Julie de Lespinasse (RDDM)/03

La bibliothèque libre.
JULIE DE LESPINASSE[1]

LE SALON DE LA RUE SAINT-DOMINIQUE


I

Il est permis de soupçonner une vague intention de défi, ou tout au moins quelque malice, dans le choix du logis où Mlle de Lespinasse, au lendemain de sa brouille avec la marquise du Deffand, fixa le siège de sa célébrité naissante et, comme dit un contemporain, « ouvrit boutique de bel esprit. » À cent mètres à peine du monastère de Saint-Joseph, dans la même rue Saint-Dominique, se trouvait une petite maison qui faisait face au couvent de Bellechasse, au coin de la rue du même nom ; le sieur Messager, « maître menuisier à Paris, » en était le propriétaire. C’est là que s’installa Julie, porte à porte, pour ainsi dire, avec son ancienne protectrice. Elle y loua le second et le troisième étage, moyennant un loyer de 950 livres, plus « quarante-deux livres dix sols pour contribution aux gages du portier. » La somme, sans être énorme, ne laissait pas de grever son budget d’une assez lourde charge. L’inventaire de la succession de Mlle de Lespinasse[2]et les documens inédits que j’ai eus sous les yeux[3]fournissent, en effet, des données très précises sur l’étendue de ses ressources. À l’époque où nous sommes, elle jouissait, outre la modeste pension léguée par la comtesse d’Albon, d’une rente de 692 livres sur le Duc d’Orléans, constituée par contrat du 16 juillet 1754, — sans doute par l’entremise de Mme du Deffand, — et de deux autres rentes, également viagères, de 600 et de 2 000 livres, dont l’origine n’est pas exactement connue[4]. Son revenu montait donc au total à 3 592 livres, suffisant strictement pour vivre, mais ne lui laissant pas « un sol d’argent liquide » pour parer aux dépenses de son installation.

Fort heureusement pour elle, ses amis y pourvurent. Hénault, Turgot, d’Ussé, Mme de Châtillon, se cotisèrent pour subvenir à ses premiers besoins. La maréchale de Luxembourg lui fit présent d’un mobilier complet. Enfin Mme Geoffrin, sollicitée par d’Alembert, fit davantage à elle seule que tous les autres réunis. Loin d’être liée avec Julie, elle ne la connaissait encore que de réputation ; mais, soit pitié sincère de la détresse qu’on lui peignait, soit désir de faire pièce à Mme du Deffand, son ennemie et sa « bête noire, » elle frappa l’un de ces grands coups auxquels se complaisait son double amour du faste et de la bienfaisance. Dans sa galerie, elle prit ses trois plus beaux Van-Loo et les fit proposer à l’impératrice de Russie, qui en donna dix mille écus. Une partie de cette somme servit à l’emménagement de Julie ; le surplus[5]fut remis à Joseph de la Borde, le richissime « banquier du Roi, » qui, en retour, souscrivit l’engagement de faire à la jeune fille une rente à vie de 2 000 livres. A ce don généreux, Mme Geoffrin joignit bientôt une pension d’un millier d’écus, sur laquelle elle garda un si complet silence, que sa fille, la marquise de la Ferté-Imbault, n’en connut l’existence qu’à la mort de sa mère, par l’examen de ses livres de comptes[6].

Grâce à ces libéralités, la fortune viagère de Mlle de Lespinasse atteignit graduellement le chiffre de 8 500 livres environ[7]. C’était non la richesse, mais du moins une certaine aisance, et, par le fait, son train de vie est, dès les premiers mois, honorable et décent. Elle a quatre domestiques à ses gages : une femme de chambre, une femme de charge, une cuisinière et un valet. Son appartement a bon air, sans luxe, mais commode et confortablement meublé. Nous en connaissons le détail ainsi que la distribution. Elle habite le second étage ; de l’antichambre, assez étroite, une porte ouvre sur un petit salon, aux boiseries blanches, aux rideaux de soie cramoisie, un salon quelque peu encombré de fauteuils, de bergères, d’ottomanes, sièges bas, moelleux et favorables aux causeries ; çà et là, des commodes, des secrétaires de bois de rose, une « petite chiffonnière de bois de merisier, » un bureau à cylindre, un rouet à filer de la laine, un buste de Voltaire en marbre et un autre de d’Alembert ; au-dessus de la cheminée s’érige une pendule ciselée par Masson. Près du salon, et donnant sur la rue, est la chambre à coucher, tendue aussi de damas rouge, avec une vaste alcôve où, « sous une housse à l’Impériale, » se dissimule un lit « large de quatre pieds, » qu’enveloppent des rideaux assortis. Au même étage sont un cabinet de toilette et une chambre de domestique ; au troisième, la cuisine, le logement de la femme de chambre et quelques pièces « de débarras, » qui restèrent d’abord sans emploi. Telle est, vue d’un rapide coup d’œil, la demeure où Mlle de Lespinasse va passer douze années, les dernières de sa vie.

Cette existence nouvelle eut un début fâcheux. A peine installée dans ses meubles, Julie tomba malade, et bientôt les médecins reconnurent la petite vérole. C’était un mal dont elle avait grand’peur ; mais, trompée par les apparences d’une indisposition dont elle avait souffert dans sa première jeunesse, elle s’était que à l’abri du fléau et n’avait pas voulu subir l’inoculation, dont l’usage commençait à se répandre en France. « Je ne suis pas encore consolée, écrira-t-elle à ce souvenir[8], d’avoir cru faussement que j’avais eu la petite vérole. Mon Dieu, que je me serais évité de maux et de malheurs ! » Le cas fut grave, et l’on craignit un moment pour ses jours. « Mlle de Lespinasse est dangereusement malade de la petite vérole, mande Hume à Mme de Boufflers[9]. Je suis heureux de voir que d’Alembert, en cette circonstance, oublie sa philosophie. » D’Alembert fit preuve, en effet, d’un dévouement presque héroïque : bravant la contagion, surmontant toute fatigue, il veilla nuit et jour au pied du lit de son amie, la quittant quelques heures à peine pour prendre un instant de repos dans son lointain logis. Ses soins contribuèrent puissamment à la disputer à la mort. Elle guérit, mais la convalescence fut longue, et sa santé se ressentit toujours de cette secousse. Elle en garda une grande faiblesse, des maux de tête affreux ; la vue surtout, — dont la délicatesse était chez les Vichy une tare héréditaire[10], — resta sérieusement altérée ; de constantes rechutes d’ophtalmie l’obligèrent depuis lors à recourir sans cesse à l’aide d’un secrétaire. Au point de vue plastique, les suites furent aussi désastreuses, quoi qu’ait prétendu d’Alembert : « Elle est assez marquée de la petite vérole, écrivait-il à Hume, mais sans en être défigurée le moins du monde. » Il n’est que trop certain, malgré cette assertion, que son visage, autrefois agréable, fut irrémédiablement « gâté, » les traits grossis, le teint perdu. Mlle de Lespinasse le reconnaît elle-même en plusieurs passages de ses lettres, et, quoiqu’elle fasse courageusement contre fortune bon cœur, elle est trop femme pour ne pas souffrir cruellement de cette sorte de déchéance.

Julie à peine remise, ce fut le tour de d’Alembert. Les inquiétudes, les émotions récentes, tant de nuit passées sans sommeil, eurent un contre-coup immédiat sur sa constitution fragile : « J’ai, écrit-il[11], un estomac qui me joue d’aussi mauvais tours que si je l’obligeais à digérer tout ce qui se fait et tout ce qui se dit en France ! » Malgré la sévérité de sa vie, sa sobriété légendaire, cet état ne fit qu’empirer ; il fut pris au printemps d’une fièvre d’abord modérée, puis soudainement si violente, que Bouvard, son médecin, huit jours durant n’osa se prononcer. C’est ce que le malade, à l’issue de cette crise, mande en ces termes à Voltaire : « J’ai pensé aller demander une pension au Père Eternel, qui sûrement ne m’aurait pas traité plus mal qu’on ne fait à Versailles. Une inflammation d’entrailles[12]m’a mis un pied dans la barque à Caron, dans laquelle il me semble que je descendrais sans regret ; heureusement, ou malheureusement, le danger n’a pas été long… Il faut, ajoute-t-il railleusement, que le diable, qui nous guette l’un et l’autre, ne sache pas son métier ; ou il se console apparemment en pensant que ce qui est différé n’est pas perdu. » À cette période aiguë succédèrent une langueur, une prostration des forces, dont Bouvard accusa le logis de la vitrière, logis étouffant et malsain où, par reconnaissance pour sa mère adoptive, se confinait le philosophe, « une petite chambre, dit Marmontel, mal éclairée, mal aérée, avec un lit à tombeau très étroit, » un « cachot où je ne respirais pas, » confessera plus tard d’Alembert. Dès qu’il fut transportable, le médecin exigea pour la convalescence un plus confortable séjour. Un ami généreux, le financier Watelet, proposa son hôtel, proche du boulevard du Temple. L’offre fut acceptée ; et, pour la première fois depuis son plus jeune âge, d’Alembert échappa aux mains de sa nourrice : « Voilà un jour remarquable, s’écrie Duclos à cette nouvelle ; c’est aujourd’hui qu’on a sevré d’Alembert[13] ! »

Nous connaissons assez Julie pour qu’il soit superflu de longuement insister sur la conduite qu’elle tint pendant cette maladie. Elle réclama la première place au chevet du patient et lui rendit, en sœur dévouée, tous les soins qu’il avait pris d’elle. « Quoi qu’on en pût penser ou dire, témoigne Marmontel, elle s’établit sa garde-malade. Personne n’en pensa et n’en dit que du bien. » Elle n’en resta pas là ; lorsqu’il fut hors d’affaire, elle prétendit ne plus se séparer de lui. A l’étage supérieur de son appartement, quelques chambres restaient vacantes, simples d’aspect et peu spacieuses, plus claires et plus saines néanmoins que la misérable soupente dont d’Alembert s’était jusqu’alors contenté. Elle le pria affectueusement d’y élire domicile, moyennant un faible loyer[14] ; ils prendraient leur repas ensemble, et cette intimité constante réaliserait le plus doux rêve que puisse former la plus exigeante amitié. Comment refuser une telle offre ? Il n’y songea pas un instant. Par égard pour la bienséance, à ses amis il donna pour prétexte les prescriptions de son médecin et les besoins de sa santé : « Je sens que l’air m’est absolument nécessaire ; je vais chercher un logement où il y en ait[15]. » Mais, plus sincère avec lui-même, il dévoile sans détour le vrai motif de sa résolution : « Ah ! ma pauvre nourrice, vous qui m’avez mieux aimé que vos propres enfans,… je vous ai quittée pour obéir à un sentiment plus tendre[16]. » Les arrangemens furent promptement terminés ; l’automne de 1765 trouva d’Alembert installé dans la maison du menuisier de la rue Saint-Dominique, faisant ménage commun avec celle qui, depuis dix ans, régnait uniquement sur son cœur.


