Julie de Lespinasse (RDDM)/06

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Julie de Lespinasse (RDDM)
Revue des Deux Mondes5e période, tome 29 (p. 824-867).
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JULIE DE LESPINASSE[1]

LA FAUTE


I

En l’an 1772, où nous a conduits ce récit, une des maisons les plus en vogue dans la belle société de Paris était celle de Watelet, financier, fermier général, écrivain et graveur, membre de deux Académies[2]. Cet homme universel, d’intelligence ouverte et de goût délicat, s’était aménagé, aux portes de la capitale, près de la rive gauche de la Seine et non loin du bac de Bezons, une sorte de demeure champêtre qui, par sa nouveauté, provoquait la curiosité et l’admiration générales. C’était l’époque de ce mouvement qui entraînait toute une génération vers « le retour à la nature. » De la littérature, cette mode se propageait aux arts de toute espèce, et notamment au décor des jardins. Aux anciens parcs français, avec leurs allées droites, leurs parterres carrés, leurs charmilles, on commençait à substituer des dessins moins géométriques et des formes plus capricieuses. Le financier Boutin avait donné l’exemple[3] ; il avait même outrepassé le but, accumulant à profusion bosquets, prairies, rochers, cascades, collines au sommet arrondi, « pareilles, selon Walpole, à des puddings aux herbes, » ruisseaux serpentant alentour, et « navigables aisément dans la saison des coques de noix. » — « C’est quelque chose de si sociable, continue l’éternel railleur, que de pouvoir se serrer la main par-dessus une rivière, de la cime de deux montagnes ! Il n’y a qu’une nation aussi aimable qui ait pu l’imaginer[4]. »

Watelet avait évité cet excès ; son domaine de Moulin-Joli n’offrait pas cet aspect de « carte d’échantillons. » Les deux îlots dont il se composait, reliés par un « pont de bateaux » le long duquel couraient des caisses de fleurs, étaient tout couverts de vergers, d’arbustes en bouquets, d’arbres de haute futaie, peupliers d’Italie, ormeaux et saules pleureurs, dont les branches retombantes formaient comme des voûtes naturelles, « sous lesquelles on se reposait, on rêvait avec délices[5]. » Mélangées aux plantes rares, les fleurs sauvages, les herbes folles, croissaient et se multipliaient à l’aise ; et, dans des directions variées, de larges avenues en berceau ouvraient de claires percées, aboutissant chacune à un beau point de vue, château, village, clocher d’église ou de couvent[6].

Le créateur de ce délicieux « Elysée » vivait là, dans une harmonie et une union parfaites, avec celle qu’il avait associée à sa vie, Marguerite Lecomte, laquelle, trente ans auparavant, s’était échappée, pour le suivre, du logis marital. Cette fuite avait eu lieu sans éclat ni scandale ; le mari, le premier, avait fait preuve de sereine indulgence, s’abstenant de toute plainte aussi bien que de tout reproche, occupant ses loisirs à fabriquer, pour se distraire, « du vinaigre et de la moutarde, » et fréquentant assidûment le logis de son successeur[7]Le monde avait peu à peu fait de même. On ne parlait qu’avec des larmes dans la voix de ce couple sexagénaire, modèle des faux ménages, Philémon et Baucis de l’union extra-conjugale. La meilleure compagnie, les femmes les plus honnêtes, les grands dignitaires de l’Eglise, faisaient parade de leur intimité avec celle qu’on nommait « la meunière de Moulin-Joli » et se pressaient dans ses salons. Dans une fête qui eut lieu en octobre 1773, la maîtresse de Watelet prit place à table entre l’archevêque de Bourges et Mlle de Cossé-Brissac, fille de la duchesse de ce nom. Le duc de Nivernais chanta au dessert des couplets, où chacun des convives, y compris l’archevêque, était traité avec un familier sans gêne, et où tout le respect dont l’auteur était susceptible était réservé uniquement à Marguerite Lecomte. Bref, toute la société du temps témoigne d’un même empressement pour les hôtes de « l’Ile enchantée, » et l’on n’entend dans ce concert qu’une seule note discordante, l’austère réprobation de Mme de Genlis[8], gouvernante des enfans de M. le Duc d’Orléans et maîtresse avérée du père de ses élèves.

D’Alembert était assidu dans cette hospitalière demeure, dont le propriétaire était pour lui un ami de jeunesse : « Il y a trente ans, écrit Watelet au Père Paciaudi, que presque tous les jours nous nous sommes vus, ou donné des marques d’amitié. » C’est dire qu’il en était de même de Mlle de Lespinasse et qu’à Moulin-Joli, il ne se donnait collation, souper, réception d’aucun genre, où elle ne fût conviée toute des premières et spécialement fêtée. Elle assistait, entre autres, à la matinée qui eut lieu le 21 juin 1772, par un beau jour de ce premier mois de l’été. Mora, sorti d’une crise terrible, était enfin hors de danger, en pleine convalescence, et son amie, libérée de sa longue angoisse, reprenait le goût de la vie, éprouvait le besoin de secouer un moment le souvenir de ces heures mortelles. Parmi les nombreux invités qui prirent part aussi à cette fête, était un personnage qui commençait alors d’occuper l’attention publique, Jacques-Antoine-Hippolyte, comte de Guibert, colonel dans l’armée du Roi, auteur d’un livre à succès, dont je parlerai tout à l’heure. Peut-être, — ainsi qu’il semble résulter d’une phrase de l’Éloge d’Eliza[9], — Guibert et Mlle de Lespinasse s’étaient-ils déjà rencontrés dans quelque salon de Paris ; mais l’occasion avait manqué pour faire sérieusement connaissance. Au contraire, à Moulin-Joli, le laisser aller coutumier d’une réunion champêtre, la liberté de s’isoler, de se promener en tête à tête, tout invitait à la conversation, et ils usèrent de cette facilité. Bien que les détails fassent défaut, il est aisé de les imaginer marchant à côté l’un de l’autre dans les belles allées en berceau qui menaient vers la Seine, ou s’asseyant au pied d’un de ces saules pleureurs dont la chevelure pendante formait un poétique abri, et là, dans ce cadre charmant, s’abandonnant simplement, sans défiance, à la sympathie instinctive qui naissait au fond de leurs âmes, donnant un libre essor à ces pensées qu’on ne livre pas au vulgaire, et se découvrant mutuellement des goûts, des sentimens et des idées semblables.

Nul roman, à coup sûr, dans cette entrevue initiale, pas même, tout au moins chez Julie, le désir ni la prévision d’un vrai commerce d’amitié : « J’étais bien éloignée, écrira-t-elle l’année suivante[10], d’avoir besoin de former une nouvelle liaison ; ma vie et mon âme étaient tellement remplies que j’étais bien loin aussi de désirer un nouvel intérêt. » L’impression toutefois fut profonde ; trois jours après la rencontre à Moulin-Joli : « J’ai fait connaissance avec M. de Guibert, mande-t-elle à Condorcet[11]. Il me plaît beaucoup ; son âme se peint dans tout ce qu’il dit ; il a de la force et de l’élévation ; il ne ressemble à personne. » Elle se procure immédiatement son livre, encore peu répandu ; cette lecture lui inspire une telle admiration, qu’elle écrit à l’auteur pour le féliciter ; il remercie par une visite, et cette seconde causerie ne fait que fortifier l’effet de la première : « J’ai vu M. de Guibert chez moi, écrit-elle[12] ; il continue à me plaire infiniment. » Julie est donc fondée à faire dater, comme elle dira plus tard, de « la journée de Moulin-Joli » l’événement qui devait bouleverser entièrement son être et apporter « le malheur dans sa vie. » Elle n’est guère moins en droit de nier toute préméditation, pour n’accuser que la fatalité. « Est-ce que nous sommes libres ? Est-ce que tout ce qui est peut être autrement[13] ? »


II

L’homme qui fait ainsi son entrée dans l’histoire de notre héroïne était alors âgé de vingt-neuf ans à peine[14], mais il avait déjà un passé brillant derrière lui : douze ans de services militaires, plusieurs actions d’éclat dans la guerre de Sept Ans et dans la campagne de Corse, enfin un livre dont l’apparition récente avait produit dans toute l’Europe une sensation extraordinaire, l’Essai général de tactique[15]. L’ouvrage qui valait à Guibert cette universelle renommée se divisait en deux parties, dont la seconde était un traité didactique des systèmes en usage parmi les diverses armées et l’indication des réformes à apporter dans la tactique et dans la stratégie. De ce mémoire technique, il suffira de dire ici qu’il bouleversait toutes les idées anciennes pour y substituer celles en honneur de nos jours, et que Napoléon, dans ses premières campagnes, en emportait toujours un exemplaire, annoté de sa main. Mais ce qui, plus généralement encore, excitait l’enthousiasme, c’était la première partie de l’ouvrage, intitulée Discours préliminaire, morceau de brûlante éloquence, où le jeune écrivain disait audacieusement leur fait à toutes les monarchies et spécialement à sa patrie, frondait avec une fougueuse véhémence le pouvoir absolu, déterminait les bases sur lesquelles, à son sens, il convenait de réédifier le vieux royaume de France, et formulait, vingt années avant la Révolution, les doctrines qui furent l’Evangile des réformateurs de la Constituante.

Il n’est pas de mots pour décrire l’effet produit sur l’opinion par ce langage, alors nouveau, par ces pages exaltées, où les rêves généreux s’allient parfois aux idées justes et où vibre toujours l’accent d’un patriotisme sincère. Tant que le livre fut interdit, on s’arracha sous main les exemplaires ; lorsqu’il vit le jour publiquement, les éditions se succédèrent avec une rapidité étonnante. Tout le monde y trouvait à louer : les militaires se glorifiaient du succès d’un des leurs ; l’Encyclopédie exultait du lustre qu’une telle adhésion ajoutait à son œuvre, et Voltaire appelait la Tactique un « ouvrage de génie ; » de leur côté, « la Cour et le grand monde se flattaient, dit La Harpe, d’opposer un colonel à toute la littérature. » A l’imprudent qui risquait une critique : « On perd la vue à chercher les taches du soleil, » répliquait sévèrement un bel esprit du temps[16]. Les femmes étaient les plus ardentes ; on trouvait l’Essai de tactique sur tous les guéridons et dans tous les boudoirs. Et dans un illustre salon, on discuta toute une soirée ce point intéressant : « lequel serait le plus à désirer, d’être la mère, la sœur, ou la maîtresse de M. de Guibert[17]. »

On peut bien penser, en effet, qu’un si vif engouement avait promptement passé de l’œuvre à son auteur. Dans ce milieu vibrant, sonore et surchauffé de la société parisienne, on avait vu déjà surgir, dans ces dernières années, bien des grands hommes improvisés, bien des héros d’une heure ; mais la renommée d’aucun d’eux n’approcha, même de loin, le prestige surprenant qui, du jour au lendemain, s’attacha au nom de Guibert et lui resta longtemps fidèle. « Il s’élance vers la gloire par tous les chemins, » prédisait le Grand Frédéric, auquel faisait écho le patriarche de Ferney : « Je ne sais s’il sera un Corneille ou un Turenne, mais il me paraît fait pour le grand, en quelque genre qu’il travaille. » Julie de Lespinasse ne fait que s’associera l’avis général lorsqu’elle lui dit, au début de leur amitié : « Il y a des noms faits pour l’Histoire ; le vôtre excitera l’admiration ! » Nul, en parlant de lui, n’oserait employer d’autre mot que celui de génie ; nul ne doute qu’il soit, dans l’avenir, l’honneur de sa patrie, l’instrument de son relèvement. « Il est, dira encore Julie[18], comme à la tête d’une société de gens de beaucoup d’esprit, dont il est, pour ainsi dire, l’oracle. Ses disciples et ses amis ont une si haute opinion de ses vertus et de ses mérites, que quelques-uns se félicitent d’être nés de son temps, comme je ne sais plus quel philosophe se félicitait d’être né du temps de Socrate. » Peut-être Bonaparte, à son retour d’Egypte, ne fut-il pas, dans les salons, l’objet d’aussi grandes espérances que le comte de Guibert, à l’heure où il liait connaissance avec Julie de Lespinasse.

Observé à distance, et dans le recul de l’histoire, cet enthousiasme semble assez inexplicable. C’est qu’il avait son origine et sa cause essentielle dans ces dons extérieurs qui tiennent à la personne et qui disparaissent avec elle. Je n’entends point par là les avantages physiques ; Julie elle-même est calme sur ce point : « Sa figure, nous dit-elle, est belle sans être distinguée ; ses traits sont réguliers, sans avoir beaucoup de jeu ; sa physionomie a quelque chose de doux et de sombre ; son maintien est négligé ; son rire est tout naturel, c’est celui de la première jeunesse[19] . » Les portraits de Guibert conservés de nos jours donnent l’impression de la force et de l’énergie, plus que de la grâce et du charme : le front est vaste et encadré de cheveux épais et crépus, les yeux fortement enchâssés, la mâchoire un peu lourde, la bouche large, aux lèvres charnues ; la tête, rejetée en arrière, est portée par un cou puissant. Sa stature était peu élevée, mais sa taille était « noble et leste, » avec « quelque chose d’adroit et de délibéré dans toutes ses manières[20]. » Bref, un homme de bonne mine et de belle allure, sans rien pourtant qui frappe à première vue, sans rien surtout qui sente le héros de roman.

