Journal du voyage de Montaigne/Partie 1

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IL MANQUE deux pages du Manuscrit formant le premier feuillet, qui paroît avoir été déchiré fort anciennement, puisque le livre a été trouvé en cet état. On ne sait point quel est le Comte que Montaigne envoya visiter, ni l’accident qui causa ses blessures; mais on ne se permettra point la moindre conjecture sur un fait étranger à l’Auteur.


MONSIEUR DE MONTAIGNE depescha Monsieur de Mattecoulon en poste avec ledit escuyer, pour visiter ledit Conte, & trouva, que ses playes n’estoint pas mortelles. Audit Beaumont, M. d’Estissac se mesla à la trope pour faire même voyage, accompaigné d’un jantil’home, d’un valet de chambre, d’un mullet, & à pied d’un muletier & deux lacquais, qui revenoit à nostre equipage pour faire à moitié la despense. Le lundi cinquiesme de Septembre 1580, nous partimes dudit Beaumont aprés disner & vinsmes tout d’une trete souper à

MEAUX, qui est une petite ville, belle, assise sur la riviere de Marne. Elle est de trois pieces. La ville & le fauxbourg sont en deça de la riviere, vers Paris. Au-delà des pons, il y a un autre grand lieu qu’on nomme le Marché, entourné de la riviere & d’un trés beau fossé tout autour, où il y a grande multitude, d’habitans & de maisons. Ce lieu étoit autrefois très bien fortifié de grandes & fortes murailles & tours; mais en nos seconds troubles huguenots, parce que la pluspart des habitans de ce lieu estoit de ce party, on fit demolir toutes ces fortifications. Cet endroit de la ville soutint l’effort des Anglois, le reste estant tout perdu ; & en récompense tous les habitans dudit lieu sont encore exempts de la taille & autres impositions. Ils monstrent sur la riviere de Marne une isle longue de deux ou trois cent pas qu’ils disent avoir esté un cavalier jetté dans l’eau par les Anglois, pour battre ledit lieu du marché avec leurs engins, qui s’est ainsi fermy avecq le temps. Au fauxbourg, nous vismes l’abbaïe de saint Faron, qui est un très vieux battimant où ils montrent l’habitation d’Ogier le Danois & sa sale. Il y a un antien refectoire, à tout des grandes & longues tables de pierre d’une grandeur inusitée, au mylieu duquel sourdoit, avant nos guerres civiles, une vifve fonteine qui servoit à leur repas. La pluspart des religieus sont encore gentil’homes. Il y a entre autres choses une très vielle tumbe & honorable, où il y a l’effigie de deux chevaliers étandus en pierre d’une grandeur extraordinere. Ils tiennent que c’est le corps de Ogier le Danois & quelqu’autre de ces Paladins. Il n’y a ni inscription ni nulles armoiries ; sulemant il y a ce mot en latin, qu’un Abbé y a fait mettre il y a environ cent ans, que ce sont deux heros inconnus qui sont là enterrés. Parmy leur thresor, ils monstrent des ossemans de ces chevaliers. L’os du bras depuis l’espaule jusques au coude est environ de la longeur du bras entier d’un homme des nôtres de la mesure commune, & un peu plus long que celui de M. de Montaigne. Ils monstrent aussi deux de leurs espées qui sont environ de la longeur d’une de nos espées à deux mains, & sont fort detaillées de coups par le tranchant.

Audit lieu de Meaux, M. de Montaigne fut visiter le Thresorier de l’Eglise saint Estienne nommé Juste Terrelle, home connu entre les sçavans de France, petit home vieux de soixante ans, qui a voïagé en Egipte & Jerusalem & demeuré sept ans en Constantinople, qui lui montra sa librerie & singularités de son jardin. Nous n’y vismes rien si rare qu’un arbre de buy espandant ses branches en rond, si espois & tondu par art, qu’il samble que ce soit une boule très polie & très massive de la hauteur d’un homme.

De Meaux où nous disnames le mardy nous vinsmes coucher à

CHARLY, sept lieues. Le mercredy après disner vinsmes coucher à

DORMANS, sept lieues. Le landemein qui fut jeudi matin vinsmes disner à

ESPRENAI, cinq lieues. Où estans arrivés, MM. d’Estissac & de Montaigne s’en allarent à la messe comme c’estoit leur coutume, en l’eglise Nostre Dame ; & parce que ledit seigr. de Montaigne avoit veu autrefois ; & lorsque M. le Mareschal de Strossi fut tué au siege de Teonville qu’on avoit apporté son corps en laditte eglise, il s’enquit de sa sepulture, & trouva qu’il y estoit enterré sans aucune montre ny de pierre, ny d’armoirie, ny d’épitaphe, vis à vis du grand autel ; & nous fut dit que la reine l’avoit ainsi fait enterrer sans pompe & ceremonie, parce que c’estoit la volonté dudit Mareschal. L’evesque de Renes de la maison des Hanequins à Paris, faisoit lors l’office en laditte eglise de laquelle il est abbé : car c’estoit aussi le jour de la feste de N. Dame de Septemb. M. de Montaigne accosta en ladite eglise après la messe M. Maldonat, Jhesuite duquel le nom est fort fameux, à cause de son erudition en theologie & philosophie, & eurent plusieurs propos de sçavoir ensamble lors & l’après dinée au logis dudit sieur de Montaigne, où ledit Maldonat le vint trouver. Et entre autres choses, parce qu’il venoit des beings d’Aspa, qui sont au Liege, où il avoit este avec M. de Nevers, il lui conta que c’estoint des eaus extrememant froides, & qu’on tenoit là que les plus froides qu’on les pouvoit prendre c’estoit le meilleur. Elles sont si froides, qu’aucuns qui en boivent en entrent en frisson & en horreur; mais bientost après on en sent une grande chaleur en l’estomach. Il en prenoit pour sa part cent onces; car il y a des gens qui fournissent des verres qui portent leur mesure selon la volonté d’un chacun. Elles se boivent non seulement à jeun, mais encore après le repas. Les opérations qu’il recita sont pareilles aus eaux de Guascogne. Quant à lui, il disoit en avoir remarqué la force pour le mal qu’elles ne lui avoint pas faict, en ayant beu plusieurs fois tout suant & tout esmeu. Il a veu par expérience que grenouilles & autres petites bettes qu’on y gette se meurent incontinent, & dit qu’un mouchouer qu’on mettra audessus d’un verre plein de ladite eau, se jaunira incontinent. On en boit quinze jours ou trois semaines pour le moins. C’est un lieu auquel on est très bien accommodé & logé, propre contre toute obstruction & gravelle. Toutefois ny M. de Nevers ny lui n’en estoint devenus guieres plus sains. Il avoit avec lui un maistre d’hostel de M. de Nevers, & donnarent à M. de Montaigne un cartel imprimé sur le sujet du different qui est entre MM. de Montpansier & de Nevers, affin qu’il en fut, instruit & en peut instruire les gentil’hommes qui s’en enquerroint. Nous partimes de là le vendredy matin & vinsmes à

CHAALONS, sept lieues. Et y logeasmes à la Couronne qui est un beau logis, & y sert-on en vesselle d’argeant, & la pluspart des lits & couvertes sont de soie. Les communs battimens de toute cette contrée sont de croye, coupée à petites pieces quarrées, de demi pied ou environ & d’autres de terre en gason de mesme forme. Le lendemein nous en partimes après disner, & vinsmes coucher à

VITRI LE FRANÇOIS, sept lieues. C’est une petite ville assise sur la riviere de Marne, battie depuis trente-cinq ou quarante ans, au lieu de l’autre Vitry qui fut bruslé. Ell’a encore sa premiere forme bien proportionnée & plaisante, & son milieu est une grande place quarrée des plus belles de France. Nous apprimes là trois histoires mémorables. L’une que madame la douairiere de Guise de Bourbon, aagée de quatre vingt sept ans, estoit encor’vivante, & faisant encor un quart de lieuë de son pied. L’autre, que depuis peu de jours il avoit esté pendu à un lieu nommé Montirandet, voisin de là, pour telle occasion : Sept ou huit filles d’autour de Chaumont en Bassigni complottarent, il y a quelques années, de se vestir en masles, & continuer ainsi leur vie par le monde. Entre les autres, l’une vint en ce lieu de Vitry sous le nom de Mary, guaignant sa vie à estre tisseran ; jeune homme bien conditionné & qui se rendoit à un chacun ami. Il fiança audit Vitry une femme, qui est encor vivante ; mais pour quelque desacord qui survint entre eux, leur marché ne passa plus outre. Depuis estant allé audit Montirandet guaignant tousiours sa vie audit mestier, il devint amoureux d’une fame laquelle il avoit épousée, & vescut quatre ou cinq mois avecque elle avec son contentement, à ce qu’on dit; mais ayant, esté reconnu par quelcun dudit Chaumont, & la chose mise en avant à la justice, elle avoit esté condamnée à estre pendue : ce quelle disoit aymer mieux souffrir que de se remettre en estat de fille, & fut pendue pour des inventions illicites à supplir au défaut de son sexe. L’autre histoire, c’est d’un homme encore vivant nommé Germain, de basse condition, sans nul mestier ni office, qui a esté fille jusques en l’aage de vingt deux ans, veuë & connuë par tous les habitans de la ville, & remarquée d’autant qu’elle avoit un peu plus de poil autour du menton que les autres filles ; & l’appelloit-on Marie la barbue. Un jour faisant un effort à un sault, ses outils virils se produisirent, & le cardinal de Lenoncourt, évesque pour lors de Chalons, lui donna nom Germain. Il ne s’est pas marié pourtant ; il a une grand’barbe fort espoisse. Nous ne le sceumes voir, parce qu’il estoit au vilage. Il y a encore en cette ville une chanson ordinaire en la bouche des filles, où elles s’entr’advertissent de ne faire plus de grandes enjambées, de peur de devenir masle, comme Marie Germain. Ils disent qu’Ambroise Paré a mis ce conte dans son livre de Chirurgie, qui est très-certin, & ainsi tesmoigné à M. de Montaigne par les plus apparens officiers de la ville. Delà nous partismes dimenche matin après desjeuné, & vinsmes d’une trete à

BAR, neuf lieues. Où M. de Montaigne avoit esté autresfois, & n’y trouva de remarquable de nouveau que la despense estrange qu’un particulier prestre & doyen de là a employé & continue tous les jours en ouvrages publiques. Il se nomme Gilles de Treves; il a bati la plus sumptueuse chapelle de marbre, de peintures & d’ornemens qui soit en France, & a bati & tantot achevé de mubler la plus belle maison de la ville qui soit aussi en France, de la plus belle structure, la mieux compassée, étoffée, & la plus labourée d’ouvrages & d’anrichissemans, & la plus logeable : de quoy il veut faire un colliege, & est après à le doter & mettre en trein à ses despens. De Bar, où nous disnames le lundi matin, nous nous en vinsmes coucher à

MANNESE, quatre lieues. Petit village où M. de Montaigne fut arresté, à cause de sa colicque, qui fut aussi cause qu’il laissa le dessein qu’il avoit aussi faict de voir Toul, Metz, Nancy, Jouinville & St. Disier, comme il avoit délibéré, qui sont villes épandues autour de cette route; pour gaigner les beings de Plombieres en diligence. De Mannese, nous partismes mardi, au matin & vinsmes disner à

VAUCOULEUR, une lieue. Et passames le long de la riviere de Meuse dans un village nommé.

DONREMY, sur Meuse, à trois lieues dudit Vaucouleur. D’où estoit natifve cette fameuse pucelle d’Orléans, qui se nommoit Jeane Day ou Dallis. Ses descendans furent annoblis par faveur du Roi & nous monstrarent les armes que le roi leur donna, qui sont d’azur à un’espée droite couronnée & poignée d’or, & deux fleurs de lis d’or au côté de ladite espée ; de quoi un receveur de Vaucouleur donna un escusson peint à M. de Caselis. Le devant de la maisonnette où elle naquit est toute peinte de ses gestes mais l’aage en a fort corrompu la peinture. Il y a aussi un abre le long d’une vigne qu’on nomme, l’abre de la Pucelle, qui n’a nulle autre chose à remarquer. Nous vinsmes ce soir coucher à

NEUFCASTEAU, cinq lieues. Où en l’église des Cordeliers il y a force tumbes anciennes de trois ou quatre cens ans de la noblesse du païs, desqueles toutes les inscriptions sont en ce lengage : Cy git tel qui fut mors lors que li milliares courroit per mil deux cens &c. M. de Montaigne vit leur librairie où il y a force livres ; mais rien de rare, un puis qui se puise à fort grands seaus en roullant avec les pieds un plachié de bois qui est appuyé sus un pivot, auquel tient une piece de bois ronde à laquelle la corde du puis est attachée. Il en avoit veu ailleurs de pareils. Joingnant le puis, il y a un grand vaisseau de pierre eslevé audessus de la marselle de cinq ou six pieds, où le seau se monte ; & sans qu’un tiers s’en mesle, l’eau se renverse dans ledit vaisseau, & en ravalle quand il est vuide. Ce vaisseau est de telle hauteur que par icelui avec des canaus de plomb, l’eau du puis se conduit à leur réfectoire & cuisine & boulangerie, & réjaillit par des corps de pierre eslevés en forme de fonteines naturelles. De Neufchasteau où nous desjunasmes le matin, nous vinsmes soupper à

