Manon était toute rouge, les yeux animés, des petites gouttes de sueur perlaient à son front. Je n’ai pu m’empêcher de lui dire ce que j’éprouvais :

― Sais-tu que tu es jolie, Manette.

Puis, j’ai avancé les lèvres pour lui donner un baiser, mais elle n’a pas voulu le prendre. Pourquoi ? aurait-elle un amoureux !

Elle s’est alors levée un peu lourdement, et sans le vouloir m’a effleuré le visage de son vaste postérieur.

― Quel cul tu as, Manon ! me suis-je écriée, mais au même instant un gros et odorant pet a retenti sous ses jupes.

Tandis que Manon retournait la tête vers moi en éclatant de rire, j’ai feint la colère, et pour la punir je l’ai poussée si vivement qu’elle s’est étalée par terre, à plat ventre. La coquine alors, comme je tournais autour d’elle, pour se venger, m’a attrapé le bout de la robe, j’ai glissé et je suis tombée sur l’herbe, près d’elle.

Je n’avais point de dégoût d’elle, car je l’ai embrassée à pleine bouche avant qu’elle n’eût le temps de s’en défendre. Mais la sale n’a-t-elle pas lâché, presque à mon nez, un nouveau vent non moins infect et bruyant que le premier. Alors je lui ai cinglé les fesses avec une baguette, d’un coup si vif qu’elle a poussé un cri de douleur, s’est relevée, puis jetée sur moi, et comme elle est la plus grande et la plus forte, elle n’a pas eu beaucoup de peine à me rendre ce que je lui avais fait. Ça a été mon tour de crier et de demander ma grâce que j’ai enfin obtenue. Enfin, nous avons fait la paix ; nous nous sommes de nouveau étendues sur l’herbe et le doigt sous les jupes, les sens excités par la cinglade que nous venions de nous donner, nous servant réciproquement, remuant les fesses à qui mieux mieux, nous nous sommes fait jouir l’une l’autre jusqu’au soir.


CHAPITRE II. Comment je suis courtisée par le fils, par le père et par le Saint-Esprit[modifier]

Ma tante, sur les conseils de monsieur le Curé, a résolu de me mener chaque matin à la messe, pour m’exciter, dit-elle, au travail et à la piété. Elle m’a dit, que pour aller à l’église, je devais revêtir une robe simple et négliger toute parure, mais le moyen de ne pas avoir quelque coquetterie quand on se sent regardée par tous les jeunes gens de l’endroit ! Je crois bien que ces visites à l’église n’auront point le résultat qu’elle espère. J’ai, au couvent, assez goûté de la religion pour en être à jamais rassasiée. Et puis ces vieilles bigotes ont tant de ridicules ! Valentine, dont le père est athée, m’a répété à ce sujet des paroles qu’elle avait entendues dans sa famille, et qui m’ont beaucoup donné à réfléchir. Comme beaucoup de bons esprits, aujourd’hui, monsieur Helvetius et monsieur de Voltaire, disait-il, jugent ainsi, je me passerais fort bien de la religion, des prêtres et des églises.

Pour le moment, à la messe, je joue comme il est nécessaire mon rôle de point de mire des hommes. À défaut de bijoux, j’ai soin de me mettre au corsage et dans les cheveux quelques fleurs du jardin de ma tante ; j’ai pu faire venir, de Paris, de la poudre et de l’essence à la maréchale, et ainsi fleurie et parfumée je m’embaume et me respire moi-même. Ma tante aussi m’a fait faire une nouvelle robe. Ce m’a été un grand amusement de livrer ma taille, mes hanches, mes jambes à la couturière qui me prenait la mesure. Avec tout cela, j’ai tourné la tête à un fils du bailli, assez joli garçon, mais qui n’a pas la figure qui me plaît chez un homme. Il m’a écrit une lettre passionnée qu’il m’a passée à l’église en me donnant de l’eau bénite. J’ai pris la lettre en rougissant et parce que c’était le seul moyen de ne pas me faire remarquer. Seulement, l’autre jour, il était avec la fille de la vachère, elle avait la main dans sa culotte et lui il lui tenait le cul à pleines mains. Est-ce ainsi qu’il entend me faire la cour ? Je ne l’aime pas, et cependant je serais heureuse de le voir quelquefois. Mais comment échapper à la surveillance de ma tante ? Je me suis contentée de lui sourire en clignant de l’œil du côté de ma tante pour lui dire combien il était difficile de tromper mon Argus. A-t-il compris ? Il ne m’a plus écrit depuis.

8 août.

Il y a eu aujourd’hui un concert chez le docteur. On m’a invitée à chanter, et, malgré ma timidité, j’ai fini par accepter. J’ai été surprise de voir le fils du bailli qui était assis devant le clavecin pour m’accompagner. Est-ce le plaisir de chanter devant une nombreuse assistance, ou ce qu’il y a dans la musique de passionné et d’enivrant ? Toujours est-il que j’ai mis dans mon chant tout le sentiment dont je suis capable, et que j’ai tiré des larmes aux assistants. Quand je me suis dérobée aux félicitations de tous les invités, mes joues étaient en feu et humides de larmes, mon cœur battait plus fort et mes jambes tremblaient sous moi. Ma tante était aussi fière que si c’était elle qui avait remporté ce triomphe. Le fils du bailli est venu me baiser la main, et le docteur m’a donné un verre de son vieux vin de Syracuse.

Faut-il le dire ? À peine rentrée chez moi, mon démon de luxure m’a reconquise. J’avais envie de me soulager ; je suis allée m’enfermer dans les latrines, et bien assise sur le siège, je me suis amusée à me chatouiller le bouton, tandis que mon derrière ouvert laissait tomber lentement la charge de mon ventre. Est-ce étrange ! Moi qui aime tant les fins parfums, l’odeur infecte que j’exhalais en ce moment me faisait jouir, non moins que l’excitation que je me donnais par-devant. De même j’ai pris plaisir à m’essuyer longuement les parois de l’orifice, me chatouillant le trou embrené de mon derrière. Puis j’ai eu envie encore, je me suis replacée, et les efforts que je faisais pour me soulager le ventre et le frottement de mon bouton me causaient tant de plaisir que je me suis encore tordue de jouissance, et j’ai failli tomber dans les latrines. Quand je me suis relevée j’étais toute humide par-devant ; ma robe avait de l’ordure et le siège des lieux d’aisance aussi. Mon cœur battait précipitamment j’ai eu hâte d’aller me changer.

