L’Économie rurale de la Suisse

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L’Économie rurale de la Suisse
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 44 (p. 823-856).
L'ECONOMIE RURALE
DE LA SUISSE

LA VIE PASTORALE ET AGRICOLE DU PAYS.

Il n’est guère de pays en Europe qui attire autant de visiteurs que la Suisse, et cependant son économie rurale est encore assez peu connue. Bien des raisons expliquent un fait qui d’abord peut paraître singulier. Le sol, le climat, la disposition du terrain, offrent en Suisse des conditions si particulières, que les nations qui jouissent d’un territoire moins élevé et moins accidenté ne trouvent presque rien à lui emprunter. Et ne faut-il pas aussi tenir compte de l’effet produit sur le voyageur par les sublimes paysages alpestres ? En présence des masses énormes vomies jadis du sein de la terre, l’homme, écrasé par tant de grandeur, est disposé à s’oublier lui-même pour ne rêver qu’aux puissances accablantes de la nature, et l’esprit, soulevé au-dessus du niveau ordinaire où s’agitent le travail et l’industrie, n’arrive pas sans effort à s’occuper d’une question d’intérêt matériel. Lorsqu’on admire les formes tour à tour gracieuses et sévères d’une montagne, le tapis de velours vert qui en couvre les premières pentes, les sombres sapins qui en couronnent les croupes ravinées, les courts et rares herbages qui égaient jusqu’aux abords des neiges éternelles, on ne songe pas à demander ce que tout cela vaut et rapporte. Ajoutons qu’en Suisse même l’agriculture des diverses régions n’a pas été jusqu’à présent l’objet d’une étude spéciale[1] ; on s’en fait donc généralement une idée assez fausse. Il ne manque pas de descriptions poétiques qui nous présentent la vie dans les Alpes suisses comme douce et facile. La réalité est plus sévère, et rude est l’existence des habitans de ces montagnes. Montesquieu l’a mieux jugée quand il a dit qu’un Suisse payait plus à la nature qu’un Turc au pacha. Quoique Voltaire se moque de cette phrase, il n’en est pas moins vrai que dans une grande partie du pays la rigueur du climat et la rareté de la terre végétale exigent un labeur incessant et des soins multipliés, et que si le Turc travaillait moitié autant que le Suisse, il serait deux fois plus riche et pourrait payer deux fois plus d’impôts.

Pour étudier l’économie rurale des cantons, on ne doit point les grouper d’après leur position géographique, comme on le ferait dans tout autre pays. Ce n’est pas la situation dans l’espace qui détermine ici les caractères particuliers de l’exploitation rurale, mais la différence des hauteurs. De l’altitude dépend le climat, du climat la végétation, et de la végétation les travaux auxquels l’homme doit se livrer pour en tirer sa nourriture. En remontant cette échelle, on trouve la Suisse divisée en trois zones. La première, celle des céréales et des vignes, qui correspond au niveau des collines, commence à 643 pieds aux bords du Lac-Majeur, dans le canton du Tessin, et à 1,156 sur les rives du Léman, pour s’élever jusqu’à 2,500 pieds. Cet étage inférieur est déjà très haut en moyenne, car la Suisse tout entière, surtout au nord des Alpes lombardes, forme un massif fortement soulevé au cœur de l’Europe. La seconde zone, celle des forêts, qu’on pourrait aussi appeler celle des premières montagnes, s’étend entre 2,500 et 5,000 pieds ; elle comprend la plus grande partie du sol de la Suisse. Enfin la zone des pâturages, la zone alpine, s’élève depuis 5,000 pieds jusqu’à la ligne des neiges éternelles, c’est-à-dire jusqu’à 8,000 ou 9,000 pieds. Il ne s’agit pas ici, bien entendu, de limites nettement tranchées ; les différentes zones empiètent largement l’une sur l’autre : on trouve des forêts là où croît la vigne, et les céréales atteignent parfois les hauts pâturages ; on entend seulement marquer ce qui caractérise spécialement chaque région agricole. Ces trois zones correspondent aussi, en une certaine mesure, à trois formations géologiques différentes, car la nature des roches soulevées est ici en rapport avec la hauteur des soulèvemens. La région des collines, qui s’étend dans le grand bassin compris entre les Alpes centrales et le Jura, appartient à la formation relativement récente de la molasse. Les montagnes, qui succèdent aux collines, même celles déjà très élevées de l’Oberland bernois, sont presque entièrement constituées des roches sédimentaires du calcaire. Enfin les soulèvemens les plus puissans, les chaînes du Valais, les groupes de la Bernina, de l’Albula et du Selvretta se rattachent aux formations cristallines et métamorphiques du granit, du gneiss, du micaschiste et du verrucano. Ces différences dans la constitution géologique du sol ont une influence assez grande sur l’aspect de la végétation pour qu’un observateur exercé ne puisse s’y tromper.

Nous venons d’indiquer les caractères généraux qui distinguent les trois zones qu’on rencontre en Suisse. Il faut maintenant étudier dans chacune d’elles les produits qu’on recueille et les moyens qu’emploient les habitans pour les obtenir. Au lieu de suivre l’ordre indiqué plus haut, et de remonter l’échelle, peut-être vaut-il mieux la descendre, et parler d’abord de la zone la plus haute, celle des pâturages.


I

Les limites de la Suisse embrassent une étendue d’environ 4 millions d’hectares, qui se répartissent ainsi : trente et un centièmes de la surface totale du pays sont occupés par les lacs, les fleuves, les routes, les rochers inabordables et les glaciers ; trente-six centièmes sont consacrés aux pâturages des hauteurs ou aux prairies permanentes de la région inférieure ; les forêts prennent dix-huit centièmes, et les champs cultivés, y compris les vignobles et les prairies artificielles, quinze centièmes seulement. Nulle part ailleurs, pas même en Angleterre, la proportion du terrain destiné à nourrir le bétail n’est aussi considérable.