II

La tentative était osée ; sans parler même de l’opinion du monde, cette association quasiment conjugale, pour une femme jeune encore et de nature fougueuse, offrait des risques évidens. Pourtant cette même Julie, que nous verrons plus tard si soucieuse du qu’en-dira-t-on, semble n’avoir aucunement redouté les suites de ce parti audacieux : « Rien ne tire plus à conséquence, dit-elle d’un grand sang-froid[17], quand on a trente ans et qu’on est ce qu’on appelle, en beau style, grêlée. » Plus qu’a ces faibles raisons, sa sécurité tient sans doute à la conscience qu’elle a du calme de son cœur et peut-être, — si j’ose le dire, — à la confiance que lui inspirent les bruits accrédités sur la vertu sans tache, l’innocuité de d’Alembert. « Elle a fini par vivre avec lui, écrit malicieusement Rousseau, s’entend en tout bien tout honneur, et cela ne peut même s’entendre autrement. »

Quoi qu’il en soit, et quelle que fût alors la largeur des idées courantes, il est bien difficile à croire que cette situation étrange ait échappé, les premiers temps, à tout malveillant commentaire. Hume, débarquant à Paris précisément vers cette époque, ne fera, selon l’apparence, que dire tout haut ce que pensent tout bas bien des gens, en écrivant avec sa simplicité britannique : « J’ai été voir Mlle de Lespinasse, la maîtresse de d’Alembert, qui est réellement l’une des femmes les plus intelligentes de Paris[18]. » Si ces insinuations laissent Julie insensible, en revanche elles troublent d’Alembert et l’irritent plus qu’il ne faudrait. Son état d’amoureux transi et de soupirant sans espoir lui rend la fibre étrangement chatouilleuse ; à une innocente plaisanterie de son ami Voltaire, il répond d’un ton dépité : « Si vous êtes amoureux, dites-vous, restez à Paris. A propos de quoi me supposez-vous l’amour en tête ? Je n’ai pas ce bonheur ou ce malheur-là ; et mes entrailles sont d’ailleurs trop faibles pour avoir besoin d’être émues par autre chose que par mon dîner. » Et du propos qui l’a vexé il se prend aussitôt à Mme du Deffand, sans preuve, et sans autre motif que la rancune qu’il lui conserve : « J’imagine bien qui peut vous avoir écrit cette impertinence, et à propos de quoi. Mais il vaut mieux qu’on vous écrive que je suis amoureux que si on vous mandait des faussetés plus atroces, dont on est bien capable. On n’a voulu que me rendre ridicule, et ce ridicule-là ne fait pas grand mal. » Même démenti et même indignation quand les gazettes, un peu plus tard, font allusion à quelque projet de mariage : « Eh ! mon Dieu[19], que deviendrais-je avec une femme et des enfans ? La personne à laquelle on me marie est, à la vérité, une personne respectable par son caractère et faite, par la douceur et l’agrément de sa société, pour rendre heureux un mari ; mais elle est digne d’un établissement meilleur que le mien, et il n’y a entre nous ni mariage ni amour, mais de l’estime réciproque et toute la douceur de l’amitié. Je demeure actuellement dans la même maison qu’elle, où il y a d’ailleurs deux autres locataires ; voilà ce qui a occasionné le bruit qui a couru. » Sur quoi, nouvelle diatribe contre l’infortunée marquise : « Je ne doute pas que ce bruit n’ait été appuyé par Mme du Deffand… Elle sait bien qu’il n’en est rien de mon mariage, mais elle voudrait faire croire qu’il y a autre chose. Une vieille et infâme catin comme elle ne croit pas aux femmes honnêtes. Heureusement elle est bien connue, et que comme elle le mérite ! »

Le philosophe s’échauffait en pure perte. Bien mieux que ses colères et ses dénégations, l’attitude de Julie, sa tranquille assurance, sa franche et simple façon d’être, sans dissimulation, en pleine lumière du jour, suffirent à faire tomber soupçons et médisances, à faire taire les propos, à persuader les plus récalcitrans. L’heure vint, plus rapidement qu’on n’eût pu s’y attendre, où l’association fut acceptée de tous sans réticence et sans arrière-pensée, où les femmes les plus estimées, les plus irréprochables, — Mme Necker, Mme Geoffrin en tête. — tinrent à honneur de proclamer, par leurs paroles et leur accueil, leur foi dans la pureté d’une liaison platonique. « A Naples, écrit Galiani à son ami le marquis Tanucci[20], on dirait qu’ils sont mariés secrètement ; mais ici on se dispense de ces assertions inutiles… Mlle de Lespinasse jouit du droit de vivre comme un être à part, aimée et estimée de tous, et la meilleure compagnie de Paris va chez elle. » — « Rien de plus innocent que leur intimité, déclarera de même Marmontel ; aussi fut-elle respectée. La malignité même ne l’attaqua jamais, et la considération dont jouissait Mlle de Lespinasse, loin d’en souffrir aucune atteinte, n’en fut que plus honorablement et plus hautement établie. »

Et cependant vit-on jamais communauté de vie plus étroite et plus familière ? Ils se consultent sur toutes choses et n’agissent que d’accord, comme le ménage le plus uni. Toutes les affaires où Julie est intéressée, même les plus personnelles, passent sous les yeux de d’Alembert, sont dirigées par lui avec un dévouement jaloux ; c’est lui qui touche ses rentes et qui place ses économies. Presque toujours, au moins dans les premières années, ils font ensemble leurs visites ; on ne se risque guère à les inviter l’un sans l’autre. Lorsqu’elle a des maux d’yeux, ce qui est trop fréquent, il prend l’emploi de secrétaire ; fût-ce pour écrire à ses amis, elle se sert de la main de ce sûr confident, lui dictant du fond de son lit, voire même de sa baignoire. « Le mardi 2, du bain, où je suis, » ainsi débute une de ses lettres à Condorcet, le l’écriture de d’Alembert[21]. Aussi ces pages, composées en commun, ont-elles souvent l’air d’un dialogue, chacun s’adressant tour à tour à l’interlocuteur absent : « Mon secrétaire[22]ne sait jamais ce qu’il dit ni ce qu’il fait (pure bêtise de dire cela ! cette pensée est du secrétaire) ; ainsi vous ne devez pas être étonné qu’il ait pris le mois de juillet pour le mois d’août (le secrétaire répond qu’apparemment on lui a dicté août et non pas juillet, et qu’il écrit ce qu’on lui dicte)… » En plus d’une occasion, cette collaboration revêt une forme plus sérieuse, s’étend à des ouvrages d’un ordre plus important : « L’influence de Mlle de Lespinasse sur d’Alembert, assure le plus récent des biographes de ce dernier[23], à partir de leur réunion a été de tous les instans. Il aimait à l’associer à tous ses travaux ; dérobant à peine quelques heures pour la géométrie, son ancienne maîtresse, il ne se plaisait plus qu’à des œuvres légères, auxquelles son amie prenait part. La main de Mlle de Lespinasse dans ses manuscrits, — on pourrait dire dans leurs manuscrits, — est sans cesse mêlée à la sienne ; plus d’une page signée par d’Alembert aurait pu l’être par Mlle de Lespinasse ; toutes sont inspirées par elle. »

Tous deux, ils sont heureux ainsi, heureux chacun à sa manière et selon sa nature, mais presque à l’égal l’un de l’autre. Le bonheur de Julie est fait de calme et de sécurité ; arrachée tout enfant du logis familial, ballottée depuis lors de foyer en foyer, toujours hôte de passage, étrangère et déracinée, elle croit avoir atteint, après tant de fluctuations, le port tranquille où elle pourra défier l’orage. Elle jouit non moins vivement du sentiment nouveau de son indépendance, du droit de satisfaire ses goûts, de mener la vie qui lui plaît, sans en devoir compte à personne. Surtout enfin, après avoir longtemps et cruellement souffert de la froideur ou de l’hostilité de ses compagnons d’existence, elle goûte cette joie profonde de sentir près de soi la ferveur bienfaisante d’une affection fidèle et de dilater ses poumons dans une atmosphère de tendresse. Si vives et si ardentes sont, dans ces premières années, sa joie et sa reconnaissance, qu’elles lui inspirent des expressions dont l’accent chaleureux ressemble au langage de l’amour, ou qui, du moins, recueillies par un cœur réellement épris, peuvent en donner l’illusion passagère. « Vous m’avez dit tant de fois, s’écriera plus tard d’Alembert, que, de tous les sentimens que vous avez inspirés, le mien pour vous, et le vôtre pour moi, étaient les seuls qui ne vous eussent pas rendue malheureuse !… Vous m’avez du moins aimé quelques instans, et personne ne m’aime, ni ne m’aimera plus[24] ! » Ce qui est hors de doute, et ce dont elle convient elle-même, c’est que cette quiétude, cette ivresse de la liberté, cette douceur infinie de se sentir aimée, mondent son âme d’une impression si délicieuse que, par momens, son bonheur lui donne le frisson, et qu’elle en est comme « effrayée. »

Ces assurances, ces effusions suffisent pleinement à d’Alembert. La confiance absolue qu’a placée en lui sa compagne, la certitude qu’il est, comme il le dit, « le premier objet de son cœur, » le dédommagent de tout ce qui lui manque, le paient de tous ses soins et de tous ses services. Bien des années après, abreuvé qu’il est de tristesse, lorsqu’il évoque cette période de sa vie et qu’il met en balance avec les récentes amertumes les heures radieuses du passé disparu, il se proclame encore le débiteur de son amie ; dans une des élégies où il déplore sa perte, il fait trêve à ses larmes pour entonner soudain comme un hymne de gratitude : « Vous qui m’avez aimé, par qui du moins j’ai cru l’être, vous à qui je dois quelques instans de bonheur ou d’illusion, vous enfin qui, par les anciennes expressions de votre tendresse, dont la mémoire m’est si douce encore, méritez plus la reconnaissance de mon cœur que tout ce qui respire autour de moi !… » Que l’on ne voie pas là d’exagération littéraire ni de poétiques hyperboles ; les faits déposent de la sincérité des mots. Lorsque, en avril 1772, après sept ans d’existence en commun, d’AIembert succède à Duclos en qualité de secrétaire perpétuel de l’Académie française, il refuse le logement au Louvre auquel cette fonction lui donne droit ; au vaste et bel appartement qui lui est gratuitement offert, il préfère sans hésitation, malgré la détresse de sa bourse, son humble chambrette sous les toits, dans la maison du menuisier. Le seul profit qu’il tire de son nouvel emploi est une pension de 1 200 livres, sur laquelle il doit entretenir, d’après les règlemens, le feu de l’Académie. « Je ménagerais le bois, en y jetant tous leurs beaux ouvrages, » dit d’un ton de dédain la marquise du Deffand.


Les débuts dans le monde de ce ménage irrégulier furent patronnés par cette même femme que nous avons vue tout à l’heure remédier si généreusement à la pauvreté de Julie. Mme Geoffrin était, ainsi qu’on sait, la plus ancienne amie de d’Alembert ; s’il l’avait un peu négligée au temps de son assiduité dans le salon de Saint-Joseph, le lendemain de sa brouille avec Mme du Deffand, il s’était empressé de reprendre sa place au milieu des sujets du célèbre « royaume ; » il fut reçu les bras ouverts, et ce bon accueil redoubla le jour où il amena Julie de Lespinasse. « Je fus très étonnée, écrit vers cette époque Mme de la Ferté-Imbault[25], un jour que je revenais de la campagne, de trouver installée dans le salon de ma mère une figure que je n’y avais jamais aperçue et qui y semblait comme chez elle. » On conçoit la surprise dont ces lignes font foi : rien de moins fait, à première vue, pour une liaison intime que ces deux femmes, si dissemblables par l’âge, les goûts, le tour d’esprit, l’une calme, tempérée, toujours maîtresse d’elle-même, ayant fait de la mesure et de la modération l’étude constante, la règle de sa vie, l’autre bouillonnante, impétueuse, et perpétuellement agitée par la passion qu’elle met en tout ; l’une, comme dit Morellet, « ne cherchant qu’à goûter en paix les douceurs de la société et de l’amitié, » l’autre, au contraire, « sans cesse troublée dans sa jouissance par la violence même de ses affections. » Il est pourtant certain que, malgré ces contrastes, une étroite amitié s’établit rapidement entre elles. Chacune, sans doute, aima dans l’autre les qualités dont elle se sentait dépourvue ; et cette sympathie s’affermit de l’estime réciproque fondée sur une droiture et une sincérité pareilles.

Il semble que Mme Geoffrin tomba la première sous le charme ou, tout au moins, fit les premières avances. La vieille et experte « virtuose » dans l’art de tenir un salon et de diriger les causeries fut séduite et émerveillée par cette parole chaude, animée, écho d’une âme sensible et enthousiaste, contenue pourtant par le tact le plus fin et le goût le plus délicat. Elle calcula tout ce qu’une telle recrue pourrait apporter d’agrément aux réunions dont elle était si fière et d’intérêt aux entretiens. Seule de son sexe, et par une exception unique, Julie de Lespinasse fut admise aux dîners du lundi et du mercredi ; et, du jour au lendemain, elle en fut la parure, l’attraction principale, l’étoile autour de laquelle gravitaient tant d’astres fameux. Chose extraordinaire, elle conquit également et domina bientôt celle dont la rude férule régentait l’Encyclopédie et en qui ses contemporains reconnaissaient « l’âme d’Alexandre. » L’heure arrive où Mme Geoffrin ne peut plus supporter l’idée de se passer de cette chère confidente, réclame sans cesse sa compagnie, la traite moins en amie qu’en fille, une de ces filles choyées et adulées qui commandent plus qu’elles n’obéissent et dont les désirs font la loi.

