Juvénal Satire VIII (Traduction Raoul)

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Traduction par Louis-Vincent Raoul.
Wouters, Raspoet et cie (p. 203-225).


SATIRE VIII.


Qu’importe, Ponticus une illustre naissance ?
Qu’importe d’étaler avec magnificence,
De ses aïeux rangés dans un ordre pompeux,
Les antiques portraits, les titres fastueux,
Les Scipions debout sur leur char de victoire,
Et, parmi ces tronçons ou de marbre ou d’ivoire,
Des Drusus mutilés, des Scaurus en éclats,
Un Galba sans oreille, un Corvinus sans bras,
Lorsque de ces héros, noircis par la fumée,
L’opprobre de tes mœurs flétrit la renommée ?
Lorsqu’aux yeux d’un Lépide, à l’aspect d’un Paulus,
Tu te livres sans frein à tes goûts dissolus,
Et que, les dés en main, passant la nuit entière,
A peine au point du jour tu fermes la paupière,
A l’heure où, préparant des triomphes nouveaux,
Déjà ces nobles chefs déployaient leurs drapeaux ?
Que sert à Fabius, fier de l’autel d’Hercule,
Que le pur sang des dieux dans ses veines circule,
Si, mortel orgueilleux, avide, efféminé,
Le trafic des poisons dont il est soupçonné,
Démentant les exploits de ces grands personnages,
De honte devant lui fait rougir leurs images ?
De cent titres en vain il marche revêtu,
Il n’est qu’une noblesse, elle est dans la vertu.

Descendant des Drusus, des vainqueurs de Carthage,
De leurs mœurs, avant tout, montre-moi l’héritage ;
Que l’éclat de ta vie efface leurs tableaux

Consul, que la vertu précède tes faisceaux.
Ce que je veux, ce sont les qualités de l’âme.
Est-ce le seul honneur qui te guide et t’enflamme ?
Es-tu de l’équité l’inflexible soutien ?
Je reconnais un grand. Salut, Émilien,
Ou Cossus, ou Caton ; salut, mortel illustre,
Dont Rome triomphante emprunte un nouveau lustre.
Je te vois, je t’accueille avec les mêmes cris
Que l’habitant du Nil retrouvant Osiris.
Mais j’appellerais noble un mortel méprisable
Qui n’a pour lui qu’un nom dont le fardeau l’accable !
Nous disons quelquefois d’un nain, c’est un Atlas ;
D’un enfant contrefait, c’est un nouvel Hylas ;
D’un chien maigre et pelé qui d’une lampe aride
Sans force, en se tramant, lèche le bec fétide,
C’est un tigre, un lion, un noble léopard,
Un animal plus fier, s’il en est quelque part.
Tremble que ne soit en ce sens ironique,
Qu’on te décore aussi du surnom de Crétique,
— A qui donc adressé-je une telle leçon ?
—A Blandus, qui du sang des Drusus, des Néron,
Nous vient avec orgueil relever l’avantage,
Comme si sa noblesse était son propre ouvrage ;
Comme si par lui seul il avait mérité
Qu’une fille des rois dans ses flancs l’ait porté,
Plutôt que d’être issu de l’obscure Romaine
Qui travaille en plein air à ses tissus de laine.
Vous autres, nous dit-il, jetés aux derniers rangs,
Vous qui ne pourriez pas nous nommer vos parents,
Vous n’êtes qu’une ignoble et vile populace.
Moi, l’antique Cécrops est l’auteur de ma race.
— Eh bien ! fils de Cécrops, triomphe et sois heureux ;
Triomphe d’être né d’un sang si généreux ;
Mais pourtant n’est-ce pas dans cette populace,
Que l’on voit tous les jours les gens de votre race,

Pour venger la noblesse et défendre ses droits,
Pour résoudre au barreau les énigmes des lois,
Pour démêler les nœuds de la jurisprudence,
Venir d’un avocat implorer l’éloquence ?
N’est-ce point là, malgré votre injuste dédain,
Qu’on trouve les vainqueurs de l’Euphrate et du Rhin,
Et ceux dont la vaillance aux rives du Batave,
Veille sous les drapeaux qui le tiennent esclave ?
Mais toi, fils de Cécrops, sans ton nom, tu n’es rien,
Et d’un buste d’Hermès mis à côté du tien,
Si nous ne trouvons pas la ressemblance entière,
C’est que l’un est vivant, et que l’autre est de pierre.