Les statistiques publiées par le gouvernement fédéral attribuent aux pâturages alpestres une étendue de 2,200,000 jucharten, ce qui fait 792,000 hectares[2]. Malheureusement cette étendue diminue sans cesse, et elle n’est déjà plus à beaucoup près ce qu’elle était autrefois. Les montagnes schisteuses, comme le Faulhorn par exemple, s’effritent et sont ravinées par les pluies et les neiges. Les calcaires, les roches cristallines même les plus dures, ne résistent pas à l’action permanente des agens atmosphériques. Les pointes les plus aiguës s’écroulent, des quartiers de rocher se détachent, des escarpemens à pic tombent et couvrent les pâturages de leurs fragmens. Au printemps, la chute des avalanches emporte les terres et ravage les gazons ; des éboulemens surviennent, souvent des parois entières glissent et s’abîment dans le lit des rivières ou dans les vallées. La destruction des forêts refroidit le climat, le niveau de la végétation s’abaisse ; la loi de la gravitation attire les débris vers le fond, et le mouvement éternel des eaux entraîne tout avec lui. Ainsi se réalise le mot de récriture : « Toute cime sera abaissée et toute vallée sera comblée. » Les mêmes forces qui ont jadis donné naissance à ces terrains stratifiés, soulevés maintenant à dix mille pieds au-dessus de la mer, continuent leur œuvre, et reforment au fond des lacs et des océans de nouvelles couches avec de nouvelles ruines. Partout des légendes populaires racontent la disparition surnaturelle de certains hauts pâturages, maintenant convertis en glaciers ou en rochers stériles[3]. Des faits certains permettent d’affirmer qu’un fonds de vérité se cache sous ces anciennes traditions. En voici deux exemples entre mille. Dans les alpages, la différence de production résultant de la situation, de l’altitude, de l’inclinaison, de l’exposition au sud ou au nord, etc., est trop grande pour qu’on puisse les estimer d’après leur étendue superficielle ; on compte donc ce qu’ils contiennent, non de jucharten, mais de stössen. Le stöss correspond à l’étendue indéterminée et souvent très inégale qui est nécessaire pour nourrir pendant l’été une vache ou son équivalent, c’est-à-dire deux génisses, quatre veaux, cinq moutons, dix chèvres, un poulain ou un quart de cheval. Or, pour le canton de Glaris, d’anciens règlemens portent le nombre des stössen, en 1636, à 13,000 ; aujourd’hui il est tombé à 9,740, ce qui fait en deux cents ans une diminution de 4,194, ou d’environ un tiers. Dans le district de l’Oberhasli, on comptait encore, en 1786, 3,648 vaches à lait ; il n’y en avait plus, en 1859, que 2,298, ce qui fait 1,355 de moins. Encore faut-il remarquer que, malgré les inconvéniens qui en peuvent résulter, on ne recule point devant l’ueberstossimg, ce qui veut dire qu’on met sur une alpe plus de bêtes qu’elle ne contient de stössen, plus par conséquent qu’elle ne peut convenablement en nourrir. Cette pratique fâcheuse accélère encore la destruction des pâturages, car le bétail, poussé par la faim, arrache les plantes ou les coupe au-dessous du collet, et détruit ainsi le gazon. La législature de certains cantons a donc cru devoir ajouter une sanction rénale aux anciens règlemens qui déterminent exactement le nombre d’animaux qu’on peut envoyer sur chaque alpage. L’homme doit se soumettre sans doute aux pertes que subit son domaine par suite du travail incessant, irrésistible de la nature ; mais il pourrait s’efforcer un peu plus d’en atténuer les funestes effets. Les bons avis à ce sujet ne manquent pas aux habitans des alpes : éviter d’imprudens déboisemens, enlever chaque année avec soin les pierres tombées des hauteurs, en faire des barrières pour arrêter les avalanches à leur origine ou des murs pour soutenir les terres qui s’éboulent, répandre plus également l’engrais recueilli dans les abris, assainir, drainer les parties humides et tourbeuses avec des tranchées remplies de pierrailles, s’abstenir de mettre sur les alpes plus de bétail qu’elles n’en peuvent nourrir, voilà ce que conseillent les personnes qui se sont spécialement occupées de la question. Comme en Suisse les recueils agricoles sont très répandus et que chacun sait lire, ces idées d’amélioration commencent à se répandre parmi les montagnards, et l’on remarque déjà qu’ils se mettent à les appliquer. Si donc les pâturages alpestres doivent diminuer encore par suite de l’inévitable ruine des hautes cimes, on peut espérer qu’à l’avenir l’œuvre de la destruction sera plus lente que dans le passé, parce qu’elle sera plus énergiquement combattue.