Doit-on reprocher à Julie d’avoir accepté la douceur de cette maternelle affection, dont, au surplus, elle n’abusa jamais ? Et le crime est-il grand d’avoir, après quelques années de ce régime, pris le ton et l’allure d’une véritable enfant de la maison, sans que cette apparence fût au détriment du respect, du dévouement sincère et désintéressé ? Julie de Lespinasse, malgré sa réelle innocence, n’a pourtant pas échappé sur ce point au blâme le plus sévère, à la plus cruelle suspicion. J’ai conté dans un autre ouvrage les jalousies, les craintes, les imputations outrageantes dont elle se vit l’objet de la part de la fille légitime, et’ j’ai cité les pages où la marquise de la Ferté-Imbault exprime, en termes violens, sa colère, son indignation, à voir sa place « usurpée, » comme elle dit, par l’étrangère qui règne sans partage aussi bien sur le cœur que dans le logis de sa mère[26]. J’ai d’ailleurs fait justice, — et je n’y reviens pas, — de ce que ces accusations avaient d’immérité ; mais on ne peut dénier que, si les soupçons étaient vains, l’impatience était naturelle. Le tort, Véniel autant qu’incontestable, de Julie et de d’Alembert, — car on ne peut ici les séparer l’un de l’autre, — fut de se refuser à des ménagemens nécessaires, et d’afficher avec trop de hauteur le crédit exclusif dont ils jouissaient tous deux dans le premier salon du siècle.

D’abord quotidiennement, plus tard deux fois le jour, le matin et l’après-midi, ils arrivaient de compagnie et s’installaient des heures entières, tantôt restant en tête à tête avec Mme Geoffrin, tantôt recevant avec elle les nombreux visiteurs et présidant aux entretiens, si complètement à l’aise et se sentant si bien chez eux, que fréquemment ils s’y font adresser leurs lettres. Même, si l’on croit Mme de la Ferté-Imbault, la vieille bourgeoise, si jalouse autrefois de son autorité, aurait, sur la fin de sa vie, résigné aux mains de Julie une part essentielle de ses droits, lui conférant le privilège d’ouvrir ou de clore à son gré l’accès de son empire : « Ma mère lui avait donné permission d’amener chez elle qui elle voudrait parmi les gens de lettres, et c’était la Lespinasse qui décidait qui l’on recevrait et qui l’on ne recevrait pas[27]. »

Je ne veux pas insister davantage sur ces menus griefs et ces empiétemens sans conséquence. La chose certaine, — et la seule qui importe à la réputation de Mlle de Lespinasse, — c’est que, si elle tira profit de son commerce familier avec Mme Geoffrin, ce n’est pas dans le sens qu’y attachaient les gens qui, pour la mal connaître, lui supposaient des vues intéressées, bien éloignées de sa pensée et fort indignes de son caractère. Ce fut un profit tout moral, et qui n’en est pas moins appréciable : une réserve plus modérée dans ses jugemens sur les personnes et sur les choses, une plus habile sagesse dans le choix de ses relations, l’art de retenir ses amis par de légères prévenances et de constantes attentions, au besoin par des concessions et par des sacrifices. A l’exemple comme aux leçons de sa septuagénaire amie, elle dut ainsi, dans une large mesure, l’espèce de calme et de repos d’esprit qui bercèrent les premières années de son existence affranchie, ces années dont elle parlera par la suite comme du seul temps de vrai bonheur qu’elle eût jamais connu. A Mme Geoffrin également, aux amitiés qu’elle noua sous ses auspices et dans son entourage, elle devra les premières assises de sa célébrité et l’origine de ce salon qui va devenir pour longtemps le grand intérêt de sa vie.


II

Se former un salon, — le rêve de tant de femmes, — un salon au vrai sens du terme, qui ne soit pas une cohue d’invités, un endroit où se pressent et défilent des hôtes de passage, mais une société homogène, un groupe discipliné, ayant sa physionomie propre, gardant une sorte d’unité morale parmi la diversité des personnes, l’entreprise était ambitieuse à une époque où tant de cénacles consacrés semblaient décourager d’avance toute concurrence et toute rivalité. Mme Geoffrin, nous le savons, était alors à l’apogée de son règne et voyait, pour parler avec l’abbé Delille[28], « l’Europe entière d’un triple cercle entourer son fauteuil ; » la marquise du Deffand conservait ce prestige de présider aux entretiens où, de l’aveu de tous, se dépensait le plus d’esprit ; Mme Necker inaugurait, dans son fastueux hôtel de la rue de Cléry, ces assemblées, d’un aspect un peu grave, où tous les grands problèmes du jour et du lendemain étaient passés tour à tour en revue, se formulaient en théories avant que la Révolution substituât les faits aux idées. Auprès de ces cercles fameux, — pour ne parler que des trois plus connus, — il semblait malaisé d’en ouvrir un nouveau, surtout pour une fille sans fortune et d’origine irrégulière, qui conviait ses amis dans la maison d’un menuisier, où, trop pauvre pour leur offrir dîner, souper ni collation, elle se contentait, comme dit Grimm, de leur donner « à digérer. » Le succès fut pourtant éclatant et rapide. Au bout de quelques mois d’essai, chaque jour, de six heures à dix heures du soir, le modeste salon aux rideaux cramoisis s’emplissait jusqu’à déborder de visiteurs de choix, hommes de Cour, hommes de lettres, hommes d’épée, hommes d’Église, ambassadeurs, grandes dames, toute l’innombrable armée de l’Encyclopédie, depuis les chefs de file jusqu’aux corps auxiliaires et aux tirailleurs isolés, tous délaissant avec entrain, pour gravir les marches de bois de l’étroit escalier, les plus riches hôtels de Paris, oubliant sans regret, dans le feu des causeries, les soupers, les bals, l’Opéra, les capiteuses attractions du grand monde.

Parmi les causes de cette prompte réussite, une des plus apparentes est le patronage officiel et la présence constante de d’Alembert. On a beaucoup écrit sur la domination, la royauté intellectuelle de la femme au XVIIIe siècle, sur le « gouvernement » qu’elle exerce « sans défaillance, sans apathie, sans interrègne[29], » dans le domaine des idées, sur l’espèce de revanche qu’elle prend, à cette époque, de la suprématie si longtemps dévolue au sexe masculin. Loin de moi la pensée de contester cette affirmation. Je reconnaîtrai même que, cet empire qu’elle a conquis, la femme s’en montre souvent digne par l’étendue de son esprit, par la forte culture de son intelligence, par son application à tout apprendre, à tout comprendre, à suivre le progresses connaissances humaines, qu’il s’agisse de littérature, de science, de politique. Aussi jamais plus clairement qu’en ce temps ne comprit-on le charme et l’avantage, fût-ce dans la plus docte assemblée et dans la discussion des questions les plus hautes, de mélanger aux fronts ridés des savans, des penseurs et des réformateurs quelques-uns de ces fins visages que nous a conservés La Tour, à l’œil vif et perçant, à la lèvre moqueuse, d’où jaillit une parole alerte, qui anime, aiguillonne la diversité des propos, modère l’intempérance des uns, secoue l’engourdissement des autres, ramène vers les réalités les pensées qui s’égarent dans le brouillard des cimes, et dégonfle d’un mot piquant la boursouflure des utopies. « La société, dit Morellet, a besoin de cet ingrédient, comme le café a besoin de sucre. Je sais bien qu’il y a des gens qui ne mettent point de sucre dans leur café, mais je ne les en estime pas davantage[30]. »

Il n’en est pas moins vrai qu’alors, dans un salon convenablement réglé, à plus forte raison dans un bureau d’esprit, l’usage impose la présidence discrète et la direction spirituelle de l’un de ces guides patentés, l’un de ces « saints de l’Encyclopédie, » dont l’influence a remplacé l’autorité détruite du prêtre sur l’âme de la femme affranchie. « La nécessité dans laquelle on se trouve chaque jour de porter un jugement sur ce qui a paru de nouveau, remarque un étranger clairvoyant[31], oblige chaque maison d’avoir un bel esprit, c’est-à-dire un homme qui la fournisse de décisions sur tout ce qui se présentera. » Tout cercle intellectuel a donc son philosophe, qui donne le ton aux entretiens, qui inspire les jugemens sur les gens et les œuvres, et qui, d’une main légère, conduit le troupeau des fidèles dans la voie du salut selon le nouvel Evangile. Ce fut longtemps Fontenelle dans l’hôtel de Mme Geoffrin ; c’est Grimm chez Mme d’Épinay, Diderot chez le baron d’Holbach. Chez Mlle de Lespinasse, d’Alembert tient l’emploi ; et comment trouver mieux que le premier lieutenant de Voltaire, le promoteur de l’Encyclopédie, aussi divers dans ses talens que respectable par ses mœurs, l’homme le plus célèbre en Europe après le patriarche de Ferney ? « Ce n’est que là que l’on voit d’Alembert, affirme Galiani ; on l’y rencontre toujours, et il ne va point ailleurs[32]. » On imagine de quel lustre et de quel prestige ce nom rehausse les réunions inaugurées dans la petite maison de la rue Saint-Dominique, et l’on s’explique l’accueil fait au salon qui peut, pour ses débuts, s’enorgueillir d’un si éclatant parrainage.

C’est cependant à Mlle de Lespinasse elle-même qu’il faut, en bonne justice, reporter, avant tout, l’honneur de la grande place qu’elle tient dans la société de son temps. Si d’Alembert attire la clientèle, c’est elle qui la retient et qui se l’approprie. C’est à cause d’elle que tout visiteur de hasard aspire à devenir l’un des familiers du logis. Elle est « l’âme et le charme » de cette compagnie bigarrée[33]. Son défaut de beauté sert peut-être plus qu’il ne nuit à la durée de son succès ; elle y gagne en effet, de n’avoir pas à redouter l’envol de la première jeunesse et le ravage du temps. Il est d’ailleurs à remarquer que la vogue, au XVIIIe siècle, n’appartient guère aux âmes novices et aux visages en fleur. L’irrésistible séduction de Mlle de Lespinasse repose sur des bases moins fragiles que l’harmonie des traits ou la fraîcheur du teint ; elle réside avant tout dans ce don merveilleux, dont parlent ses contemporains, de se renouveler constamment, d’être toujours présente à tous et à chacun, de répandre sur tous objets la vive clarté de son intelligence, sans chercher à faire de l’esprit, en cherchant au contraire à faire valoir celui des autres. « Elle savait, écrit Grimm, réunir les genres d’esprit les plus différens, parfois même les plus opposés, sans qu’elle y parût prendre la moindre peine ; d’un mot, jeté adroitement, elle soutenait la conversation, la ravivait et la variait à son gré. Il n’était rien qui ne parût lui plaire et qu’elle ne sût rendre agréable aux autres… Son génie était présent partout, et l’on eût dit que le charme de quelque puissance invisible ramenait sans cesse tous les intérêts particuliers vers le centre commun. »

Grimm, dans ces lignes pénétrantes, note d’une touche délicate le tour d’esprit particulier et, si l’on peut dire, l’art social de Mlle de Lespinasse. Sa causerie, pleine de feu, demeure toujours fine, élégante, animée du désir de plaire. Sa subtile intuition, la justesse de son goût, lui font aussitôt discerner le fort et le faible des gens, le sujet qui les intéresse et le langage qui leur convient. « Sa conversation, dit Guibert[34], n’était jamais au-dessus ni au-dessous de ceux à qui elle parlait ; elle semblait avoir le secret de tous les caractères, la mesure et la nuance de tous les esprits. » Ayant promptement compris que le meilleur moyen de se gagner les cœurs est de paraître s’oublier pour s’occuper des autres, même avec ses meilleurs amis elle parlait peu de soi et leur parlait beaucoup d’eux-mêmes. « Elle était l’âme de la conversation, mais elle ne s’en faisait jamais l’objet. » Si cette méthode soutenue implique quelque calcul, il lui en coûte pourtant moins qu’on ne pourrait croire. C’est sincèrement qu’elle prise les talens et les qualités de ceux qui lui font compagnie ; son grand plaisir est de les faire briller et de les mettre en leur relief. « C’est ce sentiment vif des agrémens des autres qui leur faisait croire que j’étais aimable, » écrit-elle ; et elle revient ailleurs sur cette observation : « Cent fois, j’ai senti que je plaisais par l’impression que je recevais des agrémens et de l’esprit des gens avec qui j’étais ; et en général je ne suis aimée que parce qu’on croit ou qu’on voit que l’on me fait effet… Cela prouve tout à la fois et la disette de mon esprit et l’activité de mon âme, et il n’y a dans cette remarque ni vanité ni modestie ; c’est la vérité. »