MIRECOURT, six lieues. Belle petite ville où M. de Montaigne ouyt nouvelles de M. & Mad. de Bourbon qui en sont fort voisins. Et lendemein matin après des-juner alla voir à un quart de lieue de là, à quartier de son chemin, les religieuses de Poussay. Ce sont religions de quoi il y en a plusieurs en ces contrées là establies pour l’institution des filles de bonne maison. Elles y ont chacune un bénéfice, pour s’en entretenir, de cent, deux cens ou trois cens escus, qui pire, qui meilleur, & une habitation particuliere où elles vivent chacune à part soi. Les filles en nourrice y sont reçues. Il n’y a nulle obligation de virginité, si ce n’est aus officieres, comme abbesse prieure & autres. Elles sont vestues en toute liberté, comme autres damoiselles, sauf un voile blanc sus la tête & en l’église pendant l’office un grand manteau qu’elles laissent en leur siege au cœur. Les compaignies y sont reçues en toute liberté, chez les religieuses particulieres qu’on y va rechercher, soit pour les poursuivre à épouser, ou à autre occasion. Celles qui s’en vont peuvent résigner & vendre leur bénéfice à qui elles veulent, pourveu qu’elle soit de condition requise. Car il y a des seigneurs du païs qui ont cette charge formée, & s’y obligent par serment de tesmoingner de la race des filles qu’on y présente. Il n’est pas inconvenient qu’une seule religieuse ait trois ou quatre bénéfices. Elles font au demeurant le service divin coimme ailleurs. La plus grand part y finissent leurs jours & ne veulent changer de condition. Delà nous vinsmes soupper à

ESPINÉ, cinq lieuës. C’est une belle petite ville sur la riviere de la Moselle où l’entrée nous fût refusée d’autant que nous avions passé à Neufchasteau, où la peste avoit été il n’y a pas long-temps. Lendemain matin nous vinsmes disner à

PLOMMIERES, quatre lieues. Depuis Bar-le-Duc les lieues reprennent la mesure de Guascogne, & vont s’allongeant vers l’Allemagne, jusques à les doubler & tripler enfin. Nous y entrasmes le vendredy 16e de Septemb. 1580 à deux heures après midi. Ce lieu est assis aux confins de la Lorreine & de l’Allemagne dans une fondriere, entre plusieurs collines hautes & coupées, qui le serrent de tous costés. Au fond de cette vallée naissent plusieurs fonteines tant froides naturelles, que chaudes : l’eau chaude n’a nulle senteur ny goust, & est chaude tout ce qui s’en peu souffrir au boire, de façon que M. de Montaigne estoit contraint de la remuer de verre à autre. Il y en a deux seulement de quoi on boit. Celle qui tourne le cul à l’orient & qui produit le being qu’ils appellent le being de la reine, laisse en la bouche quelque goust doux comme de regalisse sans autre deboire, si ce n’est que si on s’en prent garde fort attentivement, il sembloit à M. de Montaigne qu’elle rapportoit je ne sçay quel goust de fer. L’autre qui sourd du pied de la montagne opposite, de quoi M. de Montaigne ne but qu’un seul jour, a un peu d’aspreté, & y peut-on decouvrir la faveur de l’alun. La façon du païs, c’est seulement de se beingner deux ou trois fois le jour. Aucuns prennent leur repas au being, où ils se font communement ventouser & scarifier, & ne s’en servent qu’après s’estre purgés. S’ils boivent, c’est un verre ou deux dans le being. Ils trouvoint estrange la façon de M. de Montaigne, qui sans médecine précédente en beuvoit neuf verres, qui revenoint environ à un pot, tous les matins à sept heures ; disnoit à midy ; & les jours qu’il se beingnoit, qui estoit de deux jours l’un, c’estoit sur les quatre heures, n’arrestant au being qu’environ un heure. Et ce jour là il se passoit volontiers de soupper. Nous vismes des hommes gueris d’ulceres, & d’autres de rougeurs par le corps. La coustume est d’y estre pour le moins un mois. Ils y louent beaucoup plus la saison du printemps en May. Ils ne s’en servent guiere après le mois d’Aoust, pour la froideur du climat ; mais nous y trouvasmes encore de la compaignie, à cause que la secheresse & les chaleurs avoint estés plus grandes & plus longues que de coustume. Entre autres, M. de Montaigne contracta amitié & familiarité avec le seigneur d’Andelot, de la Franche-Conté, duquel le pere estoit grand escuyer de l’empereur Charle cinquiesme, & lui premier mareschal de camp de l’armée de Don Jouan d’Austria, & fut celui qui demeura gouverneur de St. Quintin lorsque nous la perdismes. Il avoit un endroit de sa barbe tout blanc & un costé de sourcil ; & récita à M. de Montaigne que ce changement lui estoit venu en un instant, un jour estant ches lui plein d’ennui pour la mort d’un sien frere que le duc d’Albe avoit faict mourir comme complice des Contes d’Eguemont & de Hornes, qu’il tenoit sa teste appuyée sur sa main par cet endroit, de façon que les assistans pensarent que ce fut de la farine qui lui fut de fortune tombée là. Il a depuis demeuré en cette façon. Ce being avoit autrefois été fréquenté par les Allemans seulement ; mais depuis quelques ans ceux de la Franche-Conté & plusieurs François y arrivent à grand foule. Il y a plusieurs beings, mais il y en a un grand & principal basti en forme ovalle d’un’antienne structure. Il a trente-cinq pas de long & quinze de large. L’eau chaude sourd par le dessoubs à plusieurs surgeons, & y faict on par le dessus escouler de l’eau froide pour moderer le being, selon la volonté de ceux qui s’en servent. Les places y sont distribuées par les costés avec des barres suspendues, à la mode de nos équiries, & jette on des ais par le dessus pour eviter le soleil & la pluye. Il y a tout autour des beings trois ou quatre degrés de marches de pierre à la mode d’un théatre, où ceux qui se beingnent peuvent estre assis ou appuyés. On y observe une singuliere modestie, & si est indécent aux hommes de s’y mettre autrement que tous nuds, sauf un petit braiét, & les fames sauf une chemise. Nous logeames à l’Ange qui est le meilleur logis, d’autant qu’il respond aux deux beings. Tout le logis où il y avoit plusieurs chambres ne coustoit que quinze solds par jour. Les hostes fournissent partout du bois pour le marché ; mais le païs en est si plein qu’il ne couste qu’à coupper. Les hostesses y font fort bien la cuisine. Au temps de grand presse ce logis eut cousté un escu le jour, qui est bon marché. La nourriture des chevaus à sept solds. Tout autre sorte de despence à bonne & pareille raison. Les logis n’y sont pas pompeus, mais fort commodes ; car ils font, par le service de force galeries, qu’il n’y a nulle sujection d’une chambre à l’autre. Le vin & le pain y sont mauvais. C’est une bonne nation, libre, sensée, officieuse. Toutes les loix du païs, sont religieusement observées. Tous les ans ils refrechissent dans un tableau audevant du grand being, en langage Allemand & en langage François, les lois cy-dessoubs escrites.

Claude de Rynach, chevalier, seigneur de St. Balesmont, Montureulz, en Ferrette, Lendacourt, &c. conseillier & chambellan de nostre souverain seigneur monseigneur le Duc &c. & son bally de Vosges :

« SÇAVOIR faisons, que pour le repos asseuré & tranquilité de plusieurs dames & autres personnages notables affluans de plusieurs regions & païs en ces beings de Plommieres, avons, (suivant l’intention de son Altesse), statué & ordonné, statuons & ordonnons ce qui suit : Sçavoir est, que l’antienne discipline de correction pour les fautes legieres demeurera ès mains des Allemands, comme l’antienneté ; ausquels est enjoint faire observer les cérimonies, status & polices desquelles ils ont usé pour la decoration desdits beings & punition des fautes qui seront commises par ceux de leurs nations, sans exception de personnes, par forme de rançon, & sans user d’aucuns blasphemes & autres propos irreverens contre l’église catholicque & traditions d’icelle. Inhibiton est faite à toutes personnes, de quelle qualité, condition, region, & province qu’ils soient, se provocquer de propos injurieus & tendans à querelle, porter armes esdits beings, donner desmanty, ny mettre la main aus armes, à peinne d’estre punys griefvement, comme infracteurs de sauve-guarde, rebelles & désobéissans à son Altesse.

Aussi à toutes filles prostituées & impudicques d’entrer ausdits beings ny d’en approcher de cinq cens pas, à peine du fuët des quattre carres desdits beings. Et sur les hostes qui les auront reçeues ou recelés, d’emprisonnemant de leurs personnes & d’amande arbitraire.

Soubs mesme peinne est défendu à tous user envers les dames, damoiselles & autres fames & filles estans, ausdits beings d’aucuns propos lascifs ou impudiques, faire aucuns attouchemens deshonnestes, entrer ni sortir desdits beings irreveremment contre l’honnesteté publique. Et parceque, par le benefice desdits beings, Dieu & nature nous procurent plusieurs guerisons & soulagemans, & qu’il est requis une honneste mundicité & pureté, pour obvier à plusieurs contagions & infections que s’y pourroint engendrer, est ordonné expressément au maistre desdits beings, prendre soingneuse garde & visiter les corps de ceux qui y entreront, tant de jour que de nuict, les faisant contenir en modestie & silence pendant la nuict, sans bruict, scandal ni derision. Que si aucun personnage ne lui est à ce faire obeissant, il en face prompte délation au magistrat, pour en faire punition exempleiremant.

Au surplus est prohibé & défendu à toutes personnes venans de lieus contagieus, de se présenter ny approcher de ce lieu de Plommieres, à peine de la vie ; enjoignant bien expressemant aus mayeurs & gens de justice d’y prendre soingneuse garde, & à tous habitans dudict lieu de nous donner billets contenans les noms & surnoms & residence des personnes qu’ils auront reçeus & logés, à peine de l’emprisonnemant de leurs personnes. Toutes lesquelles ordonnances ci dessus declarées ont esté cejourdhui publiées audevant du grand being dudit Plommieres, & copies d’icelles fichées tant en langue françoise qu’allemande, au lieu plus proche & plus apparent du grand being, & signé de nous Bally de Vosges. Donné audit Plommieres le 4e jour du mois de Mai l’an de grace Notre Seigneur mille cinq cens … » le nom du Bally.

Nous arrestames audict lieu depuis ledict jour 18e jusques au 27e de Septembre. M. de Montaigne beut onze matinées de ladicte eau, neuf verres huict jours, & sept verres trois jours, & se beigna cinq fois. Il trouva l’eau aysée à boire & la randoit tous jours avant disner. Il n’y connut nul autre effect que d’uriner. L’appetit, il l’eut bon ; le sommeil, le ventre, rien de son état ordinaire ne s’empira par cette potion. Le sixiesme jour il eut la colicque très vehemente, & plus que les siennes ordineres, & l’eut au costé droit, où il n’avoit jamais senty de doleur qu’une bien legiere à Arsac, sans opération. Cette ci lui dura quattre heures, en sentit evidemmant l’opération & l’écoulement de la pierre par les ureteres & bas du ventre. Les deux premiers jours, il rendit deux petites pierres qui estoint dedans la vessie & depuis par fois du sable. Mais il partit desdicts beings estimant avoir encore en la vessie & la pierre de la susdite colicque, & autres petites, desquelles il pensoit avoir senty la descente. Il juge l’effect de ces eaus & leur qualité pour son regard fort pareilles à celle de la fontaine haute de Banieres où est le being. Quant au being, il le trouve de tres douce temperature ; & de vray les enfans de six mois & d’un an, sont ordinairement à grenouiller dedans. Il suoit fort & doucement. Il me commanda, à la faveur de son hostesse, selon l’humeur de la nation, de laisser un escusson de ses armes en bois, qu’un pintre dudit lieu fit pour un escu, & le fit l’hostesse curieusemant attacher à la muraille par le dehors. Ledit jour 27e de Septembre, après disner, nous partimes & passames un païs montaigneus, qui retentissoit partout soubs les pieds de nos chevaus, comme si nous marchions sur une voûte ; & sembloit que ce fussent des tabourins qui tabourdassent autour de nous & vinsmes coucher à

REMIREMONT, deux lieues. Belle petite ville & bon logis à la Licorne ; car toutes les villes de Lorrene, (c’est la derniere) ont les hostelleries autant commodes & le tretemant aussi bon qu’en nul endroit de France. Là est cette Abbaïe de relligieuses si fameuse, de la condition de celles que j’ay dittes de Poussai. Elles pretendent, contre M. de Lorrene, la souveraineté & principauté de cette ville. MM. d’Estissac & de Montaigne les furent voir soudain après estre arrivés, & visitarent plusieurs logis particuliers, qui sont très beaus & très bien meublés. Leur abbesse estoit morte, de la maison d’Inteville, & estoit-on après la creation d’une autre, à quoi prétendoit la sœur du conte de Salmes. Ils furent voir la doïene qui est de la maison de Lutre, qui avoit faict cet honneur à M. de Montaigne, d’envoyer le visiter aux beings de Plommieres, & envoïer des artichaus, perdris, & un barril de vin. Ils apprindrent là, que certeins villages voisins leur doivent de rente deux bassins de nege, tous les jours de Pentecouste ; & à faute de ce, une charrette attelée de quatre beufs blancs. Ils disent que cette rante de nege ne leur manque jamais ; si est qu’en la saison que nous y passames les chaleurs y estoint aussi grandes qu’elles soint en nulle saison en Guascogne. Elles n’ont qu’un voile blanc sur la teste & audessus un petit loppin de crépe. Les robes, elles les portent noires de telle etoffe & façon qu’il leur plaist, pendant qu’elles sont sur les lieux; ailleurs, de couleur ; les cotillons à leur poste, & escarpins & patins ; coeffées au dessus de leur voile, comme les autres. Il leur faut estre nobles de quatre races du coté de pere & de mere. Ils prindrent congé d’elles dès le soir. Lendemein au point du jour, nous partismes de là. Comme nous estions à cheval, la doïenne envoïa un gentil’homme vers M. de Montaigne, le priant d’aller vers elle, ce qu’il fit ; cela nous arresta une heure. La compagnie de ces dames lui dona procuration de leurs affaires à Rome. Au partir de là, nous suivimes longtems un très beau & très plaisant vallon, coutoiant la riviere de Moselle & vinsmes disner à

BOSSAN, quatre lieues. Petit meschant village, le dernier du langage françois, où MM. d’Estissac & de Montaigne revetus de souguenies de toile qu’on leur préta, allarent voir des mines d’argent, que M. de Lorrene a là, bien deux mille pas dans le creus d’une montaigne. Après disner, nous suivimes par les montaignes où on nous monstra, entre autres choses, sur des rochers inaccessibles, les aires où se prennent les autours, & ne coutent là que trois testons du païs, & la source de la Moselle ; & vinsmes souper à