Jetons maintenant un coup d’œil sur la manière dont est dirigée la culture pastorale dans les montagnes. Les alpages forment le trait caractéristique de l’économie rurale de la Suisse et nourrissent, au moins pendant une partie de l’année, presque tous les animaux domestiques du pays, c’est-à-dire tous les moutons, toutes les chèvres, la moitié des chevaux et les trois quarts des bêtes à cornes, en tout plus d’un million et demi de têtes. Afin de faire vivre le nombreux bétail qui est la richesse presque unique des cantons montagneux, il faut de l’herbe l’été et du foin l’hiver, et beaucoup de foin, car la mauvaise saison dure longtemps, — de quatre à six mois, — et elle couvre la terre de plusieurs pieds de neige. Pour répondre aux besoins de toute l’année, les herbages sont divisés en deux catégories très distinctes : les prés à faucher et les pâturages alpestres. Les prés à faucher s’étendent toujours autour des habitations ; ce sont ces pelouses d’un vert d’émeraude, d’une végétation vigoureuse et drue, parfois plantées d’arbres et souvent arrosées, que l’étranger admire près des villages. Les pâturages au contraire ne se trouvent que sur les hauteurs, depuis 4,000 jusqu’à 8,000 pieds, là où l’homme ne réside plus d’une manière permanente. Ces pâturages élevés, on les appelle alpages, comme on sait, ou alpen dans la Suisse allemande. On distingue trois espèces d’alpes, d’après la hauteur à laquelle elles sont situées. Les unes sont les basses alpes, les alpes de mai, qui s’étalent sur les croupes inférieures des montagnes et dans les endroits bien exposés au soleil. Ce sont celles où la neige disparaît d’abord au printemps : déjà au mois de mai une herbe précoce y croît, serrée et succulente. Elles nourrissent les troupeaux pendant un mois entier, avant leur départ pour la montagne. Plus haut commencent les alpes moyennes, que les bergers nomment kühalpen (alpes à vaches). Elles montent jusqu’à 6,000 pieds. Elles sont situées tantôt au fond de quelque étroite vallée dominée de tous côtés par des murailles perpendiculaires ou des crêtes dentelées, tantôt sur des terrasses au haut des escarpe-mens ou sur leurs rapides versans, tantôt dans le voisinage même des glaciers. C’est là qu’apparaît la flore particulière des hautes régions, toute une merveilleuse variété d’herbes et déplantes qui conservent la vie sous la haute couverture des neiges, et qui donnent une nourriture aromatique, forte et extrêmement favorable à la production d’un bon lait. Enfin, au-dessus de la zone moyenne s’élèvent les hautes alpes, les schaafalpen ou alpes à moutons : elles ne s’arrêtent qu’à la limite des neiges éternelles. Au bord des abîmes, sur les pentes à pic, à des hauteurs vertigineuses, la chèvre et le mouton vont disputer au chamois les derniers produits de la végétation.

Le voyageur qui visite la Suisse pendant les mois de la belle saison ne voit presque pas de troupeaux ; il cherche en vain ces belles vaches dont chacun parle : on lui dit qu’elles sont sur les alpes, et d’alpes il n’en traverse guère. C’est qu’en effet ces pacages élevés sont situés loin des villages, et les passages à travers les chaînes suivent généralement des gorges trop étroites pour en contenir. Lorsqu’on pénètre dans les solitudes des montagnes, parmi les hautes cimes, on entend tout à coup, au-dessus de soi, — à une hauteur si grande que d’énormes sapins paraissent des arbrisseaux, — le tintement argentin d’une clochette lointaine. C’est là qu’il faut monter pour rencontrer les troupeaux et pour voir se développer les pâturages alpestres dans toute leur beauté. Cependant, en franchissant certains cols, on peut voir se succéder ; en de petits échantillons il est vrai, les trois zones superposées. Ainsi, lorsque du lac de Brienz on se dirige vers le Valais par la Grimsel et qu’on remonte la vallée granitique de l’Aar, les riches herbages par lesquels on s’élève à Guttannen (3,450 pieds) sont fauchés pour la nourriture d’hiver. Ceux qu’on trouve plus haut, parmi les grands sapins, jusqu’au chalet de la Handeck (4,375 pieds), sont des voralpen, alpes de mai, fauchées aussi. Après les rochers désolés des Helleplaten, polis par les glaces antédiluviennes, les pâturages qu’on rencontre autour de l’hospice et jusqu’au pied du glacier de l’Aar (5,728 pieds) sont des alpes moyennes où paissent des vaches. Enfin ceux qui s’élèvent au-dessus du glacier de l’Aar (7,000 pieds), aux abords du Finster-Aarhorn, sont des hautes alpes pour les moutons. Il s’en faut néanmoins que ce soient là, dans toute la Suisse, les limites absolues des hauts pâturages. Dans l’Engadine et dans la vallée de Zermatt par exemple, les alpes inférieures sont à 6,000 pieds, les moyennes vont à 7,000, et les alpes à moutons à 8 ou 9,000 pieds, comme on peut le voir sur les contre-forts du Mont-Rose. On trouve même des pâturages à moutons complètement isolés au milieu des glaciers qui les environnent de toutes parts, semblables à des îles de fleurs au sein des vagues solidifiées d’une mer polaire. Ainsi, au centre du grand cirque de neige formé par les cimes multiples de la Bernina, les deux grands glaciers de Rosegg et de Cierva, qui en descendent, entourent complètement l’alpe Agagliouls, où les moutons n’arrivent qu’en traversant la surface perfide de ces grands fleuves pétrifiés. Près de Saas, dans le Valais, au pied des pics du Mischabel, le glacier de Fée enserre un pâturage du même genre, et on connaît assez le jardin, près de Chamouny, au fond de la Mer de Glace. Il y a plus encore : certains alpages sont d’un abord tellement difficile qu’il faut y porter les moutons à dos d’homme, ce qui inspirait à Saussure un véritable respect pour l’industrieuse énergie des montagnards. Ainsi des herbages montant par degrés depuis le fond des vallées jusqu’à la zone où toute végétation cesse, voilà ce que la nature offre à l’homme dans ces régions alpines. Comment donc a-t-il su en tirer parti ?

Les prés autour des demeures sont à peu près partout parfaitement traités. ils sont irrigués avec soin dès qu’on peut se procurer de l’eau, et ils reçoivent tout l’engrais que produit le bétail pendant l’hiver. En général, l’eau ne manque pas, car la pente considérable des rivières et des ruisseaux descendant des hauteurs permet de la conduire où l’on veut. Cependant en certains endroits l’irrigation a demandé de grands travaux que les habitans associés n’ont pas hésité à exécuter. Dans le Valais surtout, on peut en voir qui étonnent par leur hardiesse et leur étendue. C’est ainsi qu’on a amené une petite rivière depuis Rawyl jusqu’à Venthone, à une distance de cinq lieues, dans des conduits en bois, tantôt attachés au flanc des rochers, tantôt franchissant hardiment les vallées, tantôt perçant la montagne. Sans doute il ne faut s’attendre ici à voir rien de pareil aux grandes irrigations de la Lombardie, l’espace manque pour cela ; mais d’ordinaire, dans les prairies au fond des petits canaux cachés par les herbes, on entend courir avec un gazouillement charmant une eau vive, toute brillantée des paillettes argentées du mica, qui permet d’irriguer à volonté.