Comme je sortais toute rouge de la garde-robe, ma tante m’a rencontrée et remis une lettre de monsieur le Curé.

Elle était ainsi conçue :

« Ma chère enfant, je suis étonné que depuis plus de trois mois que vous êtes parmi nous, la pensée ne vous soit pas venue encore de vous confesser. J’ai fait part de ma surprise à madame votre tante qui m’a dit combien elle tenait à vous voir remplir vos devoirs religieux. C’est à sa prière que je vous invite à venir au sacré tribunal de la pénitence. S’il vous est désagréable de vous mêler à la foule de mes paroissiens, venez donc dans la soirée, de trois à quatre heures, à mon presbytère : je vous y attendrai.

« Votre dévoué pasteur, « Louis PLANCHETEAU, curé. »

Cette lettre m’épouvante. Quoi ! me confesser ! et à un prêtre qui a ri de me voir fouetter, et qui va savoir tout ce que j’ai commis en secret ! Je ne crois guère au silence que peut garder ce prêtre, et je m’imagine que celui-là va tout dire à ma tante. Je sais bien que je puis lui conter des mensonges, ou même sans cela ne lui rien dire, mais je suis une si mauvaise menteuse, et je dissimule si mal même mes secrets ! Lorsque le curé me demandera : « Est ce bien tout ? » je rougirai, je me trahirai et il devinera que j’ai menti. Je pourrais à la rigueur ne pas aller à confesse, mais ma tante m’y contraindrait. Puis, j’ai beau partager avec Valentine les idées de son père, à certains moments les préjugés que m’a donnés l’éducation sont plus forts que les raisonnements. Décidément, il faudra demain aller voir monsieur le curé.

11 août.

Par cette chaude nuit je ne pouvais dormir, je me tournais et me retournais dans mon lit : alors je me suis levée, j’ai couru à ma fenêtre qui donne sur la campagne et je l’ai ouverte. Le ciel est d’une limpidité admirable ; la lune brille au-dessus des grands feuillages sombres et immobiles. Toute la campagne disparaît dans un brouillard lumineux. Que Valentine n’est-elle ici, avec moi, sa nature sensible et rêveuse me ferait si bien goûter le charme de cette belle nuit. Moi, je ne suis qu’une fille passionnée qui est malheureuse seulement de ne pas avoir près d’elle un homme qui l’aime. Ah ! si je n’avais pas dédaigné les hommages du fils du bailli ? Mais qu’est-ce que ce bruit que j’entends au-dehors, au-dessous de mes fenêtres, quelqu’un monte ? Je suis sur le point de crier quand j’aperçois justement le jeune homme auquel je pensais. Il monte à l’échelle appuyée contre le mur de ma fenêtre, lorsqu’il m’aperçoit, il m’envoie un baiser, puis, comme je veux lui fermer la fenêtre, il me fait un signe de la main qui me paralyse et met le doigt sur sa bouche comme pour m’imposer silence. Je suis maintenant indignée de son audace, furieuse qu’il ose venir chez moi ainsi, me compromettre sans y avoir été encouragé, ce n’est que la frayeur et l’émotion qui m’ont empêchée d’appeler au secours, puis je me sens dominée par ses gestes impératifs et par ses yeux, qui, dans cette nuit, apparaissent blancs dans son visage sombre.

À peine est-il sur le haut de l’échelle qu’à voix basse je le supplie de se retirer, lui disant qu’il peut me perdre à jamais, que ma tante couche à côté de moi, que son imprudence est ridicule, que d’ailleurs je ne l’aime pas. Mais il me répondit ces simples mots :

― Moi je vous aime et je vous veux.

Ses regards brillent, et avant que j’aie pu l’en empêcher, il enjambe l’appui de la fenêtre et entre dans ma chambre.

Je ne sais pourquoi je l’ai aimé en ce moment-là seulement, mais j’ai tout de même continué à me défendre.

― Voyons, lui ai-je dit, tremblante de peur, vous êtes fou ce soir. Laissez-moi, laissez-moi.

Je pense bien qu’il était ivre ; cette expédition était si extraordinaire ! Mais sans être le moins du monde découragé de ma défense, il m’a pressée contre lui et m’a poussée vers mon lit, où je suis tombée. Alors j’ai senti qu’il essayait de m’entrer dans le corps un objet qui m’a paru énorme ! J’ai poussé un cri, et pour me défendre j’ai serré les cuisses qu’il a inondées presque aussitôt d’une dégoûtante matière.

Retirez-vous, lui ai-je dit, vous me faites horreur. J’ai pu me dégager et je l’ai vu la culotte baissée, tenant contre le ventre ce long et gros instrument de chair qui m’avait tant surprise dans les dessins des livres que j’avais lus le jour de mon remède. Intéressée malgré tout, par cette partie de son corps, je l’ai considérée attentivement et j’ai pu voir une eau visqueuse qui s’en dégouttait et dont il venait de m’arroser. Au même instant j’ai entendu du bruit dans la chambre à côté. Il l’a entendu comme moi, car je n’ai pas eu besoin de lui demander à partir de nouveau, il a sauté sur son échelle et est descendu au plus vite ; j’ai fermé la fenêtre précipitamment et me suis couchée.

Par bonheur personne n’est venu dans ma chambre, je me suis alors relevée pour considérer mes cuisses et les laver. L’odeur de cette eau visqueuse m’excitait, d’un autre côté, j’étais plus honteuse que lorsque ma tante me donnait le fouet. Je me sentais irrémédiablement humiliée et souillée, et je ne me sentais plus la même qu’auparavant. Oubliant alors les opinions du père de Valentine, j’ai pris la résolution d’aller à confesse le lendemain et de tout dire à monsieur le curé dans le besoin extrême que j’avais d’un confident.

Je ne pus pourtant découvrir la raison pour laquelle le curé, dont j’avais peur la veille, me semblait maintenant l’homme indiqué pour remplir ce rôle auprès de moi.

12 août.