Mais le secret de son empire résidait avant tout dans un don d’éloquence qui tenait presque du prodige. Dès qu’il ouvrait la bouche, on était fascine. Sa voix timbrée, douce et prenante remuait le cœur de ceux qui l’écoutaient, avant même que leur âme ait subi l’ascendant d’une parole imagée, jaillissant comme un flot sonore, féconde en aperçus nouveaux, en formules saisissantes, en comparaisons poétiques, ayant tout de la flamme, la chaleur avec la clarté. Il semblait qu’un feu mystérieux s’échappât des profondeurs de son être, illuminât tous les replis de sa pensée. « Son âme, écrit Mme de Staël[21], vous appartenait en vous parlant… Sa conversation était la plus variée, la plus animée, la plus féconde que j’aie jamais connue… Dans le monde, ou seul avec vous, dans quelque disposition qu’il fût ou que vous fussiez, le mouvement de son esprit ne s’arrêtait jamais ; il le communiquait infailliblement. » Et pour appuyer ce jugement d’une personne passionnée, voici celui de Mme Necker, aussi calme, aussi modérée que sa fille était excessive : « Plus heureusement doué que les plus heureux en ce genre, on admirait en lui des facultés merveilleuses et absolument individuelles, qu’aucun homme avant lui n’avait encore possédées… Son génie avait de l’enthousiasme ; il faudrait en avoir pour le peindre, le montrer réuni à tous les objets par le sentiment, par la pensée, par le mouvement, ainsi qu’il le fut toujours pendant sa vie[22]. » Au lendemain d’une lecture que Guibert avait faite de l’un de ses ouvrages : « Un jeune homme, écrit-elle à Grimm[23], lit à lui tout seul une pièce mieux que la meilleure troupe possible, et l’on emporte les femmes mortes ou mourantes au sortir de ce spectacle ! »

Si l’on ajoute à cette force oratoire une mémoire sans pareille et dont on cite des traits inouïs[24], une inlassable activité, et une faculté de travail qui lui permettait de faire face aux plus rudes et aux plus diverses besognes, sans l’empêcher de se livrer aux distractions du monde, on comprendra le culte admiratif dont Guibert fut l’objet de la part de ses contemporains et spécialement l’impression qu’un tel homme devait produire sur l’imagination des femmes. De fait, sans être un don Juan de métier, il faisait autant de passions que les plus fameux séducteurs, et le nombre de ses conquêtes n’avait d’égal que le dédain avec lequel il les considérait : « La légèreté, je pourrais même dire la dureté avec laquelle il traite les femmes, lui reprochera Julie de Lespinasse[25], vient du peu de cas qu’il en fait… Voici comment il les voit : coquettes, vaines, faibles, fausses et caillettes. Celles qu’il juge plus favorablement, il les croit romanesques ; et s’il est forcé de reconnaître dans quelques-unes certaines bonnes qualités, il trouve que ce n’est point la peine de les en estimer davantage, parce que c’est plutôt en elles des vices de moins que des vertus de plus. » — « C’est, reprend-elle plus loin, comme dissipation et divertissement qu’il les prend et qu’il les quitte, et il n’estime pas assez leurs sentimens, pour se croire obligé de ménager leur sensibilité. » Cette appréciation sévère n’a rien d’exagéré. Toutefois, avec cet illogisme auquel leur sexe est volontiers enclin, moins il semblait tenir à ses adoratrices, plus ardemment elles s’attachaient à lui. Il recevait comme un juste tribut les bonnes fortunes qui s’offraient à lui de toutes parts, papillonnant au gré de son caprice et ne donnant guère de son cœur ; car l’ambition, le souci de la gloire, à cette aube de sa vie, l’absorbaient trop pour qu’il perdît son temps à des rêveries sentimentales, et, comme le dit Mme de Staël, non sans une pointe de malice, « il était distrait des autres par sa pensée, et peut-être aussi par lui-même. »

Ces succès de rencontre et ces amourettes de passage ne mettaient d’ailleurs pas obstacle à une liaison sérieuse et, pour ainsi dire, affichée. « On peut dire, insinue Julie dans le premier portrait qu’elle ait tracé de lui, que M. de Guibert est non moins aimable encore que digne d’être aimé, du moins par ses amis et par sa maîtresse, car il est impossible qu’il n’en ait une. » Elle en était d’autant plus sûre que, comme nous le verrons bientôt, il lui en avait fait confidence et lui en parlait sans détour ; et cette chaîne, quoique peu pesante, avait la force et la solidité que donne une longue accoutumance. La femme dont il s’agit, Jeanne Thiroux de Montsauge[26], avait, au temps où nous sommes arrivés, dépassé la trentaine ; fille de Bouret, le fermier général, — célèbre longtemps par son faste et ses folles prodigalités, puis par sa ruine complète et par sa fin tragique, — elle avait conçu pour Guibert un attachement tranquille et sans fracas, mais profond et tenace. C’était, autant qu’il y paraît, une personne réfléchie, raisonnable, avisée, tant soit peu terre à terre, capable de vrai dévouement et, comme écrit Guibert, faite pour « une amitié très douce et très aimable, » plus que pour de grands sentimens et de fougueuses ivresses. Cette sagesse, cette modération, lui attirèrent tout d’abord les dédains de Mlle de Lespinasse : « Je crois qu’il a fait une grande méprise ; il a rencontré quelqu’un qui a arrêté tous ses mouvemens. Enfin il n’a pas rencontré Mme de la Moussetière. Il en était digne[27] ! » Et par une criante injustice, c’est aussi le reproche qu’adressera plus d’une fois à Mme de Montsauge l’amant auquel elle reste assez fortement attachée pour supporter, sans plainte et sans apparente jalousie, ses froideurs, ses caprices, ses infidélités.


III

Entre Julie de Lespinasse et le comte de Guibert, un commerce suivi s’établit aussitôt après le départ de Mora. Leurs lettres nous renseignent sur leurs dispositions morales à l’heure où s’inaugure cette dangereuse familiarité. Après quelques années d’une liaison, qui peut-être flattait insuffisamment son orgueil, Guibert touchait à cette période où l’homme n’est plus guère retenu que par le lien de l’habitude et n’attend sournoisement que l’occasion de s’échapper ; au moins est-ce ce qu’il assurait formellement à Julie. « Vous avez donc oublié, lui écrira celle-ci, ce que vous m’avez dit vingt fois l’année dernière ? Je vous ai vu dans la disposition de prendre le parti le plus violent, de rompre avec elle, de ne plus la voir. Je me souviens d’avoir combattu cette résolution, et alors vous saviez bien que je ne désirais pas d’être heureuse par vous. » Dans une lettre ultérieure, elle lui répète encore : « Vous m’aviez assuré que vous n’étiez plus amoureux de cette femme, et que vous aviez l’âme si libre, si dégagée de tout sentiment, que votre désir le plus vif était de vous marier[28]. » Toutefois, par ce besoin inhérent à notre âme de relever et d’ennoblir ce que nos sentimens ont quelquefois de plus vulgaire, il attribuait la fatigue de son cœur à la désillusion causée par une nature médiocre, qu’il ne pouvait, malgré ses peines, hausser à son propre niveau : « Après tout, disait-il avec mélancolie, je n’ai pas raison de me plaindre. C’est tout ce que sent, c’est tout ce que peut sentir son âme. Puis-je exiger qu’elle me ressemble, qu’elle vous ressemble[29] ? » Il développait ce thème avec cette chaleur d’expressions qui prêtait tant de force à ce qui sortait de ses lèvres, et Julie, persuadée, en arrivait à plaindre de bonne foi la victime d’une méprise funeste, à pleurer sur cet incompris : « Il n’y a que les malheureux qui soient dignes d’avoir des amis ; si votre âme n’avait point souffert, jamais vous n’auriez été jusqu’à la mienne[30]. »

Cette prétendue analogie de deux cœurs également malades, également douloureux, semble avoir été l’origine de leur intimité. L’absence du marquis de Mora et les mauvaises nouvelles arrivées après son départ trouvaient cette fois Julie sans énergie, presque sans espérance. Les distractions d’esprit, le tourbillon du monde, ne parvenaient plus, comme naguère, à étourdir, à bercer sa tristesse. Elle crut trouver quelque adoucissement à sa peine dans l’intelligente sympathie d’une âme compatissante, passionnée comme la sienne et pareillement blessée ; et c’est en parlant de Mora que, par une pente insensible, elle s’abandonnait à l’attrait de ce consolateur : « Vous seul peut-être, écrira-t-elle, avez eu le pouvoir de suspendre quelques instans ma douleur, et ce bien d’un moment m’a attachée à vous pour jamais. » — « Mon âme, dit-elle encore, n’avait point besoin d’aimer. Elle était remplie d’un sentiment tendre, profond, partagé, répondu, mais douloureux cependant, et c’est ce mouvement qui m’a rapprochée de vous. Vous ne deviez que me plaire, et vous m’avez touchée. » Et elle dévoile ingénument le fond même de son cœur, en ces mots pleins de grâce : « J’avais tant souffert ! Mon corps, mon âme, étaient épuisés par la durée de la douleur. C’est alors que je vous ai vu ; c’est alors que vous avez ranimé mon âme ; vous y avez fait pénétrer le plaisir : je ne sais lequel m’était le plus sensible, ou de vous le devoir, ou de le ressentir[31]. »

Aucun pressentiment, dans cette première période, ne l’avertit du danger qui s’approche ; la pensée de l’absent, la tendresse qu’elle lui garde lui répondent de son cœur, l’empêchent, selon son expression, de se défier d’elle-même : « Comment craindre, comment prévoir, lorsqu’on est garantie par le sentiment, par le malheur, et par le bien inestimable d’être aimée par une créature parfaite ? Voilà ce qui entourait mon âme, ce qui la défendait, lorsque vous y avez fait descendre le trouble du remords et la chaleur de la passion. » C’est ce qu’elle répétera plus tard en faisant, seule avec elle-même, une sorte d’examen de conscience : « Je n’aurais pas pu alors me rendre compte à moi-même de ce que je pensais. Je passais alternativement du trouble que cause le commencement d’une passion à l’illusion trop nécessaire et trop flatteuse d’avoir rencontré autant de sensibilité et de tendresse qu’il avait su m’en inspirer[32]. » L’unique crainte qui l’agite est que cette amitié naissante ne puisse toujours rester aussi paisible et aussi bienfaisante, que l’excessive nervosité à laquelle elle se sait sujette ne soit plus tard entre eux une cause de trouble et de dissentiment : « Je vous l’ai dit, nous ne ferons point de tout ceci l’amitié de Montaigne et de La Boétie. Ces gens-là étaient calmes ; ils n’avaient qu’à se livrer aux impressions douces et naturelles qu’ils recevaient ; et nous, nous sommes deux malades. Mais avec cette différence, ajoute-t-elle, que vous êtes un malade plein de force et de raison, qui vous conduisez de manière à jouir incessamment de la plus excellente santé, tandis que moi je suis atteinte d’une maladie mortelle, à laquelle tous les soulagemens que j’ai voulu apporter se sont convertis en poison et n’ont servi qu’à rendre mes maux plus aigus[33]. »

Ne laissons pas, sans nous y arrêter, passer ces dernières lignes ; on y entend une note nouvelle, qui s’accentuera rapidement. Dès cette heure, en effet, et malgré l’illusion dont elle est enivrée, elle a, par échappées, comme une vague intuition de la vraie nature de Guibert : elle pressent, dirait-on, les déceptions que lui causera ce cœur « plus ardent que sensible, » ayant de la passion la flamme et non pas la chaleur, trop occupé de « gloire » pour se livrer sans réserve à l’amour. Écoutons-la lui dire un jour avec une mélancolique ironie : « Je ne sais pourquoi, j’ai quelque chose qui m’avertit que je pourrais dire de notre amitié ce que le comte d’Argenson dit en voyant pour la première fois Mlle de Berville, sa nièce : Ah ! elle est bien jolie ; il faut espérer qu’elle nous donnera bien du chagrin ! » Et plus clairement encore : « Je suis bien trompée, ou vous êtes créé pour faire le bonheur d’une âme vaine, et le désespoir d’une âme sensible… Je plaindrais une femme sensible dont vous seriez le premier objet ; sa vie se consumerait en craintes et en regrets[34]. »

Ce ne sont encore néanmoins que des lueurs fugitives. La plus légère protestation, la moindre marque d’intérêt ramènent vite la confiance et ressuscitent le charme : « Si j’étais jeune, jolie et bien aimable, je ne manquerais pas de trouver beaucoup d’art dans votre conduite envers moi ; mais comme je ne suis rien de tout cela, que je suis le contraire de tout cela, j’y trouve une bonté et une honnêteté qui vous ont acquis à jamais des droits sur mon âme. Vous l’avez pénétrée de reconnaissance, d’estime, et de tous les sentimens qui mettent de l’intimité et de la confiance dans une liaison… Vous voulez que je jouisse en paix de l’amitié que vous m’offrez et que vous me prouvez avec autant de douceur que d’agrément ; oui. je l’accepte, j’en fais mon bien ; elle me consolera, et si jamais je jouis de votre société, elle sera le plaisir que je désirerai et sentirai le mieux[35]. » Ainsi, pendant ces premiers mois, Julie passe-t-elle par des alternatives de doute et d’espérance, de joie et de tristesse, constamment ballottée par des courans contraires, devinant de loin les écueils sans trouver dans son cœur la force de les fuir.