Les prairies des fonds sont engraissées deux fois. On hâte ainsi la végétation, et il le faut, car la bonne saison est courte. Toutes les matières fertilisantes sont généralement recueillies avec grand soin ; les étables ont des réservoirs à purin en pierre ou en bois ; les vidanges des villes et des bourgs ne se perdent pas, et les habitans des campagnes, qui en apprécient l’efficacité, les achètent à des prix très élevés. Comme la quantité de paille qu’on récolte est insuffisante pour, les litières, on la remplace par des aiguilles de sapin ou par des feuilles sèches, et à cet effet on coupe même les branches de certains arbres. Quand à l’automne on voit les prairies toutes noires de l’engrais qu’on y répand, on s’explique la belle herbe verte dont elles se couvrent l’année suivante.

Là où l’on n’a pas d’alpes de mai, on permet au bétail de couper les premières pousses tendres du printemps, dont il fait ses délices après les privations de l’hiver ; mais c’est une fâcheuse nécessité, car la première récolte du foin en souffre. On fauche une seconde fois à la fin d’août ou au commencement de septembre, et en octobre les vaches, redescendues des alpes, pâturent encore le regain jusqu’à ce que tombe la neige. La faux qu’on emploie est petite, mais très affilée, et c’est merveille de voir comme les prés sont tondus court : on dirait que le rasoir de quelque barbier géant a passé par là. Les alpes de mai sont la condition d’une bonne exploitation, car, en y mettant de bonne heure les troupeaux, on peut réserver les prés de la vallée uniquement pour le foin. Elles sont fumées comme ces dernière ; elles reçoivent tout l’engrais recueilli dans les refuges où le bétail passe la nuit ; aussi, après le départ des troupeaux vers les hauteurs, se couvrent-elles d’une herbe assez forte pour qu’elles puissent se faucher une fois, et donner encore après un bon regain à pâturer.

La rentrée du foin est la fête des vallées ; c’est leur première, parfois leur unique récolte, et du succès alors obtenu dépendent les bons résultats de l’année. Quand la fenaison est terminée, de joyeux et abondans repas réunissent les faucheurs ; le vin ou le most (le cidre du pays) circule à la ronde, et des cris de joie annoncent que la provision pour la mauvaise saison est assurée. Le foin qu’on recueille est délicieux ; il a une odeur pénétrante et aromatique qui parfume tout le fenil, et la sécheresse de l’air permet souvent de le rentrer si vite qu’il conserve une belle couleur verte. Dans certaines parties de la Suisse où il pleut souvent, on dépose l’herbe coupée sur une sorte de grand perchoir : c’est un pieu fixé en terre, et traversé à différentes hauteurs par des bâtons disposés en croix. Le foin étalé là-dessus sèche beaucoup plus vite, et n’est pas exposé à pourrir. Une autre phase de la vie pastorale des hauts cantons, c’est le départ pour les alpes, fête aussi, mais attendrie et mêlée d’adieux, car ceux qui partent, époux et enfans, s’exilent pour quatre mois au sein de pics neigeux. La caravane, qui s’élève lentement à travers les prairies verdoyantes et les noirs sapins, forme un charmant tableau : en tête marchent fièrement les deux vaches conductrices, portant la clochette, marque de leur dignité et preuve de leur expérience ; leurs têtes sont ornées de fleurs. Les autres vaches les suivent une à une, et le taureau porte, attachée entre les cornes, la chaudière pour cuire le lait. Tout autour de ces animaux paisibles, la bande indisciplinée des chèvres dépense en bonds obliques et folâtres son humeur capricieuse. Puis viennent les petits bergers, qui sonnent de la trompe ou chantent leurs jodels aux trilles interminables, et enfin le senn, le pâtre principal, avec ses aides, conduisant le cheval chargé de tous les ustensiles nécessaires pour la confection du fromage. Arrivé sur l’alpe, on s’arrête d’abord à l’étage inférieur. C’est là que se trouve la sennhutte, le chalet grossier des hauteurs. C’est là aussi que les troupeaux se rassemblent chaque soir et que croît l’herbe la plus grasse et la plus précoce.

Celui qui n’a pas visité les chalets des bergers des Alpes peut difficilement se figurer la sauvage simplicité de ces refuges. Ils sont construits, tantôt en pierres brutes superposées, avec un toit de grandes dalles, quand ils sont situés au-dessus de la zone des forêts ou dans une région qui a été dépouillée de ses arbres, tantôt en gros troncs à peine équarris et placés les uns au-dessus des autres quand on a pu se procurer des sapins. Les chalets en troncs d’arbres, dont les joints ont été remplis de mousse, sont bien meilleurs que ceux en pierre ; ils sont plus chauds et moins humides. L’intérieur se compose d’une grande place où se fait le fromage et d’une étable pour les cochons, au-dessus de laquelle on étend le foin qui sert de couche aux bergers. Dans l’unique pièce, point de cheminée, la fumée sort par les fentes du toit ; point de fenêtre, la lumière entre par la porte ouverte ; point de meubles, sauf peut-être un banc grossier ou une pierre qui tient lieu de siège et de table ; point d’ustensiles de cuisine, sauf une écuelle et quelques cuillers en bois ; — sous les pieds, la terre nue ; sur la tête, quelques planches juxtaposées à travers lesquelles passe en sifflant l’âpre vent des glaciers ; dans un coin, au-dessus du foyer, une petite grue en bois, tournant dans des tourillons, à laquelle est suspendue une grande chaudière où l’on chauffe le lait pour faire le fromage. Dans le mobilier, on le voit, point de superflu ; on s’étonne du peu qu’il faut à l’homme pour suffire à ses besoins, quand on songe à l’innombrable quantité d’objets qu’ailleurs il nomme indispensables. Tout dans ce rustique intérieur est noirci par la fumée, excepté pourtant les seaux en bois, la baratte, et ce qui est nécessaire pour recevoir et conserver le lait. Sur les alpes où on fait du beurre, les chalets sont ordinairement appuyés à un rocher, où l’on creuse une laiterie, souvent rafraîchie par quelque crevasse qui communique au loin avec l’air extérieur. Ces ventilateurs naturels servent de baromètre : aussi longtemps qu’il en sort un air froid, c’est signe de beau temps ; si le courant s’attiédit, c’est qu’il va pleuvoir.