Cet intérêt qu’elle prend à tout ce qui l’entoure, cette aisance à entrer dans l’âme et dans l’esprit d’autrui, tiennent sans doute, pour une part, à ce besoin inné de plaire, à cette âme de conquête que nous lui connaissons ; mais cette disposition lui est rendue facile par l’éclectisme de ses goûts, par l’ouverture d’intelligence qui la rend apte à comprendre et à apprécier toutes les formes de la pensée, toutes les manifestations de la vie, toutes les œuvres, sans exception, par lesquelles se traduit l’activité humaine. « Je suis assez heureuse, assure-t-elle[35], pour aimer à la folie les choses qui paraissent les plus opposées… Oui, dans tous les genres, j’aimerai ce qui paraît opposé, mais qui n’est peut-être opposé que pour les gens qui veulent toujours juger et qui ont le malheur de ne rien sentir… Je ne compare rien, je jouis de tout. » A un ami qui lui demande les raisons de son enthousiasme pour un nouvel opéra : « Vous savez bien, lui répond-elle, que je ne pense pas et que je ne juge jamais ; » et elle explique comment elle se contente de recevoir des « impressions », peut-être outrées, du moins toujours sincères : « Vous ne m’entendrez jamais dire : cela est bon, cela est mauvais ; mais je dis mille fois par jour : j’aime ; et je dirai de tout ce que disait une femme d’esprit en parlant de ses deux neveux : J’aime mon neveu l’aîné parce qu’il a de l’esprit, et j’aime mon neveu le cadet parce qu’il est bête[36]. » De cette largeur d’idées naîtra naturellement une égale tolérance : « M. d’Alembert a été voir Arlequin ; il aime mieux cela qu’Orphée. Tout le monde a raison, et je suis loin de critiquer les goûts ; tout est bon. »

On devine quelle facilité il en résulte dans les relations, et quelle franchise d’allures règne dans un salon formé d’après de tels principes. L’indépendance jointe à la variété, c’est en effet ce qui caractérise le cénacle nouveau, c’est en quoi il diffère des sociétés rivales. Les fidèles de Mme Geoffrin subissent une stricte discipline ; la sagesse tyrannique, la rude modération de cette bourgeoise autoritaire entretiennent dans leurs rangs une salutaire terreur ; la houlette de « Dom Burigny, bénédictin (de robe courte » et gardien du bon ordre, ramène vite dans le droit chemin, au plus léger écart, les idées et les expressions, les doctrines et les hommes : « On ne peut jamais rien vous dire ! » gémit une des victimes avec une résignation douloureuse. Rien, à coup sûr, qui ressemble à une telle police dans le logis de Mme du Deffand ; mais la foncière indifférence que professe la marquise envers les grandes questions, son scepticisme dédaigneux, son horreur pour le raisonnement, bannissent de la causerie la plupart des sujets élevés ; morale, religion, politique n’y sont admis, ou peu s’en faut, que comme thème à railleries ou matière d’épigrammes. Chez Mme Necker, au contraire, on ne parle guère d’autre chose ; l’économie sociale et la philosophie y tiennent une place presque exclusive ; on disserte plus qu’on ne cause ; et l’on croirait quelquefois assister moins à un souper entre amis qu’à une assemblée d’hommes d’Etat ou une séance académique.

Plus que partout ailleurs, peut-être même seules en ce temps, les réunions tenues dans le petit salon de la rue Saint-Dominique sont exemptes à la fois et de contrainte et d’uniformité. Les entretiens y sont plus spontanés et plus hardis que rue Saint-Honoré, plus sérieux et plus profonds que dans le couvent de Saint-Joseph, moins solennels el plus enjoués que dans l’hôtel de la rue de Cléry. « La conversation générale, écrit Grimm, n’y languissait jamais, et, sans rien exiger, on faisait des a-parte quand on le jugeait à propos. » Nulle gêne et nul joug, en un mot ; point de barrières que celles de la décence ; le libre essor des cerveaux et des tempéramens ; l’épanouissement complet des personnalités. Et rien pourtant, dans cet affranchissement des âmes, qui donne l’idée de l’anarchie : invisible et présent, le « génie délicat » de Mlle de Lespinasse suffit à maintenir l’unité ; d’un fil ténu, qui ne se rompt jamais, elle dirige à son gré, et presque à l’insu des causeurs, la diversité des propos. La crainte de la froisser, le souci de lui plaire, sont la seule règle qu’on s’impose et tiennent lieu de gouvernement. Elle est la reine incontestée de ces tournois intellectuels ; c’est pour elle seule que l’on se met en frais d’esprit ou d’éloquence ; un sourire favorable, un mot approbateur, sont regardés de tous comme le meilleur encouragement et la plus belle des récompenses.

C’est que, par un rare privilège, les familiers de son salon sont, pour la plupart, ses amis ; et c’est encore une note particulière par où son entourage se distingue de celui des autres. On craint Mme Geoffrin ; on admire Mme du Deffand ; on respecte Mme Necker ; on aime Julie de Lespinasse. « Elle inspirait tant de confiance qu’il n’y avait personne qui, au bout de quinze jours de connaissance, ne fût prêt à lui raconter l’histoire de sa vie ; aussi personne n’a jamais eu autant d’amis, et chacun d’eux en était aimé comme s’il eût été seul à l’être[37]. » Bien mieux encore, cet irrésistible mouvement qui entraîne les cœurs vers un unique objet crée parmi tous ceux qui s’y livrent une sympathie mutuelle, un lien qui les attache entre eux. Au rebours de ce qui se passe dans tant de cénacles rivaux, où les nouveaux venus sont vus d’un œil hostile, où chacun jalouse son voisin, où couvent des haines secrètes et de sourdes cabales, les fidèles de Julie s’entendent, s’apprécient, se soutiennent. Après la mort de l’enchanteresse : « Nous nous sentions tous amis chez elle, s’écrie l’un d’eux, parce que nous étions tous réunis par les mêmes sentimens… Hélas ! combien de personnes se voyaient, se recherchaient, se convenaient par elle, qui ne se verront, ne se rechercheront, et ne se conviendront plus[38]. » Cette espèce d’alliance est son œuvre ; elle a cette coquetterie de vouloir que tous ceux qui l’aiment communient, pour ainsi parler, dans l’affection passionnée qu’ils lui portent. Elle met toute son adresse à sceller et à fortifier, parmi des hommes divers par l’origine, par les idées, par le milieu social, une association sentimentale, une agrégation fraternelle, dont elle est le mobile, le but, la raison d’être.

Quelle force naît de cette entente, de quelle puissance dispose un groupement aussi homogène de personnages en vue et de gens de talent, c’est sur quoi il n’est pas nécessaire d’insister. On a pu dire avec raison que, si les assises officielles de l’Encyclopédie se tenaient rue Saint-Honoré, le minuscule salon de la rue Saint-Dominique en était le « laboratoire[39]. » C’est dans cette officine, en effet, que se rédigent le plus souvent, sur les œuvres et sur les hommes, les formules décisives qui seront le lendemain l’opinion de Paris, que se créent les réputations, que se font et parfois se défont les grands hommes, que l’on décerne ou qu’on retire le brevet d’immortalité. Là également se distribuent les fauteuils à l’Académie ; on y dresse en famille les listes de candidats, et l’élu de ce petit cercle a bien des chances d’être l’élu de la grande compagnie. La « dictature de d’Alembert, » pour employer l’expression consacrée, cette dictature académique que facilite bientôt son titre de secrétaire perpétuel, paraît avoir été, à proprement parler, un pouvoir absolu moins qu’une oligarchie ; son despotisme se tempère des avis quotidiens de son conseiller en jupons et du contrôle constant d’une assemblée délibérante, qui intervient dans tous les choix et mot au besoin son veto.

Plus tard, non satisfaite de son crédit dans l’empire littéraire, l’association eut l’orgueil d’étendre une main sur le gouvernail de l’État. Avec Turgot, l’un de ses plus dévoués et plus fervens admirateurs, Julie de Lespinasse, comme Mme du Deffand jadis avec Choiseul, put, elle aussi, se targuer d’avoir « son ministre. » Nous verrons cependant qu’elle n’en abusa point et que cette fortune passagère ne lui fit pas tourner la tête. C’est dans le domaine de l’esprit qu’elle tient à garder son pouvoir ; et c’est en effet celui-là où, pendant dix années, avec moins d’éclat extérieur, moins de renom européen, que le salon de Mme Geoffrin, la société groupée autour de Mlle de Lespinasse exerce une action plus profonde, plus directe et plus efficace.


IV

« C’est à Paris, écrivait Sébastien Mercier[40], qu’un homme sensé doit chercher un ami dans une femme ; c’est là qu’on en trouve un grand nombre qui, accoutumées de bonne heure à réfléchir, plus libres, plus éclairées qu’ailleurs, se mettent au-dessus des préjugés, et ont lame forte d’un homme avec la sensibilité de leur sexe… Une femme, à trente ans, devient une excellente amie. » De la vérité de ces paroles, l’histoire intime du XVIIIe siècle est la meilleure démonstration ; elle est pleine de ces attachemens où l’amour, au sens précis du mot, n’entre nullement en jeu, où la femme est pour l’homme une compagne à la fois fidèle et désintéressée, plus fine, plus délicate, plus attentive, que ne serait un ami de son sexe, toujours prête à l’aider dans les circonstances difficiles, à partager ses chagrin ? comme ses joies, à relever son âme aux heures de trouble ou de disgrâce. Dans l’affaissement îles caractères qui est le mal de cette époque, la femme, de cœur plus haut et plus souple d’esprit, paraît avoir presque seule conservé l’apanage de ce que jadis on nommait les vertus françaises, l’entrain, l’initiative, la ténacité dans l’action, la bonne humeur dans les revers ; et loin d’y perdre de son charme, on dirait au contraire qu’elle y acquiert une grâce nouvelle : « Quels sont les gens vraiment agréables que j’ai connus dans ma vie ? se demandait Walpole au terme de sa longue carrière. Un grand nombre de Françaises, quelques Anglais, peu d’Anglaises, et extrêmement peu de Français. »

Cet ensemble de qualités, joint à la tolérance des mœurs, à l’indépendance absolue que laisse l’abdication de l’autorité maritale, rendent plus fréquente qu’en d’autres temps cette chose délicieuse entre toutes, l’amitié d’une femme et d’un homme, confiante, intime, tendre sans galanterie, dévouée sans exigences, familière sans vulgarité, douceur grave de l’âge mûr et réconfort du déclin de la vie.

Ce sentiment pur et consolateur, si Mlle de Lespinasse eut, comme j’ai dit plus haut, l’heureuse fortune de l’inspirer souvent, elle l’éprouva de même et en tira tous les bienfaits et toutes les jouissances qu’il implique, encore qu’avec son humeur impétueuse elle y apportât un peu d’exaltation. C’est sur le mode lyrique qu’elle en proclame les joies et qu’elle en célèbre les charmes : « Je ne connais qu’un plaisir, je n’ai qu’un intérêt, celui de l’amitié ; elle me soutient et me console… Je n’existe que pour aimer et chérir mes amis. Ah ! qu’ils sont aimables ! Qu’ils sont honnêtes ! Et qu’ils sont généreux ! Combien je leur dois[41] ! » Dans les jours de détresse, alors qu’elle est prête à fléchir sous le poids de l’épreuve, c’est à ses amis qu’elle s’adresse pour ranimer ses forcés défaillantes. Et dans les temps de calme, au cours de cette correspondance, dont j’aurai bientôt à parler, où elle dirige des conseils de son expérience la jeunesse d’Abel de Vichy, ce qu’elle préconise avant tout, ce qu’elle recommande à son frère comme le grand secret du bonheur, c’est l’attachement à ses amis, les innocentes jouissances du cœur : « C’est à votre âge, mon cher ami, qu’il faut être heureux par le sentiment. Le plus grand inconvénient de la vieillesse, c’est de ne point aimer ; l’âme se dessèche, elle se retire sur elle-même, et l’on ne vit plus que d’amertume. Conservez bien votre sensibilité, c’est la source des vrais et uniques plaisirs. »

Non contente du précepte, elle prêche aussi d’exemple ; et l’on n’en doutera pas si l’on veut un moment parcourir avec moi la galerie des privilégiés qui tinrent quelque place en sa vie et eurent une part des trésors de son cœur. Immédiatement après d’Alembert, — qui, dans ses affections, occupe un rang spécial, à mi-coteau, si l’on peut dire, entre l’amour et l’amitié, — l’homme auquel elle donna le plus de sa confiance et de sa sympathie est assurément Condorcet. On pourrait, au premier aspect, s’étonner de ce choix. De figure douce, mais froide et immobile, négligé à l’excès dans sa mise et dans son maintien, la tête basse, les épaules voûtées, Condorcet, — du moins dans le monde, — ne rachetait guère cette disgrâce extérieure par le brillant de son esprit. Il parlait peu, et presque par monosyllabes, la mine absorbée et distraite, bien qu’en réalité rien n’échappât à sa malignité ; car il était de ces observateurs dangereux qui semblent ne rien voir, et dont, pour cette raison, l’on ne se méfie pas. Doué au plus haut degré des facultés mathématiques, et membre à vingt-six ans de l’Académie des sciences, c’est dans cette branche qu’il semblait destiné d’abord à se faire un grand nom : « . J’ai cru un moment qu’il valait mieux que moi, disait le géomètre Fontaine, et j’en étais jaloux ; mais, ajoutait-il aussitôt, il m’a rassuré depuis. » C’est que sa curiosité insatiable, s’étendant à toutes choses et dans toutes directions, l’avait vite fait déchoir au rang de vulgarisateur, d’interprète éclairé de la pensée d’autrui, plutôt que d’inventeur, de créateur d’idées. Cette dispersion de son intelligence, à quoi correspondait quelque éparpillement de son cœur, n’avait pas échappé à la pénétrante clairvoyance de Mlle de Lespinasse : « Il travaille dix heures par jour, dit-elle avec un soupçon d’ironie ; il a vingt correspondances, dix amis intimes, et chacun d’eux sans fatuité pourrait se croire son premier objet. Jamais, non jamais, on n’a eu tant d’existences, tant de moyens et tant de félicité[42] ! »