TANE, quatre lieuës. Premiere ville d’Allemagne, sujette à l’Empereur, très belle. Lendemein au matin, trouvames une belle & grande plene flanquée à main gauche de coutaus pleins de vignes, les plus belles & les mieux cultivées, & en telle estandue, que les Guascons qui estoint là, disoint n’en avoir jamais veu tant de suite. Les vandanges se faisoint lors : nous vinsmes disner à

MELHOUSE, deux lieues. Une belle petite ville de Souisse, du quanton de Bale. M. de Montaigne y alla voir l’église; car ils n’y sont pas catholiques. Il la trouva, comme en tout le païs, en bonne forme ; car il n’y a quasi rien de changé ; sauf les autels & images qui en sont à dire, sans difformité. Il print un plesir infini à voir la liberté & bonne police de cette nation, & son hoste du Reisin revenir du conseil de laditte ville & d’un palais très magnifique & tout doré, où il avoit présidé, pour servir ses hostes à table ; & un home sans suite & sans authorité, qui lui servoit à boire, avoit mené quattre enseignes de gens de pied contre le service du roy, sous le Casemir en France, & estre pansionnere du Roy à trois cens escus par an, il y a plus de vint ans. Lequel seigneur lui recita à table, sans ambition & affectation, sa condition & sa vie: lui dit, entre autres choses, qu’ils ne font nulle difficulté, pour leur religion, de servir le roy contre les huguenots mesmes ; ce que plusieurs autres nous rendirent en notre chemin, & qu’à notre siege de la Fere il y en avoit plus de cinquante de leur ville ; qu’ils epousent indifferemment les fames de notre religion au prestre, & ne les contreignent de changer. Delà après disné nous suivimes un païs beau, plein, très fertile, garny de plusieurs beaus villages & hosteleries, & nous rendismes à coucher à

BASLE, trois lieues. Belle ville de la grandeur de Blois ou environ de deux pieces ; car le Rein traverse par le milieu sous un grand & très-large pont de bois. La seigneurie fit cest honneur à MM. d’Estissac & de Montaigne que de leur envoyer par l’un de leurs officiers de leur vin, avec une longue harangue qu’on leur fit estant à table, à laquelle M. de Montaigne respondit fort long-temps, estans descouvers les uns & les autres, en presence de plusieurs Allemans & François qui estoint au poisle avecques eus. L’hoste leur servit de truchement. Les vins y sont fort bons. Nous y vismes de singulier la maison d’un médecin nommé Foelix Platerus, la plus pinte & enrichie mignardise à la Françoise qu’il est possible de voir ; laquelle ledit médecin a bâtie fort grande, ample & sumptueuse. Entre autres choses, il dresse un livre de simples qui est desja fort avancé ; & au lieu que les autres font pindre les herbes selon leurs couleurs, lui a trouvé l’art de les coler toutes naturelles si propremant sur le papier, que les moindres feuilles & fibres y apparoissent, come elles sont, & il feuillette son livre, sans que rien en eschappe ; & monstra des simples qui y estoint collés, y avoit plus de vint ans. Nous vismes aussi & ches luy & en l’escole publique des anatomies entieres homes morts, qui se tiennent. Ils ont cela que leur horologe dans la ville, non pas au fauxbourgs, sone tousjours les heures d’une heure avant le temps. S’il sone dix heures, ce n’est à dire que neuf : parce, disent-ils, qu’autrefois une tele faute de leur horologe fortuite preserva leur ville d’une entreprise qu’on y avoit faite. Basilee s’appelle non du mot grec, mais parceque base signifie passage en Allemant. Nous y vismes force de gens de sçavoir, come Grineus, & celui qui a fait le Theatrum, & ledit medecin (Platerus), & François Hottoman. Ces deux derniers vindrent soupper avec Messieurs, lendemein qu’ils furent arrivés. M. de Montaigne jugea qu’ils estoint mal d’accord de leur religion, pour les responses qu’il en receut : les uns se disant Zuingliens, les autres Calvinistes, & les autres Martinistes ; & si fut averty que plusieurs couvoint encore la religion romene dans leur cœur. La forme de donner le sacremant, c’est en la bouche communément: toutefois tend la main qui veut, & n’osent les ministres remuer cette corde de ces différences de religions. Leurs églises ont au dedans la forme que j’ai dict ailleurs. Le dehors est plein d’images & les tumbeaus antiens entiers, où il y a prieres pour les ames des trespassés. Les orgues, les cloches, & les crois des clochiers, & toute sorte d’images aus verrieres y sont en leur entier & les bancs & sieges du cœur. Ils mettent les fons baptismaus à l’antien lieu du grand autel, & font bastir à la teste de la nef un autre autel, pour leur cene ; celui de Basle est d’un très beau plan. L’église des Chartreus, qui est un très beau bastimant, conservée, & entretenue curieusemant ; les ornemans mesmes y sont & les meubles, ce qu’ils alleguent pour tesmoingner leur fidelité, estant obligés à cela par la foy qu’ils donnarent lors de leur accord. L’évesque du lieu qui leur est fort ennemi, est logé hors de la ville en son diocese, & maintient la pluspart du reste, en la campaigne, en la religion antienne, jouit de bien 50000 liv. de la ville, & se continue l’élection de l’évesque. Plusieurs se pleinsirent à M. de Montaigne de la dissolution des fames & yvrognerie des habitans. Nous y vismes tailler un petit enfant d’un pauvr’home pour la rupture, qui fut treté bien rudemant par le chirurgien. Nous y vismes une très-belle librerie publicque sur la riviere & en très-belle assiette. Nous y fumes tout le lendemein, & le jour après y disnames & prinsmes le chemin le long du Rhin deux lieues ou environ ; & puis le laissames sur la main gauche suivant un païs bien fertile & assés plein. Ils ont une infinie abondance de fonteines en toute cette contrée ; il n’est village ny carrefour où il n’y en aye de très belles. Ils disent qu’il y en a plus de trois cens à Basle de conte faict. Ils sont accoustumés aus galeries, mesmes vers la Lorreine, qu’en toutes les maisons ils laissent entre les fenestres des chambres hautes des portes qui respondent en la rue, attendant d’y faire quelque jour des galeries. En toute cette contrée, depuis Espiné il n’est si petite maison de village qui ne soit vitrée, & les bons logis en reçoivent un grand ornemant, & au dedans & au dehors, pour en estre fort accommodées, & d’une vitre ouvrée en plusieurs façons. Ils y ont aussi foison de fer & de bons ouvriers de cette matiere : ils nous surpassent de beaucoup, & en outre il n’y a si petite église, où il n’y ait un horologe & quadran magnifiques. Ils sont aussi excellens en tuillieres, de façon que les couvertures des maisons sont fort embellies de bigarrures de tuillerie plombée en divers ouvrages, & le pavé de leurs chambres ; & il n’est rien plus délicat que leurs poiles qui sont de potterie. Ils se servent fort de sapin & ont de très-bons artisans de charpenterie; car leur futaille est toute labourée & la pluspart vernie & pinte. Ils sont sumptueux en poiles, c’est-à-dire, en sales communes à faire le repas. En chaque sale, qui est très-bien meublée d’ailleurs, il y aura volantiers cinq ou six tables équipées de bancqs, là où tous les hostes disnent ensemble, chaque trope en sa table. Les moindres logis ont deux ou trois telles salles très-belles. Elles sont fort persées & richement vitrées ; mais il paroist bien qu’ils ont plus de souyn de leurs disners que du demeurant : car les chambres sont bien aussi chetifves. Il n’y a jamais de rideaus aux licts, & tousjours trois ou quatre licts tous joingnans l’un l’autre, en une chambre ; nulle cheminée, & ne se chauffet’on qu’en commun , & aus poiles : car ailleurs nulles nouvelles de feu ; & treuvent fort mauvais qu’on aille en leurs cuisines. Estans très mal propres au service des chambres : car bien heureux qui peut avoir un linceul blanc, & le chevet à leur mode n’est jamais couvert de linceul, & n’ont guiere autre couverte qu’une d’une coite, cela bien sale. Ils sont toutefois excellans cuisiniers, notamment de poisson. Ils n’ont nulle defense du serein ou du vent, que la vitre simple, qui n’est nullement couverte de bois, & ont leurs maisons fort percées & cleres ; soit en leurs poiles, soit en leurs chambres ; & eus ne ferment guiere les vitres mesmes la nuit. Leur service de table est fort différent du nostre. Ils ne se servent jamais d’eau à leur vin, & ont quasi raison ; car leurs vins sont si petits, que nos gentilshommes les trouvoint encore plus foibles que ceux de Guascongne fort baptisés, & si ne laissent pas d’estre bien delicats. Ils font disner les valets à la table des maistres, ou à une autre table voisine quant & quant eus : car il ne faut qu’un valet à servir une grande table, d’autant que chacun ayant son gobelet ou tasse d’argent en droit sa place, celui qui sert se prend garde de remplir ce gobelet aussitost qu’il est vuide, sans le bouger de sa place, y versant du vin de loin à tout un vaisseau d’estain ou de bois qui a un long bec. Et quant à la viande, ils ne servent que deux ou trois plats au coupon, ils meslent diverses viandes ensamble bien apprestées & d’une distribution bien esloignée de la nostre, & les servent par fois les uns sur les autres, par le moyen de certains instrumens de fer qui ont des longues jambes. Sur cet instrument il y a un plat & audessoubs un autre. Leurs tables sont fort larges & rondes, & carrées, si qu’il est mal aysé d’y porter les plats. Ce valet desser ayséemant ces plats tout d’un coup, & on sert autres deux, jusques à six ou sept tels changemans. Car un plat ne se sert jamais que l’autre n’en soit hors ; & quant aux assietes, comme ils veulent servir le fruit, ils servent au milieu de la table, après que la viande est ostée, un panier de cliffe ou un grand plat de bois peint, dans lequel panier le plus apparent jete le premier son assiete & puis les autres : car en cela on observe fort le rang d’honneur. Le panier ce valet l’emporte ayséemant, & puis sert tout le fruit en deux plats, comme le reste, pesle mesle, & y meslent volentiers des rifors, comme des poires cuites parmi le rosti. Entre autres choses, ils font grand honneur aus escrevisses, & en servent un plat tousjours couvert par priviliege, & se les entrepresentent : ce qu’ils ne font guiere d’autre viande. Tout ce païs en est pourtant plein, & s’en sert à tous les jours, mais ils l’ont en délices. Ils ne donnent point à laver à l’issue & à l’entrée ; chacun en va prandre à une petite eguiere attachée à couin de la sale, comme ches nos moines. La pluspart servent des assietes de bois, voire & des pots de bois & vesseaux à pisser, & cela net & blanc ce qu’il possible. Autres sur les assietes de bois y en ajoutent d’étain jusques au dernier service du fruit, où il n’en y a jamais que de bois. Ils ne servent le bois que par coustume ; car là mesme où ils le servent ils donnent des gobelets d’argent à boire, & en ont une quantité infinie. Ils netoyent & fourbissent exactement leurs meubles de bois, jusques aus planchiers des chambres. Leurs licts sont eslevés hauts, que communéemant on y monte par degrés, & quasi par tout des petits licts audessoubs des grands. Com’ils sont excellans ouvriers de fer, quasi toutes leurs broches se turnent par ressors ou par moyen des poids, comme les horologes, ou bien par certenes voiles de bois de lapin larges & legieres qu’ils logent dans le tuïau de leurs cheminées, qui roulent d’une grande vitesse au vent de la fumée & de la vapeur du feu ; & font aler le rost mollemant & longuemant : car ils assechissent un peu trop leur viande. Ces molins à vent ne servent qu’aus grandes hostelleries où il y a grand feu, comme à Bade. Le mouvemant en est très uni & très constant. La pluspart des cheminées, depuis la Lorrenne, ne sont pas à nostre mode ; ils eslevent des foyers au milieu ou au couin d’une cuisine, & amployent quasi toute la largeur de cette cuisine au tuïau de la cheminée. C’est une grande ouverture de la largeur de sept ou huict pas en carré qui se va aboutissant jusques au haut du logis. Cela leur donne espace de loger en un andret leur grand voile qui chez nous occuperoit tant de place en nos tuïeaus, que le passage de la fumée en seroit empesché. Les moindres repas sont de trois ou quatre heures pour la longeur de ces services ; & à la vérité ils mangent aussi beaucoup moins hativement que nous & plus seinement. Ils ont grande abondance de toutes sortes de vivres de cher & de poisson & couvrent fort sumptueusement ces tables, au moins la nostre. Le vendredy on ne servit à personne de la cher, & ce jour là ils disent qu’ils n’en mangent pouint volantiers. La charté pareille qu’en France autour de Paris. Les chevaus ont plus d’avoine d’ordinere qu’ils n’en peuvent manger. Nous vinsmes coucher à

HORNES, quatre lieues. Un petit village de la duché d’Austriche. Lendemein qui estoit dimenche, nous y ouymes la messe, & y remerquay cela que les fames tiennent tout le costé gauche de l’église & les homes le droit, sans se mesler. Elles ont plusieurs ordres de bancs de travers les uns après les autres de la hauteur pour se seoir. Là elles se mettent de genous & non à terre, & sont par conséquent come droites ; les homes ont outre cela devant eus des pieces de bois de travers pour s’appuyer, & ne se mettent non plus à genous que sur les sieges qui sont davant eux. Au lieu que nous joingnons les mains pour prier Dieu à l’eslevation, ils les escartent l’une de l’autre toutes ouvertes, & les tiennent ainsi eslevées jusques à ce que le prestre monstre la paix. Ils presentarent à MM. d’Estissac & de Montaigne le troisiesme banc des homes, & les autres au dessus d’eus furent après sesis par les homes de moindre apparence, come aussi du costé des fames. Il nous sambloit qu’aus premiers rangs ce n’estoit pas les plus honorables. Le truchement & guide que nous avions pris à Basle, messagier juré de la ville, vint à la messe


avec nous, & montroit à sa façon y estre avec une grande devotion & grand desir. Après disner, nous passames la riviere d’Arat à Broug, belle petite ville de MM. de Berne, & delà vinsmes voir une abbaïe que la reine Catherine de Honguerie donna aus seigneurs de Berne l’an 1524, où sont enterrés Leopold, archiduc d’Austriche, & grand nombre de gentilshomes qui furent deffaits avec lui par les Souisses l’an 1386. Leurs armes & noms y sont encore escris, & leurs despouilles maintenues curieusemant. M. de Montaigne parla là à un seigneur de Berne qui y commande, & leur fit tout monstrer. En cette abbaïe il y a des miches de pain toutes prettes & de la souppe pour les passans qui en demandent, & jamais n’en y a nul refusé de l’institution de l’abbaïe. Delà nous passames à un bac qui se conduit avec une polie de fer attachée à une corde haute qui traverse la riviere de Reix qui vient du lac de Lucerne, & nous randismes à