Monsieur le curé, comme il me l’avait dit, m’attendait au presbytère. Il m’a reçue avec beaucoup de politesse et m’a conduite dans sa chambre. Là il m’a fait agenouiller sur un prie-Dieu et m’a demandé l’aveu de mes pêchés. Avec une honte qu’on peut imaginer, j’ai tout dit, jusqu’à mes singuliers et sales plaisirs. Quand j’eus tout avoué, j’éprouvai une sorte de soulagement et je le regardai. Il avait le visage très rouge et souriait étrangement.

― Mon enfant, me dit-il, vos péchés sont abominables. La miséricorde de Dieu, cependant, est infinie, et, en vertu du pouvoir qu’il confère à ses ministres, j’ai le droit de vous donner l’absolution. Mais il va vous falloir, auparavant, souffrir une humiliante pénitence, car le corps qui s’est souillé avec tant de délices doit être mortifié. Vous allez recevoir la discipline. Baissez la tête jusqu’à terre pour mieux vous humilier et tendez-moi sans voile ces parties où le démon a fait sa demeure.

Je dus lever ma robe et mes jupes et exposer à sa vue mon derrière. Ma confusion était extrême et si j’eusse pensé que j’en serais réduite là, je ne serais certainement pas venue au presbytère : je préférerais encore recevoir le fouet des mains de ma tante que de celles du curé.

Cependant le prêtre avait pris un martinet et après quelques coups qui ne me firent pas grand mal, il m’en donna plusieurs qui me cinglèrent les fesses si violemment que je ne pus me retenir de lui crier :

― Grâce ! Grâce ! mon père, fis-je.

― Ne pouvez-vous mieux supporter votre pénitence ? me répondit-il.

Sa voix était si changée, il paraissait maintenant si irrité contre moi, que je relevai un peu la tête et la détournai vers lui. Je vis alors qu’il avait relevé sa soutane, baissé sa culotte et qu’il présentait à mon derrière le même objet, rouge, gonflé, énorme, que la veille m’avait laissé voir le fils du bailli. Très effrayée je me relève aussitôt, et sans prendre même la peine de me rajuster, je cours à la porte fermée, je tourne vivement la clef et je me précipite dans le corridor. Le prêtre me suivait et essaya de m’arrêter par des gestes et des imprécations mais je ne l’écoutais pas.

En toute hâte je descendis l’escalier, traversai le jardin et me sauvai vers la maison en courant.

Ma tante fut très étonnée de me voir arriver toute haletante et me demanda des explications auxquelles je ne sus répondre que par ces mots : « Ce curé est un misérable ! un misérable ! » Explication qui naturellement ne parvint pas à la satisfaire.

Mais, dans la soirée, le curé, qui avait repris ses manières douces et affables, vint trouver ma tante et demanda à l’entretenir quelques instants. Au risque de me faire surprendre, je me glissai dans le salon par une petite porte qui communiquait avec l’office, et je restai cachée derrière un rideau. Comme ils étaient à l’autre extrémité de la pièce et qu’ils parlaient bas, presque tout le temps que dura leur conversation, je ne pus surprendre que quelques mots, mais je distinguai ces paroles du prêtre :


― Il faut la marier. Son tempérament l’exige.

Paroles auxquelles ma tante répondit :

― J’aurais pensé qu’il valait mieux la mettre au couvent. Cependant, si vous jugez, monsieur le curé, que l’état de religieuse ne lui convient pas, je me rangerai à votre avis.

Ainsi on voulait me marier ! J’allais être libre. Je n’avais déjà plus de haine pour le prêtre qui parlait ainsi à ma mère. Je lui pardonnais tout, mais je ne pouvais me pardonner à moi-même de lui avoir livré mon secret.

Jamais je ne me serais figuré l’époux que ma tante m’avait choisi sans s’occuper de mes goûts, sans savoir si mes yeux ne s’étaient pas déjà fixés sur un ami. Quand elle me dit que le bailli avait demandé ma main et qu’elle la lui avait accordée, que le mariage était pour ainsi dire décidé, mes jambes ne me portèrent plus, je crus que j’allais m’évanouir ; mais après ce premier moment de défaillance, je sentis le sang me monter à la face. La colère me souleva. Quoi, le bailli serait mon mari, ce vieil homme, laid, mal soigné, qui bégayait d’une voix nasillarde et dont les yeux insolents semblaient fureter dans votre pensée avec méchanceté ! Le bailli dont ma tante elle-même s’était moquée avec moi ! Le bailli dont le fils avait osé, la semaine précédente encore, se porter sur moi à des violences abominables ! Non, ce ne pouvait pas être, ma tante voulait rire. Cependant, elle reprit tout tranquillement :

― Vous semblez étonnée de ce choix, mon enfant ? Oh ! oui, je suis étonnée. J’aimerais mieux mourir que d’épouser cet homme-là.

La face de ma tante s’empourpra.

― Vous mourrez donc, car vous l’épouserez.

― Jamais m’écriai-je.

― Vous l’épouserez ou vous quitterez cette maison. Ne savez-vous pas que vous êtes ici par charité, que votre mère en mourant n’a laissé que des dettes ! Je payai votre éducation, et vous devriez me montrer de la reconnaissance pour tous les soins que je vous ai donnés depuis votre enfance ; au lieu de cela, vous vous emportez contre moi, et au moment où je vous annonce que j’ai réussi à vous procurer le parti le plus avantageux, le plus brillant du pays. Oui, brillant ! Le bailli n’est pas tout jeune, c’est vrai, mais c’est un homme vigoureux d’excellentes façons, et qui saura vous rendre heureuse. D’ailleurs je suis bien décidée à ne plus m’occuper de vous si vous refusez l’homme que je vous ai choisi. Je vous donne la fin de la semaine, c’est-à-dire quatre jours pour vous décider.

Là-dessus ma tante sortit et m’enferma dans ma chambre. Je compris qu’elle ne me laisserait pas même la liberté de m’enfuir, qu’elle me contraindrait à ce mariage répugnant. Un moment je songeai à m’échapper en liant mes draps à l’appui de ma fenêtre, cela était possible la nuit, mais il fallait, pour sortir du jardin, avoir la clef de la grille, trouver une échelle ; pour cela passer dans la cuisine où couchait la domestique, une nouvelle fille, Benjamine, qui était fort mal disposée pour moi. Je renonçai vite à mon projet et m’abandonnai au désespoir. Je me jetais sur mon lit, je pleurais, je me frappais la tête contre les murs, je voulais me tuer et je n’osais pas. À un moment je déchirai ma robe, ma chemise, mes jupons. Je m’égratignai la face, je donnai des coups dans les meubles, j’arrachai et je piétinai des tableaux. Quand ma tante, en revenant l’après-midi m’apporter mon repas, vit ce que j’avais fait, elle ne se contint plus.