Pour dissiper les brumes qui obscurcissent sa volonté, il faudra une épreuve nouvelle, la rupture passagère de l’intimité commençante. A une époque où le goût des voyages lointains était peu répandu parmi la société française, Guibert, depuis son plus jeune âge, étonnait ses contemporains par son ardeur à « courir les grandes routes, » curiosité d’une âme avide de sensations nouvelles, peut-être aussi, comme le lui reprochera Julie, suggestion d’une nature inquiète, impatiente du repos : « En tout, lui dit-elle, le mouvement vous est plus nécessaire que l’action ; cela paraît bien subtil, mais pensez-y, et vous verrez que cela est juste. » En mai 1773, il lui prit la subite envie de parcourir l’Autriche, la Prusse, les bords du Rhin, de visiter les champs de bataille de la guerre de Sept Ans, d’étudier l’organisation militaire de l’Allemagne sous le règne de Frédéric. Lutter contre cette fantaisie, Julie n’avait encore aucun droit de le faire ; elle s’y résigna donc, se bornant, pour dédommagement, à demander des lettres fréquentes. Encore, la promesse faite, a-t-elle scrupule d’imposer une contrainte : « Voyez si je suis généreuse, je m’engage à vous rendre votre parole, si vous avez à vous reprocher quelque méprise… Avouez-le-moi, et je vous réponds de n’en pas être blessée. Croyez qu’il n’y a que la vanité qui rende difficile, et je n’en ai point. Je ne suis qu’une bonne créature, bien bote, bien naturelle, qui aime mieux le plaisir de ce que j’aime que tout ce qui n’est que moi et pour moi… Mettez-vous bien à votre aise, et écrivez-moi un peu, beaucoup, ou point du tout[36]. »

Le départ était annoncé pour le mercredi 19 mai. Pourtant, le lendemain de ce jour, Julie est instruite par hasard qu’on a vu Guibert à Paris : « J’allai moi-même savoir si vous n’étiez point malade, et, ce qui vous paraîtra affreux, c’est qu’il me semble que je le désirais. Cependant, par une inconséquence que je ne vous expliquerai pas, je me sentis soulagée en apprenant que vous étiez parti[37]. » Ce trouble, cette incertitude, c’est ce qui, après la séparation, caractérise encore les premières lettres de Julie : « Comme j’ignore l’impression que me fera votre départ, disait-elle avant les adieux[38], je ne sais point si j’aurai la liberté et la volonté de vous écrire. » Cette volonté, comme bien on pense, n’attend même pas que Guibert ait franchi la frontière de France ; mais les longues pages qu’il reçoit à Strasbourg sont faites pour dérouter un homme aussi habitué aux conquêtes. Il semble, à lire certains passages, qu’elle cherche à se reprendre, qu’elle retrouve dans la solitude le courage qui lui manque lorsqu’ils sont en présence : « Non, non, je ne veux pas de votre amitié… Elle m’exaspérerait, et j’ai besoin de me reposer, de vous oublier pendant quelque temps. » Il est vrai que l’instant d’après, elle atténue la dureté de sa phrase : « Oui, votre absence m’a rendu le calme, mais aussi je me sens plus triste. Je ne sais si je vous regrette, mais vous me manquez comme mon plaisir. » Et l’inquiétude la hante que les distractions du voyage fassent tort au souvenir de l’amie : « Quand vous lirez ceci, mon Dieu, à quelle distance serez-vous ? Votre personne ne sera qu’à trois cents lieues, mais voyez quel chemin votre pensée aura fait ! Que d’objets nouveaux ! Que d’idées, que de réflexions nouvelles ! Il me semble que je ne parle plus qu’à votre ombre ; tout ce que j’ai connu de vous a disparu ; à peine trouverez-vous dans votre mémoire la trace des affections qui vous animaient, les derniers jours que vous avez passés à Paris. » Cette perspective l’émeut si fort qu’elle fait appel, en termes presque supplians, à cette même amitié qu’elle paraissait repousser tout à l’heure : « Plût au ciel que vous fussiez mon ami, ou ne vous avoir jamais connu ! Croyez-vous ? Serez-vous mon ami ? Pensez à cela une fois seulement ; est-ce trop[39] ? »

C’est seulement d’aujourd’hui que ses yeux commencent de s’ouvrir. Cette agitation, cette angoisse, ce vide qui s’est creusé brusquement dans sa vie, sont-ce là les suites accoutumées d’une pure et tranquille affection ? Une fois déjà, n’a-t-elle pas ressenti ces symptômes ? Elle s’analyse longuement, avec bonne foi, et, tremblante de sa découverte, elle s’adresse à l’absent pour l’aider à lire en son âme et réconforter sa détresse : « Dites-moi, est-ce là le ton de l’amitié ? Est-ce celui de la confiance ? Qu’est-ce qui m’entraîne ? Faites-moi connaître à moi-même ; aidez-moi à me remettre en mesure. Mon âme est bouleversée ; sont-ce mes remords ? Est-ce ma faute ? Est-ce vous ? Serait-ce votre départ ? Qu’est-ce donc qui me persécute ? Je n’en puis plus ! Dans ce moment, j’ai de la confiance en vous jusqu’à l’abandon ; et peut-être ne vous reparlerai-je de ma vie. » Quelques semaines plus tard : « Je ne sais plus ce que je vous dois ; je ne sais plus ce que je vous donne. Je sais que votre absence me pèse, et je ne saurais répondre que votre présence me fît du bien. Quelle situation horrible, où le plaisir, où la consolation, où tout enfin devient poison ! Que faire, dites-moi ? Où retrouver le calme ? Oh ! combien de fois l’on meurt avant que de mourir[40] ! »

La souffrance qu’elle dépeint en ces mots éloquens, il est facile d’en deviner la cause. Ce cœur tout frémissant, ce cœur qui lui échappe, elle a perdu le droit d’en disposer, elle en a fait don à un autre ; chacun de ses battemens est une sorte de trahison. Déjà, la veille du départ de Guibert, elle a senti la première morsure du remords, en recevant une lettre de Mora pleine de tendresse et de confiance : « Il me parle de moi, de ce que je pense, de mon âme, avec ce degré de connaissance et de certitude qu’on a, lorsqu’on exprime ce que l’on sent vivement et fortement[41]. » Et, brusquement, ces pages ont réveillé sa conscience endormie : « Je veux être de bonne foi avec vous, avec moi ; et, en vérité, dans le trouble où je suis, je crains de m’abuser. Peut-être mes remords sont-ils au-dessus de mon tort ; peut-être l’alarme que je sens est-elle ce qui offenserait le plus ce que j’aime… » Elle a beau raisonner ainsi et cherchera se rassurer, une voix intérieure l’avertit qu’elle est bien réellement coupable : « Par quelle fatalité êtes-vous venu me distraire ? Que ne suis-je morte dans le mois de septembre[42] ? Je serais morte alors sans regret, et sans avoir de reproche à me faire. Hélas ! je le sens, je mourrais encore aujourd’hui pour lui ; il n’y a point d’intérêt dont je ne lui fisse le sacrifice ; mais, il y a deux mois, je n’avais point de sacrifice à lui faire. Je n’aimais pas plus, mais j’aimais mieux. »

Tel est le début du combat qui, pendant trois années, va déchirer son âme ; c’est de ce jour que date son long martyre. Nous en suivrons, au cours de ce récit, les douloureuses étapes ; mais ce que tout d’abord il me faut raconter ici, c’est le grave surcroît de tourmens que, durant l’absence de Guibert, vont causer à Julie les nouvelles qu’elle reçoit d’Espagne.


IV

Nous avons pris congé du marquis de Mora le jour où il quittait Paris pour tenter une cure à Bagnères. Ce séjour ne fut guère heureux : de terribles hémorragies, jointes aux nombreuses saignées prescrites par le médecin, l’affaiblirent à tel point que l’on douta d’abord qu’il pût gagner Madrid. « Il est parti de Bagnères dans un état qui me fait tout craindre pour sa vie, mandait Julie à Condorcet[43]. Son médecin le conduit ; mais, s’il peut le secourir, il ne pourra pas le garantir d’une rechute, qu’il ne pourra soutenir dans l’état d’épuisement où il est. Il a été saigné neuf fois, et il était si anéanti qu’il n’a pas pu juger du péril auquel il s’exposait en se mettant en route… Vous êtes le plus excellent et le plus sensible de tous les hommes ; jugez de ma situation ! » Le trajet s’effectua toutefois tant bien que mal jusqu’à Bayonne, où le joignit sa sœur, la duchesse de Villa Hermosa, et ils revinrent de compagnie dans la capitale espagnole. Là le repos, les bons soins, l’air natal, amenèrent une amélioration. Mais une dure épreuve l’attendait : plus malade encore que son fils et déclinant avec rapidité, la comtesse de Fuentès réunissait ses forces expirantes pour lutter contre la passion qui dévorait son premier-né. Aux instances de Mora pour obtenir qu’elle consentît à son mariage avec Julie, elle répondait par des refus formels. La jeune duchesse de Villa Hermosa, dont la dévotion redoutait pour son frère l’influence, ainsi qu’elle disait, de l’« astucieuse Française, » encourageait sa mère dans cette résistance obstinée[44] : « J’ai le pressentiment, écrivait Julie justement inquiète, que Mme de Villa Hermosa empoisonnera le reste de ma vie. Au moins qu’elle n’empoisonne pas la sienne[45] ! » Ces discussions, ces querelles de famille, la déception de voir ses projets ajournés, jetaient Mora dans un vrai désespoir, sans ébranler pourtant la fidélité de son cœur : « J’en ai eu dix pages qui m’ont pénétrée de tendresse et de douleur, dit encore son amie[46]. Il est bien plus malheureux que moi ; il sait bien mieux aimer ; il a bien plus de caractère. En un mot, il a tout ce qu’il faut pour être le plus malheureux et le plus aimé des hommes. »

Emportées par leur zèle, la mère et la sœur de Mora en arrivaient bientôt aux moyens violens. Elles abusaient de la faiblesse qui confinait le convalescent dans sa chambre pour intercepter au passage, quand l’occasion le permettait, la correspondance amoureuse, les lettres partant de Madrid comme celles venant de France. De là, entre les deux amis, des périodes de silence forcé, suivies de récriminations contre les méfaits de la poste. « Les lettres se perdent ; il y a sans cesse des retards ; » cette plainte revient continuellement sous la plume de Julie. A la longue, cependant, elle eut quelque soupçon ; c’est alors qu’elle imagina de s’adresser au duc de Villa Hermosa : une fois de plus, le dévoué d’Alembert remplit l’office d’intermédiaire ; et telle est l’origine de la correspondance qui, conservée dans les archives de la maison de Villa Hermosa, est aujourd’hui pour nous une source d’informations précieuse. « Quoique les amis de M. le marquis de Mora approuvent fort son silence, ils en sont pourtant alarmés, écrit le philosophe[47] ; ils craignent qu’il n’y ait dans ce silence plus d’impossibilité de le rompre que de régime qui oblige à le garder. Monsieur le duc est donc très instamment prié d’avoir la bonté de faire savoir aux amis de M. le marquis de Mora si la poitrine est restée attaquée de la violente secousse qu’elle a éprouvée à Bagnères, s’il a encore des évanouissemens, et quels sont les alimens dont il fait usage. Monsieur le duc voudra bien pardonner ces questions au sentiment d’amitié qui oblige de les lui faire… »

Le beau-frère de Mora répond à cette requête avec le plus vif empressement et n’épargne point les détails : «… Vous pouvez assurer ses amis que sa poitrine n’est pas restée attaquée du tout de la violente secousse qu’elle a éprouvée à Bagnères et que, depuis qu’il en est sorti, il n’a pas essuyé le plus petit évanouissement. Il est cependant trop faible encore pour se nourrir seulement de légumes ; il mange un peu de notre puchero ou de notre pot à l’espagnole, du poulet et du veau. Il est même obligé de manger tout seul, et ce n’est qu’hier qu’il m’a fait l’honneur de dîner chez moi ; c’est la première fois qu’il a quitté sa chambre à pareille heure. Il sort fort peu, et avec toutes les précautions imaginables pour se garantir de l’air froid et vif de ce pays. En un mot, Monsieur, je puis avoir l’honneur de vous dire qu’il se rétablit, mais lentement… Il m’a chargé de vous assurer, ainsi que ses amis, de son attachement et de sa reconnaissance, et de vous dire qu’il a écrit la dernière semaine, et trois postes auparavant, à Mlle de Lespinasse[48]… »

Les lettres ultérieures du duc, celles de Mora lui-même envoyées par son entremise, donnèrent d’abord l’espoir d’une vraie convalescence. Les derniers mois de l’hiver, le début du printemps, n’amenèrent pas de rechute sérieuse, et Julie retrouvait quelque sécurité, quand subitement, un mois après le départ de Guibert, un nouvel accident survint, suscitant de nouvelles angoisses. « Il a craché le sang, il a été saigné deux fois, mande à Guibert Mlle de Lespinasse ; au moment du départ du courrier, il était bien, mais l’hémorragie a pu recommencer ; le moyen de se calmer avec cette pensée !… La souffrance, ajoute-t-elle, a amolli mon âme, et je lui cède. J’ai pris à cinq heures du matin deux grains d’opium ; j’en ai obtenu du calme, qui vaut mieux que le sommeil… Je puis vous parler, je puis me plaindre ; hier je n’avais point de mots, je n’aurais pu prononcer que je craignais pour la vie de ce que j’aime ; il m’aurait été plus facile de mourir que de proférer des mots qui glacent mon cœur. Vous avez aimé ; concevez donc ce que c’est que de pareilles alarmes ! Et jusqu’à mercredi, je serai dans une incertitude qui fait horreur et qui cependant me commande de vivre jusque-là[49]. »

L’anxiété qui la mine et qui, selon son expression, la fait passer sans cesse « de l’état de convulsion à celui d’abattement, » a d’étranges contre-coups sur ses sentimens pour Guibert. Dans le premier moment, superstitieuse autant que peu croyante, elle ne peut se défendre de faire un rapprochement entre les tourmens qu’elle éprouve et l’infidélité de son cœur ; elle y croit voir comme un châtiment de sa faute, et maudit le destin qui a mis sur sa route ce funeste consolateur : « Oui, en honneur, je pense que c’est un malheur dans ma vie que cette journée que j’ai passée, il y a un an, à Moulin-Joli… Je déteste, j’abhorre la fatalité qui m’a poussée à vous écrire ce premier billet ! » Il ne lui suffit pas de s’accuser elle-même ; elle en veut à Guibert de l’affection qu’il lui a inspirée : « Oh ! qu’êtes-vous donc, pour m’avoir détournée un instant de la plus charmante, de la plus parfaite de toutes les créatures ! » Et l’amertume dont elle est inondée la rend sévère, injuste même, à l’égard de celui qui, dans ses pérégrinations lointaines, s’étonne des variations d’humeur dont la cause lui échappe : « Je ne suis pas contente de votre amitié ; je trouve qu’il y a de la froideur et de la légèreté à ne pas me dire pourquoi vous ne m’avez pas écrit de Dresde comme vous me l’aviez promis… Et puis, vous le dirai-je ? je suis blessée de ce que vous me remerciez de l’intérêt que je prends à vous. Pensez-vous que ce soit y répondre ? Vous me trouvez bien injuste, bien difficile ; non, je ne suis rien de tout cela ; je suis bien vraie, bien malade et bien malheureuse. Si je ne vous disais pas ce que je sens, ce que je pense, je ne vous dirais rien. » Quelques semaines après : « Vous êtes jeune, vous avez connu l’amour, vous avez souffert, et vous en avez conclu que vous étiez sensible ; et cela n’est pas vrai[50] ! »