Toutefois les défauts mêmes que je viens de noter, s’ils nuisaient fort à son succès mondain comme à son renom scientifique, contribuaient au contraire à l’agrément de son commerce intime. La variété de ses études, jointe à sa prodigieuse mémoire, lui permettaient, dans un cercle restreint où fondait sa timidité, de traiter avec compétence les sujets les plus différens, « philosophie, belles-lettres, sciences, art, gouvernement, jurisprudence. » Cette énumération est de Julie de Lespinasse. « Quand vous l’aurez écouté, ajoute-t-elle, vous direz cent fois par jour que c’est l’homme le plus étonnant que vous ayez entendu… On pourrait donner à son esprit un attribut qu’on n’accorde qu’à Dieu : il est infini et présent, sinon partout, du moins à tout[43]. » Sa facilité même à répandre ses affections et cette « bonté universelle » qui confinait à la banalité lui composaient une physionomie bienveillante, propre à toucher les âmes sensibles. « Il aime beaucoup de gens, disait-on, mais il les aime beaucoup. » Ses contemporains, au surplus, s’accordent à vanter sa réelle obligeance, son actif empressement « à compatir, à secourir, » les services qu’il rendait dussent-ils lui coûter quelque peine. « Il n’a peut-être jamais dit à un de ses amis : Je vous aime ; mais il n’a jamais perdu une occasion de le lui prouver… Jamais aucun d’eux n’a pu désirer par-delà ce qu’il lui donne[44]. » Ainsi par le Julie, qui, pénétrée d’admiration pour tant de bienfaisance, ne l’appelle autrement que « le bon Condorcet ; « tout au plus, aux heures de querelle, se contente-t-elle de le nommer « le ci-devant bon Condorcet. »

Bien qu’en des circonstances tragiques sa conduite ultérieure justifie mal cette épithète, Condorcet, disons-le, semble avoir mérité la reconnaissance de Julie. Du jour où, présenté par d’Alembert, il lia connaissance avec elle, il n’est de soins et d’attentions dont il ne l’ait comblée, toujours à son service et à sa dévotion, accourant rue Saint-Dominique au moindre appel de son amie : « Me voici de retour à Paris, mande-t-il à Turgot[45] ; je vais reprendre ma fonction ordinaire, et servir de secrétaire à Mlle de Lespinasse. » Elle n’a pas tardé, en effet, à l’élever à la dignité de « second secrétaire ; » il double, en cas d’absence, le titulaire habituel de l’emploi et, en toute chose, rivalise de zèle avec lui, au point que c’est à peine si elle les distingue dans son cœur : « Je ne puis exprimer, dira-t-elle, mon affection pour M. Condorcet et M. d’Alembert qu’en disant qu’ils sont identifiés avec moi ; ils me sont nécessaires, comme l’air pour respirer ; ils ne troublent pas mon âme, mais ils la remplissent. » Par la suite, quand elle se sent plier sous le fardeau d’un douloureux secret, dont elle doit, et pour cause, exclure l’amoureux d’Alembert, c’est Condorcet, — avec un autre ami dont je parlerai tout à l’heure, — qui reçoit de sa bouche, sinon des confidences entières, au moins l’aveu de ses combats, de son trouble, de son angoisse. Il est bien l’homme qu’il faut pour ce rôle délicat ; sa discrétion impénétrable déjoue les curiosités indiscrètes ; ce qu’on lui a confié, « il le reçoit et il le garde, » ainsi qu’un inviolable dépôt. Il sait aussi, d’une main légère et qui n’appuie jamais, panser les plaies saignantes, adoucir l’acuité des mystérieuses blessures ; son tact délié trouve les mots qui conviennent pour distraire et bercer les peines, ce qui est, après tout, la vraie manière de consoler. Aussi devient-il peu à peu indispensable au repos de Julie, et elle le confesse sans détour : « Mon Dieu, que je vous aime d’être bon ! Vous m’êtes devenu bien nécessaire, et je devrais vous en haïr, car ce qui m’est nécessaire peut me faire souffrir beaucoup. » Elle se désole, à la plus courte absence qui la prive de cette compagnie : « Je sens un redoublement de tristesse tous les jours, à l’heure où je vous voyais ! »

De dix ans son aînée[46], il se mêle à cette grande tendresse une nuance de protection et de maternité. Dans les lettres qu’elle lui adresse, les recommandations, les avis dont elle est prodigue descendent parfois aux plus infimes détails : « Mes soins pour votre éducation s’étendent jusqu’à votre absence. Je vous recommande surtout de ne point manger vos lèvres ni vos ongles ; rien n’est plus indigeste, je l’ai entendu dire à un fameux médecin… Je vous recommande aussi vos oreilles, qui sont toujours pleines de poudre, et vos cheveux, qui sont coupés si près de votre occiput, qu’à la fin vous aurez la tête trop près du bonnet[47]. » Du chapitre de la toilette, elle passe à la santé : « Vous prenez trop de café ; je le crois bien contraire à l’état où sont vos nerfs… Vous avez tort de faire de la géométrie comme un fou, de souper comme un ogre, et de ne pas plus dormir qu’un lièvre. Vous croyez bien que ce n’est pas mon secrétaire (d’Alembert) qui dit cela, car il n’aurait jamais fait le vers de Voltaire qui dit en parlant du temps :


Tout le consume, et l’Amour seul l’emploie.

« Il aurait mis :

Tout le consume, et l’algèbre l’emploie[48]. »


Je pourrais citer d’autres preuves de cette sollicitude, mais c’est principalement dans le domaine de l’âme que s’exerce son influence ; elle y déploie les qualités d’une précieuse conseillère, et jamais direction ne fut plus à propos. Condorcet, en effet, tranchant dans ses propos et dogmatique dans ses écrits, était, dans sa conduite, vacillant et sans volonté : « du coton imbibé de liqueurs fines, » dira plus tard de lui Mme Roland. De plus, il traversait alors une crise sentimentale qui le faisait beaucoup souffrir. Tombé dans les filets de Mlle d’Ussé, une impitoyable coquette qui attisait sa flamme et n’y répondait pas, et trop vraiment épris pour voir clair en ce jeu cruel, il passait tour à tour de l’illusion au doute et de l’ivresse au désespoir. Julie eut le courage de dessiller ses yeux, de lui montrer le piège tendu à sa crédulité et de l’aider à briser ses entraves : « Faites-vous effort, lui écrit-elle, abandonnez une chimère, dont vous n’obtiendrez jamais ni plaisir ni consolation. Soyez heureux par vos amis, et ne leur donnez pas le chagrin de vous voir dégrader, en vous rendant l’esclave d’une personne dont vous dites vous-même que vous ne serez jamais l’ami. Vous n’êtes pas fait pour servir de remplissage et jouer le rôle de complaisant. » Elle lui répète cette vérité que la fuite en amour est parfois acte d’énergie ; elle l’exhorte à « compter un peu plus sur sa force, » à se priver courageusement de la vue d’une ingrate, à cesser même toute correspondance avec elle, dût-il encourir des reproches ou subir des adjurations, car, lui dit-elle judicieusement, puisqu’on ne veut pas faire votre bonheur, on doit au moins ne rien faire pour entretenir une disposition qui empoisonne votre vie. Je sais très bien qu’il est possible de tenir plus fortement à son sentiment qu’à la personne qui l’inspire ; mais, quand on vient à considérer combien l’on intéresserait peu les gens pour qui on aurait donné sa vie, cela n’humilie pas, mais cela révolte, et il semble que cela doit refroidir[49]. »

Ainsi prêche-t-elle longtemps dans le désert, aussi clair voyante pour autrui que, justement à cette même date, elle l’est peu pour son propre compte. Après deux ans de vains discours, elle eut pourtant cette joie de voir ses conseils écoutés et son ami libéré de sa chaîne : « Je suis ravie de ce que vous m’assurez que votre âme ne sera plus troublée par l’affection ni par l’indifférence de la rue des Capucines… Un sentiment profond coûte tant de douleur, que du moins faut-il y trouver quelque dédommagement, et il n’y en a point lorsqu’on aime une personne qui n’est pas sensible[50]. » Rien de plus sage que ces propos, c’est le langage même du bon sens ; mais n’y a-t-il point quelque chose de piquant et d’inattendu à voir Julie de Lespinasse se constituer ainsi, avec une si chaude conviction, l’avocat de la froide prudence contre les entraînemens du cœur, de la raison contre l’amour ?


V

Ce sens pratique, ce clair discernement des intérêts de ses amis, cette passion de leur être utile, nous les retrouvons également dans les rapports de Mlle de Lespinasse avec un autre de ses familiers, qui n’est guère moins cher à son cœur que le bon Condorcet. « Au nom de Dieu, écrira-t-elle à Suard[51], intéressez-vous à ce qui vous regarde. Je crains que vous n’y apportiez une grande négligence, et cette pensée me fait souvent mal. Je vous désirerais du bonheur, si je croyais qu’il y en eût dans cette triste vie, mais je me souviens qu’il peut y avoir du calme et du repos, et je voudrais que le vôtre ne fût pas troublé par les inconvéniens attachés à la mauvaise fortune. Ce n’est pas pour moi que je crains la pauvreté ; elle ne me paraît que la privation d’un avantage ; mais pour mes amis, je la sens comme la douleur. » Rien de plus opportun que ces exhortations. Pauvre « à mourir de faim, » marié par sentiment à une femme qui n’avait que sa sagesse et sa beauté pour dot, Suard, au moins dans sa jeunesse, était en effet de ces gens qui vivent au jour le jour sans songer au lendemain, et comptent sur le hasard pour le pain quotidien. Ce détachement exagéré, mélange d’insouciance et d’orgueil, mettait hors d’elle Mme Geoffrin, protectrice attitrée du littérateur famélique ; certain jour, indignée qu’il eût manqué, faute d’une simple démarche, un emploi lucratif : « Quand on n’a pas d’argent, lui dit-elle d’un ton sec, on ne doit pas avoir de fierté. — Au contraire, madame, répliqua-t-il vivement, c’est alors surtout qu’il en faut, car sans cela on n’aurait rien ! »

Avec moins de rudesse sans doute, et certainement plus de succès, Julie ne se lasse pas de répéter la même antienne, et elle travaille avec persévérance à faire malgré lui la fortune de cet indifférent. Ce fut elle qui le décida, en dépit de sa résistance, à poser sa candidature au siège académique vacant par la mort de Duclos ; on a conservé le billet qui triompha de ses refus[52]. « Je vous demande, au nom de la raison, que je par le quelquefois, et au nom de l’amitié et du tendre intérêt qui m’animent toujours, de ne pas vous obstiner à vous conduire contre vos intérêts et contre l’opinion et le désir de vos amis, qui se réunissent tous pour vous engager à vous présenter à l’Académie. N’y eût-il que pour l’empêcher de faire un choix médiocre ou plat, vous devriez en conscience l’engager à vous préférer. Je n’entreprends pas de vous citer les raisons invincibles que vous avez pour prétendre à l’Académie ; tous ceux qui la composent, ou du moins tous ceux qui sont dignes d’être nommés, le sa veut et le sentent comme moi. En grâce, ne repoussez pas leur justice, leur justesse et leur intérêt, et n’affligez pas mon amitié, en vous refusant à ce qui peut vous être agréable et utile. Bonsoir ; je suis malade et bête, mais je vous aime bien. »