Un troupeau se compose ordinairement de 25 à 30 vaches à lait, sans compter le jeune bétail, de quelques cochons qu’on engraisse avec le petit-lait, et de quelques poulains. Le personnel régulier attaché à ce troupeau est de quatre personnes : le maître (senn, alpadore dans le Tessin ) qui dirige la manipulation des produits et qui en tient note, son aide (junger) qui prépare le fromage de chèvre, l’ami (der freund) qui va dans la vallée chercher les provisions de bois, de pain, de sel, et qui y transporte les lourds fromages, enfin le jeune pâtre (kühbub) qui suit tout le jour le bétail. Voilà le nombre de personnes qu’exige une bonne division du travail ; mais quand l’alpe est petite et le troupeau peu nombreux, le personnel se réduit à proportion, et souvent un berger doit remplir toutes les fonctions à lui seul ; c’est alors, on le devine, une rude besogne. Les vaches appartiennent d’ordinaire à différens propriétaires : l’un en a cinq ou six, l’autre n’en a qu’une, mais tout le lait est mis en commun et les produits partagés, à la fin de la saison, d’après le nombre de vaches que chacun possède et aussi d’après le lait que donne chacune d’elles. C’est un compte à établir par le senn) qui est rétribué en argent ou en nature, ainsi que ses aides. Deux ou trois fois pendant la saison, les ayant-droit montent tous ensemble sur l’alpe, et vont constater par eux-mêmes, en présence les uns des autres, le produit de chaque bête ; par cette espèce de procès-verbal, toute contestation est évitée. C’est le même principe d’association que celui des fruitières ou fromageries) si répandues même hors des Alpes, dans le Jura et dans les cantons de Vaud et de Fribourg. Chacun de ces cantons en compte plus de 500, et ces utiles sociétés s’établissent de plus en plus dans tout le pays. Parfois le senn entreprend l’exploitation à ses risques et périls ; il loue l’alpe et donne une somme déterminée à l’avance pour chaque tête qu’on lui confie.

Si maintenant on suit de plus près les montagnards au sein des solitudes alpestres où ils passent la belle saison, on se transporte aisément par l’imagination aux époques reculées où la race arienne menait encore une existence semblable, dont les racines de sa langue nous ont transmis les naïves images. La vie du senn et de ses compagnons est bien en effet celle de ces pasteurs primitifs. Du lait, du fromage, un peu de riz ou de farine de maïs, et du pain vieux de six mois ou d’un an, voilà leur ordinaire. Par le beau temps, leur travail n’est pas rude : il consiste à traire les vaches deux fois par jour, à transformer le lait en beurre ou en fromage et à surveiller le troupeau ; mais par le mauvais temps tout change. Quand un orage éclate dans les hautes montagnes, que la grêle et le vent fouettent l’alpe avec furie, et que les roulemens du tonnerre, répercutés par les rochers, semblent annoncer quelque formidable convulsion de la nature, les troupeaux s’épouvantent, les vaches fuient au hasard, la queue dressée, l’œil hagard, droit devant elles, sans voir les précipices où elles peuvent rouler : il faut alors que les bergers arrêtent ces animaux éperdus, qu’ils les calment et les ramènent vers la hutte. Ils n’y parviennent pas toujours : il arrive que des vaches sont tuées ainsi en tombant de rochers à pic, et que même des hommes périssent en voulant les contenir ou les chercher. Ces accidens seraient moins fréquens, si tous les alpages possédaient des refuges pour les troupeaux, et si on avait soin de les y faire rentrer dès que le gros temps menace. Malheureusement beaucoup de hauts pâturages en manquent, là surtout où le bois devient rare. Dans plusieurs cantons, on a mis sous la protection de la loi de vieux sapins qui servent d’abri au bétail pendant les orages, et qu’on nomme pour ce motif Wettertannen. Un règlement récent, émané de la législature du canton de Glaris, va jusqu’à ordonner qu’à l’avenir toute alpe sera pourvue d’un refuge en pierre ou en bois. Aujourd’hui, pendant les grandes chaleurs, les vaches, incommodées des mouches et des rayons du soleil réfléchis par les parois des rochers, gravissent les escarpemens les plus abrupts pour s’y baigner dans l’air frais qui souffle toujours sur les sommets, et là aussi elles s’exposent à être précipitées dans les profondeurs des ravins.