Les plaintes, les reproches de ce genre sont dès ce moment chose commune sous la plume de Julie, mais ce ne sont pourtant encore que des nuages fugitifs, que fondent vite les rayons de sa tendresse naissante. Chaque pas fait en arrière est suivi d’un retour, et la frayeur d’avoir offensé son ami lui inspire des accens où se révèlent les progrès de sa flamme. Elle renonce graduellement à s’attarder dans de vaines équivoques ; cette passion qu’elle ne peut plus vaincre, elle la confesse avec une entière loyauté, et rarement tel aveu trouva-t-il plus charmante et plus délicate expression : « Je vous aime trop pour pouvoir m’imposer la moindre contrainte ; j’aime mieux avoir à vous demander pardon que de ne point faire de fautes. Je n’ai plus d’amour-propre avec vous… Je ne connais point de devoirs envers mon ami ; je me rapproche de l’état de nature ; les sauvages n’aiment pas avec plus de sensibilité et de bonne foi. Le monde, le malheur, rien n’a pu corrompre mon cœur… Ne chicanez pas, accordez-moi beaucoup ; vous verrez que je n’abuse point. Oh ! vous verrez comme je sais bien aimer ! Je ne fais qu’aimer, je ne sais qu’aimer ! » Citons encore ces lignes, si tendres sous leur apparente rudesse : « Je n’adopte aucune de vos louanges, et je vais vous étonner : c’est qu’elles ne me louent point. Que m’importe que vous jugiez que je ne sois pas bête ? Il est singulier, mais il est pourtant vrai que vous êtes l’homme du monde auquel je me soucie le moins de plaire. » Et voyons-la enfin abdiquer tout orgueil, implorer d’un ton suppliant, à défaut de tendresse, un peu de douceur et de pitié : « Songez que vous devez beaucoup à ma situation : je suis malheureuse, je suis malade ; voyez si cela ne sollicite pas votre vertu. Ce qu’elle m’accordera sera payé d’une reconnaissance infinie. Mon Dieu, Je pauvre motif et le pitoyable sentiment, ne trouvez-vous pas[51] ? »

Nul ne peut s’y tromper ; c’est bien le langage de l’amour, parfois timide encore, mais cependant complet et déjà exclusif, régnant seul sur le cœur où il s’est installé en maître. Si celui qui reçoit ces lignes en peut encore douter, il suffira pour le convaincre des passages où Julie laisse éclater, comme malgré elle, la souffrance intime que lui cause la liaison, non encore dénouée, de Guibert avec Mme de Montsauge. Le nom de cette dernière revient constamment sous sa plume ; elle interroge Guibert avec une curiosité douloureuse ; a-t-il, en même temps que les siennes, eu des lettres de sa maîtresse ? Lesquelles a-t-il lues les premières ? Auxquelles a-t-il répondu d’abord ? « Réglons nos rangs, donnez-moi ma place ; mais, comme je n’aime pas eh changer, donnez-la-moi un peu bonne. Je ne voudrais pas de celle où vous souffrez cette malheureuse personne. » Souvent aussi elle s’apitoie sur le sort de l’homme supérieur lié à une créature incapable de le comprendre : « D’où vient donc que cette femme ne vous aime pas à la folie, comme vous voudriez l’être, comme vous méritez de l’être ? A quoi donc peut-elle employer son âme et sa vie ? Oh ! oui, elle n’a ni goût ni sensibilité, j’en suis sûre. Elle devrait vous aimer, ne fût-ce que par vanité… Mais de quoi vais-je me mêler ? Vous êtes content, ou, si vous ne l’êtes pas, vous aimez le mal qu’elle vous fait[52]. » C’est ainsi déjà que l’on sent naître et grandir en elle cette jalouse inquiétude qui deviendra bientôt l’un des pires tourmens de sa vie.

Une autre crainte l’agite et se fait jour en plusieurs de ses lettres : elle tremble que le monde ne vienne à soupçonner l’intimité, — tout innocente soit-elle, — qui l’attache à Guibert, et que le bruit en aille jusqu’à Madrid, pour y semer le désespoir dans un cœur confiant et fidèle. Un jour, Chastellux a fait une discrète allusion au sentiment nouveau qui remplit ses pensées : « Il prétend que je vous aime beaucoup, comment le sait-il ? Lui auriez-vous écrit ? » Une autre fois, dans une visite à Mme de Boufflers, la causerie a pris une tournure plus alarmante encore : la maîtresse de maison, grande amie de Guibert, a déclaré, devant une nombreuse assistance, que ce dernier n’aimait plus Mme de Montsauge, mais qu’il était « fortement attaché, » sans qu’on sache à quelle femme, et qu’il ne voyageait que pour guérir son cœur. « Enfin, après bien des conjectures sans intérêt, on vint à me demander si je vous aimais, si je vous connaissais beaucoup, car je n’avais pas dit un mot : Oui, je l’aime beaucoup, et quand on le connaît un peu, il n’y a que cette manière de l’aimer. — Eh bien ! vous savez donc ses liaisons ? Quel est l’objet de sa passion ? — Non, en vérité, je n’en sais rien du tout[53]. » Devinerait-on donc quelque chose ? Prise de terreur à cette idée, Julie conjure Guibert de ne parler d’elle à personne et de détruire scrupuleusement ses lettres : « Brûlez-vous les miennes ? Je vois d’ici qu’elles tombent des paquets énormes que vous tirez de vos poches. Le désordre de vos papiers trouble ma confiance[54]. »

Inutile d’ajouter que ce vœu fut mal obéi ; les citations qu’on vient de lire en sont une preuve sans réplique. Julie malheureusement montra plus de prudence, et la plupart des lettres de Guibert, pour cette première période, échappent ainsi à toutes recherches. Toutes rares qu’elles soient pourtant, celles qui ont survécu, rapprochées des passages où Mlle de Lespinasse fait allusion aux pages qu’elle a reçues, nous permettent de conjecturer dans quelle mesure l’objet d’une si forte tendresse répond aux sentimens qui lui sont témoignés. C’est d’ailleurs un point sur lequel Julie, à cette époque, est assez incertaine : « Que pensez-vous, lui demande-t-elle un jour, d’une âme qui se donne avant que de savoir si elle sera acceptée ? » Dans la réalité, il semble qu’au début, l’impression de Guibert soit surtout celle de la surprise, presque de l’inquiétude, qu’il se sente comme déconcerté par cette passion fougueuse, par cette façon d’aimer, pour lui nouvelle et jusqu’à ce jour ignorée. Les faciles galanteries mondaines, l’attachement doux et résigné de Mme de Montsauge, ne l’ont guère préparé à ce flot impétueux, à ce torrent de lave. Aussi il louvoie, se dérobe, n’écrit qu’à de rares intervalles, et quand Julie se plaint de son silence, s’excuse avec gaucherie : « Je me disais toujours : Demain, j’écrirai : et les jours s’écoulaient. Je n’ai écrit à personne au monde. Quand je ne vous écris pas, soyez donc sûre une fois pour toutes que je suis mort à l’univers entier[55]. »

Chaque fois qu’il peut, il fuit les questions personnelles, il esquive les terrains brûlans, remplit ses lettres de récits, de descriptions, intéressantes sans doute, mais d’un ton si banal que Mlle de Lespinasse peut sans danger en donner connaissance à ses confidens habituels, à Chastellux, à Mme Geoffrin, au marquis de Mora lui-même[56] : « Vous me dites si peu de vous, lui reproche-t-elle tristement, que vos lettres pourraient presque aller à toutes les femmes que vous connaissez. Il n’en est pas de même des miennes ; elles ne peuvent avoir qu’une adresse[57]. » Ainsi pressé, il fait la sourde oreille, feint de prendre le change et de ne voir dans les plus transparens aveux que des assurances d’amitié : « Je chéris les conseils que vous me donnez. Je trouve avec plaisir que ce sont ceux de quelqu’un qui veut s’assurer de me revoir. Et moi, je vous dirai à mon tour : Ménagez-vous donc d’ici à ce que j’arrive, tâchez de calmer votre âme… L’amitié, telle que je la sens, ou plutôt telle que vous me l’avez inspirée, a des droits sur moi dont vous n’osez pas assez concevoir l’étendue… J’aime votre amitié comme elle est ; sa vivacité fait mon bonheur, et j’espère qu’elle ne nuira pas au vôtre[58]. » Et il a soin d’associer d’Alembert au désir qu’il exprime de retrouver Julie : « Je suis bien aise que M. d’Alembert ait de l’amitié pour moi. Et que je serai aise de le revoir ! »

Sur un point cependant il accorde à Julie quelque satisfaction, en faisant bon marché du cœur et de l’esprit de Mme de Montsauge : « Que dites-vous d’un sentiment qui, devant être plus vif que le vôtre, reste toujours en arrière du vôtre ? Ah ! ne me le dites pas, vous m’affligeriez en m’éclairant… Croyez-vous que, si j’en étais le maître, je ne changerais pas ses facultés contre les vôtres ? » Mais il gâte aussitôt tout l’effet de ces lignes en mettant au même plan la maîtresse dédaignée et la nouvelle amie : « Quel ridicule compte vous faites de toutes les personnes qui passent avant vous ! Mme de M… et vous, je vous jure que vous êtes les deux premiers objets vers lesquels se porte ma pensée. Je ne saurais dire à laquelle j’écris la première ; aujourd’hui, par exemple, c’est à vous[59]. »

Parmi ces dissonances et ces malentendus, le voyage de Guibert approchait de son terme. Après avoir parcouru tour à tour la Prusse, la Silésie, l’Autriche, il avait un instant songé à pousser jusqu’à Pétersbourg, au grand désespoir de Julie ; « J’abhorre la Russie ! s’écrie-t-elle. Jusqu’à ce que vous eussiez eu envie d’y aller, je ne haïssais que les Russes. » Mais il renonce à ce projet, comme à celui de visiter la Suède, et Mlle de Lespinasse, tout en s’en réjouissant, ne peut, sur cette information, se retenir d’une suspicion inquiète : « Pourquoi avez-vous renoncé à aller dans le Nord ? Je ne puis croire que ce soit uniquement pour abréger le temps de votre voyage. A qui donc faites-vous le sacrifice de la Suède ? Si on l’a exigé, vous êtes content… Enfin, si votre retour est avancé, j’aime la personne ou la chose qui en est la cause[60]. » Les derniers jours d’août, il annonce qu’il va quitter Vienne pour revenir en France ; après quoi, trois semaines s’écoulent sans qu’on entende parler de lui. La lettre que Julie reçoit après ce long silence n’est pas pour la tranquilliser : à la veille de partir, Guibert est tombé malade ; une inflammation d’intestins, une fièvre violente, l’ont retenu plusieurs jours alité. A peine en voie de guérison, complication nouvelle : par suite d’une confusion de noms, — la police avait lu Guibert au lieu de Guliberg, — l’auteur de la Tactique a été impliqué dans l’obscure affaire politique qui a déjà fait mettre à la Bastille Favier et Dumouriez : s’il ne prouve pas son innocence, il court risque d’être arrêté en passant la frontière[61].

On imagine, à ces nouvelles, l’affolement de Julie. Sans doute elle parvient aisément, grâce à ses puissantes relations, à faire éclaircir l’imbroglio, à dégager Guibert de toute complicité ; de ce côté, elle est vite rassurée ; mais la maladie la désole, et elle craint que Guibert ne dise pas toute la vérité : « Au ton de votre lettre[62], je vois que vous étiez bien faible, bien pâle, et bien abattu… Au nom de l’amitié, ne faites point de folie ; dormez, reposez-vous et, pour arriver plus tôt, ne risquez pas de n’arriver jamais ! » Il ne suit que trop bien ces conseils de prudence, et s’attarde à tel point que la première semaine d’octobre le trouve encore à Vienne, se demandant s’il va retourner à Paris ou bien prolonger son voyage. Il n’abandonne cette dernière idée que sur les instances de Julie : « Revenez, revenez, ce serait une atrocité que de vous en aller ! » Enfin, le 9 octobre, il a pris son parti. « Pour le coup, je pars[63], et je l’assure, parce que je n’ai pas la fièvre depuis quatre jours, parce que ma voiture est attelée, parce que j’y serai dans deux minutes… » Il compte ne voyager que par petites journées, mais à la fin du mois, il sera sans faute à Paris. Vive est, à cette promesse, la joie de Mlle de Lespinasse ; une inquiétude pourtant l’assiège : n’ira-t-il pas d’abord à la Bretèche, rendre visite à Mme de Montsauge ? « Sans doute, le moment où je vous verrai, vous serez encore tout occupé de ce que vous aurez senti en revoyant ce que vous aimez. Convenez que, ce jour-là, vous serez plus éloigné de moi que vous ne l’étiez à Breslau. Mon Dieu, cela est juste. Pourvu que, lorsque vous serez calme, vous reveniez à moi, je serai trop heureuse. » Guibert, bon prince, s’efforce à chasser ce souci : « Je vous verrai avant Elle. C’est sans doute parce qu’il faut que j’arrive à Paris d’abord ; mais Elle serait sur le chemin de Paris que, si je croyais que vos souffrances, votre santé, votre âme, eussent besoin de moi à un moment près, j’arriverais droit à vous. »

C’est dans ces dispositions incertaines, mélange d’amour et de frayeur, de désir et de jalousie, que Mlle de Lespinasse attend l’heure du revoir ; et elle confesse ainsi son trouble à l’homme qui désormais tient sa destinée dans ses mains : « Je me reproche à présent les remords que j’ai eus en me livrant à mon penchant vers vous… Est-ce à présent, était-ce alors que je me faisais illusion ? En honneur, je n’en sais rien. Mais vous, dont le malheur ne bouleverse pas l’âme, vous me jugerez mieux, et quand je vous verrai, vous me direz si je dois m’applaudir ou m’affliger du sentiment que vous m’inspirez. »


V

Pour dégager cette âme d’un tel chaos de sentimens contraires, et pour la faire passer du doute à l’espérance, puis de l’espérance à l’ivresse, il ne fallut à Guibert qu’un moment. Dès qu’ils furent en présence, plus que jamais Julie retomba sous le charme. Il revenait de son voyage avec un redoublement de prestige : il avait, disait-on partout, conquis, émerveillé jusqu’au Grand Frédéric, qui l’avait admis une semaine dans son intimité ; Voltaire, auquel il avait fait visite, l’avait sacré « grand homme ; » et l’opinion s’ancrait de plus en plus que son nom marquerait parmi les plus éclatans de l’Histoire. Personne d’ailleurs plus que lui-même n’en avait la ferme assurance, et c’était de. bonne foi qu’il disait en se faisant peindre : « Il ne faut jamais faire le portrait d’un homme à qui la postérité ne voudrait pas ériger une statue[64]. »

L’éclat de ce « génie » n’était pas cependant ce qui touchait le plus Julie de Lespinasse. Tout en l’admirant sans réserve, l’inquiétude l’assaillait parfois que, pour un si puissant esprit, l’amour fût un passe-temps plus que le centre et le but de la vie : « Je vois beaucoup M. de Guibert, confie-t-elle au comte de Crillon[65]. Je le trouve très aimable, mais on voit que c’est lui qu’il a peint lorsqu’il a dit du Connétable :


Ses talens l’agitaient et pesaient sur son âme.