― Misérable ! s’écria-t-elle, et elle s’élança sur moi, me souffleta. Je lui crachai à la face. Elle fut tellement surprise et indignée qu’elle en resta un instant immobile. Mais comme mon audace m’avait saisie moi-même, elle profita de cette apparente timidité pour se jeter sur moi et me pousser contre le lit.

― Je vais vous traiter comme une enfant révoltée que vous êtes ! me criait-elle en me poussant toujours.

Je me heurtai à un fauteuil où je tombai assise ; alors elle m’empoigne par la ceinture vigoureusement, essaie de me retourner sur le ventre. Je me cramponnais aux bras du fauteuil de toutes mes forces, et je lui lançai des ruades qu’elle esquiva. Vivement elle me prit une jambe, la souleva, tandis que l’autre battait l’air inutilement, et ayant une de mes fesses à sa disposition, elle la dégagea de la chemise et des jupes, m’appliqua à nu de fortes claques, puis à la fissure même ; puis, laissant tomber la jambe droite, elle levait la gauche et me claquait l’autre fesse avec l’autre violence.

― Ah ! vous l’aurez, vous l’aurez, le fouet ! criait-elle, comme une enfant indisciplinée que vous êtes.

Je serrais les dents de rage, étouffant mes cris, écrasée de honte d’être ainsi châtiée. Mais à un moment je me dis que je n’étais plus une enfant, que je ne devais pas souffrir une pareille humiliation. Mes mains quittèrent le fauteuil où j’essayais de coller mes fesses inutilement ; je me relevai brusquement, la saisis moi-même à la croupe et lui enfonçai mes doigts et la mordis à la faire crier. En vain essayait-elle de se dégager, je la tenais bien, je la mordais et l’égratignais ferme. En revanche, le mouvement que je venais de faire avait découvert, tendu et mis à sa disposition, mon pauvre derrière sur lequel s’abattirent aussitôt ses paumes ou ses poings. C’était une lutte sans merci. J’étais cramponnée à ses reins tandis qu’elle était courbée sur mes fesses. Je la mordais, elle grondait, m’injuriait, tapant plus fort, et c’était mon tour de hurler. Nos cris et nos tapes allaient en s’alternant. Tout en me tenant et me serrant bien par le ventre, elle me portait jusqu’à l’escalier où elle se mit à appeler.

― Benjamine ! Benjamine ! Montez vite et apportez les houssines et des cordes !

À ce mot de « houssines », je sentis déjà sur mes fesses le vent et la piqûre de ces baguettes épineuses que ma tante avait coupées pour battre ses tapis. Je me dis qu’entre ces deux femmes je ne pourrais pas me défendre et qu’elles allaient m’enlever la peau. Je me débattais et luttais de toutes mes forces, espérant échapper à l’étreinte de ma tante avant que Benjamine n’arrivât avec les houssines. Mais ma tante était beaucoup plus forte que moi, et je ne résistais plus que par entêtement quand Benjamine entra dans la chambre.

Elle eut un cri de surprise en voyant ma tante acharnée contre mon cul, mais le désordre de ma chambre l’étonna davantage.

― Elle a donc tout brisé ?

― Oui, mais elle va le payer, et bien ! Venez me la tenir que je la fouette !

Benjamine cherchait à me prendre le corps, mais prudemment, en se gardant de mes ruades aussi bien que de mes dents et de mes ongles. Enfin elle me saisit les deux mains, les unit, me passa un nœud coulant autour et serra. La corde entra dans mes chairs. Alors, me tirant, malgré ma résistance, elle m’amena sur le lit qui était au milieu de la chambre et où je dus aller tomber le ventre en avant. Benjamine tirait toujours sur la corde qui me coupait la peau, elle m’attira de telle façon que je n’eus bientôt plus que le bas du corps sur le lit ; j’avais la tête en bas et si je ne roulais pas à terre, c’est que ma tante était en train de m’attacher par les jambes avec une corde fixée au pied du lit. Elle me rejeta ma chemise et mes jupons sur la tête au point de m’étouffer, et comme si elle eût redouté mes cris. Ainsi dénudée aux yeux de Benjamine, j’eus, dans l’attente des coups, un moment horrible d’humiliation. Enfin les houssines sifflèrent. Te bondis, échappai l’étreinte de Benjamine, m’étalant toute sous la douleur.

― Voulez-vous ne pas montrer comme cela le trou de votre derrière, dit ma tante en me claquant les fesses de la main.

J’entendis le rire ignoble de la servante, mais au moment même, les houssines me cinglèrent en travers des fesses, atteignant à la fois l’anus et ma petite fente. Ce fut une méchanceté atroce. J’eus un cri qui dut être entendu du village, et je me tordis sur le lit ; mais, sans prendre garde à mes gémissements ma tante me ramenait, par une claque brutale sur une fesse, à une position propice au châtiment, et me cinglait cette fois le gras des chairs. Le châtiment eût continué encore longtemps quand j’entendis un pas monter l’escalier. Ma tante s’arrêta bien vite, dit à Benjamine de me détacher. File jeta les houssines, rabattit elle-même ma chemise et mes jupes, me saisit par la robe, m’attira et me mit debout. Mon corps tremblait de longs sanglots.

― Voulez-vous vous taire ? me chuchota ma tante à l’oreille.

On frappait en ce moment à la porte entrouverte.

― Vous êtes ici, madame ? demanda la voix nasillarde du bailli.

― Oh, monsieur le bailli ! fit ma tante, n’entrez pas dans cette chambre qui est bien en désordre. Je vais vous conduire au salon ou au jardin.

― Comment ! dit le bailli en redescendant vous fouettez encore mademoiselle Rose ?

― Vous avez entendu ses cris ? fit ma tante un peu ennuyée d’être surprise à me donner le fouet.