Quand le troupeau a mangé toute l’herbe qui croît à la hauteur du chalet, il monte d’un étage, et trouve de nouveau dans cette région plus froide une nourriture tendre et une végétation fraîchement épanouie. Ainsi, s’élevant toujours plus haut à mesure que la zone inférieure est rasée et que la saison avance, il arrive vers la fin de l’été à la limite des pâturages qui lui sont destinés. C’est là qu’il trouve les plantes les plus aromatiques, celles qui donnent le lait le meilleur et le plus crémeux. Le nombre est encore assez grand des espèces qui, sur ces hautes alpes, font à la fois les délices des troupeaux et la joie du botaniste. Celles que les bergers estiment surtout sont la branche-ursine (meum mutellina), dont l’ours mange la racine, et dont la marmotte fait du foin pour se nourrir l’hiver dans son terrier, une espèce de plantain aux feuilles étroites, mais à racine énorme (plantago alpina), un vrai type de plante alpine, deux ou trois espèces d’alchemille (alchemilla alpina, pentaphylla et moschata), quelques papilionacées (trifolium alpinum, medicago minima, etc.), plusieurs graminées qui montent moins haut que les dicotylédonées, mais dont on trouve jusque près des neiges une espèce vivipare très curieuse, la poa alpina vivipara, et une autre d’excellente qualité, le phleum alpinum, enfin des carex et des luzulées, parmi lesquelles la luzula spadicea est particulièrement recherchée par le bétail. Auprès des chalets, dans les endroits souvent engraissés, se développe une végétation plus plantureuse et moins fine ; il s’y mêle aussi fréquemment des espèces dangereuses : l’aconit, la jusquiame, la renoncule des montagnes, l’anémone alpine, la digitale, etc. Les vaches les évitent, mais les jeunes bêtes en mangent parfois au grand détriment de leur santé, et il serait à désirer que les pâtres, qui connaissent bien ces plantes, les extirpassent avec soin. Il semble d’abord que dans les alpes les troupeaux ne doivent trouver que difficilement de quoi se désaltérer. On croirait en effet que sur ces pentes rapides, sur ces terrasses suspendues au haut des murs de rochers qui enceignent les vallées, sur ces amphithéâtres gigantesques qui se perdent dans les nues, les fontaines doivent absolument faire défaut ; il n’en est rien pourtant. Nulle part elles ne jaillissent aussi nombreuses et aussi pures. On ne peut faire un pas sans rencontrer, soit quelque filet cristallin qui précipite sa course vers la rivière, soit quelque marais tourbeux où l’on risque de se mouiller plus que le pied. Les eaux des neiges, des glaciers ou du ciel filtrent doucement en terre, rencontrent quelque couche imperméable, suivent la déclivité et viennent sourdre enfin à mi-côte des hauteurs et même bien près des cimes. Souvent les bergers recueillent l’une de ces sources, et la conduisent, au moyen de sapins forés, dans un grand tronc creusé en forme d’abreuvoir. D’ailleurs les petits lacs ne manquent pas, et le bétail aime à s’abreuver dans leurs eaux fraîches et transparentes.

Arrivées à l’extrémité de leur domaine, vers la fin du mois d’août, les vaches commencent à descendre. Elles reviennent lentement sur leurs pas, et s’arrêtent encore quelques jours à chaque étage précédemment gravi, pour se nourrir des plantes tardives et de celles qui ont donné une seconde pousse. Vers la mi-septembre, elles quittent les hauteurs et retournent dans les alpes de mai. Enfin elles profitent encore des derniers beaux jours de la saison pour manger le regain des prés à faucher, jusqu’à ce que l’hiver les confine définitivement dans l’étable, où elles trouvent le foin odorant que la prévoyance de leur maître a préparé pour elles pendant l’été. Ainsi se termine le cercle de ces migrations périodiques, dont le progrès de la végétation et la marche d’abord ascendante, puis descendante du soleil déterminent les étapes. Malheureusement le mauvais temps vient quelquefois en interrompre la succession régulière. Au milieu de la belle saison, un orage survient ; la température se refroidit subitement, et en plein mois de juillet ou d’août les pâturages élevés disparaissent sous une épaisse couche de neige. En vue de cette éventualité, les chalets sont toujours pourvus d’une petite provision de foin ; mais si les herbages ne sont pas bientôt dégagés de la couche intempestive de frimas qui les dérobe à la dent des troupeaux, il faut faire descendre ceux-ci en attendant que la neige fonde, et ce retour anticipé dans les prairies inférieures est toujours accompagné d’une certaine perte sur la récolte du foin et de beaucoup de fatigues pour les bergers.

Au-dessus des alpes à vaches s’élèvent, avons-nous dit, les alpes à moutons. Elles sont généralement situées sur des pentes si rapides, sur des escarpemens si dangereux, qu’on n’ose y aventurer les bêtes à cornes, malgré l’habitude qu’elles ont de gravir les montagnes. La neige n’abandonne ces pâturages qu’à la fin de juin ou au commencement de juillet. La flore y est déjà très réduite et n’acquiert qu’un faible développement. Toutes les plantes rampent le long du sol et semblent concentrer leur vitalité dans les grandes racines qu’elles enfoncent profondément en terre. Les espèces sont représentées par des variétés naines, et les arbres mêmes atteignent à peine la taille d’un pouce, comme le salix alpina, le betula nana, qui n’apparaît guère ailleurs que dans les tourbières de la Laponie, l’alnus viridis, l’aune nain qui tapisse les pentes jusqu’aux abords des neiges, ou le petit genévrier, juniperus nana, qui à la Bernina dépasse l’altitude de 8,000 pieds. C’est parmi les pierres tombées des sommets, dans les couloirs entre des rochers, sur des déclivités en apparence inabordables, que les moutons doivent chercher leur nourriture. Ils restent sur ces alpes jusqu’à ce que la neige les chasse vers la plaine. Généralement on ne leur construit pas d’abri, et dans les mauvais temps il faut qu’ils cherchent un refuge sous quelque roche qui surplombe ; le berger qui les garde a seul un petit chalet où il passe la nuit. Il doit parfois conduire son troupeau dans des solitudes si sauvages et si écartées, qu’il reste plusieurs semaines sans voir personne. C’est ainsi que dans le Berner-Oberland, au pied de l’Eiger, il est une alpe si éloignée de la vallée de Grindelwald, que les deux bergers qui y résident demeurent pendant -deux mois complètement isolés, sans autre visite que celle des intrépides touristes qui tentent par les glaciers le difficile passage du Straleck. Dans certains endroits, les moutons sont entièrement abandonnés à eux-mêmes, comme par exemple dans la vallée de Zermatt et au-dessus des grands glaciers d’Aletsch. Ils vivent là pour ainsi dire à l’état sauvage ; seulement un berger va de temps en temps leur porter le sel dont ils ont besoin. Parmi les pâturages à moutons, quelques-uns sont si étendus qu’ils nourrissent plusieurs milliers de ces animaux. Le Gaulischaafberg, dans l’Urbachthal, peut donner l’idée de ce genre d’alpages. Le mouton est, comme on le voit, l’objet de peu de soins en Suisse : aussi les races ovines ne présentent-elles rien de remarquable. Elles livrent une bonne viande de boucherie et une laine grossière. On a essayé de les améliorer par le croisement avec des races étrangères, mais il paraît que les rudes épreuves auxquelles ces animaux sont soumis dans les alpes ont fait échouer les tentatives commencées. La vallée de Frutigen, dans le canton de Berne, fait exception au reste de la Suisse, car on y soigne particulièrement l’élevage des bêtes à laine, qui appartiennent à une race spéciale très estimée, et dont les toisons servent à faire sur place une sorte d’étoffe destinée aux jupons des paysannes. La race ovine compte en tout environ 400,000 têtes.