Il a une activité qui le dévore et qui fait qu’il épuise trop vite tous les objets d’intérêt qui l’occupent successivement… Il s’ennuie de ce qui fait jouir les autres. » Mais toutes les ombres s’envolaient quand elle voyait briller près d’elle la flamme de ces yeux étincelans, quand la voix éloquente enchantait ses oreilles et que d’ardentes paroles la faisaient frissonner jusqu’au fond de son être. Car, lui aussi, cédant enfin à l’attrait de la « magicienne » et gagné par la contagion de la passion qui l’embrasait, s’exaltait maintenant avec elle, rêvait d’ineffables délices et de paradis inconnus. Ce fut alors, — du moins en donna-t-il l’assurance à Julie, — qu’il rompit définitivement avec Mme de Montsauge ; on imagine quelle gratitude le paya de ce sacrifice. Dès ce moment, rien n’arrête plus l’élan qui la jette sur ce cœur désormais libéré, palpitante, extasiée, ne vivant que par lui, ne vivant que pour lui, livrée les yeux fermés au flot du torrent qui l’emporte.

Cet amour ne connaît d’ailleurs ni le calme de la confiance, ni la douceur de l’abandon. Malade de corps aussi bien que d’esprit, elle est en proie à une fièvre incessante. « Ma santé est détestable, écrivait-elle peu avant le retour de Guibert, je tousse à mourir et avec assez d’effort pour cracher le sang ; ma voix est éteinte… Je ne dors point, ou presque point. » Cet état de souffrance physique s’aggrave de l’agitation de son cœur, du remords que lui cause la pensée de Mora, du besoin qu’elle éprouve de posséder perpétuellement près d’elle celui que ses occupations retiennent trop fréquemment ailleurs. Les rares billets qu’on a de cette période ne sont qu’une longue supplication pour la venir trouver chaque jour et à toute heure : « Mon ami, je ne vous verrai pas, et vous me direz que ce n’est pas votre faute ; mais, si vous aviez eu la millième partie du désir que j’ai de vous voir, vous seriez là, je serais heureuse… Quand je n’ai pas ce que j’aime, je n’aime qu’à être seule… Est-ce le matin, est-ce le soir que je dois vous voir ? J’aimerais le matin, parce que c’est plus tôt, et le soir, parce que c’est plus longtemps. Enfin j’aimerai ce que vous voudrez bien m’accorder[66]. »

Sensible à un degré qu’on ne peut concevoir, le moindre oubli, la moindre négligence, la font souffrir comme une blessure ; de même, la plus simple attention provoque une recrudescence de tendresse : « Mon ami, je vous aime comme il faut aimer, avec excès, avec folie, transport et désespoir. Tous ces jours-ci, vous avez mis mon âme à la torture ; je vous ai vu ce matin, j’ai tout oublié, et il me semblait que je ne faisais pas assez pour vous en vous aimant de toute mon âme, en étant dans la disposition de vivre et de mourir pour vous. Vous valez mieux que tout cela[67]. » Entre des amoureux montés à un tel diapason, l’inévitable dénouement ne pouvait pas se faire longtemps attendre. Grâce aux claires allusions qu’on trouve dans leur correspondance, on peut déterminer le jour, le lieu, l’occasion de la chute.


En cette saison d’hiver de 1774, Julie de Lespinasse, soit par le don gracieux d’un ami, soit qu’elle ait cru pouvoir se permettre un tel luxe, jouissait d’une loge à l’Opéra, loge vaste et confortable, à laquelle attenait un salon, — une chambre, selon l’expression du temps, — pour passer le temps des entr’actes. Guibert était son invité de droit, généralement en tête à tête. Là, tous deux, assis côte à côte au balcon de la loge, ou plus souvent sur le « bon canapé[68] » de l’élégant boudoir, devisaient plus qu’ils n’écoutaient, et d’après l’aveu de Guibert, « entendaient fort mal[69] » la musique du Devin de village, de Vertumne et Pomone, et autres pièces en vogue. Il n’en fut pas ainsi toutefois le soir du 10 février : on jouait un opéra de Glück, et nous savons quelle impression profonde cette musique produisait toujours sur l’âme et les sens de Julie ; Guibert, de son côté, n’en était pas moins enthousiaste. L’opéra terminé, ils demeurèrent dans le salon avoisinant la loge, les nerfs secoués, pareillement exaltés par ces « enivrantes » mélodies. Leurs cœurs, violemment émus, vibraient à l’unisson ; un vertige éblouit leurs yeux ; leurs lèvres se cherchèrent, et ils burent, comme écrit Julie, la coupe du « délicieux poison. »

Ce même jour, cette même heure, par une coïncidence tragique, dans sa lointaine résidence de Madrid, le marquis de Mora était brusquement terrassé par une attaque nouvelle de son mal ordinaire, une attaque cette fois si terrible que, depuis lors, il ne fera plus que languir et ne surélèvera jamais. Aussi, un an plus tard, tressaillant tout à coup à la pensée de cet anniversaire, Julie se sentira saisie d’un frisson d’épouvante : « 10 février 177S. — Minuit sonne, mon ami ; je viens d’être frappée d’un souvenir qui glace mon sang !… Par quelle fatalité faut-il que le sentiment du plaisir le plus vif et le plus doux soit lié au malheur le plus accablant ! Oh ! mon Dieu, il y a un an, à pareille heure, M. de Mora fut frappé du coup mortel ; et moi, dans le même instant, à trois cents lieues de lui, j’étais plus cruelle et plus coupable que les ignorans barbares qui l’ont tué ! Je meurs de regrets… Adieu, mon ami, je n’aurais pas dû vous aimer ! »


VI

Ces terreurs, ces remords ne suivirent pas immédiatement la faute, car l’alarmante nouvelle ne parvint à Paris qu’en mars[70]. Les premières semaines, au contraire, ne sont qu’extase et ravissement, effusions d’un cœur débordant. Les lignes que voici semblent écrites au lendemain même du complet abandon : « Comment êtes-vous ? Vous verrai-je ? Ah ! ne m’ôtez rien. Le temps est si court, et je mets tant de prix à celui que j’emploie à vous voir ! Mon ami, je n’ai plus d’opium dans la tête ni dans le sang ; j’y ai pis que cela, j’y ai ce qui ferait bénir le ciel, chérir la vie, si ce qu’on aime était animé du même mouvement… Oui, vous devriez m’aimer à la folie. Je n’exige rien, je pardonne tout, et je n’ai jamais un moment d’humeur. Mon ami, je suis parfaite, car je vous aime en perfection. » A quelques jours de là : « J’ai pensé à vous, mais beaucoup ; j’en ai été occupée, mais tant et tant, que cela me fait comprendre comment les dévots peuvent avoir la présence de Dieu sans distraction[71]. » Et dix-huit mois plus tard, se rappelant ces journées d’ivresse, elle reviendra sur cette comparaison : « Vous parlez de Lucifer ; il a prétendu égaler Dieu ; eh bien ! j’ai mieux fait, car il y a eu un temps dans ma vie où je n’aurais pas voulu changer avec lui[72]. » C’est encore de ce temps qu’est le billet fameux, dont la brève éloquence a toute la chaleur d’un baiser : « De tous les instans de ma vie. — Mon ami, je souffre, je vous aime et je vous attends. »

La pensée de sa « trahison, » du « sacrifice de sa vertu, » tout ce qui par la suite lui infligera de si cruelles tortures, est oublié, dans ces heures de vertige, noyé dans le flot de passion dont est inondé tout son être. Le jour où, corps et âme, elle s’est donnée à celui qu’elle adore, marque à ses yeux une ère nouvelle : « Mon sort est prononcé depuis le 10 de février : vous aimer, ou mourir. » Et tel est le changement survenu dans son âme, qu’elle croit être quitte à jamais de sa maladie coutumière, la jalousie, l’ombrageuse suspicion. Le hasard a voulu qu’elle ait précisément alors rencontré Mme de Montsauge ; elle a fort admiré sa taille et sa figure, et elle espère, dit-elle, que le moral répond à ce charmant physique : « Je le crois, et même je le désire. Ce mouvement est-il généreux[73] ! » Elle pousse cette « générosité » jusqu’à marquer de l’intérêt pour la jeune fille de son ancienne rivale : « Voilà enfin ce livre[74] ; je ne vous le donne qu’à la condition que vous le donnerez à Mme de Mont-sauge. Quoique mademoiselle sa fille ne soit pas aussi enfant qu’Emilie, il lui sera encore utile. Il y a bien de ces dames à plumes qui auraient besoin de le lire, mais elles n’en profiteraient pas. Tout ce qui est bon sera toujours pour elles comme leurs plumes, fort au-dessus de leurs têtes. »

Cette belle humeur et cette sérénité ne pouvaient guère être durables. Entre les deux amans, le contraste des caractères était trop accusé pour que la liaison fût paisible. Julie, comme nous savons, excessive, absolue, se donnant tout entière et n’exigeant pas moins, Guibert épris sans doute, mais apportant dans son amour l’égoïsme et la légèreté d’un homme gâté par de nombreuses conquêtes, d’ailleurs passionné de mouvement et d’activité extérieure. Un fossé profond les sépare, et l’esprit pénétrant de Mlle de Lespinasse ne tarde guère à s’en apercevoir : « La dissipation, l’occupation, le mouvement vous suffisent, lui dira-t-elle bientôt ; moi, mon bonheur, c’est vous, ce n’est que vous. »

Plus les semaines s’écoulent, plus les dissonances s’accentuent. Chez Julie, l’ardeur dont elle brûle a tué l’amour du monde, détruit même le plaisir qu’elle goûtait, autrefois, dans l’entretien des gens d’esprit : « Ah ! ne me parlez pas de la ressource que je trouve dans la société ! Elle n’est plus pour moi qu’une contrainte insupportable, et si je pouvais déterminer M. d’Alembert à ne pas être avec moi, ma porte serait fermée. » Ce besoin nouveau d’isolement, de calme, de silence, la conduit jusqu’à l’injustice. Dans l’âme de ceux qu’elle recherchait naguère, elle ne veut plus voir aujourd’hui qu’orgueil, sottise et suffisance, en un mot, comme elle dit, « l’assemblage et l’assortiment de tout ce qui peuple l’enfer et les petites-maisons depuis mille siècles[75] ! » — « Tout cela, ajoute-t-elle, était hier au soir dans ma chambre, et les murs et les planches n’en sont pas écroulés, cela tient du prodige ! Au milieu de tous les grimauds, de tout les cuistres, les sots, les pédans, les abominables gens avec lesquels j’ai passé ma journée, je n’ai pensé qu’à vous et à vos folies, je vous ai regretté, je vous ai désiré. » Savourons encore ce tableau qu’elle trace de ses anciens fidèles[76] : « Mon Dieu ! que je les hais et que je les méprise, et qu’il me serait affreux de recommencer à vivre comme j’ai fait pendant dix ans ! J’ai vu de si près le vice en action, j’ai été si souvent la victime des petites et des viles passions des gens du monde, qu’il m’en est resté un dégoût invincible et un effroi qui me ferait préférer une solitude entière à leur horrible société. »

A l’opposé de son amie, Guibert ne saurait se passer de ce tumulte qu’elle abhorre ; il lui faut un public, l’applaudissement, l’admiration de ses semblables : « Vous n’êtes pas fait pour l’intimité, murmure-t-elle tristement[77] ; vous avez besoin de vous répandre ; le mouvement, le brouhaha de la société vous sont nécessaires. Ce n’est pas le besoin de votre vanité, mais c’est celui de votre activité. » Le tête-à-tête, fût-ce avec sa maîtresse, amène promptement chez lui une invincible lassitude ; il se morfond visiblement, laisse languir les propos, et peu s’en faut parfois qu’il ne s’endorme : « La soirée d’hier, écrit-elle certain jour, ressemblait assez à ces insipides romans qui font bâiller tout à la fois l’auteur et le lecteur. Il faut dire comme le roi de Prusse dans une occasion un peu plus mémorable : Nous ferons mieux une autre fois. » Et tel est, malgré ces humiliations, le désir maladif qu’elle a de sa présence, qu’elle abaisse sa fierté jusqu’à mendier quelques instans de plus : « Savez-vous[78]pourquoi j’aime mieux vous voir le soir que dans le reste de la journée ? C’est qu’alors l’heure arrête votre activité ; il n’y a plus moyen d’aller chez Madame une telle, chez Glück, et de faire cent inutilités, auxquelles il semble que vous n’attachiez d’intérêt que pour me quitter plus tôt. »

Cette persistance est d’autant plus étrange que, chaque jour davantage, elle perd ses illusions sur ce cœur que d’abord elle avait cru gagner. Depuis la date fatale, trois mois n’ont pas coulé qu’elle a reconnu sa méprise : « Comment ai-je été égarée, trompée à un tel excès ? Comment mon esprit n’a-t-il pas arrêté mon âme ? Et comment se fait-il qu’en vous jugeant sans cesse, je sois toujours entraînée[79] ? » Elle sait maintenant, à n’en pouvoir douter, qu’il ne peut éprouver un sentiment profond, qu’aimer pour lui n’est « qu’un accident de son âge, » que, rencontrât-il par hasard une créature parée de toutes les grâces, de toutes les perfections, — « le visage de Mme de Forcalquier à vingt ans, la noblesse de Mme de Brionne, l’esprit de Mme de Montsauge, enté sur celui de Mme de Boufflers, » — il serait incapable d’assurer le bonheur de cet être idéal. A plus forte raison n’espère-t-elle plus rien pour elle-même ; et si forte est cette conviction que, la plupart du temps, elle n’ose parler à cœur ouvert et laisser jaillir au dehors les sources profondes de son âme : « Je ne vous parle ni de mes regrets ni de mes souvenirs, et, ce qui est plus cruel encore, je ne vous laisse voir qu’une partie de la sensibilité dont vous remplissez mon cœur, et je retiens la passion que vous excitez dans mon âme. Je me dis sans cesse : il n’y répondrait pas, il ne m’entendrait pas, et je mourrais de douleur[80]. »