Dis-moi, grand citoyen, noble sang d’Iulus,
Quels sont les animaux qu’on estime le plus ?
On fait cas d’un coursier qu’on voit dans la carrière,
Le premier, sous ses pas, soulevant la poussière,
Aux acclamations des spectateurs surpris,
Raser, franchir la borne et remporter le prix :
Qu’il ait de ses rivaux surpassé la vitesse,
On ne demande pas ses titres de noblesse ;
Mais d’Hirpin, d’Eoüs l’indigne rejeton,
Si jamais le héraut n’a proclamé son nom,
Si jamais dans le cirque on n’a vu la victoire,
Assise sur le joug, le guider vers la gloire,
En dépit des aïeux dont il est descendu,
Au marché sans honneur dans la foule est vendu.
Là, que font les exploits, les ombres des ancêtres ?
Il faut, au plus vil prix, passer à d’autres maîtres,
Et le front incliné sous d’ignobles travaux,
Aller tourner la meule ou tramer les râteaux.
Veux-tu donc, d’un beau nom héritier magnanime,
Par toi seul, ô Blandus, mériter notre estime ?
Né d’illustres parents, sois illustre à ton tour ;
Et qu’un titre nouveau vienne se joindre un jour
A ceux qu’on a donnés et que l’on donne encore

Aux hommes vraiment grands dont la vertu t’honore.

Mais laissons là ce fat enorgueilli, dit-on,
Et gonflé de l’honneur d’être issu de Néron :
Chez tous ces favoris de l’aveugle fortune,
Le sens commun n’est point une chose commune.
Pour toi, cher Ponticus, j’aurais trop de regret,
Si de ton propre honneur négligeant l’intérêt,
Quand tu peux par toi-même illustrer ta mémoire,
Le nom de tes aïeux faisait toute ta gloire.
Il est trop malheureux de n’avoir pour appui
Que le fragile étai du mérite d’autrui.
Tel, privé du soutien d’une colonne antique,
S’écroule tout à coup un temple magnifique ;
Tel un cep tortueux vers la terre penché,
Languit loin de l’ormeau dont il est détaché.

Sois fidèle tuteur, sois soldat intrépide :
Juge, à tous tes arrêts que l’équité préside ;
Et s’il faut témoigner sur un fait incertain,
Quand lui-même, à tes yeux, de son taureau d’airain,
Phalaris, préparant l’effroyable torture,
Viendrait, le glaive en main, te dicter un parjure,
Résiste, et des bourreaux défiant la fureur,
Songe que préférer l’existence à l’honneur,
Et renoncer, pour vivre, aux motifs de la vie,
Est le comble du crime et de l’ignominie.
Qui mérite la mort n’existe déjà plus :
C’est en vain que, parmi les mets d’un Lucullus,
Les huîtres de Lucrin sur ses tables abondent,
En vain que de Cosmus tous les parfums l’inondent.

Tes vœux sont accomplis, te voilà gouverneur ;
Mais à ce haut emploi porté par la faveur,
Prends garde à l’avarice, étouffe la colère,
Des peuples alliés épargne la misère ;
Là tu verras des rois, spectacle attendrissant !
Dont les questeurs de Rome ont sucé tout le sang :

Des lois et du sénat respecte la puissance :
Vois de l’homme de bien qu’elle est la récompense :
Vois du Cilicien hardis spoliateurs
Capiton, Numitor, ces avides préteurs,
Corsaires enrichis aux dépens de corsaires,
Crouler en plein sénat sous des foudres sévères ;
Mais que font au brigand qui remplace Verrès,
Du sénat irrité les impuissants décrets,
Si le peu que laissa ce proconsul avare,
Un autre sur ses pas arrive et s’en empare ?
Si Tutor à Verrès succède sans effroi ?
Vends tes derniers haillons, Chérippus, et tais-toi.
A quoi bon, pour te plaindre, affrontant le naufrage,
Aller risquer encor les dépens du voyage ?

Les vaincus, accablés d’un joug moins rigoureux,
Au temps de la conquête étaient encore heureux.
Ils portaient sans gémir le fardeau de leurs chaînes :
Le vol était proscrit : les maisons étaient pleines :
La pourpre s’y montrait parmi des monceaux d’or ;
Et des Parrhasius, des Myron, des Mentor,
L’art, animant la toile et le marbre et l’ivoire,
Des beaux jours de la Grèce y conservait la gloire.
C’est plus tard que l’on vit un Antoine, un Verrès,
Pirates triomphants à l’ombre de la paix,
Des tributs entassés de vingt peuples fidèles,
Charger furtivement leurs poupes criminelles.
Maintenant que ravir à ces infortunés ?
D’un troupeau languissant les restes décharnés ;
Un taureau sans vigueur, quelques bœufs faméliques,
Ou les bustes sacrés de leurs dieux domestiques,
S’il leur en reste un seul de quelque prix encor ;
Car est là leur plus cher et leur dernier trésor.
Des peuples énervés de Rhodes et de Corinthe,
Méprise, j’y consens, la mollesse et la plainte ;
Leur murmure impuissant n’est point à redouter ;