Généralement l’étendue des hauts pâturages est proportionnée à celle des prés inférieurs. Pourtant dans quelques districts, notamment dans le canton des Grisons, il n’en est pas ainsi. Dans la partie supérieure du pays, le fond des vallées est très resserré, et les croupes des montagnes au contraire sont très étendues ; par suite, les habitans, qui récoltent peu de foin, ne peuvent nourrir l’hiver assez de moutons pour profiter utilement durant l’été de tous les herbages des hauteurs : afin d’en tirer parti, ils les louent à des bergers lombards de la province de Bergame, qui amènent leurs troupeaux sur les alpes de la Suisse. C’est une singulière rencontre dans les paysages si pittoresques de l’Engadine ou du Rheinwald que celle de ces Bergamasques au teint brun, aux longs cheveux noirs bouclés, au chapeau calabrais, avec leurs grands moutons à oreilles pendantes et leur mulet portant tout leur mobilier. On dirait des brigands siciliens transportés au milieu des glaciers du nord, et cependant ils sont doux, probes et industrieux ; ils font d’excellent fromage, et au retour, vers la mi-septembre, ils vendent les toisons à Borgofesio, où se tient un marché de laine important. On estime que dans les Grisons arrivent 40 ou 45,000 moutons bergamasques, pour lesquels les communes, propriétaires des pâturages, reçoivent de 40 c. à 1 fr. 50 c. par tête. La recette totale monte à une quarantaine de mille francs ; mais comme le mouton s’attaque volontiers aux jeunes pousses des arbres et empêche ainsi le repeuplement des forêts, il se produit à cette heure un vif mouvement d’opposition contre les troupeaux étrangers, et déjà plusieurs alpes leur ont été enlevées.

En dehors des trois espèces de pâturages que nous venons de décrire, il est encore certains escarpemens si périlleux que le mouton même ne s’y aventure pas. Là ose gravir le montagnard, une faux à la main, pour faire la récolte du foin sauvage (wildheu). Comme l’homme n’a pu tracer au milieu des abîmes la limite de la propriété privée, l’herbe qui croît dans ces lieux presque inaccessibles est à Dieu, c’est-à-dire aux pauvres ; mais les pauvres ici ont tous une vache, des chèvres ou des moutons : il leur faut donc du foin. Jusqu’au 13 août, nul ne peut faucher ; à partir de ce jour, celui qui occupe le premier une place où pousse l’herbe sauvage a le droit de la couper. C’est donc à qui partira le plus matin pour la laborieuse expédition. Malgré cette compétition, les querelles sont rares, et au lever du soleil chacun, accroché à la pente qu’il a conquise, pousse des cris de joie ou fait retentir la corne des Alpes. Pour se livrer à leur dangereux travail, les wildheuers, les faucheurs de foin sauvage, s’attachent au pied des pointes en fer qui les empêchent de rouler au fond des précipices, et malgré cette précaution les accidens ne sont pas rares. Lorsque la fenaison est terminée, il s’agit de faire descendre le foin dans la vallée. Si la provision est rassemblée au bord d’un escarpement à pic, rien de plus facile : on lie le foin en bottes qu’on lance dans le ravin ; mais d’autres fois il faut attendre l’hiver, et jusque-là on met la récolte en meules maintenues par des pierres ou des branches de sapin. Quand la neige partout étendue a comblé les creux du terrain et rendu tous les chemins abordables, de hardis jeunes gens montent avec des traîneaux, y placent le foin et se lancent sur les déclivités des montagnes avec la rapidité de l’avalanche. C’est un des plaisirs de la mauvaise saison, accompagné, il est vrai, de beaucoup de fatigues et de dangers réels. Le foin si laborieusement conquis a d’abord le grand avantage de ne rien coûter que la peine de le faucher ; ensuite il fait profiter la vallée de la végétation perdue des hauteurs, et en augmentant la quantité du fumier il empêche l’épuisement des prés inférieurs. Sans le foin sauvage, une foule de petites gens seraient ruinés, et le chiffre du bétail s’abaisserait notablement.

On estime que les alpages contribuent au produit total qu’en Suisse on obtient du lait dans la proportion de 27 francs par juchart de 36 ares, sans compter la nourriture qu’ils livrent l’été à cent mille chevaux et à un demi-million de moutons ; cela ferait donc en tout un produit d’à peu près 100 francs par hectare. C’est beaucoup pour des terrains d’une situation si exceptionnelle et où la végétation n’a qu’une durée de quatre mois au plus.