A la suite de la déception naît promptement la défiance, et la jalousie endormie se réveille plus active et plus lancinante que jamais. Elle déploie à ce jeu une ingéniosité savante, une ténacité douloureuse, se forgeant tour à tour mille sujets divers de tourmens ; et il faut bien avouer qu’avec un homme tel que Guibert, dont tant de femmes sont affolées, elle n’a que l’embarras du choix. Ses soupçons s’égarent quelque temps sur Mme de Boufflers. J’ai dit, au cours d’une précédente étude[81], quel charme exquis conservait, malgré les années, cette femme spirituelle et coquette, experte en l’art de plaire, avide d’hommages comme en sa prime jeunesse. Qu’elle ait eu le désir de mettre Guibert sur sa liste, la chose est vraisemblable ; une lettre qu’elle lui adressait lors de son voyage en Allemagne, et qui s’est retrouvée plus tard dans les papiers de Mlle de Lespinasse[82], nous renseigne sur son talent à prendre cet orgueilleux par son faible : « Je suis fort injuste, Monsieur, je vous l’avouerai. Malgré la nouveauté de votre connaissance, je m’attribue le droit des plus anciennes amitiés, et sachant qu’on avait des lettres de vous, je me plaignais en secret de n’en avoir pas aussi. Je ne suis pas surprise de l’accueil que vous avez reçu du roi de Prusse ; mais j’aime à la folie la noble franchise avec laquelle vous parlez du trouble et du respect que vous a inspirés sa présence… Conservez votre noble enthousiasme, et ne vous laissez jamais persuader que la démarche naturelle de l’homme soit de ramper dans la boue. La disposition d’esprit que vous possédez est la source de plaisirs dont on ne se lasse jamais. La faible part qui m’en a été donnée fait tout le bonheur de ma vie, mais je n’oserais jamais en parler à d’autres qu’à vous… »

A son retour de Prusse, il fréquenta régulièrement chez elle, et l’on en jasa quelque peu ; si bien que cette rumeur parvint aux oreilles de Julie. On juge combien elle en est agitée : « L’abbé Morellet disait[83]ces jours passés, et dans l’innocence de son âme, que vous étiez fort amoureux de la comtesse de Boufflers, que vous étiez de la plus grande occupation d’elle, du désir de lui plaire, etc. Si cela n’est pas tout à fait vrai, cela est si vraisemblable qu’il me semble que je n’aurais qu’à me plaindre de ce que vous ne m’ayez pas mise dans la confidence. Je ne vous demande, pour vous acquitter envers moi, qu’une chose ; c’est de me dire la vérité. Croyez qu’il n’y en a point que je ne puisse entendre. Je puis vous paraître faible, et assez pour vous faire croire qu’il faut me ménager ; cela n’est pas vrai, jamais au contraire je ne me suis senti plus de force ; j’ai celle de souffrir. » Les dénégations de Guibert, le ton dédaigneux qu’il affecte pour parler de Mme de Boufflers[84], rien ne peut entièrement bannir les méfiances de Julie, et constamment, dans sa correspondance, reviennent à ce propos les pointes piquantes et les reproches voilés.

Ce n’est là cependant qu’un nuage encore léger, un chagrin de surface ; sa vraie torture, la plaie vive qui la ronge, est la jalousie qu’elle ressent au sujet de Mme de Montsauge. Guibert sans doute, — il en a pris l’engagement solennel, — a rompu sa chaîne amoureuse, mais il demeure l’ami de son ancienne maîtresse, il lui conserve des égards, et c’est plus que ne peut en supporter Julie : « Je remarque que vous mettez votre plaisir à avoir des soins pour Mme de M… Vous lui donnez, vous lui prêtez tout ce qui vous a fait plaisir ; et, avec moi, c’est l’autre excès, l’oubli, la négligence, le refus. Il y a trois mois que vous m’avez promis un livre qui est à vous, et que j’ai dû emprunter à un autre. Sans doute, il vaut mieux que cette manière désobligeante tombe sur moi ; cela n’est que juste ; aussi je ne me plains que de l’excès. » Ce n’est encore que de l’aigreur ; voici maintenant le désespoir : « Dans le moment[85]où vous lirez ceci, je parie que vous aurez déjà reçu un billet où l’on vous dit :


Je regrette pour toi les transports de mon cœur :
Montsauge manquera toujours à ton bonheur !


Ah ! mon Dieu, croyez-la, rendez-lui le repos et, s’il est possible, soyez heureux. C’est le souhait, c’est le désir de la malheureuse créature qui a toujours sous les yeux cette inscription affreuse de la porte de l’Enfer : En entrant ici, on laisse toute espérance. »

Que sera-ce lorsque, au mois de mai, Guibert s’absentera quelques jours pour aller faire visite, en son château de la Bretèche, à celle qui inspire à Julie tant de frayeur et tant de haine ! Cette brève séparation était, depuis la soirée fatidique, la première entre les amans ; elle blessa cruellement Julie. Elle qui, lorsqu’ils se voient presque quotidiennement, ne peut se retenir de lui écrire à tout propos, s’abstient de lui adresser un seul mot tandis qu’il est éloigné d’elle, et elle en laisse entendre le motif dans ces lignes, pleines d’amertume, qu’il trouve le jour de son retour : « Ne me faites pas prononcer pourquoi je ne peux pas vous écrire où vous êtes. Je n’ose m’en avouer à moi-même la raison ; c’est une pensée, un mouvement, auquel je ne veux pas m’arrêter ; c’est un genre de supplice qui me fait horreur, qui m’humilie, et que je n’avais jamais connu[86] !… » L’entrevue du lendemain amène la première scène d’une liaison qui sera bientôt si féconde en orages. Julie s’emporta sans mesure et Guibert répondit par la sécheresse et le dédain ; c’est tout au moins ce que semble indiquer ce billet[87], qui suivit de près la querelle : « Dimanche, minuit. — Vous avez donc oublié, vous avez laissé là cette furie, folle et méchante tout ensemble ! La malheureuse créature a passé sa journée dans les limbes ; elle attendait un ange consolateur, qui n’est point venu. Il faisait sans doute le bonheur et le plaisir de quelque créature céleste ; lui-même était enivré des plaisirs du Ciel, et dans cette disposition rien ne pouvait me rappeler à lui. » Cette seule idée ranime sa colère apaisée : « Si en effet il est aussi heureux, je souhaite, du fond de l’âme, que rien ne le ramène à moi ; car je suis assez injuste pour détester son bonheur et pour désirer que le repentir et le remords le poursuivent sans cesse… Voilà les vœux, voilà le souhait de l’âme qui l’a le mieux aimé, et qui a le plus besoin de s’éteindre pour jamais ! »

Que parmi ces chocs répétés, malgré tant de mécomptes, tant de raisons de désaccord, une liaison subsistât entre deux êtres aussi foncièrement dissemblables, on a droit de s’en étonner ; et plus d’une fois Julie s’est posé ce problème avec une indicible angoisse : « Je ne peux pas m’expliquer[88]le charme qui me lie à vous. Vous n’êtes pas mon ami, vous ne pouvez pas le devenir. Je n’ai aucune confiance de vous ni en vous. Vous m’avez fait le mal le plus profond et le plus aigu qui puisse affliger et déchirer une âme honnête. Vous me privez peut-être pour jamais, dans ce moment-ci, de la seule consolation que le Ciel accordait aux jours qui me restent à vivre[89]… Eh bien ! mon ami, je pense, je juge tout cela, et je suis entraînée vers vous par un sentiment que j’abhorre, mais qui a le pouvoir de la malédiction et de la fatalité. » Et de nouveau, à quelques jours de là, elle interrompt ses doléances par cette exclamation : « Mon ami, dans le temps où l’on croyait aux sortilèges, j’aurais expliqué tout ce que vous me faites éprouver, en disant que vous aviez eu le pouvoir de jeter sur moi un sort qui m’enlevait à moi-même. »

Ce « sortilège » qui l’attache, malgré tout, à l’homme qui lui a révélé l’amour dans toute sa plénitude, elle le connaît, au fond, plus qu’elle ne veut se l’avouer à elle-même, et sa plume, en termes voilés, laisse échapper un jour le douloureux secret : « Je sais de reste que je ne trouverai point de consolation dans votre âme, mon ami ; elle est vide de tendresse et de sentiment. Vous n’avez qu’un moyen de m’enlever à mes maux, c’est en m’enivrant, et ce remède même est le plus grand de tous mes malheurs. » On comprend assez ce langage : elle a goûté la voluptueuse ivresse, et ses lèvres sont desséchées par la soif du « perfide poison. » L’humiliation que lui cause sa faiblesse, la lutte constamment renouvelée entre son âme et son être physique, entre ses sens et sa raison, c’est désormais le drame mystérieux de sa vie, le tourment caché qui l’épuise, jusqu’à l’instant prochain où elle y succombera. Nous venons d’assister aux premières atteintes de ce mal ; ce qui n’est encore aujourd’hui qu’un trouble mélangé de honte va tourner brusquement à la souffrance aiguë ; une inguérissable blessure va s’ouvrir au fond de son cœur, juste et terrible vengeance, pensera-t-elle avec désespoir, de celui dont elle a trahi la tendresse.


VII

L’accident du mois de février avait laissé Mora dans le plus déplorable état de prostration morale et de faiblesse physique. La mort récente de sa mère, la comtesse de Fuentès, victime de la même maladie qui consumait son fils[90], redoublait encore l’inquiétude ; lui-même, si longtemps rempli d’illusions, semblait entrevoir par instans la menace d’une issue funeste. L’hémorragie reparaissait sans cesse ; la fièvre ne le quittait plus. Les médecins de Madrid, appelés en foule à son chevet, essayaient tour à tour des remèdes les plus violens, doses massives et répétées de fer, de quinquina, surtout innombrables saignées, suivant l’habitude espagnole. « Nulle part au monde on ne saigne autant qu’à Madrid ! » s’écriait d’Alembert au reçu de ces tristes détails. Justement effrayé de cette médication, le « secrétaire » de Mlle de Lespinasse n’a qu’un désir en tête, qui revient comme un refrain dans ses lettres au duc de Villa Hermosa : arracher le malade à des mains ignorantes, au climat « sec et brûlant » de Madrid, et le faire soigner à Paris par des praticiens éclairés : « Je suis venu à perdre haleine, écrit-il[91], apporter les nouvelles à Mlle de Lespinasse, qui les attendait avec une terreur et un effroi dont j’étais fort alarmé. Nulle part au monde, M. le marquis de Mora ne peut être plus aimé qu’il est dans le petit coin que nous habitons… Vous voyez, monsieur le duc, que la méprise des médecins d’Espagne vient de penser coûter la vie à M. de Mora. Qui peut répondre qu’à l’avenir ils voient et fassent mieux ?… Ce serait une action tout à fait digne de votre amitié de le ramener en France, et vous pourriez vous dire que vous auriez non seulement assuré la santé de votre ami, mais que vous lui auriez sauvé la vie… Ce projet me semble très facile, insiste-t-il encore, quand je pense à votre sentiment pour M. le marquis de Mora, et à la nécessité de le tirer promptement d’un air funeste et de fuir les médecins qui l’ont empoisonné. »

Que cette pensée, comme le dit Marmontel dans un passage de ses Mémoires[92], fût inspirée à d’Alembert par Mlle de Lespinasse, la chose est vraisemblable, et nul ne saurait l’en blâmer. L’opinion unanime de tous les amis de Mora était que le séjour de la capitale de la Castille serait pour lui la mort à bref délai. « La rechute de Mora commence à me faire désespérer sur son compte, mandait de Naples Galiani[93]. L’air de Madrid est trop ventilé, et ses poumons ne le supportent pas. » Cet avis était appuyé par le fameux Lorry[94], le médecin le plus réputé « parmi les femmes et les beaux esprits » de Paris, si fort en vogue, au dire de Bachaumont, que, lorsqu’il souffrait de la goutte, il donnait ses consultations du fond de son carrosse, où les malades descendaient le chercher. Il connaissait Mora pour l’avoir soigné autrefois, et il lui expédiait lettre sur lettre et note sur note, mi en français, mi en latin[95], pour l’adjurer de fuir un climat pernicieux et de venir promptement se remettre en ses doctes mains.

Ces appels, si pressans qu’ils fussent, n’auraient peut-être pas suffi pour décider le moribond à entreprendre un long et fatigant voyage, si un autre motif ne l’y eût secrètement poussé. Sans qu’il ait eu d’information précise, et guidé par ce seul instinct qui naît d’un sentiment profond, il devinait confusément que quelque chose avait changé dans le cœur de Julie : « Je m’en souviens, confessera celle-ci avec larmes[96], j’avais osé concevoir l’abominable projet, j’avais formé la résolution de porter la mort dans le sein de mon ami, de l’abandonner, de cesser de l’aimer comme il voulait l’être, comme il méritait de l’être. » Pourtant elle reculait toujours l’heure du cruel aveu, dont elle craignait l’effet sur ce frêle organisme ; mais sa plume, autrefois si libre et si sincère, trahissait, malgré ses efforts, les perplexités de son âme ; et Mora, étonné, anxieux, cherchait vainement, dans ces lignes embarrassées, la chaleur, l’effusion, qui répondaient autrefois à sa flamme. « Il a connu pour la première fois le doute, écrit encore Julie[97] ; il passait de l’inquiétude à la crainte ; ses lettres, ainsi que son cœur, étaient remplies de trouble et de douleur. » Loin cependant de le décourager, l’affreux soupçon ne faisait qu’aviver sa ferme volonté de reconquérir l’inconstante[98]. Telle fut, affirme Mlle de Lespinasse, la grande raison qui précipita son départ : « Il a risqué sa vie[99], il s’est arraché à une famille, à des amis qui l’adoraient. Il venait, disait-il, réchauffer un cœur que l’absence avait refroidi, ranimer une âme que le malheur avait rebutée. » Et ce fut dans l’ardeur de sa tendresse indéfectible qu’il crut trouver la force nécessaire pour affronter la périlleuse épreuve.