L’acceptation ainsi arrachée à grand’peine, toute la « coterie de d’Alembert » donna avec un merveilleux ensemble ; après une campagne acharnée, Suard fut élu[53] ; mais au lendemain même du triomphe, une mésaventure imprévue vint justifier ses premières répugnances. Le Roi, brouillé à ce moment avec le parti philosophique, se refusa nettement à ratifier, selon l’usage, le choix fait par l’Académie. En vain, à la prière de Mlle de Lespinasse, le prince de Beauvau plaida-t-il avec une généreuse chaleur la cause d’un écrivain « irréprochable dans ses mœurs et qui n’avait jamais écrit contre la religion ; » Louis XV fut inflexible et maintint l’exclusion contre l’élu de la grande compagnie, donnant pour toute raison « que ses liaisons lui déplaisaient et qu’il n’en voulait point[54]. » Suard resta donc au seuil de la terre promise ; et le seul qui gagna quelque chose à l’affaire fut le prince de Beauvau, dont on porta aux nues, dans tout le monde lettré, le courage, l’esprit de justice et d’impartialité : « Pour moi, conclut avec sa bienveillance accoutumée la marquise du Deffand, je voudrais qu’il les eût réservés pour quelques sujets plus importans ; c’est un mince honneur que de se faire le protecteur de pédans ou de polissons. Mais je me tais, parce que tout cela ne me fait rien. »

Ajoutons au surplus que, deux années plus tard, l’Académie eut sa revanche, et Julie avec elle. Louis XVI venait alors de monter sur le trône, et l’on sait qu’au début son règne fut salué par l’opinion publique comme la victoire de l’Encyclopédie sur le « parti dévot, » de la raison et de la tolérance sur la « superstition » et sur le « fanatisme. » L’entrée de Suard dans le cénacle académique parut être le gage de ces dispositions nouvelles ; un mois après la mort de Louis XV, il fut une seconde fois élu[55]et prit place sans opposition au milieu des amis que Mlle de Lespinasse, avec une tenace énergie, avait mis derechef en campagne et groupés sur son nom. Grande fut la joie qu’elle ressentit de ce succès définitif ; par une délicatesse touchante, ce fut à Mme Suard qu’elle en voulut adresser l’expression : « Je vous fais mon compliment, madame, et je partage votre plaisir avec tant de vérité et d’intérêt, que je serais presque tentée de croire que vous me devez aussi des félicitations. Ayez du moins assez de bonté pour être bien persuadée qu’il n’y a que vous au monde à qui je cède l’avantage de mieux aimer M. Suard, et de prendre un intérêt plus tendre à tout ce qui le touche… Recevez, je vous prie, la tendre assurance des sentimens que je vous ai voués pour la vie[56]. »

Cet enthousiasme a de quoi étonner ceux qui jugeraient Suard sur ses œuvres ; et Grimm, avec son sens critique, semble avoir prévu cette surprise, quand il écrit aussitôt après l’élection : « Beaucoup de gens n’ont point voulu reconnaître les titres qu’il pouvait avoir à cet honneur, mais tous ceux qui le connaissent sont persuadés qu’il ne dépendrait que de lui de le mériter. » C’est que la renommée de Suard et l’ascendant réel qu’il exerça sur ses amis tenaient à sa personne bien plus qu’à ses écrits. Grand et bien fait, le visage noble et spirituel, tranchant par sa naturelle distinction sur les allures et les manières de la plupart des gens de lettres de son temps, il séduisait irrésistiblement par le charme de sa parole, à la fois chaude et mesurée, par sa conversation tour à tour légère et sérieuse, sans cesse variée, jamais pédante, par la finesse de son esprit, la sûreté de son goût et l’aimable douceur d’une âme bienveillante et sensible. « Ce qui réussit ainsi en tout temps et en tout lieu est un don et n’est pas un art, » remarque un de ses biographes.

Ces qualités vivantes expliquent et le succès de Suard auprès de ses contemporains et l’indifférence dédaigneuse de la postérité. Elles suffirent, en tous cas, à lui gagner le cœur de Mlle de Lespinasse. Il fut par sa causerie l’un des attraits de son salon, et par sa bonté attentive l’une des joies de son existence. Au début de leurs relations, certains des billets qu’ils échangent exhalent comme un parfum léger de coquetterie d’une part, de galanterie de l’autre, chose rare dans la correspondance de Julie avec ses amis. « Voudriez-vous, lui écrit-elle[57], ne fût-ce que pour la rareté du fait, venir dîner avec moi, c’est-à-dire mourir de faim et de tristesse ? Ce régime vous est proposé par l’amitié ; la haine ne ferait pas pis. Je serai bien aise et bien contente si vous acceptez ; mais peut-être sera-ce un bonheur pour moi si vous refusez, car je ne m’exposerai pas au dégoût et à l’ennui que doivent inspirer ma situation et la manière dont j’en suis affectée… Adieu, que la bonté et la sensibilité de votre âme vous tiennent lieu du plaisir que vous ne trouverez pas avec moi. » Il lui répond sur un ton analogue : « Vous vous plaignez[58]souvent que les mots sont trop faibles pour exprimer vos sentimens ; vous affligeriez mon cœur si vous appliquiez cette mesure à mes paroles. On ne dit jamais tout ce qu’on sent ; il y a mille nuances de sentimens qui n’ont point d’expression… Hélas ! je vous laisse bien à deviner sur tout ce que vous suggérez de doux, de flatteur et de tendre à mon cœur ; mais croyez bien qu’il ne peut y avoir de sentiment au-dessus de celui que vous m’inspirez, qu’un sentiment que vous ne voudriez pas ! »

Toutefois cette première période ne dure guère ; l’accent est bientôt tout changé, et le marivaudage fait place à de graves, à de douloureuses confidences. Plus librement encore que près de Condorcet, c’est près de Suard que s’épanchera Julie, qu’elle cherchera du soulagement dans les angoisses de son âme passionnée. Il est le seul auquel elle ose parler, sans ambages et sans réticences, d’abord de son amour pour M. de Mora, plus tard de ce qu’elle nomme justement sa « folie, » de cette ardeur effrénée qui la tue, de ses remords, du sombre désespoir qui l’envahit au déclin de sa vie : « Ah ! mon Dieu[59], pourquoi a-t-on la lâcheté de vivre, lorsqu’on n’espère plus rien, et surtout lorsqu’en recherchant bien, on ne trouve ni en soi ni dans l’univers entier de quoi consoler de ce qu’on a perdu ! » Suard se montre digne, en tous points, de la confiance quelle lui témoigne ; il la plaint, la relève, et souvent aussi la raisonne, la chapitre doucement sur les excès de sentiment qui « détruisent sa machine, » sur le pessimisme excessif auquel elle semble se complaire : « Je vous ai laissée souffrante[60] ; je voudrais bien croire que vous êtes délivrée de ce surcroît de peines physiques qui affaissent votre âme et aggravent d’autres peines, auxquelles votre imagination prête un-charme dangereux. Vous craignez de guérir, et vous repoussez les consolations et les distractions que vous offrent le temps et votre propre caractère… Je sais bien le cas que vous ferez de mes observations et de mes conseils, mais je ne saurais vous dissimuler une pensée qui m’occupe souvent : vous vous faites une habitude d’images tristes et d’idées funestes, dont je crains les suites. Si vous vouliez écouter la nature et l’amitié… mais à quoi bon dire à quelqu’un : Soyez heureux ? Quand on ne l’est pas, c’est qu’on est entraîné par des mouvemens plus forts que la raison, qui montre les moyens de l’être. Tout ce bavardage prouve seulement combien l’idée de votre bonheur contribuerait au mien. »

Sans doute, ainsi qu’il le prévoit, les « conseils » ne servent à rien, mais l’ « indulgence » la touche et l’amitié vraie la soutient ; c’est, comme elle le lui dit, dans l’affection de ce consolateur fidèle qu’elle puise quelque courage pour supporter ses peines. Nulle part peut-être, dans ses lettres à ses amis, on ne trouve un accent aussi ému et aussi tendre qu’en ces lignes qu’elle lui adresse[61]bien peu de temps avant sa fin : « A quoi sert donc d’aimer ? Je vous aime de toute mon âme, et cela ne vous sera jamais bon à rien. Je ne vous ferai jamais éprouver autre chose que le plaisir qu’une âme sensible et honnête, comme la vôtre, goûte à adoucir les maux d’une créature souffrante, malheureuse, et qui serait tombée dans le découragement complet, si votre amitié n’était venue à son secours. »


Il n’est rien dans ces effusions qui ne soit senti et sincère, rien qui ressemble à la banalité, rien, en un mot, où l’on puisse soupçonner quelque chose de cette sensibilité factice et de cette enflure littéraire si communes en son temps. Il suffit pour n’en point douter de voir sur quel autre ton elle s’exprime lorsqu’il s’agit de certains de ses familiers, non moins méritans, non moins dévoués peut-être que les deux qui précèdent, mais qui ont moins bien su trouver le chemin de son cœur. J’en citerai comme exemple le chevalier de Chastellux[62]. C’était, parmi les intimes de Julie, l’un des premiers en date comme l’un des plus assidus, toujours d’ailleurs, comme elle le reconnaît, « parfaitement bon et attentif. » Malgré ces titres et ces qualités, les sentimens qu’elle éprouve envers lui ne dépassent guère la gratitude et ne vont pas jusqu’à la sympathie. Lorsqu’il revient d’une longue absence : « Je serai bien aise de le revoir, écrit-elle à Guibert[63] ; cependant, si j’avais pu ajouter à son voyage ce que je voudrais retrancher du vôtre, je ne le verrais pas si tôt ! Voyez, je vous en prie, combien je renverse l’ordre de la chronologie : il y a huit ans que j’aime le chevalier. » Ce n’était pourtant pus un hôte à dédaigner que l’auteur applaudi de La Félicité publique, et les plus difficiles recherchaient sa présence. Petit-fils par sa mère du chancelier d’Aguesseau, il avait été, disait-on, « bercé sur les genoux » de ce glorieux aïeul, auquel il était redevable de sa forte culture, de sa maturité précoce. Entré jeune au service, colonel à vingt ans, il avait fait, non sans éclat, la plupart des campagnes de la guerre de Sept Ans ; mais ses goûts le portaient vers la littérature et ses idées vers l’Encyclopédie ; c’était alors la route assurée du succès, il atteignit promptement au but. Quelques morceaux de prose dans le Mercure, un traité sur l’Union de la poésie et de la musique, enfin un gros ouvrage de politique et de philosophie, il n’en fallut pas davantage pour faire du chevalier d’abord un homme à la mode, ensuite un homme en vue, et vers la quarantaine un académicien.

Il était digne, par certains côtés, de cette rapide fortune. Sans même parler de son caractère droit et sûr, de son humeur liante et « candide, » sa solide instruction et son intelligence ouverte, jointes à un don particulier d’expressions pittoresques et de promptes reparties, lui valaient le renom du plus agréable causeur. On citait de ses mots dans les cercles et les boudoirs ; en parlant du style de Diderot : « Ce sont, avait-il dit, des phrases qui se sont enivrées et qui se sont mises à courir les unes après les autres. » Dans un groupe de jeunes femmes qui discouraient sur la passion : « Vous êtes, s’écriait-il, semblables à ces paresseux qui aiment à lire des histoires de voyages ! » En plus sérieuse matière, il avait quelquefois des vues originales et des « lueurs » qui, comme des éclairs, traversaient soudain sa causerie. Mais il gâtait ses traits d’esprit par la manie des calembours, qu’il prodiguait sans mesure et sans trêve, et ses dissertations par le brouillard fréquent dont s’embarrassait sa pensée. « L’esprit et les idées de M. de Chastellux, disait Mme Necker, sont comme ces nuages mal dessinés qui représentent toujours aux regards la chose qu’on nomme, arbre, montagne ou clocher. »

Sans faire un crime au chevalier de ces imperfections légères, Julie de Lespinasse en éprouvait quelque agacement, qui se devine à la façon dont elle parle de ses visites : « Le chevalier de Chastellux a résolu de me tourner la tête. Il est encore venu passer la soirée d’hier avec moi ; j’étais presque morte quand il est entré, et je n’ai pas été plus en vie tout le temps qu’il a été avec moi[64]. » Elle lui reproche aussi ses partis pris, ses jugemens exclusifs, le tranchant de ses opinions, sur tous sujets et notamment en matière de musique. Quand il heurte ses enthousiasmes en proclamant « absurdes, détestables » les chefs-d’œuvre de Gluck, elle ressent, confesse-t-elle, de cet aveuglement une colère mêlée de pitié : « Pourquoi je ne parle pas d’Orphée au chevalier de Chastellux ? Par la raison qu’il serait barbare de parler de couleur aux Quinze-Vingts ! » Mais ce qui la blesse davantage, ce qui l’empêche d’accorder à Chastellux l’affection qu’il mérite par son long dévouement, c’est ce qu’elle trouve en lui d’affecté et d’artificiel, c’est ce défaut de sensibilité, qui n’exclut pas à coup sûr la bonté, mais qui le prive, dit-elle, de la compréhension des choses de l’âme et des jouissances du cœur ; et c’est aussi sa vanité, l’importance qu’il attache aux bagatelles et aux « niaiseries du monde, » le goût excessif qu’il professe pour « la Cour, pour les princes, pour leur lever, pour leur coucher et pour leur végéter[65]. » Aussi, après une heure de tête-à-tête, est-elle prise fréquemment d’une sourde irritation, qu’elle a peine à contenir : « Les trois quarts du temps[66], je ne comprends pas le chevalier. Il est si content de ce qu’il a fait, il sait si bien tout ce qu’il fera, il aime tant la raison, en un mot il est si bien arrangé sur tout, que cent fois j’ai pensé me méprendre en lui parlant ou en lui écrivant, et j’allais prononcer ou écrire le Chevalier Grandisson ; mais c’était sans envier le sort de Clémentine[67]ni de miss Cléon[68] ! »