― J’aurais été sourd si je ne les avais entendus, reprit le bailli, et qu’avait donc fait cette charmante enfant ?

― Oh ! peu de chose, mais je tiens à ce qu’elle ne néglige point ses devoirs, et je punirai ses moindres fautes tant qu’elle sera sous ma règle. Plus tard ce sera vous, monsieur, qui aurez cette obligation.

― Croyez, madame, que ce n’est pas d’un époux comme moi qu’elle devra attendre de la sévérité.

― Mais c’est une enfant encore, monsieur. Elle a un bon naturel, je crois, mais il n’est pas encore formé. Voyons, Rose ! appela ma tante comme je restais dans ma chambre, venez avec nous au jardin.

Je n’aurais pas obéi, mais Benjamine me poussa dehors. Nous fîmes quelques pas dans les allées ; la première fessée m’avait causé une vive démangeaison et les houssines y avaient ajouté ici et là le picotement d’une blessure. Je ne pouvais pas m’empêcher de porter la main fréquemment à mon derrière et même de la glisser sous mes jupes. Ma tante, plusieurs fois, m’en fit l’observation à haute voix et sur un ton sévère.

― Voulez-vous tenir vos mains décemment ? Je rougissais et je retirais ma main devant les yeux brillants et le sourire narquois du bailli ; mais un moment après la démangeaison persistante la ramenait au même endroit. À un moment où le détour d’une allée nous séparait un peu du bailli, ma tante me dit à l’oreille :

― Si vous mettez ainsi votre main à votre derrière, je vous fouette dès que le bailli sera parti.

Cependant Benjamine vint la trouver et elle nous quitta en disant :

― Voulez-vous m’excuser, monsieur le bailli, je vous laisse avec Rose.

À peine s’était-elle éloignée :

― Ma pauvre enfant, dit-il, votre tante, je le vois, vous traite bien sévèrement.

― Oh oui ! Et j’étais toute prête à sangloter.

― Vous souffrez encore, n’est-ce pas ? Eh bien, voulez-vous me montrer la place, j’essaierai de soulager votre mal. N’ayez pas peur ! j’ai là justement un baume que j’allais porter à un petit palefrenier qui s’est écorché la jambe en tombant de cheval. Voyons, laissez-moi regarder… Je suis un peu médecin… et puis on vous a fait part de mes propositions n’est-ce pas ? Je ne suis plus un étranger pour vous, j’ai bien quelque droit.

J’essayais de me dérober.

― Oh ! laissez-moi, monsieur, de grâce, je vais appeler !

Il eut un ricanement, et avec une expression presque féroce dans les traits qui me fit peur :

― Et qui appellerez-vous donc, mademoiselle ?

Je me vis perdue. Je m’adossai contre le mur en pleurant, et comme il s’approchait je lui donnais des coups de genou.

― Voyons ! voyons ! dit-il, je ne vous ferai pas de mal. Laissez-moi voir.

Tout d’un coup, au moment où je m’y attends le moins, il m’étreint brutalement, me retourne le visage contre le mur, lève mes cotillons.

― Oh ! les belles grosses fesses ! dit-il, que d’embonpoint !… Comme elles sont rouges, grand Dieu !

― Monsieur, monsieur, laissez-moi, je vous prie !

― Je regarde où vous souffrez, ma chère enfant. Oh ! elle vous a frappée à l’endroit sensible, continuait-il. La pauvre enfant, elle saigne !

Et il entrouvrait mes fesses, mettait le doigt dans mon anus, il voulut l’insérer aussi plus bas dans ma petite fente, et comme il ne pouvait y pénétrer avant :

― Elle est bien pucelle, se dit-il comme à lui-même. Elle a beau être naïve, on ne sait jamais avec ces enfants-là mais maintenant je serais bien surpris que la tante m’eût trompé… Tiens, ajouta-t-il pour moi, où ai-je donc mis mon baume ? Je l’aurai sans doute oublié. Laissez-moi du moins, chère enfant, baiser ces belles choses si cruellement molestées, et que mes lèvres viennent adoucir la brûlure des verges.

Et mettant un genou en terre derrière moi, il posa son horrible bouche saliveuse entre mes fesses ; je me sentis mordre le cul sans pouvoir m’en défendre, mais sa langue odieuse voulut aussi caresser ma fente et le misérable osa pousser son museau entre mes cuisses, mais je ne lui laissai pas le temps de me baiser, je me détournai vivement et lui lançai un vigoureux soufflet. La violence de ce coup inattendu lui fit perdre l’équilibre et il tomba la tête sous mes jupes. Il se relevait à peine, la joue giflée fort rouge et les vêtements pleins de terre, quand ma tante revint. Elle surprit l’attitude où nous étions tous deux, moi, prête à le souffleter encore, lui, se relevant avec peine.

― Eh bien, qu’y a-t-il ? demanda-t-elle.

― Rien, répondit le bailli, une vivacité de jeunesse.

― Je vous prie de vous tenir avec monsieur le bailli, dit ma tante sévèrement, ou je recommence la correction de tout à l’heure. Elle vous a manqué, mon cher bailli ?

― Nullement. Elle est bien amusante, elle est exquise !

― Rentrez dans votre chambre, mademoiselle, dit ma tante.

Voilà donc toute la cour que l’on me faisait ! Ce n’était pas en femme ni en jeune fille qu’on me traitait, mais comme une enfant, comme une esclave, comme un animal dont on se sert pour ses plaisirs sans songer aux sentiments et aux impressions que vous pouvez lui causer. J’avais envie de mourir, de me tuer, si bien que le soir, au souper qu’on servit dans ma chambre, je ne voulus d’abord point toucher. Puis ma faim devint si grande après les émotions de la journée, que je mangeai. Je le dévorai plutôt ; rassasiée, j’eus plus de courage, et mes désirs de fuite me reprirent.


CHAPITRE III. « Mes » Maris[modifier]

Ma tante sentit promptement que par la violence elle n’obtiendrait rien de moi, et elle prit une autre méthode.