« M. de Mora devrait être en route pour revenir ici, du 4 de ce mois, — mande le 8 mai Julie à Condorcet. — C’était son projet encore le 25 du mois dernier ; il était enrhumé, il était faible, ses crachats avaient été teints de sang peu de jours auparavant, si bien que, dans cette situation, je ne suis bien sûre que de sa volonté et de son désir… Il faudra que je le voie pour croire à son retour. » Lorsqu’elle traçait ces lignes, Mora, depuis la veille, était en route pour la rejoindre. Il quitta Madrid le 3 mai, escorté du sieur Navarro, son médecin ordinaire, et de deux domestiques ; il en informait son amie par un mot griffonné dans la hâte du départ : « Madrid, 3 de mai 1774. — En montant en voiture pour vous voir. » Il voyageait lentement et par petites journées, afin d’éviter la fatigue, les cahots des mauvais chemins. Les premiers jours se passèrent sans encombre ; il commençait à prendre espoir : « J’ai en moi de quoi vous faire oublier tout ce que je vous ai fait souffrir[100], » mandait-il à Julie le 10, après une semaine de voyage. Ce même jour, une hémorragie brisait ses dernières forces. Il voulut néanmoins poursuivre le trajet, qui ne fut qu’une longue agonie. « De Bordeaux, 23 mai 1774, en arrivant, et presque mort : » c’est ainsi qu’il datait un nouveau billet à Julie.

Je n’ai pas à décrire l’épouvante et l’horreur que ces nouvelles, arrivant à Paris, jetèrent dans l’âme de Mlle de Lespinasse. Si violente est son angoisse que, même avec Guibert, elle ne peut la dissimuler. Au sortir d’une crise nerveuse, qui la laissa, quatre heures durant, gisante et comme inanimée : « J’ai une espèce de terreur et d’effroi qui égare ma raison, lui dit-elle. J’attends mercredi, et il me semble que la mort même n’est pas le remède suffisant à la perte que je crains… Il est au-dessus de mes forces de penser que, peut-être, ce que j’aime, ce qui m’aimait, ne m’entendra plus, ne viendra plus à mon secours ! » Auprès de Suard, son confident, elle épanche sa détresse avec un plus libre abandon : « Les nouvelles de demain me délivreront peut-être de la vie. Cette pensée est horrible et ne me quitte pas. L’image de M. de Mora ne se présente plus à moi que sous l’aspect de la mort. » Dans un second billet apparaît, plus nettement encore, le projet de suicide qui, dès lors, obsède son cerveau : « Il me semble que je n’ai plus rien à ménager. Vous savez bien à quoi vous en tenir, cependant vous ne savez pas tout. Non, il n’y a plus de calme, de repos à espérer… Vous me pardonnerez de ne pas faire cas de la raison et de la modération. Si je voulais vivre en société, il faudrait bien me soumettre à ces vertus ; mais je vous dis que je ne veux plus rester qu’un moment dans ce triste pays qu’on nomme la vie. D’après cela, voyez tout ce que je pense, et jugez de tout ce que je ferai[101]. »

Les sombres prévisions de Mlle de Lespinasse n’étaient que trop fondées. Dans la ville de Bordeaux, au fond de la chambre d’auberge où l’on avait porté l’héritier des Fuentès, un être décharné, ravagé par le mal, se débattait en vain, avec une énergie farouche, contre la mort qui le privait de la consolation de revoir son amie. Trois jours entiers, il lutta contre l’agonie, conservant sa pleine connaissance. Il semble qu’à cette heure suprême la foi de son enfance se soit réveillée dans son âme ; il est, en tous cas, avéré que le curé de la paroisse voisine vint lui administrer les secours de la religion. Le 27 mai, rassemblant toutes ses forces, de sa main défaillante il traça pour Julie quelques lignes empreintes de désespoir et de tendresse. « J’allais vous revoir ; il faut mourir. Quelle affreuse destinée !… Mais vous m’avez aimé, et vous me faites encore éprouver un sentiment doux. Je meurs pour vous[102]… » Cette même journée, il rendit le dernier soupir, et on l’enterra le lendemain, — avec une certaine « pompe, » comme s’exprime l’acte de décès[103], — dans l’église, aujourd’hui détruite, de Notre-Dame de Puy-Paulin. Avant de l’ensevelir, ses serviteurs retirèrent deux bagues de son doigt : l’une encerclait une mince tresse de cheveux, des cheveux de Julie ; l’autre était un simple anneau d’or, où était gravée cette devise : Tout passe, hormis l’amour. La première de ces bagues fut envoyée par la duchesse de Villa Hermosa à Mlle de Lespinasse, qui la lui restitua plus tard par testament. Les deux reliques se retrouvent de nos jours encore parmi les souvenirs de famille de cette noble maison[104].


C’est le jeudi 2 juin que Mlle de Lespinasse reçut le funeste message[105]. « J’aurais été trop fortunée, s’écriera-t-elle à ce souvenir[106], que le terme de ma vie eût été le mercredi 1er juin ! » Le premier cri qui lui échappe est qu’elle a tué l’homme qui l’aimait, qu’elle a, comme elle le dit, « prononcé son arrêt. » Rien ne pourra jamais délivrer entièrement son âme de cette effroyable impression[107]. Au déchirement de la douleur se joint la brûlure du remords. Elle ne se repent pas seulement de s’être montrée infidèle ; cette faute, du moins Mora ne l’a-t-il pas connue : « Mon Dieu, combien je suis tombée ! Combien je suis déchue ! Mais il l’a ignoré… » Ce qui l’accable plus encore, c’est le regret d’avoir, par la froideur inconsciente de ses lettres, ébranlé la sécurité, la confiance de ce cœur fidèle : « Quelle affreuse pensée ! J’ai troublé ses derniers jours ! En craignant d’avoir à se plaindre de moi, il exposait sa vie pour moi ; et son dernier mouvement a été une action de tendresse et de passion[108]. » Auprès du désespoir que lui cause cette idée, tout ce qu’elle a souffert depuis sa plus tendre jeunesse lui semble aujourd’hui négligeable : « Un moment a anéanti trente-sept ans de malheur[109] ! » Sa tête s’égare : pour échapper à l’intolérable supplice, elle voit une seule issue, la mort, et sa résolution est prise. Que réellement elle ait voulu s’empoisonner, la chose est hors de doute. Vingt passages en font foi dans sa correspondance avec Guibert, témoin du fait et acteur dans le drame. Mais y eut-il, comme il paraît probable, un commencement d’exécution, et les soins de Guibert la rappelèrent-ils, malgré elle, à la vie ? Ou bien arriva-t-il chez elle à l’heure précise où elle allait boire le poison, et juste à temps pour arracher le mortel breuvage de ses lèvres ? C’est ce que l’on ne peut discerner avec certitude, parmi l’ambiguïté des textes. Dans tous les cas, si elle dut à Guibert une prolongation d’existence, elle lui en sut un faible gré ; bien souvent, au contraire, elle lui adressera par la suite, pour son zèle maladroit, les plus durs et les plus sanglans reproches.

La fièvre, une fois tombée, fit place à un affaissement inquiétant : « Elle est hors d’état de vous exprimer elle-même le prix qu’elle met aux marques de votre intérêt. Sa santé est très altérée ; elle est dans un abattement qui ne lui permet pas de jouir des consolations de l’amitié[110]. » Ainsi s’exprime d’Alembert, en remerciant Mme Necker d’une lettre de condoléance adressée par elle à Julie. « Je regrette pour moi, poursuit-il, l’homme qui avait l’âme la plus sensible, la plus vertueuse et la plus élevée. Son souvenir et les regrets qu’il me cause sont à jamais gravés dans mon âme. » Ces lignes sont sincères ; il semble bien que nul, après Julie, ne pleura plus que d’Alembert la disparition de Mora. Les pages où il décrit son chagrin personnel pourraient être signées de Mlle de Lespinasse : « La douleur dont j’ai été pénétré[111]ne m’a pas permis d’écrire dans le premier moment… Quelle perte pour moi, qui conserverai jusqu’au tombeau le plus cher et le plus douloureux souvenir de la plus parfaite créature que j’aie jamais connue !… Son esprit donnait au mien une énergie qu’il n’aura plus ; mais je me souviendrai éternellement des instans chers à mon cœur, où cette âme si pure, si noble, si forte et si douce, aimait à se répandre dans la mienne. » Rapprochés par cette affliction commune, Julie et d’Alembert retrouvaient pour un temps la touchante harmonie, l’intimité d’antan : « M. d’Alembert, dit-elle avec une gratitude émue, a écrit à M. de Fuentès ; il a écrit de son propre mouvement ; et, en me lisant cette lettre, il pleurait, et il me faisait fondre en larmes[112]. »

Jamais, il faut le reconnaître, la mémoire de Mora ne s’effacera de l’âme de son amie. Elle est fidèle au mort plus qu’elle ne le fut au vivant. La faute dont elle est coupable envers lui ne l’incite pas à chercher un refuge dans le port commode de l’oubli. Elle déploie, au contraire, une sorte d’acharnement à évoquer ce qu’elle appelle « son crime ; » elle s’en accuse sans cesse devant celui qui en fut le complice. La compassion de ses amis, attribuant sa tristesse à ses regrets et non à ses remords, l’irrite parfois au point que peu s’en faut qu’elle ne laisse échapper son secret. Le jour où Suard lui fait, au sujet de son deuil, une visite de condoléance : « Je ne suis pas digne de votre intérêt, » lui répond-elle d’un ton farouche. Il n’en put tirer autre chose, et ne comprit le sens de ces paroles que trente années plus tard, lorsqu’il lut pour la première fois les lettres à Guibert[113]. On dirait, par instans, qu’elle cherche à se punir elle-même, en ne manquant nulle occasion de réveiller l’image de « l’être parfait et sacré » envers lequel elle a péché. Quand, quelques mois plus tard, Guibert passe à Bordeaux, elle l’oblige à faire une enquête, à interroger le consul, à recueillir sur les dernières heures de Mora de minutieux détails, dont elle nourrira sa douleur. L’année d’après, sachant que Luis Pignatelli vient de débarquer à Paris, elle veut le voir, l’entendre parler de son frère, malgré le mal affreux que lui fera cet entretien, dont elle sort en effet brisée : « Sa présence me tue[114]. Le son de sa voix me fait frissonner de la tête aux pieds. Je suis alternativement pénétrée de sensibilité et d’horreur. » Et que sera-ce le jour où un hasard tragique lui fera parvenir deux lettres, longtemps égarées par la poste, deux lettres de celui qui, depuis une année, repose au fond de son cercueil ? Ce langage d’outre-tombe résonne à son oreille comme un avertissement sinistre, un appel du défunt à venir promptement le rejoindre[115].

A vivre ainsi continuellement parmi les lugubres souvenirs et les images funèbres, elle s’entretient dans une exaltation qui parfois confine au délire. Il lui arrive, aux heures d’émoi, — que ce soit bonheur ou chagrin, — de reprendre la plume dont elle usait jadis pour correspondre avec Mora et de confier ce qu’elle éprouve à cette ombre qui la poursuit[116]. « Savez-vous, confesse-t-elle, le premier besoin de mon âme, lorsqu’elle a été violemment agitée par la passion ou la douleur ? C’est d’écrire à M. de Mora. Je le ranime, je le rappelle à la vie ; mon cœur se pose sur le sien, mon âme se verse dans la sienne ; la chaleur, la rapidité de mon sang brave la mort, car je le vois, il vit, il respire pour moi, il m’entend ! Ma tête s’égare, et s’exalte au point de ne plus avoir besoin d’illusion ; c’est la vérité même[117]. » Ou encore elle l’invoque et, suppliante, implore humblement son pardon. « Oh ! mon ami, si dans le séjour de la Mort vous pouvez m’entendre, soyez sensible à ma douleur, à mon repentir. J’ai été coupable, je vous ai offensé, mais mon désespoir n’a-t-il pas expié mon crime ? Je vous ai perdu et je vis ; oui, je vis, n’est-ce donc pas être assez punie[118] ? »

Les lettres qu’elle adresse désormais à Guibert sont toutes pleines des réminiscences de son passé sentimental. Sans cesse, entre elle et son amant, elle dresse le spectre de Mora, comparant celui qui n’est plus à celui qui demeure, comparaison où le second n’a jamais l’avantage. Il faut confesser que Guibert fait preuve d’une rare patience à supporter ce désobligeant parallèle. C’est à peine si, de loin en loin, il risque une timide remontrance : « Ecrivez-moi, mon amie, dût votre lettre être pleine de M. de Mora[119]. » Le plus souvent, il accepte tout sans mot dire, avec la mansuétude et la résignation d’un homme qui, comme nous allons voir, ne se sent pas, sur tous les points, la conscience entièrement tranquille.


SEGUR.