Tu peux braver leurs cris ; mais tremble d’irriter
Le Gaulois, l’Espagnol, l’habitant d’Illyrie ;
Respecte l’Africain par qui Rome est nourrie,
Et qui, de la sueur dont son champ est trempé,
Engraisse un peuple oisif, de jeux seuls occupé.
Et l’Africain d’ailleurs, que craint-il du pillage ?
Marius n’a-t-il pas exploré ce rivage ?
Du brave au désespoir poussé par le malheur,
Garde-toi bien surtout d’outrager la valeur.
En vain l’or et l’argent seront en ta puissance :
Tu ne lui raviras le casque ni la lance,
Ni les dards enfouis, ni les glaives rouillés.
Il restera du fer aux peuples dépouillés.
Ces mots n’enferment point un oracle futile ;
Crois ici par ma bouche entendre la Sibylle.

Si tu n’es entouré que d’hommes vertueux ;
Si, chez toi, trafiquant d’un crédit monstrueux,
Un Ganymède impur ne vend pas la justice ;
Si, comme une harpie, en proie à l’avance,
Ta femme sur tes pas, prête à tout envahir,
De cités en cités ne court pas s’enrichir,
Cherche de quels grands noms ton oreille est flattée,
Sois le fils de Picus, descends de Prométhée,
Et de nos vieux récits débrouillant le chaos,
Remonte, si tu veux, aux plus anciens héros ;
Mais si l’ambition règne au fond de ton âme ;
Si de feux criminels la volupté t’enflamme ;
Si, portant la terreur chez des peuples soumis,
Tes faisceaux sont trempés du sang de nos amis ;
Si tu te plais à voir, en ta rage insensée,
Tes licteurs haletants et leur hache émoussée,
De tous ces noms pompeux le lustre accusateur
Ne sert qu’à mettre au jour l’opprobre de ton cœur.
Aperçu de plus loin dans un poste honorable,
Le crime se mesure aux titres du coupable.

Que viens-tu m’éblouir d’un édit spécieux,
Quand, devant les autels dressés par tes aïeux,
Aux pieds de la statue élevée à leur gloire,
En souscrivant un faux, tu flétris leur mémoire ?
Quand on te voit, la nuit, brûlant de feux impurs,
Sous la cape gauloise errer seul dans nos murs ?

Damasippus, le long du tombeau de ses pères,
D’un quadrige élégant tient les rênes légères ;
Il est son propre guide, et, consul indécent,
C’est lui, pour enrayer, lui-même qui descend.
Il est vrai que la nuit le couvre de ses voiles ;
Mais sa honte ne peut échapper aux étoiles ;
Mais du ciel tout entier la voûte en est témoin.
Que dis-je ? il portera l’audace encor plus loin.
Oui, qu’il ait déposé la pourpre consulaire,
Et bientôt, en plein jour, de son fouet téméraire,
Saluant, sans rougir, le plus grave vieillard,
Tu le verras du peuple affronter le regard ;
Tu le verras, malgré tous ses titres superbes,
Préparant le fourrage et déliant les gerbes,
Mortel digne en effet d’un si noble métier,
Lui-même à ses chevaux servir de palfrenier.
Vient-il, ô Jupiter, selon l’antique usage,
Comme autrefois Numa, t’apportant son hommage,
Du sang d’une génisse arroser tes autels ?
Ce n’est pas toi qu’il nomme en ses vœux solennels ?
Il n’implore qu’Hippone ou ces viles figures,
Des murs d’une écurie ordinaires peintures ;
Et quand du cabaret regagnant le réduit,
A la porte Idumée il va passer la nuit,
Le baigneur, dégouttant de ses parfums à vendre,
Accourt rempli d’un zèle affectueux et tendre,
S’incline en l’abordant, et, lui jurant sa foi,
Lui prodigue les noms de seigneur et de roi,
Cependant qu’avec grâce, d’une ardeur pareille,

Cyané vive et leste apporte une bouteille.