BADE, quatre lieues, petite ville & un bourg à part où sont les beings. C’est une ville catholicque sous la protection des huict cantons de Souisse, en laquelle il s’est faict plusieurs grandes assemblées de princes. Nous ne logeames pas en la ville, mais audit bourg qui est tout au bas de la montaigne le long d’une riviere, ou un torrent plustot, nommé Limaq, qui vient du lac de Zuric. Il y a deux ou trois beings publicques decouvers, de quoi il n’y a que les pauvres gens qui se servent. Les autres en fort grand nombre sont enclos dans les maisons, & les divise t’on & départ en plusieurs petites cellules particulieres, closes & ouvertes qu’on loue avec les chambres : lesdites cellules les plus délicates & mieux accommodées qu’il est possible, y attirant des veines d’eau chaude pour chacun being. Les logis très magnifiques. En celui où nous logeames, il s’en veu pour un jour trois cens bouches à nourrir. Il y avoit encore grand compaignie, quand nous y estions, & bien cent septante licts qui servoint aux hostes qui y estoint. Il y a dix sept poiles & onze cuisines, & en un logis voisin du nostre, cinquante chambres meublées. Les murailles des logis sont toutes revestues d’escussons des gentils hommes qui y ont logé. La ville est au haut audessus de la croupe, petite & très-belle comme elles sont quasi toutes en cette contrée. Car outre ce qu’ils font leurs rues plus larges & ouvertes que les nostres, les places plus amples, & tant de fenestrages richemant vitrés par tout, ils ont telle coutume de peindre quasi toutes les maisons par le dehors, & les chargent de desvises qui rendent un très plesant prospect : outre ce que il n’y a nulle ville où il n’y coule plusieurs ruisseaus de fonteines, qui sont eslevées richemant par les carrefours, ou en bois ou en pierre. Cela faict parétre leurs villes beaucoup plus belles que les Françoises. L’eau des beings rend un odeur de soufre à la mode d’Aigues caudes & autres. La chaleur en est moderée comme de Barbotan ou Aigues caudes, & les beings à cette cause fort dous & plesans. Qui aura à conduire des dames qui se veuillent beigner avec respect & délicatesse, il les peut mener là, car elles sont aussi seules au bein, qui samble un très riche cabinet, cler, vitré, tout au tour revetu de lambris peint & planché très propremant ; à tout des sieges & des petites tables pour lire ou jouer si on veut etant dans le bein. Celuj qui se beingne, vuide & reçoit autant d’eau qu’il lui plaict ; & a t’-on les chambres voisines chacune de son bein, les proumenoers beaus le long de la riviere, outre les artificiels d’aucunes galeries. Ces beings sont assis en un vallon commandé par les costés de hautes montaignes, mais toutefois pour la pluspart fertiles & cultivées. L’eau au boire est un peu fade & molle, come une eau battue, & quant au goust elle sent au souffre ; elle a je ne scay quelle picure de falure. Son usage à ceus du païs est principalemant pour ce being, dans lequel ils se font corneter & seigner si fort, que j’ay veu les deux beings publicques parfois qui sembloint estre de pur sang. Ceux qui en boivent à leur coutume, c’est un verre ou deux pour le plus. On y arréte ordinairement cinq ou six sepmaines, & quasi tout le long de l’esté ils sont fréquentés. Nulle autre nation ne s’en ayde, ou fort peu que l’Allemande ; & ils y viennent à fort grandes foules. L’usage en est fort antien, & duquel Tacitus faict mantion ; il en chercha tant qu’il peut la maitresse source & n’en peut rien apprendre ; mais de ce qu’il samble, elles sont toutes fort basses & au niveau quasi de la riviere. Elle est moins nette que les autres eaus que nous avons veu ailleurs, & charrie en la puisant certenes petites filandres fort menues. Elle n’a point ces petites etincelures qu’on voit briller dans les autres eaus souffrées, quand on les reçoit dans le verre, & comme dit le seigneur Maldonat, qu’ont celles de Spa. M. de Montaigne en beut lendemein que nous fumes arrivés, qui fut lundi matin, sept petits verres qui revenoint à une grosse chopine de sa maison ; landemein cinq grands verres qui revenoint à dix de ces petits, & pouvoint faire une pinte. Ce mesme mardy à l’heure de neuf heures du matin, pendant que les autres disnoint, il se mit dans le bein, & y sua depuis en estre sorti bien fort dans le lict. Il n’y arresta qu’une demy heure ; car ceus du païs qui y sont tout le long du jour à jouer & à boire, ne sont dans l’eau que jusqu’aus reins ; lui s’y tenoit engagé jusques au col, estandu le long de son bein. Et ce jour partit du bein un seigneur Souisse, fort bon serviteur de notre couronne, qui avoit fort entretenu M. de Montaigne tout le jour precedant des affaires du païs de Souisse, & lui montra une lettre que l’ambassadeur de France, fils du président du Harlay (Achille) lui escrivoit de Solurre où il se tient lui recommandant le service du roi pendant son absence, etant mandé par la Reine de l’aller trouver à Lion, & de s’opposer aus desseins d’Espaigne & de Savoïe. Le Duc de Savoïe qui venoict de deceder, avoit faict alliance il y avoit un an ou deux avec aucuns cantons : à quoy le Roy avoit ouvertemant resisté, allegant que lui estant des-jà obligés, ils ne pouvoint recevoir nulles nouvelles obligations sans son interest; ce que aucuns de cantons avoint gousté, mesme par le moyen dudit Sr. Souïsse, & avoint refusé cette alliance. Ils reçoivent à la vérité le nom du Roy en tous ces quartiers là, avec reverence & amitié, & nous y font toutes les courtoysies qu’il est possible. Les Espaignols y sont mal. Le trein de ce Souisse estoit quatre chevaus. Son fils qui est desja pensionnere du Roy, come le pere sur l’un, un valet sur l’autre, une fille grande & belle sur un autre, avec une housse de drap & planchette à la françoise, une male en croppe & un porte bonnet à l’arçon, sans aucune fame avec elle ; & si estoint à deux grandes journées de leur retrete, qui est une ville où ledit sieur est gouverneur ; le bon homme sur le quatriesme. Les vestemans ordinaires des fames me samblent aussi propres que les nostres, mesme l’acoustremant de teste qui est un bonnet à la cognarde ayant un rebras par derriere, & par devant, sur le front, un petit avancemant : cela est anrichi tout au tour de flocs de foye de bords de forrures ; le poil naturel leur pand par derriere tout cordonné. Si vous leur ostés ce bonnet par jeu, car il ne tient non plus que les nostres, elles ne s’en offencent pas, & voiés leur teste tout à nud. Les plus jeunes, au lieu de bonnet, portent des guirlandes sulemant sur la teste. Elles n’ont pas grande différence de vestemens, pour distinguer leurs conditions. On les salue en baisant la main & offrant à toucher la leur. Autremant, si en passant vous leur faites des bonnetades & inclinations, la pluspart se tiennent plantées sans aucun mouvemant, & est leur façon antienne. Aucunes baissent un peu la teste, pour vous resaluer. Ce sont communéemant belles fames, grandes & blanches. C’est un très bonne nation mesme à ceus qui se conforment à eux. M. de Montaigne, pour essayer tout à fait la diversité des mœurs & façons, se laissoit partout servir à la mode de chaque païs, quelque difficulté qu’il y trouvat. Toutefois en Souisse il disoit qu’il n’en souffroit nulle, que de n’avoir à table qu’un petit drapeau d’un demi pied pour serviette, & le mesme drapeau, les Souisses ne le deplient par sulemant en leur disner & si ont force sauces & plusieurs diversité de potages ; mais ils servent tousjours autant de ceuillieres de bois, manchées d’argent, comme il y a d’homes. Et jamais Souisse n’est sans cousteau, duquel ils prennent toutes choses & ne mettent guiere la main au plat. Quasi toutes leurs villes portent au dessus des armes particulieres de la ville, celes de l’Empereur & de la maison d’Austriche, aussi la pluspart ont esté demambrées dudict archiduché par les mauvais mesnagiers de cette maison. Ils disent là que tous ceus de cette maison d’Austriche, sauf le Roy Catholique, sont réduits à grande povreté, mesmemant l’Empereur qui est en peu d’estimation en Allemaigne. L’eau que M. de Montaigne avoit beu le mardy, lui avoit faict faire trois selles & s’estoit toute vuidée avant mydy. Le mercredy matin, il en print mesme mesure que le jour precedent. Il treuve que, quand il se faict suer au bein, le lendemein il fait beaucoup moins d’urines, & ne rend pas l’eau qu’il a beu ; ce qu’il essaya aussi à Plommieres. Car l’eau qu’il prant lendemein, il la rend colorée & en rend fort peu, par où il juge qu’elle se tourne en aliment soudain, soit que l’évacuation de la sueur precedente le face, ou le jûne ; car lorsqu’il se beignoit, il ne faisoit qu’un repas : cela fut cause qu’il ne se beigna qu’une fois. Le mercredy, son hoste acheta force poissons ; ledict seigneur s’enqueroit pourquoi c’estoit. Il lui fut respondu, que la pluspart dudit lieu de Bade mangeoint poisson le mercredy par religion : ce qui lui confirma ce qu’il avoit ouy dire, que ceus qui tiennent là la religion catholique, y sont beaucoup plus tandus & devotieux par la circonstance de l’opinion contrere. Il discouroit ainsi que: « Quand la confusion & le meslange se faict dans mesmes villes, & se seme en une mesme police, cela relache les affections des hommes. La mixtion se coulant jusques aus individus, com’il advient en Auspourg & villes imperiales » ; mais quand une ville n’a qu’une police (car les villes de Souisse ont chacune leurs lois a part & leur gouvernement chacune à part-soy, ny ne dependent en matiere de leur police les unes des autres, leur conjunction & colligance, ce n’est qu’en certenes conditions générales, les villes qui font une cité à part & un corps civil à part entier, à tous les mambres, elles ont de quoy se fortifier & se meintenir ; elles se fermissent sans doubte & se resserrent & se rejouingnent par la secousse de la contagion vosine ». Nous nous applicames incontinant à la chaleur de leurs poiles, & est nul des nostres qui s’en offençât. Car depuis qu’on a avalé une certene odeur d’air qui vous frappe en entrant, le demurant c’est une chaleur douce & eguale. M. de Montaigne, qui couchoit dans un poile, s’en louoit fort, & de santir toute la nuit une tiedeur d’air plaisante & moderée. Au moins on ne s’y brûle ny le visage ny les botes, & est on quitte des fumées de France. Aussi là, où nous prenons nos robes de chambre chaudes & fourrées entrant au logis, eus au rebours se mettent en pourpoint, & se tiennent la teste descouverte au poile, & s’habillent chaudement pour se remettre à l’air. Le jeudy il but de mesme ; son eau fit opération & par devant & par derriere, & vuidoit du sable non en grande quantité ; & mesme il les trouva plus actives que autres qu’il eust essayées, soit la force de l’eau, ou que son corps fût ainsi disposé, & si en beuvoit moins qu’il n’avoit faict de nulles autres, & ne

les rendoit point si crues comme les autres. Ce jeudy il parla à un ministre de Zurich & natif de là, qui arriva là, & trouva que leur religion premiere estoit Zuinglienne : de laquelle ce ministre lui disoit qu’ils estoint approchés de la Calvinienne, qui estoit un peu plus douce. Et interrogé de la prédestination, lui respondit qu’ils tenoint le moyen entre Genesve & Auguste (Ausbourg) mais qu’ils n’empeschoint pas leur peuple de cette dispute. De son particulier jugement, il inclinoit plus à l’extrême de Zuingle & la haut louoit, come celle qui estoit plus approchante de la premiere Chrestienté. Le vendredy après desjuné, à sept heures du matin, septiesme jour d’Octobre, nous partimes de Bade ; & avant partir, M. de Montaigne beut encore la mesure desdites eaus : ainsy il y beut cinq fois. Sur le doute de leur opération, en laquelle il treuve autant d’occasion de bien esperer qu’en nulles autres, soit pour le breuvage, soit pour le being, il conseilleroit autant volantiers ces beings que nuls autres qu’il eût veus jusques alors, d’autant qu’il y a non seulemant tant d’aysance & de commodité du lieu & du logis, si propre, si bien party, selon la part que chacun en veut, sans subjection ny ampeschemant d’ une chambre à autre, qu’il y a des pars pour les petits particuliers & autres pour les grands. Beings, galeries, cuisines, cabinets, chapelles à part pour un trein, & au logis voisin du nostre, qui se nome la cour de la ville, & le nostre la cour de derriere, ce sont maisons publicques appertenantes à la seigneurie des cantons, & se tiennent par locateres. Il y a audit logis voisin encore quelques cheminées à la françoise. Les maistresses chambres ont toutes des poiles. L’exaction du payement est un peu tyrannique, come en toutes nations, & notamment en la nostre, envers les estrangiers. Quatre chambres garnies de neuf licts, desqueles les deux avoint poiles & un being, nous coustarent un escu par jour chacun des maistres ; & des serviteurs, quatre bats, c’est-à-dire, neuf solds, & un peu plus pour chaque ; les chevaux six bats, qui sont environ quatorze solds par jour ; mais outre cela ils y adjoustarent plusieurs friponneries, contre leur coustume. Ils font gardes en leurs villes & aux beins mesmes, qui n’est qu’un village. Il y a toutes les nuicts deux sentinelles qui roulent autour des maisons, non tant pour se garder des ennemis, que de peur du feu ou autre remuemant. Quand les heures sonnent, l’un d’eux est tenu de crier à haute voix & pleine teste à l’autre, & luy demander quelle heure il est ; à quoy l’autre respond de mesme voix, nouvelles de l’heure, & adjouste qu’il face bon guet. Les fames y font les buées à descouvert & en lieu publicque, dressant près des eaux un petit fouier de bois où elles font chauffer leur eau, & les font meilleures, & fourbissent aussi beaucoup mieux la vaisselle qu’en nos hostelleries de France. Aux hostelleries, chaque chamberiere a sa charge & chaque valet. C’est un mal’heur que, quelque diligence qu’on fasse, il n’est possible que des gens du païs, si on n’en rencontre de plus habiles que le vulgaire, qu’un estrangier soit informé des choses notables de chaque lieu, & ne sçavent ce que vous leur demandés. Je le dis à propos de ce que nous avions esté là cinq jours avec toute la curiosité que nous pouvions, & n’avions oui parler de ce que nous trouvâmes à l’issue de la ville. Une pierre de la hauteur d’un home qui sembloit estre la piece de quelque pilier, sans façon ny ouvrage, plantée a un couin de maison pour paroître sur le passage du grand chemin, où il y a une inscription latine que je n’eus moyen de transcrire ; mais c’est une simple dedicace aus empereurs Nerva & Trajan. Nous vinsmes passer le Rhin à la ville de Keyserstoul qui est des alliées des Souisses, & catholique, & delà suivimes ladite riviere par un trèsbeau plat païs, jusques à ce que nous rencontrâmes des saults, où elle se rompt contre des rochiers, qu’ils appellent les catharactes, comme celles du Nil. C’est que audessoubs de Schaffouse le Rhin rencontre un fond plein de gros rochiers, où il se rompt, & audessoubs, dans ces mesmes rochiers, il rencontre une pante d’environ deux piques de haut, où il faict un grand sault, escumant & bruiant estrangement. Cela arreste le cours des basteaus & interrompt la navigation de la ditte riviere. Nous vinsmes soupper d’une trete à