Elle avait un grand intérêt à me marier et à me marier au bailli. Je le sus plus tard. Ma mère en mourant avait laissé mes biens sous la gérance de ma tante, et elle avait fait produire par le bailli, qui fut autrefois son amant, de fausses créances, pour ne pas avoir de comptes de tutelle à me rendre. Elle se bornerait à me dire que les dettes de ma mère avaient absorbé mon héritage. C’est ainsi qu’une métairie et deux maisons avaient été cédées, prétendait-elle, au bailli qui désirait les avoir pour agrandir une de ses fermes, et les acheta secrètement un prix assez élevé quoique fort au-dessous de leur valeur. Ce vol, qui avait eu comme une apparence légale, mais que quelques personnes soupçonnèrent, inquiétait ma tante. Elle craignait que je ne l’apprisse un jour ou l’autre. En me mariant à l’un des voleurs, vieux et usé, riche d’ailleurs par lui-même, elle prévenait mes réclamations ou du moins les rendait inutiles.

Le fils du bailli, qui ne savait rien des affaires de son père, était profondément opposé, aussi par intérêt, à ce mariage. Sa cour, ses tentatives de séduction, puis les violences qu’il m’avait faites, n’avaient pour but que de me déshonorer aux yeux de son père et d’empêcher un mariage qui pouvait lui enlever une part de la fortune paternelle. Ma tante fit écrire une lettre anonyme au bailli pour l’informer de la conduite de son fils à mon égard. Le père fut tellement furieux qu’il s’occupa dès lors de faire enfermer ce jeune homme qui prétendait s’opposer à sa volonté, et il y réussit.

Ma tante alla voir alors à Paris mon ancienne amie Valentine, pour l’inviter à venir à Moulin-Galant, et me décider au mariage. Elle savait que Valentine pouvait y avoir intérêt elle-même. Elle s’était mariée elle-même, mais le mariage ne la gênait guère. Son mari n’était jamais avec elle ; elle menait une existence fort luxueuse et assez désordonnée qui la mettait fréquemment dans la gêne. Ma tante ne l’ignorait pas et elle lui laissa entendre qu’il serait bon pour elle d’avoir une amie fort riche. Elle lui ouvrit d’ailleurs sa propre bourse, et Valentine n’eut garde de ne pas profiter de cette aubaine.

Par une belle journée, au moment même où je me désolais, Valentine accourut donc à Moulin-Galant, dans la plus gracieuse toilette de campagne, jupe fleurie, bonnet de roses, et un ravissant collier de perles tombant un peu sur sa gorge qui était découverte.

Dans sa toilette fraîche et légère on la sentait grasse, potelée. Chacun de ses pas, dans sa robe serrée, dessinait ses fesses. Moi, si mal vêtue, toute campagnarde, je rougissais devant elle.

Elle vit que je la regardais avec envie.

― Vous désirez ma toilette, ma Rose aimée ? me dit-elle d’un ton langoureux qui contrastait avec sa vivacité ordinaire, vous en aurez une aussi belle, ma chérie, quand vous serez mariée. Les fillettes n’ont pas le droit d’être élégantes.

Nous allâmes au jardin et nous nous assîmes dans la charmille.

― Te rappelles-tu comme nous nous amusions ? me dit-elle. Et chez les religieuses à Corbeil. As-tu été fessée, ma pauvre chérie ! Comment as-tu encore un cul !

Une subite rougeur colora mon visage. Elle eut un regard vague et un léger rire.

― C’est qu’il est plus beau que le mien, plus gros même.

Et elle me caressait les fesses, puis me serrait la taille.

― Et tes seins, comme ils sont fermes ! Sais-tu que mon mari voulait que je nourrisse le bébé que j’ai eu. Ils seraient jolis aujourd’hui ! Heureusement, regarde comme ils se tiennent bien.

Et baissant un peu le voile de tulle à grosses roses artificielles qui lui entourait le cou, elle prit ses seins qui, un peu rebelles à la main, redressèrent ensuite leur large fraise dès qu’on les eut délivrés du corsage.

― Ah ! tu les baisais autrefois.

― Mais je les baiserai encore, ma bonne Valentine, lui dis-je, émue au souvenir de nos anciennes caresses.

― Est-ce vrai que tu vas te marier ? me dit-elle après un instant. Je vis bien qu’elle était pressée de me parler sur ce sujet et que ma tante lui avait fait la leçon.

― Ma tante le désire, mais moi je ne veux pas.

― Et pourquoi donc ? Tu seras libre, tu seras riche. Tu n’es pourtant pas bien heureuse chez ta tante.

― Oh ! non.

― Est-ce qu’elle te fouette encore ? fit-elle en riant.

Je rougis de nouveau.

― Comment, c’est vrai ! Et quand l’as-tu reçu ? Voyons, dis-le moi, à une vieille amie ! Non ? À ton aise. C’est tout de même impayable, par exemple. Quel âge as-tu maintenant, dix-sept ans ?

― Seize.

― Moi, dix-sept et demie, près de dix-huit. Je suis vieille.

― Ton mari ne te bat pas, toi !

― Ah ! non, par exemple, c’est moi qui le battrais plutôt ! D’ailleurs les femmes qui se laissent battre, vois-tu, ma chérie, c’est ma conviction, ce sont des niaises. Tu verras quand tu seras mariée, tu feras tout ce que tu voudras, si tu sais te conduire avec ton mari.

― Mais c’est que celui qu’on me propose est très vieux.

― Raison de plus ! Tu mèneras un vieux par le bout du nez et par autre chose aussi.

― Quoi donc ?

― Tu le sauras plus tard.

― Dis-le moi.

― Eh bien, par sa queue. Tu ne sais pas ce que c’est, je suis sûre, innocente ! Ah ! j’étais plus avancée que toi, à ton âge. As-tu vu des hommes pisser ?

― Oh ! je sais bien ce que c’est, fis-je toute confuse. Je me rappelais les livres érotiques que j’avais lus et les hommes que j’avais vus par hasard déculottés et qui m’avaient tant surprise.

― D’autant plus que s’il est vieux, sa queue ne sera pas difficile à conduire.

― Que veux-tu dire ?

― Je veux dire que les vieux maris ne peuvent plus vous faire grand mal ; il est vrai qu’il ne vous font pas grand bien non plus.

― Ah, tu vois ! Tu le dis toi-même.

― Voyons, ma chérie, il faut savoir pourquoi tu te maries. Est-ce pour avoir un homme ?

― Dame !