  1. Voyez la Revue des 1er et 15 avril, 15 juin, 1er juillet et 1er septembre.
  2. Henri Watelet, né en 1718, membre de l’Académie française et de l’Académie des Beaux-Arts, mort en 1780.
  3. Chronique de Métra, janvier 1775.
  4. Lettres des 5 et 11 août 1771. Édition Cunningham.
  5. Souvenirs de Mme Vigée-Lebrun.
  6. Watelet légua Moulin-Joli à Mme Lecomte, à la mort de laquelle le domaine fut vendu à un commerçant du nom de Gaudron, puis, sous la Révolution, à un chaudronnier, qui coupa tous les arbres et détruisit la propriété.
  7. . Souvenirs de Félicie, par Mme de Genlis, et Souvenirs de Mme Vigée-Lebrun.
  8. Souvenirs de Félicie.
  9. « Je l’ai connue, écrit-il, à l’âge de trente-huit ans, » ce qui nous donne la date de 1770 ; mais le manque de précision habituel à Guibert ne permet pas de se fier absolument à cette indication.
  10. Lettre du 21 juin 1773 à Guibert. — Édition Asse.
  11. Lettre du 24 juin 1772. Lettres inédites, publiées par M. Charles Henry.
  12. Lettre de juillet 1772 à Condorcet. Ibidem.
  13. Lettre du 21 juin 1773 à Guibert. — Édition Asse.
  14. Le comte de Guibert naquit à Montauban, le 11 novembre 1743. — Pour plus de détails sur ce personnage, on peut consulter, à la page 197 de mon volume Gens d’autrefois, la notice intitulée : Un grand homme de salons.
  15. Imprimé clandestinement dans les Pays-Bas en 1770, le livre ne fut publié ouvertement en France, avec le nom de Guibert, qu’au commencement de 1773.
  16. M. Dubucq (Mélanges de Mme Necker.)
  17. Correspondance littéraire de La Harpe.
  18. Portrait de M. de Guibert par Mlle de Lespinasse, écrit dans les premiers temps de leur liaison et retouché par la main de d’Alembert (Archives du comte de Rochambeau). — Il existe un second portrait composé après celui-ci par Julie de Lespinasse ; c’est celui qui a été imprimé, sous le titre de Portrait du marquis de Mora, à la suite des lettres apocryphes publiées en 1820. On avait pu le croire fabriqué, comme les lettres qui le précèdent, jusqu’au jour où l’autographe a passé en vente, le 31 janvier 1854 ; mais, sauf M. Isambert, lequel a émis l’idée que ce pourrait être le portrait de Guibert, on a continué à croire que c’était le portrait de Mora. Il suffit cependant de le lire pour en reconnaître aisément le véritable modèle. Tout l’y désigne ; quelques-unes des expressions mêmes de ce morceau se retrouvent sous la plume de Mlle de Lespinasse dans ses lettres à Guibert. Au surplus, un point lève tous les doutes : ce portrait d’un homme qui, dit Mlle de Lespinasse, « l’a lu de ses propres yeux, » est daté de 1773, alors que Mora était parti depuis un an, pour ne plus revenir. Ajoutons qu’il existe, dans les archives du comte de Villeneuve-Guibert, un exemplaire de ce volume annoté de la main de la comtesse de Guibert, où celle-ci s’inscrit en faux contre l’attribution que l’on a faite dudit portrait et affirme, à plusieurs reprises, que c’est celui de son défunt époux.
  19. Premier portrait du comte de Guibert. Passim.
  20. Deuxième portrait écrit par Mlle de Lespinasse.
  21. Notice sur Guibert composée au lendemain de sa mort.
  22. Mélanges et Nouveaux Mélanges de Mme Necker.
  23. Lettre de 1773, citée par le comte d’Haussonville dans le Salon de Mme Necker.
  24. Voyez la Correspondance de Grimm, la Chronique de Métra, l’Espion anglais, etc.
  25. Second portrait de Guibert, passim.
  26. Jeanne Bouret avait épousé en 1758 Philibert Thiroux de Montsauge, qui fut nommé en 1778 directeur et administrateur des postes. La date de sa naissance et celle de sa mort sont inconnues. On sait seulement qu’elle passa en Angleterre le temps de la Révolution et qu’elle laissa une fille, mariée en 1778 à Etienne-Narcisse, vicomte de Durfort. Elle avait deux sœurs, dont l’une épousa M. de Villemorien et l’autre M. Moria de La Haye, fermier général.
  27. Lettre du 14 janvier 1774 au comte de Crillon (Lettres inédites publiées par M. Charles Henry). — Mme de la Moussetière était une femme alors célèbre par une aventure amoureuse, qui se termina par sa mort et celle de son amant.
  28. Lettres de juillet et du 3 septembre 1774. Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  29. Lettre de Guibert à Mlle de Lespinasse du 20 septembre 1773 (Lettres inédites, publiées par M Charles Henry).
  30. Lettre de Mlle de Lespinasse à Guibert du 30 mai 1773. — Édition Asse.
  31. Lettres des 13 mai, 24 juin, 6 septembre 1773. — Édition Asse.
  32. Deuxième portrait de Guibert, par Mlle de Lespinasse. Passim.
  33. Lettre du 14 juillet 1773. — Édition Asse.
  34. Lettre du 24 mai 1773. — Édition Asse.
  35. Lettre du 23 mai 1773. Ibidem.
  36. Lettres des 23, 30 mai et 1er juillet 1773. — Édition Asse.
  37. Guibert avait quitté Paris le jeudi 20 mai, à cinq heures et demie du soir : « Pourquoi n’êtes-vous pas parti mercredi ? l’interroge peu après Julie avec une jalouse inquiétude. Est-ce à quelqu’un ou à vous-même que vous avez accordé ces vingt-quatre heures ? »
  38. Lettre du 15 mai. Ibidem.
  39. Lettres des 15 et 23 mai. Passim.
  40. Lettre du 1er juillet. — Édition Asse.
  41. Lettre du 15 mai. Passim.
  42. C’est-à-dire dans le mois qui a suivi le départ du marquis de Mora.
  43. Lettre du 22 septembre 1772 (Lettres publiées par M. Charles Henry).
  44. Retratos de Antano. Passim.
  45. Lettres inédites publiées par M. Charles Henry. Appendice.
  46. Ibid.
  47. Lettre du 7 décembre 1772. — Retratos de Antano. Appendice avec reproduction photographique des lettres.
  48. « Ce qui m’étonne, répond d’Alembert à cette lettre, c’est ce que vous me faites l’honneur de me mander que M. le marquis de Mora a écrit plusieurs lettres à Mlle de Lespinasse. Elle n’en a pas reçu une, et sûrement ce n’est pas la faute de la poste d’ici… Elle a lieu de croire que les lettres qu’elle lui a écrites ont eu le même sort. En conséquence, monsieur le duc, permettez-moi de vous supplier de vouloir bien remettre cette lettre à M. le marquis de Mora. » (Lettre du 8 janvier 1773, loc. cit.)
  49. Lettres des 20 et 21 juin. — Édition Asse.
  50. Lettres des 21 juin et 25 juillet. Ibidem.
  51. Lettres des 14 juillet, 1er et 9 août 1773. Ibid.
  52. Lettre du 1er juillet.
  53. Lettre du 1er juillet. Passim.
  54. Lettre du 22 août 1773. — Édition Asse.
  55. Lettre du 20 septembre 1773. — Lettrés inédites publiées par M. Charles Henry.
  56. Lettre de Mlle de Lespinasse du 1er juillet. — Édition Asse.
  57. Lettre du 22 août. — Ibidem.
  58. Lettres des 20 septembre et 9 octobre 1713. — Lettres inédites publiées par M. Ch. Henry.
  59. Lettre du 20 septembre. Passim.
  60. Lettre du 16 août. — Édition Asse.
  61. Voir à ce propos les documens qui se trouvent à la suite des Lettres inédites publiées par M. Charles Henry, p. 213 et suivantes.
  62. Lettre du 23 septembre. — Édition Asse.
  63. Lettre du 9 octobre. — Lettres inédites publiées par M. Charles Henry.
  64. Mélanges de Mme Necker.
  65. Lettre du 14 janvier. — Lettres inédites publiées par M. Charles Henry.
  66. Lettres de novembre 1773. — Édition Asse, et Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  67. Ibidem.
  68. Lettre de Mlle de Lespinasse du 22 septembre 1774. Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  69. Lettre de Guibert du 22 octobre 1774. — Ibidem.
  70. Lettres de d’Alembert au duc de Villa Hermosa. Loc. cit.
  71. Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  72. Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  73. Ibidem.
  74. Ibidem. Il s’agit du livre intitulé : les Conversations d’Emilie, par Mme d’Épinay, qui venait justement de paraître.
  75. Lettre de 1774. — Édition Asse, et Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  76. Ibidem.
  77. Lettre du 12 mai 1774. — Édition Asse.
  78. Lettre de 1774. Ibidem.
  79. Lettre du 12 mai 1774. Passim.
  80. Ibidem.
  81. Voyez la Revue du 15 juin, p. 901.
  82. Recueil de pièces manuscrites provenant de la succession de Mlle de Lespinasse (Arch. du comte de Rochambeau). C’est peut-être à la trouvaille de ce billet de Mme de Boufflers que se réfère le passage suivant d’une lettre de Julie à Guibert : « Parmi les lettres que vous m’avez renvoyées, il y en a une qui n’est pas de moi, mais je jure de ne vous la rendre jamais ! » (Lettre de 1774. — Édition Asse.)
  83. Lettre de 1774. — Édition Asse et Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  84. « Je crois que je suis fort mal avec Mme de Boufflers, affirme Guibert à Julie. Je lui écris par ce courrier, et en voilà peut-être jusqu’à mon retour, car je ne sens ni besoin ni attrait qui me porte vers elle… » « Il y a huit jours, dit-il ailleurs, que je veux écrire à Mme de Boufflers. Avec elle, je ne peux jamais commencer, et, avec vous, je ne peux jamais finir. » Même affectation d’indifférence après son retour à Paris : « J’ai passé ce soir deux heures avec Mme de Boufflers. Elle est continuellement vis-à-vis de moi occupée d’ôter son masque et de le remettre. Je lui ai beaucoup parlé du malheur des gens qui étaient attaqués de la maladie de la considération, et je lui ai fait dire beaucoup de mal d’elle. » (Archives du comte de Villeneuve-Guibert.)
  85. Lettre de 1774. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  86. Lettre de mai 1774. — Édition Asse.
  87. Lettre de mai 1774. Ibidem.
  88. Lettre de 1774. Ibidem.
  89. Allusion au projet de son mariage avec Mora.
  90. La comtesse de Fuentès avait été prise, en septembre 1772, d’une phtisie, qui fit les plus rapides progrès. Son mari, ses enfans, ne la quittèrent pas un instant pendant sa maladie, et Mora notamment fut constamment près d’elle. Elle succomba le 12 octobre 1773. Une lettre de Mlle de Lespinasse parle de l’immense douleur que cette perte causa au marquis de Mora. (Lettre du 25 octobre 1774. — Édition Asse.)
  91. Lettre du 11 mars 1774 au duc de Villa Hermosa. — Retratos de Antano, passim.
  92. « Mlle de Lespinasse, dit Marmontel, imagina de faire prononcer par un médecin de Paris que le climat de l’Espagne lui serait mortel (à Mora), que, si on voulait lui sauver la vie, il fallait le renvoyer respirer l’air de la France. Et cette consultation, dictée par Mlle de Lespinasse, ce fut d’Alembert qui l’obtint de Lorry, son ami intime et l’un des plus célèbres médecins de Paris. L’autorité de Lorry, appuyée par le malade, eut en Espagne tout son effet. On laissa partir le jeune homme. Il mourut en chemin. »
  93. Lettre du 15 février 1174. — Édition Pérey et Maugras.
  94. Charles Lorry, docteur-régent de la Faculté de Paris, né en 1726, médecin du prince de Condé, des ducs de Noailles et de Richelieu, et occasionnellement du Roi, mort aux eaux de Bourbonne le 18 septembre 1783. (Éloge de Lorry, par Vicq d’Azir.
  95. Correspondance de d’Alembert avec le duc de Villa Hermosa. Loc. cit.
  96. Lettre du 3 septembre 1774. — Archives du comte Villeneuve-Guibert.
  97. Lettre du 3 septembre, passim.
  98. Mme Suard dans ses Mémoires, insinue que Mora avait, de son côté, fait infidélité à Mlle de Lespinasse : « Il fut trois ans absent, écrit-elle, et, d’après ce que j’ai appris, ils avaient à se faire une confidence réciproque… Le cœur de Mlle de Lespinasse eût été soulagé en apprenant que M. de Mora avait à se reprocher le même tort dont elle s’accusait elle-même. » Cette assertion est contredite par tous les documens qui émanent de la famille de Mora. On y voit, au contraire, que ses parens, désolés de son obstination à épouser Julie, cherchèrent à renouer les liens qui l’attachaient jadis à la duchesse de Huescar et à le marier avec celle qu’ils dédaignaient naguère, mais qu’ils ne parvinrent point à vaincre son refus opiniâtre. Julie écrit de son côté dans un passage, jusqu’à ce jour inédit, de ses lettres à Guibert : « Le malheur, l’absence, la maladie, la séduction de deux femmes passionnées, dont il était l’unique objet, rien n’avait pu ébranler ni refroidir une âme de feu. » (Lettre du 26 septembre 1774. — Arch. du comte de Villeneuve-Guibert.) De ces deux femmes, l’une est assurément la duchesse de Huescar, l’autre nous reste inconnue.
  99. Lettre du 3 septembre 1774, passim.
  100. Phrases citées par Mlle de Lespinasse dans une lettre de mai 1774.
  101. Archives du château de Talcy.
  102. Cité dans la lettre de Mlle de Lespinasse du 26 septembre 1774. — Édition Asse.
  103. Cet acte est imprimé parmi les documens complémentaires des Lettres inédites de Mlle de Lespinasse, publiées par M. Charles Henry.
  104. Renseignemens communiqués par M. le marquis d’Alcedo.
  105. Lettre du 26 octobre 1775. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  106. Lettre du 8 octobre 1774. — Édition Asse.
  107. « Pourquoi aggraver vos maux, lui remontrait vainement Guibert, en vous imaginant que vous avez pu contribuer à sa mort ? Il la portait dans son sein depuis deux ans, et y avait échappé deux fois en Espagne ; il était parti mourant. Le consul à Bordeaux m’a dit que le médecin avait prononcé que partout il serait mort de même. Votre malheur est assez grand pour ne pas supposer des circonstances qui l’augmentent. » (Lettre du 8 octobre 1774. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.)
  108. Lettres des 25 août et 15 septembre 1774. — Édition Asse.
  109. Billet écrit à Suard le jour de la mort de Mora. — Archives du château de Talcy.
  110. Lettre de d’Alembert à Mme Necker, du 4 juin 1774. — Le Salon de Mme Necker, par le comte d’Haussonville.
  111. Lettres de d’Alembert au duc de Villa Hermosa et au comte de Fuentès. (Retratos de Antano, et Lettres publiées par M. Asse.)
  112. Lettre du 15 octobre 1774. — Édition Asse. — Le comte de Fuentès avait demandé à d’Alembert de composer l’éloge funèbre de son fils, afin d’honorer sa mémoire et de « servir d’encouragement à la vertu pour ses autres enfans, » et il écrivit à Mlle de Lespinasse pour la supplier d’appuyer cette requête. Il semble que ce morceau ne fut jamais écrit ; mais Julie resta toujours en relations amicales avec le duc de Villa Hermosa et avec le comte de Fuentès. Ce dernier mourut quelques jours avant elle, le 13 mai 1776, remarié depuis peu de mois avec la duchesse de Huescar.
  113. Mémoires de Mme Suard, passim.
  114. Lettre du 13 mars 1778. — Édition Asse.
  115. Lettre du 14 mai 1775. Ibidem.
  116. « Et vous, mon amie, répond Guibert à cette singulière confidence, votre plaisir s’est tourné en poison ; vous l’avez tout de suite apporté à cette ombre qui vous poursuit, vous lui en avez fait, part, vous lui avez écrit ! » (Lettre du 20 février 1775. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.)
  117. Lettre de 1775. — Édition Asse.
  118. Lettre du 15 septembre 1774. Ibidem.
  119. Lettre du 17 août 1774. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.