SCHAFFOUSE, quatre lieues. Ville capitale de l’un des cantons des Souisses de la religion que j’ay susdict, de ceux de Zurich. Partant de Bade, nous laissames Zurich à main droite où M. de Montaigne estoit deliberé d’aller, n’en estant qu’à deux lieues ; mais on lui rapporta que la peste y estoit. A Schaffouse nous ne vismes rien de rare. Ils y font faire une citadelle qui sera assés belle. Il y a une bute à tirer de l’arbalestre, & une place pour ce service, la plus belle, grande & accommodée d’ombrage, de sieges, de galeries & de logis, qu’il est possible ; & y en a une pareille à l’hacquebute. Il y a des moulins d’eau à sier bois, comme nous en avions veu plusieurs ailleurs, & à broyer du lin & à piller du mil. Il y a aussi un abre de la façon duquel nous en avions veu d’autres, mesme à Bade, mais non pas de pareille grandeur. Des premieres branches, & plus basses, ils se servent à faire le planchier d’une galerie ronde, qui a vint pas de diametre ; ces branches, ils les replient contre-mont, & leur font embrasser le rond de cette galerie, & se hausser à-mont, autant qu’elles peuvent. Ils tondent après l’abre, & le gardent de jetter jusques à la hauteur qu’ils veulent donner a cette galerie, qui est environ de dix pieds. Ils prennent là les autres branches qui viennent à l’abre, lesqueles ils couchent sur certennes clisses pour faire la couverture du cabinet, & depuis les plient en bas, pour les faire joindre à celles qui montent contre-mont, & remplissent de verdure tout ce vuide. Ils retondent encor après cela l’abre jusques à sa teste, où ils y laissent espandre ses branches en liberté. Cela rend une très belle forme & est un très bel abre. Outre cela, ils ont faict fourdre à son pied un cours de fontene qui se verse audessus du planchier de cette galerie. M. de Montaigne visita les Bourguemaistres de la ville, qui, pour le gratiffier avecques autres officiers publiques, vindrent soupper à nostre logis, & y firent presenter du vin à M. d’Estissac & à lui. Ce ne fut sans plusieurs harangues cerimonieuses d’une part & d’autres. Le principal Bourguemaistre estoit gentil’homme & nourri page ches feu M. d’Orleans, qui avoit desja tout oublié son françois. Ce canton fait profession d’estre fort nostre, & en a donné ce tesmoignage recent, d’avoir refusé à nostre faveur la confederation que feu M. de Savoïe recherchoit aver les cantons, de quoy j’ay faict cy dessus mention. Le samedy 8e d’Octobre, nous partismes au matin à huit heures, après desjuné, de Schaffouse, où il y a très bon logis à la Couronne. Un homme savant du païs, entretint M. de Montaigne ; & entre autres choses, de ce que les habitants de cette ville ne soint, à la vérité, guierre affectionnés à notre Cour ; de maniere que toutes les deliberations où il s’etoit trouvé touchant la conféderation avec le Roy, la plus grande partie du peuple estoit toujours d’avis de la rompre : mais que par les menées d’aucuns riches, cela se conduisoit autremant. Nous vismes au partir, un engin de fer que nous avions veu aussi ailleurs ; par lequel on souleve les grosses pierres, sans s’y servir de la force des hommes pour charger les charretes. Nous passames le long du Rhin, que nous avions à notre mein droite ; jusques à Stain, petite Ville alliée des cantons, de mesme religion que Schaffouse. Si est ce qu’en chemin, il y avoit force croix de pierre, où nous repassames le Rhin sur un autre pont de bois, & coutoyant la rive, l’aïant à notre main gauche, passames le long d’un autre petite ville, aussi des alliées des cantons catholicques. Le Rhin s’espand là en une merveilleuse largeur, come est notre Garonne davant Blaye, & puis se resserre jusques à

CONSTANCE, quatre lieues, où nous arrivames sur les quatre heures. C’est une ville de la grandeur de Chalons, apertenant à l’Archiduc d’Austriche, & catholicque, parce qu’elle a esté autrefois, & depuis trente ans, possédée par les Lutheriens, d’où l’Empereur Charles Ve les deslogea par force. Les Eglises s’en sentent encores aus images. L’Evesque qui est Gentilhome du païs & Cardinal, demeurant à Rome, en tire bien quarante mille escus de revenu. Il y a des chanoinies, en l’Eglise Nostre Dame, qui valent mille cinq cens florins, & sont à des Gentilshomes. Nous en vismes un à cheval, venant de dehors, vetu licentieusement comme un home de guerre ; aussi dit-on qu’il y a force Lutériens dans la ville. Nous montasmes au clochier qui est fort haut, & y trouvames un homme attaché pour santinelle, qui n’en part jamais quelque occasion qu’il y ait, & y est enfermé. Ils dressent sur le bord du Rhin, un grand batimant couvert, de cinquante pas de long & quarante de large ou environ ; ils mettront-là douze ou quinze grandes roues, par le moyen desqueles ils esleveront sans cesse grande quantité d’eau, sur un planchié qui sera un estage au dessus, & autres roues de fer en pareil nombre, car les basses sont de bois, & releveront de mesme de ce planchier à un autre audessus. Cett’eau, qui estant montée a cette hauteur, qui est environ de cinquante piés, se degorgera par un grand & large canal artificiel, se conduira dans leur ville, pour y faire moudre plusieurs moulins. L’artisan qui conduisoit cette maison, seulemement pour sa main, avoit cinq mille sept cens florins, & fourni outre cela de vin. Tout au fons de l’eau, ils font un planchier ferme tout au tour, pour rompre, disent-ils, le cours de l’eau, & affin que dans cet estuy elle s’endorme, affin qu’elle s’y puisse puiser plus ayséemant. Ils dressent aussi des engeins, par le moyen desquels on puisse hausser & baisser tout ce rouage, selon que l’eau vient à estre haute ou basse. Le Rhin n’a pas là ce nom : car à la teste de la ville, il s’estand en forme de lac, qui a bien quatre lieues d’Allemaigne de large, & cinq ou six de long. Ils ont une belle terrasse, qui regarde ce grand lac en pouinte, où ils recueillent les marchandises ; & à cinquante pas de ce lac, une belle maisonnette où ils tiennent continuellemant une santinelle ; & y ont attaché une cheine par laquelle ils ferment le pas de l’antrée du pont, ayant rangé force pals qui enferment des deux costés cete espace de lac, dans lequel espace se logent les bateaus & se chargent. En l’Eglise Nostre Dame, il y a un conduit, qui, au dessus du Rhin, se va rendre au faux-bourg de la ville. Nous reconnumes que nous perdions le païs de Souisse, à ce que un peu avant que d’arriver à la ville, nous vismes plusieurs maisons de gentil’homes ; car il ne s’en voit guieres en Souisse. Mais quant aus maisons privées, elles sont & aus villes & aus champs, par la route que nous avons tenu, sans compareison plus belles qu’en France, & n’ont faute que d’ardoises, & notament les hosteleries, & meilleur traitemant ; car ce qu’ils ont à dire pour nostre service, ce n’est pas par indigence, on le connoit assés au reste de leur équipage ; & n’en est point où chacun ne boive en grands vaisseaux d’argent, la plus-part dorés & labourés, mais ils sont à dire par coutume. C’est un païs très fertile, notament de vins. Pour revenir a Constance, nous fumes mal logés à l’aigle, & y reçeumes de l’hoste un trait de la liberté & fierté barbare Alemanesque, sur la querelle de l’un de nos homes de pied avec nostre guide de Basle. Et parce que la chose en vint jusques aus juges, ausquels il s’alla pleindre, le Prevot du lieu, qui est un Gentilhome Italien, qui est là habitué & marié, & a droit de bourgeoisie il y a longtemps, respondit à M. de Montaigne, sur ce qu’on l’enqueroit, si les domestiques serviteurs dudit seigneur seroint crus en tesmoignage pour nous : il respondit que oui, pourveu qu’il leur donnat congé, mais que soudain après il les pourroit reprendre à son service. C’étoit une subtilité remercable. Lendemein qui fut Dimenche, à cause de ce désordre, nous arrestames jusques après disner, & changeames de logis au brochet, où nous fumes fort bien. Le fils du Capitene de la ville, qui a esté nourri page chez M. de Meru, accompaigna tous-jours Messieurs à leur repas & ailleurs ; si ne sçavoit-il nul mot de françois. Les services de leurs tables se changent souvent. On leur donna là, & souvent depuis, après la nappe levée, d’autres nouveaus services parmy les verres de vin : le premier, des canules, que les Guascons appellent; après, du pain d’espice, & pour le tiers un pain blanc, tandre, coupé à taillades, se tenant pourtant entier ; dans les descoupures, il y a force espices & force sel jetté parmy, & audessus aussi de la croûte de pain. Cette contrée est extresmement pleine de Ladreries, & en sont les chemins tout pleins. Les gens de village servent au desjuner de leurs gens de travail, des fouasses fort plattes, où il y a du fenouil, & au dessus de la fouasse des petits lopins de lard hachés fort menus & des gosses d’ail. Parmi les Alemands, pour honorer un home, ils gaignent tousjours son costé gauche, en quelque assiete qu’il soit ; & prennent à offense de se mettre à son costé droit, disant que pour déferer à un home, il faut lui laisser le costé droit libre, pour mettre la main aux armes. Le dimenche après disner nous partimes de Constance ; & après avoir passé le lac à une lieue de la ville, nous en vinsmes coucher à

SMARDOFF, deux lieues, qui est une petite ville Catholicque ; à l’enseigne de Coulogne, & logeames à la poste qui y est assise pour le passage d’Italie en Alemaigne, pour l’Empereur. Là, come en plusieurs autres lieus, ils remplissent les paillasses de feuilles de certein abre qui sert mieus que la paille & dure plus longtemps. C’est une ville entournée d’un gran païs de vignes, où il croît de très bons vins. Le lundy 10 d’Octobre, nous partismes apres des-juner : car M. de Montaigne fut convié par le beau jour de changer de dessein d’aller à Raresbourg ce jour-là, & se destourna d’une journée pour aller a Linde. M. de Montaigne ne des-junoit jamais, mais on lui apportoit une pièce de pein sec qu’il mangeoit en chemin, & éstoit par fois eidé des resins qu’il trouvoit, les vendanges se feisant encores en ce païs-là, le païs estant plein de vignes, & mesmes autour de Linde. Ils les soulevent de terre en treilles, & y laissent force belles routes pleines de verdure, qui sont très-belles. Nous passames une ville nommée Sonchem, qui est Impériale Catholicque, sur la rive du lac de Constance ; en laquelle ville toutes les marchandises d’Oulme de Nuremberg & d’ailleurs se rendent en charrois, & prennent delà la route du Rhin par le lac. Nous arrivasmes sur les trois heures après midy à