― Mais non, c’est pour avoir de l’argent. Imagine-toi que ton mari est ton père, un père indulgent, facile, qui ne doit jamais te gronder, et que toi, tu peux toujours plaisanter ton caissier donné par la loi, qui doit te servir de l’argent dès que tu lui en demandes, sous peine de te voir se brouiller avec lui.

― C’est le mari des rêves, cela ! Est-ce qu’il existe réellement ?

― C’est à nous de le créer.

― Le tien alors est de ce genre ?

― Oui, le mien, je l’ai dressé, je le mène à la baguette.

― Enfin si un mari est vieux, laid, répugnant ?

― Eh bien, on prend un amant ! Moi, j’en ai deux, j’en ai eu trois un moment.

― Oh ! Et s’il te fait des scènes de jalousie ?

― On lui en fait d’abord, ça lui coupe ses tirades.

― Mais cela doit être affreux de vivre avec un homme que l’on n’aime pas quand on en aime un autre.

― Tu parles d’amour, petite gosseline, comme si tu savais ce que c’était !

― Mais oui, je sais.

― Non, tu ne sais pas, mais veux-tu que je te montre ?

Valentine me tenait embrassée, et sa bouche qui sentait une bonne odeur de fruit, m’envoyait une haleine grisante, tandis que les boucles de ses cheveux jouaient sur mes épaules, m’effleuraient l’oreille d’une chatouille mignonne.

Mon cœur battait, mes seins se soulevaient dans mon corsage, ma langue devenait sèche ; je sentais en moi comme un démon prisonnier qui alourdissait et enflammait ma chair. Le bois chaud du banc me causait une délicieuse sensation, j’avançais sous ma robe mes chairs secrètes et je jouissais infiniment de ce contact. Valentine, sans me lâcher, se souleva à demi, regarda par l’entrée de la charmille si elle ne voyait personne.

― L’herbe est douce, là, derrière le banc, le dossier nous protégera s’il venait quelqu’un.

― Je n’ose pas, si ma tante venait.

― Je suis là, moi, je ne suis pas une pensionnaire, je pense. Allons, petite sotte.

Et d’un brusque mouvement elle me poussa sous le banc, je glissai, elle me renversa et retourna mon corps, indolent, voluptueux, qui s’abandonnait à sa caresse. Vivement, d’une main agitée par la fièvre, elle leva ma jupe de mousseline.

― Comme elles sont rouges ! dit-elle. Oh ! cette écorchure. C’est la fessée sans doute ! Pauvre Rose. N’importe ! En as-tu de belles fesses, les miennes aussi sont belles. Tiens, regarde-les.

Et elle se retroussa. Ses jambes étaient longues, elle avait la cuisse large et forte, s’amincissant au genou, les fesses s’arrondissaient larges et d’un dessin hardi, de vraies fesses de flamande, mais d’une flamande qui ne trompe pas avec ses hanches et qui est aussi belle à cul découvert qu’elle promettait de l’être enjuponnée. Elle s’amusait à pousser au-dehors la bouchette de son derrière, et se courbant un peu, les cuisses écartées, elle me montra sa fente, large, épanouie, aux lèvres roses, renflées, dans un nid de poils blonds.

― Tends-toi comme je fais, dit-elle.

J’étais confuse et tremblante, mais je lui obéis, m’appuyant sur le banc, je me troussai bien et lui offris mon derrière dans toute son ampleur. Je sentis une bouche mouillée, souple, qui écartait mes chairs, les humectait et dardait dans mon cul une langue rigide. Je me détournai. Valentine était à genoux derrière moi, les lèvres aplaties contre mes fesses. Elle m’élargissait l’ouverture, en mordait la rondelle, en raclait les plis, en suçait les parois où l’avalanche de mes entrailles avait laissé des traces, où mon émotion, mon plaisir, amenaient des profondeurs des souffles et des fragrances impurs. Je ne me contenais plus, je soulevai ma jupe par-devant, j’égarai mon doigt.

― Non, non ! fit-elle, pas toi, moi !

Elle m’avait prise à bras-le-corps par derrière et elle me serrait contre elle, elle se laissa tomber tout de son long sur le gazon et m’attira. Mes fesses vinrent heurter son visage. Comme je me redressais, j’aperçus son doigt qui me montrait le bas de son ventre entre ses jambes ouvertes. En même temps, d’une main vigoureuse, elle m’inclinait la tête vers sa toison. Je me courbai timidement d’abord, mais lorsque je sentis son nez dans mon derrière, que sa bouche fouilla ma fente et que sa langue pointilla d’un titillant languottage mon bouton palpitant, j’embrassai ses fesses, je me plongeai dans l’abîme rose de son corps, mes lèvres mordirent et caressèrent les bords gras et rosés, et, à mon tour, j’enveloppai sa languette de mes baisers, je la suçotais, je l’aurais mordu dans ma fureur amoureuse, tandis que je l’entendais contre mon cul, s’écrier, aux instants où je m’arrêtais de la baiser et de la sucer.

― Comme tes fesses sont belles, comme elles valent toutes les petites fesses étriquées des hommes, comme je te sens, ma chérie. Oh ! va, baise-moi bien. Quelle douceur ! Quel infini plaisir !

Et tandis que sa lèvre me coulait ainsi de la glace et du feu, un de ses doigts s’insérait à l’entrée de ma petite fente, et son autre main jouait autour de la rondelle de mon derrière. Ô délice, de sentir et de goûter sans fin la magnificence de sa chair, de se perdre, de s’oublier en elle, tandis qu’une vie fourmillante et comme des âmes nouvelles viennent gronder, s’ébattre, chanter, rire aux profondeurs souillées de notre être. Elle renversa la tête et je m’effondrai sur son corps. Nous nous pâmâmes de plaisir. Puis, comme nous prenions souffle un instant :

― Ton con est comme une nacre pâle, à peine rosé, à peine dessiné, plus délicieux que tous les bijoux dans son écrin de poils.

Je me retournai, surprise, presque fâchée. Il me semblait qu’elle venait de dire un vilain mot, une injure.

― Qu’appelles-tu con ? lui demandai-je.

― Ceci, adorable chérie, fit-elle en resserrant ma petite fente. Comme je voudrais la manger !

― Mais c’est un gros mot, con ?

― Un gros mot dans la bouche des sots qui se piquent de mépriser en public ce qu’ils adorent en secret, les hommes sont si bêtes !