Et nous, me dira-t-on, n’avons-nous point aussi
Partagé les écarts que je condamne ici ?
— D’accord ; mais avec l’âge on change de conduite.
Ce dont il faut rougir ne peut passer trop vite,
Et la première barbe, amenant la raison,
Devrait de nos erreurs abréger la saison.
Qu’on passe quelque chose aux fautes de l’enfance,
Je le veux ; mais quels droits a-t-il l’indulgence,
Ce vil Damasippus, l’opprobre des Romains,
Nuit et jour fréquentant la taverne et les bains,
A l’âge où dans la Thrace, aux champs de la Syrie,
Son bras devrait venger Néron et la patrie ?
Ne va point, ô Néron, pour guider tes drapeaux,
Sur l’Oronte ou lister chercher des généraux :
Envoie au cabaret ; c’est là qu’on les rencontre ;
C’est là qu’en tout son jour leur noblesse se montre,
Au milieu d’assauts, de bateliers, d’escrocs,
D’esclaves fugitifs, de voleurs, de bourreaux,
De Luperques impurs, de misérables Galles
Étendus et ronflant auprès de leurs cymbales.
Là, même liberté, mêmes droits pour chacun ;
Là, les coupes, les mets, les lits, tout est commun.
Dis-moi, que ferais-tu d’un esclave semblable ?
Justement irrité contre un tel misérable,
Ne l’enverrais-tu pas à ta maison des champs,
Expier dans les fers de si honteux penchants ?
Mais vous, fils d’Ilion, indulgents pour vous mêmes,
Vous vous les pardonnez ces désordres extrêmes,
Et ce qu’en un vil peuple on blâme avec rigueur,
Scaurus n’en rougit pas ; Brutus s’en fait honneur !

Que dire, si ces mœurs ne sont pas si honteuses
Que je n’en puisse encor citer de plus hideuses ?
Damasippe au théâtre a mis sa voix à prix :
Il s’est fait dans le Spectre admirer par ses cris :

Et dans le Lauréole, avec non moins de grâces,
On a vu Lentulus, suivant ses nobles traces,
Sur la croix sans pudeur dans son rôle étendu ;
Supplice, à mon avis, qui lui serait bien dû.
Et le peuple lui-même est-il digne d’excuse,
Ce peuple dégradé qu’un tel spectacle amuse,
Que l’on voit applaudir aux lazzi des Plancus,
Et qui rit des soufflets donnés aux Mamercus ?
Ils se vendent ; combien ? n’importe : ni Tibère
Ni Néron ne les force à se mettre à l’enchère ;
C’est librement qu’ils vont s’engager au préteur.
Quel homme cependant, placé par la terreur
Entre de vils tréteaux et la mort toute prête,
N’irait pas sous le fer porter cent fois sa tête,
Plutôt que de venir au public rassemblé,
Montrer l’amant jaloux de quelque Thymelé ?
Mais pourquoi non ? un grand ne peut-il donc sans crime,
Sous un prince chanteur, jouer la pantomime ?
Ce n’est qu’un ridicule, et qui n’est plus nouveau.
Un trait plus révoltant manquait à ce tableau :
La noblesse exercée à l’art gladiatoire !
Eh bien ! ce beau talent met le comble à sa gloire.
Gracchus, de ses aïeux dépouillent la fierté,
Vient briguer dans le cirque un laurier effronté.
Il arrive sans faulx, sans bouclier, sans casque :
Gracchus s’indignerait de lutter sous le masque.
Le filet d’une main, de l’autre le trident,
A-t-il manqué son coup ? rétiaire impudent,
Il fuit, la tête haute, et se fait reconnaître.
C’est lui, n’en doutons pas, que nous voyons paraître,
C’est sa toge, sa mitre et ses riches bandeaux.
Le mirmillon forcé de souffrir ses assauts,
Rougirait d’une entière et sanglante défaite,
Moins que d’avoir lutté contre un pareil athlète.


Si Rome de ses chefs avait encore le choix

Qui de nous à Lucain ne donnerait sa voix,
Plutôt qu’à ce Néron, ce monstre sanguinaire,
Qui, dans un sac, avec un singe, une vipère,
Vingt fois au fond du Tibre eût dû trouver la mort ?
Oreste, poursuivi par la haine du sort,
Jusqu’au même attentat poussa la violence ;
Mais la cause du crime en fait la différence.
De ce fils égaré les dieux armaient le bras.
Égorgé sans défense au milieu d’un repas,
Son père tout sanglant lui montrait sa victime.
Mais le vit-on depuis, marchant de crime en crime,
Faire périr sa femme, ou massacrer sa sœur ?
Fut-il de ses parents le lâche empoisonneur ?
L’entendit-on jamais chanter sur un théâtre ?
Jamais d’un vil laurier follement idolâtre,
Vint-il sur Troie en cendre, y déclamer des vers ?
Vous dont l’heureux complot affranchit l’univers,
Galba, Virginius ! quel plus indigne outrage,
Pouvait contre Néron armer votre courage ?
Qu’a-t-il fait ce Néron, ce tyran détesté,
Pendant le trop long cours d’un règne ensanglanté ?
Grands et nobles exploits du maître de la terre !
Fier de ceindre son front d’une palme étrangère,
Il montait sur la scène, et l’arbitre des rois,
Sur les tréteaux des Grecs prostituait sa voix.
Triomphe, heureux Néron, et de ces nobles gages,
Cours de Domitius décorer les images ;
Consacre-lui ce masque et ces manteaux pompeux,
D’Atrée et d’Antigone ornements fastueux ;
Toi-même de tes mains place-les sur son buste,
Et suspends ta guitare au colosse d’Auguste.