LINDE, trois lieues, petite ville assise à cent pas avant dans le lac, lesquels cent pas on passe sur un pont de pierre: il n’y a que cette entrée, tout le reste de la ville estant entourné de ce lac. Il a bien une lieue de large, & au delà du lac naissent les montaignes des Grisons. Ce lac & toutes les rivieres de là autour sont basses en hiver, & grosses en été, à cause des neges fondues. En tout ce pays les fames couvrent leur teste de chappeaus ou bonnets de fourrure, come nos calotes ; le dessus, de quelque fourrure plus honeste, come de gris, & ne coute un tel bonnet que trois testons, & le dedans d’eigneaus. La fenêtre qui est au devant de nos calotes, elles la portent en derrière, par où paroît tout leur poil tressé. Elles sont aussi volantiers chaufféees de botines ou rouges ou blanches, qui ne leur siesent pas mal. Il y a exercice de deux Religions. Nous fumes voir l’Eglise catholicque batie l’an 866, où toutes choses sont en leur entier, & vismes aussi l’Eglise de quoi les Ministres se servent. Toutes les villes Impériales ont liberté de deux Religions Catholicque & Lutériene, selon la volanté des habitans. Ils s’appliquent plus ou moins à cele qu’ils favorisent. A Linde il n’y a que deus ou trois Catholicques, à ce que le prestre dît à M. de Montaigne. Les prestres ne laissent pas d’avoir leur revenu libre & de faire leur office, come font aussi des Noneins qu’il y a. Ledit sieur de Montaigne parla aussi au Ministre, de qui il n’apprint pas grand chose, sauf la haine ordineire contre Zuingle & Calvin. On tient qu’à la vérité il est peu de villes qui n’ayent quelque chose de particulier en leur créance, & sous l’autorité de Martin qu’ils reçoivent pour chef, ils dressent plusieurs disputes sur l’interprétation du sens ez escrits de Martin. Nous lojames à la Couronne, qui est un beau logis. Au lambris du poile il y avoit une forme de cage de mesme le lambris, à loger grand nombre d’oiseaus ; ell’avoit des allées suspenduës & accommodées de fil d’aréchal, qui servoint d’espace aus oiseaus d’un bout à l’autre du poile. Ils ne sont meublés ny fustés que de sapin qui est l’abre le plus ordinere de leurs forests ; mais ils le peignent, vernissent & nettoyent curieusemant, & ont mêmes des vergettes de poil de quoi ils époussetent leurs bancs & tables. Ils ont grande abondance de chous-cabus quils hachent menus a tout un instrumant exprès, & ainsi haché en mettent grande quantité dans des cuves à tout du sel, de quoi ils font des potages tout l’hiver. Là M. de Montaigne essaya à se faire couvrir au lict d’une coite, come c’est leur coutume & se loua fort de cet usage, trouvant que c’estoit une couverture & chaude & legiere. On n’a à son avis à se plaindre que du coucher pour les homes délicats ; mais qui porteroit un materas qu’ils ne connoissent pas là, & un pavillon dans ses coffres, il n’y trouveroit rien à dire : car quant au tretemant de table, ils sont si abondans en vivres, & diversifient leur service en tant de sortes de potages, de sauces, de salades, come hors de nostre usage. Ils nous ont presanté des potages faicts de couins ; d’autres de pommes cuites taillées à ruelles sur la souppe, & des salades de chous-cabus. Ils font aussi des brouets, sans pein, de diverses sortes, come de ris où chacun pesche en commun, (car il n’y a nul service particulier), & cela d’un si bon goust, aus bons logis, que à pene nos cuisines de la noblesse francèse lui sembloint comparables, & y en a peu qui ayent des sales si parées. Ils ont grande abondance de bon poisson qu’ils mêlent au service de chair ; ils y desdeingnent les truites & n’en mangent que le foye ; ils ont force gibier, bécasses, levreaux, qu’ils acoutrent d’une façon fort esloingnée de la nostre, mais aussi bonne au moins. Nous ne vismes jamais des vivres si tendres com’ils les servent communéemant. Ils meslent des prunes cuites, des tartes de poires & de pommes au service de la viande, & mettent tantost le rôti le premier & le potage à la fin, tantost au rebours. Leur fruict, ce ne sont que poires, pommes qu’ils ont fort bonnes, noix & formage. Parmi la viande, ils servent un instrumant d’arjant ou d’estein, à quatre logettes, ou ils mettent diverses sortes d’épisseries pilées & ont du cumin ou un grein semblable, qui est piquant & chaut, qu’il meslent à leur pein, & leur pein est la pluspart faict avec du fenouil. Après le repas ils remetent sur la table des verres pleins & y font deux ou trois services de plusieurs choses qui esmeuvent l’altération. M. de Montaigne trouvoit à dire trois choses en son voïage : l’une, qu’il n’eût mené un cuisinier pour l’instruire de leurs façons & en pouvoir un jour faire voir la preuve chez lui ; l’autre qu’il n’avoit mené un valet Allemand, ou n’avoit cherché la compagnie de quelque Gentilhomme du païs (car de vivre à la mercy d’un bélitre de guide, il y sentoit une grande incommodité) ; la tierce, qu’avant faire le voyage, il n’avoit veu les livres qui le pouvoint avertir des choses rares & remarcables de chaque lieu, ou n’avoit un Munster, ou quelque autre dans ses coffres. Il mêloit à la vérité à son jugement un peu de passion du mespris de son païs qu’il avoit à haine & à contrecœur pour autres considérations ; mais tant y a qu’il préferoit les commodités de ce païs-là sans compareson aux Francèses, & s’y conforma jusqu’à y boire le vin sans eau. Quant à boire à l’envi, il n’y fut jamais convié que de courtoisie & ne l’entreprit jamais. La cherté en la haute Allemaigne est plus grande qu’en France ; car à nostre conte l’home & cheval despanse pour le moins par jour une escu au soleil. Les hostes content en premier lieu le repas à quatre, cinq ou six bas pour table d’hoste. Ils font un autre article de tout ce qu’on boit avant & après ces deux repas, & les moindres colations ; de façon que les Alemans partent communéemant le matin du logis sans boire. Les services qui se font après le repas, & le vin qui s’y emploïe, en quoi va pour eus la principale despance, ils en font un conte avec les colations. A la vérité, à voir la profusion de leurs services, & notammant du vin, là-mesmes où il est estrememant cher & apporté de païs loingtain, je treuve leur cherté excusable. Ils vont eux mesmes conviant les serviteurs à boire & leur font tenir table deux ou trois heures. Leur vin se sert dans des vaisseaus come grandes cruches, & est un crime de voir un gobelet vuide qu’ils ne remplissent soudein, & jamais de l’eau, non pas à ceus mesme qui en demandent, s’ils ne sont bien respectés. Ils content après l’avoine des chevaus, & puis l’estable, qui comprend aussi le foin. Ils ont cela de bon qu’ils demandent quasi du premier mot ce qu’il leur faut, & ne guaigne-t-on guiere à marchander. Ils sont glorieux, choleres & yvrognes, mais ils ne sont, disoit M. de Montaigne, ny trahistes, ny voleurs. Nous partimes delà après desjeuner, & nous randimes sur les deux heures après midi à

VANGUEN, deux lieues, ou l’inconvéniant du mulet de coffres, qui se blessoit, nous arresta par force, & fumes contreins de louer une charrete pour le lendemein, à trois escus par jour ; le charretier qui avoit quatre chevaus, se nourrissant de là. C’est une petite ville impériale qui n’a jamais voulu recevoir compagnie d’autre religion que catholicque, en laquelle se font les faulx si fameuses, qu’on les envoïe vendre jusques en Lorrene. Il en partit lendemein, qui fut le mercredy au matin 12 d’Octobre, & tourna tout-court vers Trante par le chemein le plus droit & ordinere, & nous en vinsmes disner à

ISNE, deux lieues, petite ville Impériale & très plesammant disposée. M. de Montaigne, come estoit sa coustume, alla soudein trouver un docteur théologien de cette ville, pour prendre langue, lequel docteur disna avec eux. Il trouva que tout le peuple estoit lutérien, & vit l’Eglise lutériene qui a esté usurpée, come les autres qu’ils tiennent ès villes impériales, des églises catholiques. Entr’autres propos qu’ils eurent ensamble sur le sacremant, M. de Montaigne s’avisa qu’aucuns Calvinistes l’avoint averty en chemein, que les Lutériens mesloint aux antiennes opinions de Martin, plusieurs erreurs estranges, come l’Ubiquisme, maintenant le corps de Jesus-Christ éstre partout com’en l’hostie ; par où ils tomboint en mesme inconveniant de Zuingle, quoi que ce fût par diverses voïes : l’un par trop espargner la presance du corps, l’autre pour la trop prodiguer (car à ce conte le sacremant n’avoit nul priviliege sur le corps de l’Eglise, ou assemblée de trois homes de bien) ; & que leur principaux argumans estoint que la divinité estoit inseparable du corps, par quoi la divinité estant partout, que le corps l’estoit aussi. Secondemant, que Jesus-Christ devant estre tous-jours à la dextre du père, il estait par-tout, d’autant que la dextre de Dieu, qui est sa puissance est partout. Ce Docteur nioit fort de parolle cette imputation, & s’en défendoit come d’une calomnie, mais par effect, il semble à M. de Montaigne qu’il ne s’en couvroit guère bien. Il fit compagnie à M. de Montaigne à aler visiter un monastere très-beau & sumptueux, où la messe se disoit, & y entra & assista sans tirer le bonnet, jusques à ce que MM. d’Estissac & de Montaigne eussent faict leurs oraisons. Ils alarent voir dans une cave de l’Abaïe une pierre longue & ronde, sans autre ouvrage, arrachée, come il semble, d’un pilier, où en lettres latines fort lisables cette inscriptron est : que les Empereurs Pertinax & Antoninus Verus ont refaict les chemins & les ponts, à unze mille pas de Campidonum, qui est Kempten, où nous alames coucher. Cette pierre pouvoit estre là come sur le chemein du rabillage, car ils tiennent que ladite ville d’Isne n’est pas fort antienne. Toutefois ayant reconnu les avenues dudit Kempten d’une part & d’autre, outre ce qu’il n’y a nul pont, nous ne pouvions reconnetre nul rabillage digne de tels ouvriers. Il y a bien quelques montaignes antrecoupées, mais ce n’est rien de grande manufacture.

KEMPTEN, trois lieues, une ville grande corne Sainte-Foi, très belle & peuplée & richemant logée. Nous fumes à l’Ours, qui est un très beau logis. On nous y servit de grands tasses d’arjant de plus de sortes, (qui n’ont usage que d’ornemant, fort labourées & semées d’armoiries de divers Seigneurs), qu’il ne s’en tient en guiere de bones maisons. Là se tesmoigna ce que disoit ailleurs (M. de Montaigne) que ce qu’ils oblient du notre, c’est qu’ils le méprisent ; car aïant grand’foison de vesselle d’estain, escurée com’à Montaigne, ils ne servirent que des assiettes de bois, très-polies à la vérité & très-belles. Sur les sieges en tout ce païs, ils servent des coussins pour se soir, & la pluspart de leurs planchiers lambrissés sont voutés com’en demy croissant, ce qui leur donne une belle grace. Quant au linge de de quoy nous nous pleignions au commencemant, onques puis nous n’en eûmes faute, & pour mon maistre je n’ay jamais failli à en avoir pour lui en faire des rideaus au lict ; & si une serviette ne lui suffisoit, on lui en changeoit à plusieurs fois. En cette Ville, il y a tel Marchand qui faict traficque de cant mille florins de toiles. M. de Montaigne, au partir de Constance, fût alé à ce canton de Souisse, d’où viennent les toiles à toute la Crestienté, sans ce que, pour revenir à Linde, il y avoit pour quatre ou cinq heures de traject du lac. Cete Ville est Luterienne, & ce qu’il y a d’estrange, c’est que, com’à Isne, & là aussi l’Eglise catholique y est servie très-solemnellement : car le lendemein qui fut jeudy matin, un jour ouvrier, la messe se disoit en l’Abbaye hors la Ville, com’elle se dict à Notre Dame de Paris le Jour de Pasques, avec Musicque & Orgues, où il n’y avoit que les Religieus. Le peuple, au dehors des Villes impériales, n’a pas eu cette liberté de changer de religion. Ceus-là vont les fêtes à ce service. C’est une très belle Abbaïe. L’Abbé la tient en titre de principauté, & lui vaut cinquante mille florins de rante. Il est de la maison d’Estain. Tous les Religieux sont de nécessité jantilshomes. Hildegarde, fame de Charlemaigne, la fonda l’an 1783, & y est enterrée & tenue pour Sainte ; ses os ont été déterrés d’une cave où ils estoint, pour être enlevés en une châsse. Le mesme jeudy matin, M. de Montaigne ala à l’Eglise des Luteriens, pareille aus autres de leur secte & huguenotes : sauf qu’à l’endret de l’Autel qui est la teste de la Nef, il y a quelques bancs de bois qui ont des accoudoirs audessous, afin que ceus qui reçoivent leur cène, se puissent mettre à genous, com’ils font. Il y rancontra deux Ministres vieus, dont l’un preschoit en Alemant, à une assistance non guiere grande. Quand il eut achevé, on chanta un psalme en Alemant, d’un chant un peu esloigné du nostre. A chaque verset il y avoit des orgues qui ont esté mises freschemant, très-belles, qui respondoint en musique ; autant de fois que le prêcheur nomoit Jesus Christ, & lui & le peuple tiroint le bonnet. Après ce sermon, l’autre Ministre s’alla mettre contre cet autel le visage tourné vers le peuple, aïant un livre à la mein, à qui s’ala presenter une jeune fame, la teste & les poils espars, qui fit là une petite reverance à la mode du païs, & s’arrêta là seule debout : tantost après un garçon, qui estoit un artisan, à tout une espée au costé, vint aussi se presanter & mettre à coté de cete fame. Le Ministre leur dict à tous deux quelques mots à l’oreille, & puis commanda que chacun dit le pate-nostre, & après se mit à lire dans un livre. C’estoint certenes règles pour les jans qui se marient, & les fit toucher à la mein l’un de l’autre, sans le baiser. Cela faict, il s’en vint, & M. de Montaigne le print ; ils devisarent long-tamps ensamble ; il mena ledit sieur en sa maison & étude, belle & bien accommodée ; il se nome Johannes Tilianus, Augustanus. Ledit sieur demandoit une confession nouvelle, que les Luteriens ont faite, où tous les docteurs & princes qui la soutiennent, sont signés ; mais elle n’est pas en latin. Com’ils sortoint de l’eglise, les violons & tabourins sortoint de l’autre costé qui conduisoint les mariés. A la demande qu’on lui fit, s’ils permettoint les danses : il respondit, pourquoi non: A cela : pourquoi aus vitres & en ce nouveau batimant d’orgues, ils avoint faict peindre Jesus Christ & force images ? que ils ne defandoint pas les images, pour avertir les homes, pourveu que l’on ne les adorât pas. A ce : pourquoi donq ils avoint osté les images antiennes des Eglises? que ce n’estoint pas eus, mais que leurs bons disciples les Zuingliens, incités du malin esprit, y estoint passés avant eus, qui avoint faict ce ravage, come plusieurs autres : qui est cete incline response, que d’autres de cete profession avoint faicte audict sieur ; mesme le docteur d’Isne, à qui quand il demanda s’il haïssoit la figure & effigie de la croix, il s’écria soudein : comant serois-je si atheiste de haïr cette figure si heureuse & glorieuse ans Crestiens! que s’estoit des opinions diaboliques. Celui là mêmes dict tout détrousséemant en dinant, qu’il aimeroit mieux ouir çant messes, que de participer à la cène de Calvin. Audict lieu on nous servit des lièvres blancs. La ville est assise sur la rivière d’Hier, nous y disnames ledict Jeudy, & nous en vinmes par un chemin montueus & stérile, coucher à