Cette impatience nerveuse, causée par une dissemblance de natures, ne se traduit d’ailleurs que par des boutades de ce genre, murmurées à l’oreille d’un confident discret ; rien n’en paraît dans son attitude envers lui, moins encore dans ses procédés, car, si elle est parfois injuste, au moins n’est-elle jamais ingrate. Elle ne méconnaît pas les hautes qualités de Chastellux et, quand l’occasion s’en présente, elle s’emploie avec zèle à lui rendre service. Ce fut à son initiative, à ses efforts persévérans qu’il dut l’accomplissement de son vœu le plus cher : « Il est bien content de moi, annonce-t-elle à Guibert en octobre 1774[69] ; j’ai échauffé ses amis, et les choses sont si bien arrangées qu’il ne nous faut plus que la mort d’un des Quarante pour qu’il soit reçu de l’Académie. Cela est juste sans doute, mais ce n’était pas sans difficulté. L’intérêt, le plaisir, le désir qu’il mettait à ce triomphe, m’ont animée. Mon Dieu ! Fontenelle a raison : il y a des hochets pour tout âge ! — Comme il est très prouvé, répond sentencieusement Guibert[70], que l’âme est, de toutes les qualités, la moins nécessaire à un académicien, comme, du reste, le chevalier a de l’esprit, des connaissances, de l’érudition même, et enfin un ouvrage qui lui fait honneur, je trouve que c’est parfaitement bien fait de lui donner la première place vacante. D’ailleurs, ce hochet le transportera, il croit déjà le tenir. » Quelques mois plus tard, en effet, lors de la mort de Château-brun, cet espoir se réalisa ; après Suard et avant La Harpe, Chastellux fut du nombre de ceux auxquels l’influence de Julie assura les douceurs de ce qu’elle nomme ironiquement « une immortalité à vie. »


VI

Dans cette revue des principaux personnages de la troupe, nous n’avons jusqu’ici rencontré que des hommes. La règle du nouveau salon est pourtant moins sévère que celle adoptée de longue date dans l’hôtel de Mme Geoffrin, et Mlle de Lespinasse n’exclut pas plus les femmes de ses réunions littéraires que de sa société privée. Nombreuses sont, au contraire, celles qui fréquentent en son logis, jeunes ou vieilles, belles ou laides, sous la seule condition d’avoir un peu d’esprit. Toutefois, à y regarder de près, il faut bien reconnaître que, sauf rares exceptions, — telles que Mme Geoffrin et la maréchale de Luxembourg, — elle ne témoigne pas à la plupart de ses pareilles cette même affection exaltée qu’elle apporte dans son commerce avec ses amis masculins. Elle rend justice à leur mérite, elle est sensible à leur attrait, elle est parfois touchée de leur tendresse, mais elle ne livre pas son cœur et ne verse pas ses secrets. On la sent toujours réservée et promptement ombrageuse ; un rien suffit à provoquer un frisson d’inquiétude, un mouvement de recul, qui dégénérerait aisément en méfiance et en jalousie. C’est que, par une disposition secrète, fréquente chez les grandes amoureuses, en chaque femme de son entourage, pour peu qu’elle possède quelque charme, elle redoute d’instinct une rivale ; cette obscure suspicion est faite pour gâter toute jouissance et pour prévenir tout abandon.

Ainsi nous apparaît Julie de Lespinasse au cours de ses relations d’amitié avec cette comtesse de Boufflers[71], que Mme du Deffand avait surnommée l’Idole, — parce qu’on l’adorait au Temple, où demeurait le prince de Conti, son amant, — et qui fut une des femmes les plus séduisantes de son siècle. Délicieusement jolie, de cette beauté qu’on appelle délicate et qui souvent se conserve le mieux, à près de quarante ans, disent ses contemporains, elle gardait la fraîcheur de la vingtième année. De sa causerie alerte, le trait saillant était une réelle éloquence, parfois paradoxale, mais toujours ingénieuse, originale, colorée, fit, malgré la hardiesse de certaines théories, d’une expression si chaste et d’une moralité si haute, qu’on oubliait en l’écoutant les démentis que la conduite donnait trop souvent aux propos. « Je veux, disait-elle joliment, rendre à la vertu par mes paroles ce que je lui ôte par mes actions. » Personne d’ailleurs ne se choquait de cette contradiction, car elle était conforme aux mœurs et aux idées du jour : « Qu’importe d’où vient la source, pourvu que l’eau soit pure ? proclamait le duc de Lévis. Autant vaudrait s’informer si le médecin qui vous ordonne la tempérance la toujours pratiquée. » Ce qu’on critiquait davantage chez Mme de Boufflers, c’est ce que son esprit avait d’un peu subtil et d’un peu recherché, c’est aussi le soin qu’elle prenait de souligner, pour forcer l’attention, ses spirituelles saillies, et le souci qu’elle laissait voir de provoquer, au terme d’une brillante période, les bravos de son auditoire. « Elle à une continuelle préoccupation d’applaudissemens, écrit Horace Walpole ; vous diriez qu’elle pose constamment pour son portrait devant le biographe. »

Sur cette faiblesse de son amie, notre héroïne insiste à mainte reprise, et plus qu’on ne voudrait, quand on songe aux titres réels que Mme de Boufflers s’était acquis à la gratitude de Julie. N’avait-elle pas, l’une des premières, pris publiquement parti pour la jeune fille dans sa querelle avec Mme du Deffand, bien qu’elle fût de tout temps liée avec la marquise ? Et, sans rompre entièrement avec la société de Saint-Joseph, n’avait-elle pas été depuis l’une des plus assidues dans le salon rival ? Elle se vit, il faut bien l’avouer, mal récompensée de ce zèle, car Mme du Deffand lui en voulut à mort, et Mlle de Lespinasse ne lui en sut qu’un gré insuffisant. Non pas que cette dernière soit absolument insensible à l’amitié de Mme de Boufflers : « Je me fais un grand plaisir de vous retrouver, lui écrit-elle[72]après une séparation assez longue. Votre absence m’est pénible à plus d’un égard, goût, besoin, habitude ; cette dernière raison est la moins forte ; ce n’est que dans les choses indifférentes qu’elle tient lieu de sentiment. Adieu, madame, je désire fort de vous revoir, et vous vous trompez si vous croyez que je me passe aisément de vous. » Elle ne ferme pas davantage les yeux de parti pris sur ses rares qualités : « Elle est bien aimable[73], je l’ai vue beaucoup cette semaine. Elle vint dîner chez Mme Geoffrin mercredi ; elle fut charmante ; elle ne dit pas un mot qui ne fût un paradoxe ; elle fut attaquée, et elle se défendit avec tant d’esprit que ses erreurs valaient autant que la vérité. » Mais l’ironie suit de bien près l’éloge : « Elle nous dit que, dans le temps où elle aimait le mieux l’Angleterre, elle n’aurait consenti à s’y fixer qu’à la condition qu’elle y aurait amené avec elle vingt-quatre ou vingt-cinq de ses amis intimes et soixante ou quatre-vingts autres personnes qui lui étaient nécessaires absolument ; et c’était avec beaucoup de sérieux, et surtout beaucoup de sensibilité, qu’elle nous apprenait le besoin de son âme[74], » Dans le passage suivant, l’égratignure est plus marquée : « Dans mes longues insomnies[75], je suis venue à penser à la comtesse de Boufflers ; je me demandais ce qui faisait qu’avec beaucoup d’esprit, de grâces et d’agrémens, elle faisait en général aussi peu d’effet, et surtout aussi peu d’impression ; je crois en avoir trouvé la raison. Ne convenez-vous pas qu’il y a dans tout un vrai de convention ? Il y a le vrai de la peinture, le vrai du spectacle, le vrai du sentiment, le vrai de la conversation. Eh bien ! Mme de Boufflers n’a le vrai de rien, et cela explique comment elle a passé sa vie sans toucher ni intéresser même les gens à qui elle a le plus d’envie de plaire. » Il serait facile de citer bien d’autres extraits du même genre. Pourquoi donc cette aigreur et cette évidente malveillance à l’égard d’une amie dont la fidélité ne s’est à aucun moment démentie ? L’explication n’est pas difficile à trouver : c’est qu’avec ses quarante-huit ans sonnés, la comtesse a fait à Guibert quelques avances de coquetterie, auxquelles, nous le verrons plus tard, celui-ci a paru n’être pas insensible. Voilà le crime impardonnable qui, aux yeux d’une femme passionnée, efface tout un passé d’affection et de dévouement.


Même nuance de froideur et d’ombrage, — moins accentuée peut-être, moins justifiée surtout, — dans ses rapports avec une autre femme de son intimité, aussi célèbre de son temps que Mme de Boufflers, mais plus oubliée de nos jours, et dont, pour cette raison, il me sera permis d’esquisser la figure. Je veux parler de Mme de Marchais[76], dont le salon, au dire de Marmontel, se composait de « tout ce que la Cour avait de plus aimable et de ce qu’il y avait, parmi les gens de lettres, de plus estimable du côté des mœurs, de plus distingué du côté des talens. » Pour présider à ces assises, imaginons[77]une mignonne créature « de quatre pieds de haut, » mais « faite au tour » et proportionnée à ravir, avec des traits peu réguliers, des cheveux merveilleux, des yeux pétillans de malice, des dents « qui paraissaient beaucoup, mais qui étaient superbes, » une mise tant soit peu excentrique, d’énormes panaches sur la tête, et, tout autour de sa personne, « plus de guirlandes de fleurs naturelles que toutes les figurantes de l’Opéra, » bref, un curieux mélange d’agrément et de ridicule. Mais ce que nul ne pouvait contester, c’était la séduction extraordinaire de son esprit, enjoué, piquant, vif, prime-sautier, « animé, disait-on, jusque dans le silence, » et profond autant que rapide. « Elle devinait la pensée, et ses répliques étaient des flèches qui jamais ne manquaient le but. » L’âme douce avec cela, d’une obligeance parfaite, cette « jeune fée, » comme dit Marmontel, ne manquait pas d’adorateurs ; mais son cœur était pris par une passion unique, qui occupa son existence entière, et dont l’objet était le comte d’Angiviller, directeur général des bâtimens et des jardins du Roi. Ils eurent une liaison de quinze ans, s’épousèrent dès qu’ils se virent libres, et ne s’aimèrent que mieux après, phénomène qui valut à ce couple modèle la juste admiration de leurs contemporains.

Qu’une pareille maîtresse de maison s’arrachât presque journellement aux élégances de son logis, aux empressemens de ceux qui formaient autour d’elle comme une espèce de cour, pour réclamer une place dans le salon étroit de la maison du menuisier, c’était sans doute une marque d’attachement dont Mlle de Lespinasse lui devait tenir compte ; et tout donne à penser que, pendant les premières années, elle n’y fut pas indifférente. Mais il se trouva, par malheur, que cette pimpante petite personne ne dédaignait point les hommages qui venaient vers elle de toutes parts. « Elle inspire des passions, dit Walpole, et elle n’a pas assez de temps pour guérir le quart des blessures qu’elle fait. » Nullement galante, coquette à peine, il lui plaisait toutefois d’éveiller dans les cœurs l’émotion attendrie qui s’en tient aux regards, aux timides allusions et aux discrets soupirs. Du jour où, fort innocemment, elle fut remarquée par Guibert, du jour où elle fut la confidente de ses premiers essais de littérature dramatique, l’amitié des deux femmes fut à jamais détruite, et Mme de Marchais se vit irrémédiablement perdue dans l’esprit de Julie. Il est intéressant de voir avec quelle promptitude la susceptibilité jalouse de cette dernière s’applique à rompre une intimité qui l’inquiète, et comme elle s’attaque habilement au point le plus sensible, la vanité de l’auteur débutant : « Nous aimons toujours ceux qui nous admirent, écrit-elle à Guibert[78] ; oui, mais vous devriez bien dire à M. d’Angiviller de faire taire Mme de Marchais, lorsqu’elle dit que les deux premiers actes du Connétable[79]sont du machiavélisme tout pur, que le Connétable est un rôle détestable, que celui d’Adélaïde est ridicule, etc., etc. Bonsoir, je voudrais avoir exclusivement le secret de votre amour-propre ; en revanche vous auriez celui de mon cœur. » La manœuvre eut un plein succès ; entre Guibert et Mme de Marchais, ce fut la fin soudaine de tout commerce intellectuel ; la sympathie naissante suivit le même chemin. Quiconque s’en étonnerait prouverait une faible connaissance de l’âme humaine en général et en particulier de celle de l’homme de lettres.