Catilina sans doute était patricien ;
Et quel nom, Céthégus, plus noble que le tien ?
D’une Aine cependant de carnage altérée,
Dignes du châtiment de la robe soufrée,

La nuit, pour embraser nos temples, nos tombeaux,
Déjà nouveaux Brennus, vous teniez les flambeaux ;
Mais le consul vous voit, il entend vos menaces,
De votre aigle surprise il a saisi les traces ;
Et cet homme nouveau, fils d’un simple greffier,
Cet Arpinate obscur, depuis peu chevalier,
Du peuple consterné seul calmant les alarmes,
Veille et place partout des gardes sous les armes.
Sans sortir de nos murs, pacifique vainqueur,
La toge lui valut plus d’éclat, plus d’honneur,
Qu’Octave triomphant n’en dut à son épée,
Aux champs thessaliens, de carnage trompée.
De ces champs malheureux, tombeau des vrais Romain,
Trop de sang a flétri les lauriers inhumains ;
Mais Rome en liberté, Rome émue, attendrie,
Proclama Cicéron père de la patrie.

Un autre citoyen de ces murs glorieux,
Marius, comme lui, s’illustra sans aïeux.
Chez les Volsques d’abord laboureur mercenaire,
Au prix de ses sueurs il gagnait son salaire.
Puis, jeté dans les rangs de quelque légion,
Il suivit à la guerre un dur centurion
Qui, le sarment en main, gourmandant sa paresse,
Aux fatigues des camps façonna sa jeunesse.
Des Cimbres, néanmoins, qui couvraient nos sillons,
C’est lui qui renversa les nombreux bataillons :
Qui changea leur orgueil en tristes funérailles,
Qui de son bouclier couvrit seul nos murailles.
Aussi quand les corbeaux effrayés et surpris
Des corps de ces géants dévoraient les débris,
Le fier patricien qui partagea sa gloire,
N’eut que le second rang sur son char de victoire.


— Vous aussi, Décius, généreux citoyens,
Vous portiez et des noms et des cœurs plébéiens :
Vos têtes, cependant, offrande magnanime,

Pour apaiser Tellus, assez noble victime,
Arrachèrent deux fois au courroux des destins,
Rome et ses alliés et les peuples latins.
C’est qu’aux yeux de Tellus par vos mènes calmée,
Vous valiez plus que Rome et le peuple et l’armée.


Servius, le dernier des rois chers aux Romains,
Quoique fils d’une esclave, aux honneurs souverains,
A force de vertus, s’élevant par lui-même,
Ceignit de Quirinus le sacré diadème !
Et vous, dont la patrie attendait des haut-faits,
Capables d’étonner Mutius et Codés,
Et celle que l’on vit, d’un peuple peine libre,
Regagner la frontière, en traversant le Tibre,
Vous qui, le fer en main, deviez aux premiers rangs,
Mourir sur nos remparts, ou punir les tyrans,
Des Tarquins exilés appelant les cohortes,
C’est vous, fils du consul, qui leur ouvrez nos portes !
Les indices secrets d’un si lâche attentat,
Quel mortel généreux les révèle au sénat ?
Un esclave. Sénat, consuls, brisez ses chaînes,
Et sur sa tombe, un jour, pleurez, dames romaines ;
Mais vous, fils de Brutus, vils esclaves des rois,
Expirez les premiers sous la hache des lois.


J’aime mieux qu’à Thersite on doive la naissance,
Lorsque du grand Achille on peut brandir la lance,
Que si, du grand Achille indigne descendant,
On n’était au combat qu’un Thersite impudent.
Au reste, quel que soit l’éclat de ta famille,
Dût-elle à Romulus l’éclat dont elle brille,
Songe que le premier de tes nobles parents
Ne fut qu’un fugitif, un pâtre, — ou… tu m’entends.