FRIENTEN, quatre lieues, petit village catholicque, come tout le reste de cette contrée, qui est à l’Archiduc d’Austriche. J’avois oblié de dire sur l’article de Linde, qu’à l’antree de la ville il y a un grand mur qui tesmoingne une grande antiquité, où je n’aperceu rien d’escrit. J’antan que son nom en Alemant signifie vieille muraille, qu’on m’a dict venir de là. Le vendredy au matin, quoique ce fût un bien chetif logis, nous n’y laissâmes pas d’y trouver force vivres. Leur costume est de ne chauffer jamais ny leurs linceuls pour se coucher, ny leurs vestemans pour se lever, & s’offencent si on alume du feu en leur cuisine pour cet effect, ou si on s’y sert de celui qui y est ; & est une des plus grandes querelles qui nous eussions par les logis. Là, même au milieu des montaignes & des forets où dix mille pieds de sapin ne coustent pas cinquante sols, ils ne vouloint permettre non plus qu’ailleurs que nous fissions du feu. Vendredy matin nous en partimes & reprimes à gauche le chemin plus dous, abandonnant le santier des montaignes qui est le droit vers Trante. M. de Montaigne estant d’avis de faire le detour de quelques journées, pour voir certaines belles villes d’Allemaigne, & se repantant de quoi, à Vanguen, il avoit quitté le dessein d’y aler, qui estoit le sien premier, & avoit pris cet’autre route. En chemin nous rencontrames, come nous avions faict ailleurs en plusieurs lieux, les moulins à eau, qui ne reçoivent l’eau que par une goutiere de bois qui prand l’eau au pied de quelque haussure, & puis eslevée bien haut hors de terre & appuyée, vient à degorger sa course par une pante fort drette qu’on lui donne au bout de cette goutiere, & vinmes disner à

FRIESSEN, une lieue : c’est une petite ville catholicque apertenante à l’Evesque d’Auguste : nous y trouvasmes force gens du trein de l’Archiduc d’Autrische qui estoint en un chateau voisin de là avec le duc de Baviere. Nous mismes là sur la riviere de Lech les coffres, & moi avec d’autres, pour les conduire à Augsbourg sur un floton, qu’ils noment : ce sont des pieces de bois jointes ensamble qui s’estandent quand on est à port. Il y a là une Abbaïe : on montra à Messieurs un calice & un’estole, qu’on tient en reliquere, d’un seint qu’ils noment Magnus, qu’ils disent avoir esté fils d’un roi d’Escosse & disciple de Colombanus. En faveur de ce Magnus, Pepin fonda ce monastere, & l’en fit premier Abbé, & y a ce mot escrit au haut de la nef, & au-dessus dudict mot des notes de musicque pour lui donner le son : Compertâ virtute beati Magni famâ, Pipinus Princeps locum quem Sanctus incoluit regia largitate donavit. Charlemaigne l’enrichit depuis, come il est aussi escrit audict monastere. Après disner, vinsmes les uns & les autres coucher à

CHONGUEN, quatre lieues, petite ville du Duc de Baviere, & par conséquent exactemant catholicque : car ce Prince, plus que nul autre en Allemaigne, a maintenu son ressort pur de contagion, & s’y opiniâtre. C’est un bon logis à l’estoile, & de nouvelle cerimonie ; on y rangea les salieres en une table carrée de couin en couin, & les chandeliers aus autres couins, & en fit on une croix S. André. Ils ne servent jamais d’œufs, au moins jusques lors, si ce n’est durs, coupés à quartiers dans des salades qu’ils y ont fort bones, & des herbes fort fresches ; ils servent du vin nouveau, communéemant soudein après qu’il est faict, ils battent les bleds dans les granges à mesure qu’ils en ont besoin, & battent le bled du gros bout du fléau. Le samedy alames disner à

LANSPERGS, quatre lieues, petite ville audit Duc de Baviere, assise sur ladite rivière de Lech, très-belle pour sa grandeur, ville, faubourg & château. Nous y arrivasmes un jour de marché, où il y avoit un grand nombre de puple, & au milieu d’une fort grande place une fonteine qui élance par çant tuieaus l’eau à une pique de hauteur, & l’esparpille d’une façon très artificielle, où on contourne les tuieaus là où l’on veut. Il y a une très belle Eglise, & à la ville & au faubourg qui sont contre mont, une droite coline, com’est aussi le château. M. de Montaigne y alla trouver un Colliege de Jésuites qui y sont fort bien accommodés d’un bâtimant tout neuf, & sont après à bâtir une belle Eglise. M. de Montaigne les entretint, selon le loisir qu’il en eut. Le conte de Helfestein commande au château. Si quelqu’un songe autre religion que la Romene, il faut qu’il se taise. A la porte qui sépare la ville du fauxbourg, il y a une grande inscription latine de l’an 1552, où ils disent en ces mots que Senatus Populusque de cette ville, ont bati ce monumant à la mémoire de Guillaume & de Louys freres, Ducs utriusque Boïariæ. Il y a force autres devises en ce lieu mesmes, come cetecy: horridum militem esse decet, nec auro coelatum, sed animo & ferro fretum ; & à la teste, caveat stultorum mundus. Et en un autre andret fort apparent, des mots extraits de quelque historien latin, de la victoire que le Consul Marcellus perdit contre un Roi de cete nation: Carolami Boïorumque Regis cum Marcello Cos. pugna quâ eum vicit, &c. II y a plusieurs autres bones devises latines aus portes privées. Ils repeingnent souvent leurs viles, ce qui leur donne un visage tout fleurissant, & à leurs Eglises ; & com’a point nomé à la faveur de nostre passage, depuis trois ou quatre ans, elles estoint quasi toutes renouvelées où nous fumes ; car ils mettent les dates de leur ouvrage. L’horologe de cete vile, comme d’autres plusieurs de ce païs-là, sone tous les quarts d’heures, & dict-on que celui de Nuremberch sone les minutes. Nous en somes partis après disner, par une longue pleine de pascage fort unie, come la pleine de la Beausse, & nous rendismes à