Voici toutefois, pour clore la série, une femme envers laquelle les sentimens de Mlle de Lespinasse suivirent une gradation entièrement opposée et, de l’indifférence première, s’élevèrent progressivement jusqu’à la plus tendre affection. Il est vrai qu’Emilie-Félicité de La Vallière, duchesse de Châtillon[80], n’avait pas en partage des dons aussi dangereux que celles dont je viens de parler, la beauté qui subjugue, l’esprit qui éblouit. Ses principaux, presque ses seuls mérites, étaient la bonté de son âme et la sincérité de son cœur ingénu. C’était encore presque une enfant quand, dans le salon de sa mère, la délicieuse duchesse de La Vallière[81], amie intime de Mme du Deffand, elle avait rencontré Julie de Lespinasse ; du premier jour, elle s’était prise pour elle d’une de ces passions de jeune fille qui confinent à l’adoration. Quelques années plus tard, quand Julie quitta Saint-Joseph, il n’est de soins et de services qu’elle ne s’ingénia à lui rendre ; de ses conseils, de ses démarches, fréquemment aussi de sa bourse, elle l’aida comme la plus dévouée et la plus affectueuse des sœurs. Pendant bien des années pourtant, elle n’obtint guère, pour salaire de ses peines, qu’une reconnaissance un peu froide, sans élan et sans effusion.

Nulle mauvaise volonté d’ailleurs de la part de Julie, rien autre chose qu’une impuissance à contraindre son cœur. Elle s’en veut même, au fond, de ne pas rendre davantage en échange de ce qu’elle reçoit ; mais, par un mouvement bien humain, c’est contre celle qui lui vaut ce remords que se tourne son impatience : « Elle est bien aimable[82], mais elle fait que je suis mécontente de moi. Elle croit m’aimer, elle agit, elle a de la bonté, de l’honnêteté, mais sa tête est vide comme une lanterne, et son âme est un vrai désert ; et vous croyez bien que je n’ai ni le temps ni la force d’éclairer l’une et de remplir l’autre. Elle me gêne souvent ; elle me prive de ma pensée. »

Pour faire rendre plus de justice à cette fidèle tendresse, il fallut les leçons sévères de la douleur, cette grande éducatrice. Éperdue de tristesse, abîmée de découragement, Julie comprit enfin la douceur consolante d’une affection toujours présente, d’une compassion ardente en même temps que discrète : « J’aurais bien mauvaise opinion de moi si je ne l’aimais pas, s’écriera-t-elle alors ; elle exige si peu, elle donne tant ! Je voudrais que vous la vissiez, que vous entendissiez ce qu’elle me dit ; la passion ne s’exprime pas autrement. » Désormais la glace est brisée ; ces deux âmes chaleureuses, faites d’une pareille essence, se sont reconnues, dirait-on, et volent à l’appel l’une de l’autre ; et c’est Mme de Châtillon que Mlle de Lespinasse propose en exemple à Guibert, lorsqu’elle souffre à son tour de la froideur qui répond à sa flamme : « Je commence à croire que la première de toutes les qualités pour se faire aimer, c’est d’être aimante. Non, vous n’imaginez pas tout ce qu’elle invente pour aller jusqu’à mon cœur. Mon ami, si vous m’aimiez comme elle !… Non, je ne le voudrais pas. Me préserve le ciel de connaître deux fois un pareil bonheur ! » Nombreux sont les passages où Mlle de Lespinasse exprime ainsi ses sentimens nouveaux pour une incomparable amie ; je n’en veux pas fatiguer le lecteur ; les lignes qu’on a lues suffisent à indiquer les étapes successives d’une liaison qui, comme elle le dit, sera dorénavant pour l’héroïne de cette histoire « le charme et le bienfait » de ses dernières années.

Ségur.
  1. Voyez la Revue des 1er  et 15 avril.
  2. Pièces publiées par M. Eugène Asse à la suite de sa brochure : Mlle de Lespinasse et Mme du Deffand, et par M. Charles Henry en appendice des Lettres inédites de Mlle de Lespinasse.
  3. Dossier communiqué par M. Gaston Boissier.
  4. De ces deux rentes viagères, l’une, de 600 livres, fut constituée par contrat du 21 mai 1758, l’autre de 2 000 livres, par contrat du 6 octobre 1763. Des documens qui m’ont été gracieusement communiqués par M. Gaston Boissier, il résulte que ces deux pensions étaient versées à Mlle de Lespinasse « sur les revenus du Roi, » ce qui parait confirmer l’assertion des mémoires de Marmontel qu’une partie des rentes de Julie provenait directement de la cassette de Louis XV, sur la demande du duc de Choiseul.
  5. Soit 20 000 livres. — Contrat en date du 5 octobre 1764.
  6. Souvenirs inédits de Mme de la Ferté-Imbault. — Archives du marquis d’Estampes.
  7. Il y faut ajouter 3 000 livres de pension, qui furent constituées par la suite à Mlle de Lespinasse par M. de Vaines et par un autre donateur dont le nom est inconnu.
  8. Lettre du 26 novembre 1771 à Abel de Vichy. — Archives de Roanne.
  9. Private correspondence of David Humé. London, 1820.
  10. Sans parler de Mme du Deffand, Gaspard de Vichy et son fils Abel souffraient perpétuellement des yeux ; leur correspondance renferme nombre de recettes pour remédier à ce mal.
  11. 9 juillet 1764. — Correspondance générale de Voltaire.
  12. Si l’on en croit Marmontel, ce fut plutôt une « fièvre putride. »
  13. « D’Alembert est comme hors d’affaire, écrivait peu après à Hume M. d’Angiviller. Il a été transporté chez Watelet ; il s’en trouve fort bien, il plaisante, dit de bons mots et s’impatiente. Tout cela est de bon augure. » (Life of David Hume, par Burton.)
  14. 400 livres par an.
  15. Lettre du 13 août 1765, à Voltaire.
  16. Élégie sur la mort de Mlle de Lespinasse, écrite en juillet 1778. — D’Alembert fit à Mme Rousseau, pour la « dédommager de son mieux, » une pension viagère de 600 livres. Elle mourut à l’âge de quatre-vingt-douze ans.
  17. Lettre à Mme X… Papiers du président Hénault, passim.
  18. The life of David Hume, par Burton.
  19. Lettre du 3 mars 1766, à Voltaire. — Correspondance générale de Voltaire.
  20. Lettere di Ferdinando Galiani al marchese Tanucci, publiées par Bozzoni, Florence, 1880. — Lettre du 13 mars 1769.
  21. Hâtons-nous de dire que cette baignoire, « forme sabot, en cuivre rouge, » comme porte l’inventaire, était, selon l’usage du temps, recouverte d’une planche qui ne laissait passer que la tête de l’occupant, ce qui éloigne toute idée d’indécence.
  22. Lettre du 7 août 1769, à Condorcet. Lettres inédites de Mlle de Lespinasse, publiées par M. Charles Henry.
  23. D’Alembert, par J. Bertrand.
  24. Aux Mânes de Mlle de Lespinasse.
  25. Souvenirs inédits, passim.
  26. Voyez le Royaume de la rue Saint-Honoré, p. 347 et suivantes.
  27. Souvenirs inédits, passim.
  28. Poème de la Conversation.
  29. Goncourt, la Femme au XVIIIe siècle.
  30. 21 juillet 1779. Lettres de Morellet à lord Shelburne, publiées par lord Fitz-Maurice.
  31. Lettre de Victor de Bonstetten, 1770.
  32. Lettere al marchese Tanucci, passim.
  33. Grimm, Correspondance littéraire.
  34. Éloge d’Eliza, passim.
  35. Apologie d’une pauvre personne accablée, opprimée par ses amis. (Lettres de Mlle de Lespinasse, publiées par M. Isambert), et archives du château de Talcy.
  36. Ibid.
  37. La Harpe, Correspondance littéraire.
  38. Éloge d’Eliza, passim.
  39. Goncourt, la Femme au XVIIIe siècle.
  40. Tableau de Paris.
  41. Lettres à Condorcet, octobre 1773 et 1774. — Lettres inédites de Mlle de Lespinasse, publiées par M. Charles Henry.
  42. Lettre du 9 octobre 1774, à Guibert. Édition Asse.
  43. Portrait de Condorcet par Mlle de Lespinasse. Appendice aux lettres publiées par M. Ch. Henry.
  44. Ibid.
  45. 9 juillet 1771. Correspondance inédite de Condorcet et de Turgot, publiée par M. Ch. Henry.
  46. Condorcet était né en 1743.
  47. 3 juin 1769. — Lettres inédites, publiées par M. Charles Henry.
  48. Juillet 1769 et novembre 1771. — Ibid.
  49. Juin-juillet 1772. Correspondance publiée par M. Charles Henry.
  50. 1773.
  51. Lettre sans date. Collection de l’auteur.
  52. Publié par M. Isambert, d’après le portefeuille de Hénault, passim.
  53. Le 7 mai 1772.
  54. Un refus pareil accueillit l’élection, faite le même jour, de l’abbé Delille, sous prétexte « qu’il était trop jeune et qu’il pouvait attendre. »
  55. Le 26 mai 1774.
  56. Essais de Mémoires sur M. Suard, par Mme Suard.
  57. Archives du château de Talcy.
  58. Archives du château de Talcy.
  59. Lettre à Suard, citée par M. Ch. Henry dans l’appendice des Lettres inédites de Mlle de Lespinasse.
  60. Archives du château de Talcy.
  61. 1776. Collection de l’auteur.
  62. François-Jean, d’abord chevalier, puis marquis de Chastellux (1738-1788).
  63. Lettre du 1er août 1773. Edition Asse.
  64. Lettre du 6 octobre 1775 à Guibert, Édition Asse.
  65. Lettre de Guibert à Mlle de Lespinasse du 19 octobre 1774. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  66. Lettre à Guibert du 30 octobre 1774. Édition Asse.
  67. Personnage d’un des plus célèbres romans de Richardson.
  68. Sans doute Geneviève Savalette, marquise de Cléon, intimement liée avec Chastellux.
  69. Édition Asse.
  70. 19 octobre 1774. Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  71. Marie-Charlotte-Hippolyte Campet de Saujon, née en 1725, mariée en 1746 au comte Edouard de Boufflers-Bouverel, morte le 4 décembre 1800. Il ne faut pas la confondre avec ses deux contemporaines, la duchesse de Boufflers, qui fut ensuite duchesse de Luxembourg, et la marquise de Boufflers, l’amie du roi Stanislas Leczinski.
  72. Archives du château de Talcy.
  73. Lettre du 21 octobre 1775 à Guibert. Édition Asse.
  74. Lettre du 21 octobre 1774, à Guibert. Édition Asse.
  75. 18 octobre 1775, idem''. La lettre autographe contient en toutes lettres le nom de Mme de Boufflers, dont la lettre publiée ne donne que les initiales.
  76. Fille de Benjamin de La Borde, fermier général, lequel n’a d’autre rapport qu’une ressemblance de nom avec Joseph de Laborde, banquier du Roi, son contemporain, avec qui on le confond parfois.
  77. Mémoires de Marmontel, de Garat, du duc de Lévis. Lettres de Walpole, etc.
  78. Août 1775. Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  79. Tragédie du comte de Guibert.
  80. Née le 29 août 1740, mariée en 1756 a Louis Gaucher, duc de Châtillon, veuve six ans après, morte nu château de Wideville en 1812. Elle laissa deux filles, qui furent la duchesse d’Uzès et la princesse de Tarente.
  81. Anne-Julie-Françoise de Crussol d’Uzès, duchesse de La Vallière. Sa merveilleuse beauté résista jusqu’au seuil de la vieillesse à l’assaut des années, et c’est pour elle que fut composé le célèbre quatrain :
    La nature prudente et sage
    Force le Temps à respecter
    Les charmes de ce beau visage
    Qu’elle ne saurait répéter.
  82. Lettre sans date. Archives du comte de Villeneuve-Guibert.