― Les hommes aiment le con ?

― Oh oui ! beaucoup. Et vois-tu c’est le plus délicieux des mots avec celui de cul, puisqu’il exprime les deux beautés de la femme.

― Et qu’est-ce que cela veut dire, con ?

― Un pédant que je connaissais… intimement parce qu’il était bel homme et qu’il avait une grosse queue, me disait que cela signifiait ce qu’un coin a fendu ou fendra, car notre chair, comme le bois, doit s’ouvrir, mais à un superbe assaut, à une puissante foulée.

― Alors c’est là…

― C’est là qu’un homme introduira sa chair, pauvre petite.

― Oh, mon Dieu ! fis-je effrayée.

― N’aie pas peur, ce n’est pas ton mari qui te le mettra, il est bien trop vieux… et puis ne pense pas à cela, nous ne devons penser qu’à nous aimer. Tiens, couche-toi à ma place, et moi, je vais monter sur toi.

Un instant elle m’offrit l’épanouissement de sa croupe. Son cul se présenta dans l’encadrement des dentelles, magnificence narquoise, il se dessina, s’agrandit peu à peu, devint énorme. Il riait comme une figure, grimaçait comme un monstre, grave et bouffon en même temps. Tout à coup, ainsi qu’une fraise rouge sous mes baisers et mes morsures, Valentine me tendit l’anneau de son cul poinçonné de noir. J’y écrasai ma bouche, tandis qu’elle abaissait la tête entre mes jambes qui se levèrent et emprisonnèrent ses épaules. Je l’entendis rire entre mes cuisses.

― Rose, tu as vessé.

― C’est toi, Valentine, qui a pété.

― Ah ! c’est si exquis de s’abandonner à toute la joie qui est en vous. On ne sait plus ce qu’on fait. On laisse tout s’accomplir en soi. Et puis tout ce qui sort de notre chair me transporte. Comme l’haleine de ta bouche, le souffle de tes fesses sent bon, puisqu’il sent ta vie, ma chérie.

En ce moment nous entendîmes des voix au jardin.

― Rose ! Rose ! appelait ma tante.

Nous nous relevâmes un peu effarées, toutes rouges ; mais une fois sur pied, les jupes abaissées, nous fumes plus tranquilles et nous revînmes au salon sans nous presser.

― Comme ta petite fente est devenue grande, lui dis-je naïvement, depuis les Ursulines.

Valentine devint un peu pâle, parut contrariée.

― Tu trouves ? dit-elle, puis elle ajouta :

― C’est que deux bébés y sont passés.

Ce fut mon tour de rougir et de me troubler devant l’inconnu qu’on me laissait entrevoir.

― N’aie pas peur, dit-elle encore, ton mari ne t’en fera pas un.

Elle s’était mise à se baisser et à cueillir des marguerites dans l’herbe, sa croupe faisait une ronde et forte saillie sous sa robe.

― Ce n’est pas nos culs qui nous portent, dis-je en riant, c’est bien nous qui portons nos culs.

― Nos culs sont nos gouverneurs, dit-elle.

Nous rentrâmes au salon. La porte était entrouverte. Ma tante alors était si bien lancée dans une causerie avec le bailli, qu’elle ne nous entendit pas.

― Vous comprenez, disait-elle, qu’il lui faut bien le temps de réfléchir. Elle ne peut pas se jeter à votre cou comme cela… Ah ! voilà Mademoiselle, s’écria-t-elle, et madame de Jouvencelle, que vous connaissez.

Cependant, sans regarder le bailli, en baissant les yeux, la voix faible, mais animée, je dis d’une haleine :

― Monsieur le bailli, ma tante m’a fait part de votre proposition. J’ai réfléchi et je dois vous dire que je suis heureuse de l’accepter.

Il me sembla que je venais d’avoir le courage d’avaler un purgatif ou d’engouffrer un lavement. Je poussai un soupir.

Ma tante resta quelques instants immobile de stupeur. Elle pensait bien que les paroles de Valentine me décideraient au mariage, mais elle ne s’attendait pas à un si prompt succès. Sa joie éclata bruyamment.

― Eh bien, monsieur le bailli, voilà une parole qui doit vous faire plaisir, dit-elle.

― Elle me ravit au ciel, répliqua le bailli plus froid, mais satisfait pourtant.

― Embrassez votre fiancé, mademoiselle, je vous le permets, dit ma tante.

Je m’approchai et je lui tendis le front, mais sa bouche glissa jusqu’à mes lèvres.

― Il me semble, dit-il, que je viens de baiser le printemps.

J’eus beau baisser la tête et essayer de me retenir, je pouffai de rire à son nez. Je chuchotai à l’oreille de Valentine :

― Il a senti ton cul.

― Tais-toi donc, fit-elle. Il faut te tenir maintenant.

Ma tante me lança un regard sévère, puis, dit au bailli, un peu décontenancé.

― C’est la joie, le bonheur qui l’émeut ainsi.

Ainsi j’entrais doucement dans la vie conjugale. Valentine m’en avait si bien aplani le seuil que je savais à peine si j’avais quitté mon enfance. Mon mari n’était à mes yeux que le remplaçant de ma tante, un maître sans sévérité et seulement un peu grognon. Les jeux me semblaient à peine différents ; les plaisirs n’avaient de la nouveauté que ce qui en est supportable. Valentine m’avait ménagé en tout des transitions heureuses. Aussi quand elle me demanda sa récompense, je ne la lui marchandai point ; mon mari était riche. Je lui prêtai — donnai serait le mot véritable — tout ce qu’elle réclama, bien que son insistance m’eut fait oublier ses services. Maintenant je respirais à pleines narines le bonheur, la liberté, la richesse. J’interrogeais sans désir, mais dans une attente délicieuse les yeux et le vêtement des hommes. J’avais le pressentiment que ma première petite âme ne s’était point déchirée avec ma chair de vierge et qu’il faudrait la passion pour l’anéantir et la remplacer. Elle devait venir, mais ses joies sont graves, ses jouissances tristes, elle ne divertit ni n’amuse, et j’arrête à cette page un livre écrit pour des amis libertins. Qu’il puisse dresser vers l’aimé un sommeillant désir, et réveiller la volupté des croupes paresseuses.

FIN