AUGSBOURG, quatre lieues, qui est estimée la plus belle ville d’Almaigne, come Strasbourg la plus forte. Le premier appret étrange, & qui montre leur propreté, ce fut de trouver à notre arrivée les degrés de la vis de notre logis tout couvert de linges, par dessus lesquels il nous falloit marcher, pour ne salir les marches de leur vis qu’on venoit de laver & fourbir, come ils font tous les samedis ; nous n’avons jamais aperçeu d’araignée ni de fange en leur logis ; en aucuns il y a des rideaux pour estandre au devant leurs vitres, qui veut. Il ne se trouve guiere de tables aus chambres, si ce n’est celes qu’ils attachent au pié de chaque lict qui pandent là à tout des gons, & se haussent & baissent, come on veut. Les pieds des licts sont élevés de deux ou trois pieds au dessus du corps du lict, & souvent au niveau du chevet, le bois en est fort beau & labouré ; mais notre noyer surpasse de beaucoup leur sapin. Ils servoint là aussi les assietes d’estein très luisantes, au dessous de celes de bois par dedein ; ils metent souvent contre la paroy, à côté des licts, du linge & des rideaus, pour qu’on ne salisse leur muraile en crachant. Les Alemans sont fort amoureux d’armoiries ; car en tous les logis, il en est une miliasse que les passans jantils-homes du païs y laissent par les parois, & toutes leurs vitres en sont fournies. L’ordre du service y change souvent ; ici les ecrevilles furent servies les premieres, qui partout ailleurs se servoint avant l’issue, & d’une grandeur estrange. En plusieurs hosteleries, des grandes, ils servent tout à couvert. Ce qui fait si fort reluire leurs vitres, c’est qu’ils n’ont point des fenestres attachées à nostre mode, & que leurs chassis se remuent quand ils veulent, & fourbissent leurs verrieres fort souvent. M. de Montaigne, le landemein qui estoit dimenche, matin, fut voir plusieurs Eglises, & aus Catholicques qui sont en grand nombre, y trouva partout le service fort bien faict. Il y en a six Luteriennes & seize Ministres ; les deux des six sont usurpées des Eglises Catholicques, les quatre sont batties par eux. Il en vit une ce matin, qui samble une grand’salle de Colliege : ny images, ny orgues, ny crois. La muraille chargée de force escris en Alemant, des passages de la bible ; deux cheses, l’une pour le Ministre, & lors il y en avoit un qui prechoit, & au dessous une autre où est celui qui achemine le chant des psalmes. A chaque verset ils atendent que celui là donne le ton au suivant ; ils chantent pesle mesle, qui veut, & couvert qui veut. Après cela un Ministre qui estoit dans la presse, s’en alla à l’autel, où il leut force oresons dans un livre, & à certenes oresons, le peuple se levoit & joingnoit les meins, & au nom de Jésus-Christ faisoit des grandes reverances. Après qu’il eut achevé de lire descouvert, il avoit sur l’autel une serviette, une eguiere & un saucier où il y avoit de l’eau ; une fame suivie de douze autres fames lui presanta un enfant emmailloté, le visage découvert. Le Ministre à tout ses doits print trois fois de l’eau dans ce saucier, & les vint lançant sur le visage de l’enfant & disant certenes paroles. Cela faict, deux homes s’aprocharent & chacun d’eus mit deus doigs de la mein droite sur cet enfant: le Ministre parla à eus, & ce fut fait. M. de Montaigne parla à ce Ministre en sortant. Ils ne tauchent à nul revenu des eglises, le Senat en public les païe ; il y avoit beaucoup plus de presse en cette église sule, qu’en deux ou trois Catholicques. Nous ne vismes nulle belle fame ; leurs vetemans sont fort differans les uns des autres ; entre les homes, il est mal-aysé de distinguer les nobles, d’autant que toute façon de jans portent leurs bonets de velours, & tous des espées au costé ; nous estions logés à l’enseigne d’un abre nomé linde au païs, joingnant le palais des Foulcres. L’un de cete race mourant quelques années y a, laissa deux millions d’escus de France vaillant à ses heritiers ; & ces heritiers, pour prier pour son ame, donnarent aus Jesuites qui sont là trente mille florins contans, de quoi ils se sont très bien accommodés. Laditte maison des Foulcres est couverte de cuivre. En general les maisons sont beaucoup plus belles, grandes & hautes qu’en nulle ville de France, les rues beaucoup plus larges ; il l’estime de la grandeur d’Orleans. Après disner nous fumes voir escrimer en une sale publicque où il y avoit une grand’presse, & païe-t-on à l’antrée, com’aus bâteleurs, & outre cela les sieges des bancs. Ils y tirarent au pouignard, à l’espée à deus mains, au bâton à deus bouts, & au braquemart ; nous vimes après des jeus de pris à l’arbaleste & à l’arc, en lieu encore plus magnifique que à Schafouse. De là à une porte de la ville par où nous étions entrés, nous vimes que sous le pont où nous etions passés, il coule un grand canal d’eau qui vient du dehors de la ville, & est conduit sur un pont de bois audessous de celui sur lequel on marche, & au dessus de la riviere qui court par le fossé de la ville. Ce canal d’eau va bransler certenes roues en grand nombre qui remuent plusieurs pompes, & haussent par deux canaus de plomb l’eau d’une fontene qui est en cet endret fort basse, en haut d’une tour, cinquante pieds de haut pour le moins. Là elle se verse dans un grand vesseau de pierre, & de ce vesseau par plusieurs canaus se ravale en bas, & de-là se distribue par la ville, qui est par ce sul moyen toute peuplée de fontenes. Les particuliers qui en veulent un doit pour eus, il leur est permis, en donnant à la vile dix florins de rente ou deux cents florins une fois païés. Il y a quarante ans qu’ils se sont ambellis de ce riche ouvrage. Les mariages des Catholicques aus Luteriens se font ordineremant, & le plus desireus subit les lois de l’autre ; il y a mille tels mariages : nostre hoste estoit Catholique, sa fame Luterienne. Ils nettoïent les verres à tout une espousette de poil ammanchée au bout d’un bâton ; ils disent qu’il s’y treuve de très beaus chevaus à quarante ou cinquante escus. Le corps de la ville fit cet honneur à Messieurs d’Estissac & de Montaigne de leur envoier presanter, à leur souper, quatorze grands vesseaus pleins de leur vin, qui leur fut offert par sept serjans vêtus de livrées, & un honorable officier de ville qu’ils conviarent à souper car c’est la coustume, & aus porteurs on faict donner quelque chose ; ce fut un escu qu’ils leur firent donner. L’Officier qui souppa avec eus dict à M. de Montaigne, qu’ils estoint trois en la ville ayant charge d’ainsi gratifier les estrangiers qui avoint quelque qualité, & qu’ils estoint en cette cause en souin de sçavoir leurs qualités, pour suivant cela, observer les cerimonies qui leur sont dues : ils donnent plus de vins aus uns que aus autres. A un Duc, l’un des Bourguemaistres en vient presanter : ils nous prindrent pour barons & chevaliers. M. de Montaigne, pour aucunes raisons, avoit voulu qu’on s’y contrefit, & qu’on ne dict pas leurs conditions, & se promena sul tout le long du jour par la ville ; il croit que cela mesme servit à les faire honorer davantage. C’est un honeur que toutes les villes d’Allemaigne leur ont faict. Quand il passa par l’Eglise Notre-Dame, ayant un froit extrême, (car les frois commençarent à les picquer au partir de Kempten, & avoint eu jusques lors la plus heureuse seson qu’il est possible), il avoit, sans y penser, le mouchoir au nés, estimant aussi qu’einsi sul & très-mal accommodé, nul ne se prendroit garde de lui. Quand ils furent plus apprivoisés avec lui, ils lui dirent que les gens de l’église, avoint trouvé cete contenance estrange. Enfin il encourut le vice qu’il fuioit le plus, de se rendre remercable par quelque façon ennemie du goust de ceus qui le voioient ; car entant qu’en lui est, il se conforme & range aus modes du lieu où il se treuve, & portoit à Auguste un bonet fourré par la ville. Ils disent à Auguste, qu’ils sont exempts, non des souris, mais des gros rats, de quoy le reste de l’Allemaigne est infecté, & là dessus content force miracles, attribuant ce priviliege à l’un de leurs, évesques qui est là en terre ; & de la terre de sa tumbe, qu’ils vendent à petits lopins come une noisete, ils disent qu’on peut chasser cette vermine, en quelque région qu’on la porte. Le lundy nous fumes voir en l’Eglise Notre-Dame la pompe des noces d’une riche fille de la ville & lede, avec un facteur des Foulcres, Vénitian : nous n’y vismes nulle belle fame. Les Foulcres qui sont plusieurs, & tous très-riches, tienent les principaux rengs de cete ville là. Nous vismes aussi deus sales en leur maison, l’une haute, grande, pavée de marbre ; l’autre basse, riche de médailles antiques & modernes, avec une chambrette au bout. Ce sont des plus riches pieces que j’aye jamais veues. Nous vismes aussi la danse de cet’assemblée : ce ne furent qu’Alemandes : ils les rompent à chaque bout de champ, & ramenent seoir les dames qui sont assises en des bancs qui sont par les costés de la sale, à deus rangs, couverts de drap rouge : eus ne se meslent pas à elles. Après avoir faict une petite pose, ils les vont reprendre : ils baisent leurs meins, les dames les reçoivent sans baiser les leurs, & puis leur metant la mein sous l’aisselle, les embrassent & joingnent les joues par le costé, les dames leur metent la mein droite sur l’espaule. Ils dansent & les entretiennent, tout descouverts, & non fort richemant vetus. Nous vismes d’autres maisons de ces Foulcres en autres endrets de la ville, qui leur est tenue de tant de despances qu’ils amploïent à l’embellir : ce sont maisons de pleisir pour l’esté. En l’une nous vismes un horologe qui se remue au mouvemant de l’eau qui lui sert de contre-pois. Là même deus grands gardoirs de poissons, couvers, de vint pas en carré, pleins de poisson. Par tout les quatre costés de chaque gardoir il y a plusieurs petits tuiaus, les uns droits, les autres courbés contre-mont ; par tous ces tuiaus, l’eau se verse très plesammant dans ces gardoirs, les uns envoiant l’eau de droit fil, les autres s’élançant contre-mont à la hauteur d’une picque. Entre ces deux gardoirs, il y a place de dix pas de large planchée d’ais ; au travers de ces ais, il y a force petites pouintes d’airain qui ne se voyent pas. Cependant que les dames sont amusées à voir jouer ce poisson, on ne faict que lacher quelque ressort : soudein toutes ces pouintes elancent de l’eau menue & roide jusques à la teste d’un home, & ramplissent les cotillions des dames & leurs cuisses de cette frecheur. En un autre endret où il y a un tuieau de fontene, plesante, pendant que vous la regardez, qui veut, vous ouvre le passage a des petits tuieaus imperceptibles qui vous jettent de cent lieus l’eau au visage à petits filets, & là il y a ce mot latin : Quæsisti nugas, nugis gaudeto repertis. Il y a aussi une voliere de vint pas en carré, de douze ou quinze pieds de haut, fermée par tout d’areschal bien noué & entrelassé ; au dedans dix ou douze sapins, & une fontene : tout cela est plein d’oiseaus. Nous y vismes des pigeons de Polongne, qu’ils appellent d’Inde, que j’ai veu ailleurs : ils sont gros, & ont le bec come une perdris. Nous vismes aussi le mesnage d’un Jardinier, qui prévoïant l’orage des froidures, avoit transporté en une petite logette couverte, force artichaus, chous, létues, epinars, cicorée & autres herbes qu’il avoit ceuillées, come pour les manger sur le champ, & leur mettant le pied dans certene terre, esperoit les conserver bones & freches deus ou trois mois ; & de vray, lors, il avoit çant artichaus nullemant fletris, & si les avoit ceuillis il y avoit plus de six sepmenes. Nous vismes aussi un instrumant de plomb courbe, ouvert de deus costés & percé. (Si), l’ayant une fois rampli d’eau, tenant les deus trous en haut, on vient tout soudein & dextrement a le renverser si que l’un bout boit dans un vesseau plein d’eau, l’autre dégoutte au dehors: ayant acheminé cet escoulement, il avient, pour éviter le vuide que l’eau ramplit tousjours le canal & dégoutte sans cesse. Les armes des Foulcres, c’est un escu mi-party à gauche, une flur de lis d’azur en champ d’or ; à drete une flur de lis d’or à champ d’azur, que l’Empereur Charles V leur a données en les anoblissant. Nous alames voir des jans qui conduisoint de Venise au Duc de Saxe, deus autruches ; le masle est le plus noir & a le col rouge, la femelle plus grisarde, & pondoit force œufs. Ils les menoint à pied, & disent que leurs betes se lassoint moins qu’eus, & leur echapeoint tous les coups ; mais ils les tiennent atachés par un colier qui les sangle par les reins au dessus des cuisses, & à un autre au dessus des espaules, qui entourent tout leurs corps, & ont des longues laisses par où ils les arrestent ou contournent à leur poste. Le mardy, par une singuliere courtoisie des Seigneurs de la ville, nous fumes voir une fausse-porte, qui est en ladite ville, par la quelle on reçoit à toutes heures de la nuict quiconque y veut antrer, soit à pied, soit à cheval, pourveu qu’il dise son nom, à qui il a son adresse dans la ville, ou le nom de l’hostellerie qu’il cherche. Deus hommes fideles, gagés de la ville, president à cette entrée. Les gens de cheval païent deux bats pour entrer, & les gens de pied un. La porte qui respond au dehors, est une porte revestue de fer : à côté, il y a une piece de fer qui tient à une cheine, laquelle piece de fer on tire ; cette cheine par un fort long chemin & force détours, respond à la chambre de l’un de ces portiers, qui est fort haute, & bat une clochette. Le portier de son lit en chemise, par certein engin qu’il retire & avance, ouvre cette premiere porte à plus de cent bons pas de sa chambre. Celui qui est entré se trouve dans un pont de quarante pas environ, tout couvert, qui est au dessus du fossé de la ville ; le long duquel se meuvent les engins qui vont ouvrir cette premiere porte, laquelle tout soudein est refermée sur ceus qui sont entrés. Quand ce pont est passé, on se trouve dans une petite place où on parle à ce premier portier, & dict-on son nom & son adresse. Cela oui, cetui-ci, à tout une clochette, avertit son compaignon qui est logé un étage au dessous en ce portal, où il y a grand logis ; cetui-ci avec un ressort, qui est en une galerie joignant sa chambre, ouvre en premier lieu une petite barriere de fer, & après, avec une grande roue, hausse le pont-levis, sans que de tous ces mouvemans on en puisse rien apercevoir : car ils se conduisent par les pois du mur & des portes, & soudein tout cela se referme avec un grand tintamarre. Après le post, il s’ouvre une grand’-porte, fort espesse, qui est de bois & renforcée de plusieurs grandes lames de fer. L’estrangier se trouve en une salle, & ne voit en tout son chemin nul à qui parler. Après qu’il est là enfermé, on vient à lui ouvrir une autre pareille porte ; il entre dans une seconde salle où il y a de la lumiere : là il treuve un vesseau d’airain qui pand en bas par une cheine ; il met là l’argent qu’il doit pour son passage. Cet arjant se monte à mont par le portier: s’il n’est contant, il le laisse là tranper jusques au lendemein ; s’il est satisfait, selon la costume, il lui ouvre de même façon encore une grosse porte pareille aus autres, qui se clot soudein qu’il est passé, & le voilà dans la ville. C’est une des plus artificielles choses qui se puisse voir ; la Reine d’Angleterre a envoïé un Ambassadeur exprès pour prier la Seigneurie de descouvrir l’usage de ces engins : ils disent qu’ils l’en refusarent. Sous ce portal, il y a une grande cave à loger cinq cens chevaus à couvert pour recevoir secours, ou envoïer à la guerre sans le sceu du commun de la ville. Au partir de là, nous alames voir l’eglise de Sainte-Croix qui est fort belle. Ils font là grand feste du miracle qui avint il y a près de cent ans, qu’une fame n’aïant voulu avaler le corps de Notre Seigneur, & l’ayant osté de sa bouche & mis dans une boîte, enveloppé de cire, se confessa, & trouva-t-on le tout changé en cher : à quoy ils alleguent force tesmoignages, & est ce miracle escrit en plusieurs lieus en latin & en alemant. Ils montrent sous du cristal, cete cire, & puis un petit lopin de rougeur de cher. Cete église est couverte de cuivre, come la maison des Foulcres, & n’est pas là cela fort rare ; l’église des Luteriens est tout joingnant cete-cy ; com’aussi ailleurs ils sont logés & se sont batis, come dans les cloitres des églises Catholicques. A la porte de cete église, ils ont mis l’image de Notre-Dame tenant Jesus-Christ, avecques autres Saints & des enfans, & ce mot : Sinite parvulos venire ad me, &c. Il y avait en nostre logis un engin de pieces de fer qui tomboint jusques au fons d’un puis par le haut un garçon branslant un certein instrument, & faisant hausser & baisser, deus ou trois pieds de haut, ces pieces de fer, elles alloint batant & pressant l’eau au fons de ce puis l’une après l’autre, & poussant de leurs bombes l’eau, la contreignent de rejaillir par un canal de plomb qui la rand aus cuisines & partout où on en a besoin. Ils ont un balanchisseur gagé à repasser tout soudein ce qu’on a noircy en leurs parois. On y servoit des pastés & petits & grans, dans des vesseaus de terre de la couleur & entierement de la forme d’une croute de pasté ; il se passe peu de repas où on ne vous présante des dragées & boîtes de confitures ; le pein le plus excellant qu’il est possible ; les vins bons, qui en cete nation sont plus souvent blancs ; il n’en croit pas autour d’Augsbourg, & les font venir de cinq ou six journées de là. De çant florins que les hostes amploïent, en vin, la Republique en demande soixante, & moitié moins d’un autre home privé qui n’en achete que pour sa provision. Ils ont encore en plusieurs lieus la coutume de mettre des parfums aus chambres & aus poiles. La ville estoit premierement toute Zuinglienne. Depuis, les Catholicques y estant rapelés, les Luteriens prindrent l’autre place ; ils sont asteure plus de Catholicques en autorité, & beaucoup moins en nombre. M. de Montaigne y visita aussi les Jésuites, & y en trouva de bien sçavans ; mercredy matin 19 d’Octobre, nous y desjunames. M. de Montaigne se pleignoit fort de partir, estant à une journée du Danube, sans le voir, & la ville d’Oulm, où il passe, & d’un bein à une demie journée au delà qui se nome Sourbronne. C’est un bein, en plat païs, d’eau freche qu’on échauffe pour s’en servir à boire ou à beigner : ell’a quelque picqure au goust qui la rand agréable à boire, propre aus maus de teste & d’estomach ; un bein fameux & où on est très magnifiquemant logé par loges fort bien accommodées, comme à Bade, à ce qu’on nous dict : mais le tamps de l’hyver se avançoit fort, & puis ce chemin estoit tout au rebours du nostre, & eût fallu revenir encore sur nos pas à Auguste : & M. de Montaigne fuïoit fort de repasser mesme chemin. Je laissai un escusson des armes de M. de Montaigne au devant de la porte du poile où il étoit logé, qui estoit fort bien peint, & me cota deux escus au peintre, & vint solds au menuisier. Elle est beignée de la riviere de Lech, Lycus. Nous passames un très-beau païs & fertile de bleds & vismes coucher à

BRONG, cinq lieues, gros village en très belle assiette, en la Duché de Bavieres, catholicque. Nous en partîmes lendemein qui fut jeudy 20 d’octobre, & après avoir continué une grand’pleine de bled, (car cete contrée n’a point de vins) & puis une prairie autant que la veue se peut étandre, vismes disner à

MUNICH, quatre lieues, grande ville environ come Bourdeaux, principale du Duché de Bavieres, où ils ont leur maistresse demeure sur la riviere d’Yser, Ister. Elle a un beau château & les plus belles écueiries que j’aye veues en France ny Italie, voutées, à loger deux cens chevaus. C’est une ville fort catholicque, peuplée, belle & marchande. Depuis une journée au dessus d’Auguste, on peut faire estat pour la despense à quatre livres par jour home & cheval, & quarante solds home de pied, pour le moins. Nous y trouvames des rideaux en nos chambres & pouint de ciels, & toutes choses au demeurant fort propres ; ils netoïent leurs planchiers à tout de la sieure de bois qu’ils font bouillir. On hache partout en ce païs là des raves & naveaux avec même souin & presse, com’on bat les bleds ; sept ou huict hommes ayant en chaque mein des grands couteaus y battent avec mesure dans des vesseaus, come nos treuils : cela sert, come leurs chous cabus, à mettre saler pour l’hiver. Ils ramplissent de ces deus fruits là, non pas leurs jardins, mais leurs terres aus chans, & en font mestives. Le Duc qui y est à presant, a epousé la sur de M. de Lorene, & en a deus enfans males grandets, & une fille. Ils sont deux freres en mesme ville ; ils estoint allés à la chasse, & dames & tout, le jour que nous y fûmes.

Le vendredy matin nous en partimes, & au travers des forets dudit Duc, vismes un nombre infiny de betes rousses à troupeaux, come moutons, & vismes d’une trete à

KINIEF, chetif petit village, six lieues ; en ladite duché. (partie 2)