Si, dans les cantons alpestres, la culture pastorale offre certaines particularités qu’on ne rencontre pas ailleurs, l’organisation de la propriété a de même quelques traits caractéristiques qui méritent attention. Très peu d’alpages appartiennent à une seule personne ; presque tous sont des biens communs ou indivis, mais dans cette indivision même il existe plusieurs degrés. Il y a tout d’abord une distinction à faire entre les alpages appartenant aux paroisses et ceux dont les parts indivises appartiennent à des particuliers. Ceux de la première classe sont de beaucoup les plus nombreux. Point de commune ou de groupe de communes qui ne possède une grande étendue de hauts pâturages. Dans les alpages communaux, il y a trois catégories qui se distinguent d’après la manière dont la jouissance en est réglée. Les uns sont exclusivement réservés aux pauvres ou à ceux qui sont considérés comme tels ; leur accorder le droit de faire paître leur bétail, telle est la forme que prend ici la bienfaisance publique, et certes elle ne suppose pas une misère bien profonde chez ceux qu’elle a pour but de secourir. La jouissance de la seconde espèce d’alpages revient à tous les habitans de la commune, et chacun a le droit d’envoyer au pâturage tous les animaux domestiques qu’il a nourris pendant l’hiver. Il est probable qu’autrefois c’était là la règle générale ; mais quand la population s’est accrue et que le chiffre des bêtes à cornes a augmenté, il a fallu en arriver à des règlemens plus sévères. C’est alors qu’ont pris naissance ceux qui caractérisent le troisième genre d’alpages. La jouissance de ceux-ci est attachée à la possession d’un bien dans la vallée. Les prés à faucher sont divisés en autant de parcelles fictives qu’ils peuvent entretenir de vaches l’hiver, et le nombre de ces parcelles que chacun possède détermine le nombre de têtes de bétail qu’il a le droit d’envoyer sur les alpes pendant l’été. On ne peut jamais, en aucun cas, y faire paître une bête qu’on n’a pas entretenue l’hiver. Comme les pâturages ne sont pas tous d’égale qualité, les mêmes troupeaux ne sont pas dirigés chaque année vers les mêmes endroits : il s’établit une rotation continuelle, de manière à n’avantager personne. Le nombre de moutons et de bêtes à cornes auquel chaque alpe peut donner la nourriture est aussi strictement limité. Les alpages indivis appartenant à des particuliers sont censés contenir autant de parts qu’ils peuvent nourrir de vaches, et chacune de ces parts forme une propriété qu’on a la faculté de vendre ou de louer à son gré. Les coïntéressés se réunissent une fois par an pour nommer un directeur de l’alpe, alpenmeister, et pour régler les travaux qui sont à exécuter. Chaque alpe a son règlement, auquel les copropriétaires sont tenus de se soumettre. Ces sortes de biens sont de droit indivisibles, et en effet une exploitation commune paraît seule possible. Un usage en vigueur dans beaucoup de communes est celui qui interdit la jouissance des alpages au bétail étranger à la localité d’après le principe : « la montagne ne peut recevoir que ce qui vient de la vallée. » Sans doute un semblable règlement est une entravé à la libre disposition des biens, mais il est dicté par un principe sagement conservateur. Il faut nécessairement qu’il existe un certain équilibre entre l’étendue des hauts pâturages et celle des prairies inférieures. Si les habitans d’une commune étaient privés de la jouissance d’une partie de leurs alpes, ils devraient consacrer au pâturage d’été une proportion équivalente de leurs prés à faucher, et ils ne pourraient plus entretenir, même quantité de bétail. Les plus pauvres seraient obligés d’émigrer, et le village perdrait la moitié de sa population. Le régime actuel maintient une certaine égalité dans le partage des biens, rend l’extrême misère impossible et assure à chacun les moyens de vivre en travaillant, toutes conditions très favorables au maintien de la démocratie.

En parlant des pâturages des hautes alpes, on ne peut oublier un phénomène atmosphérique qui en rend seul l’exploitation possible. Il s’agit du vent du sud qu’on appelle föhn ; c’est le courant d’air chaud qui, prenant naissance sur les sables brûlans du Sahara, épouvante les caravanes en Afrique sous le nom de simoun, passe la Méditerranée, énerve, abat en passant les populations italiennes qui maudissent le sirocco, et, traversant les Alpes, débouche en Suisse, où les montagnards bénissent son arrivée. Le mot de föhn a la même racine que le nom latin Favonius. C’est toujours le vent du midi que chantait Horace :

Solvitur acris hiems grata vice veris et Favonî,…


et il produit encore le même effet. Au printemps, il fond les neiges avec une rapidité prodigieuse. Le long hiver en a entassé dans les vallées et sur les montagnes des masses énormes ; le föhn commence à se faire sentir ; il amène une chaleur de 25 à 30 degrés ; l’air s’adoucit, s’échauffe comme par enchantement, le vent tiède continue à souffler pendant quatre ou cinq jours de suite. L’atmosphère est alors d’une pureté admirable ; l’épaisse couche glacée qui couvrait la terre se liquéfie donc bientôt, et mille filets d’eau vont grossir les torrens longtemps muets qui reprennent leur course et leurs sourds grondemens. Tout renaît, tout verdit ; l’herbe pousse, les fleurs s’ouvrent, et les troupeaux sortent joyeux de l’étable, délivrés d’une réclusion de cinq mois. Débarrassée de son linceul polaire par la douce haleine du midi, la nature entière s’épanouit, comme si une fée bienfaisante l’avait touchée de sa baguette. Le mythe antique s’impose à l’esprit, et l’on ne peut s’empêcher de dire : C’est Flore qui revient précédée par les zéphyrs. Le föhn fait plus d’effet sur la neige en un jour que le soleil en huit. Il en fond de trois à quatre pieds en vingt-quatre heures, car il agit nuit et jour. En automne, il mûrit les fruits et les moissons, sèche même à l’ombre le foin du regain et les pommes pendues le long des chalets pour la provision de l’hiver. « Sans le föhn, dit le Grison, ni le bon Dieu ni le soleil d’or ne peuvent rien. » Il est certain que sans l’influence de ce courant d’air brûlant, la neige se maintiendrait tout l’été sur les hautes alpes, et les glaciers grandiraient sans cesse, envahissant toutes les vallées. Il y eut un temps dans l’une des dernières époques géologiques où il en était ainsi. De gigantesques glaciers remplissaient les vallées du Rhin, du Rhône, de l’Aar, de la Reuss, jusqu’au pied du Jura, comme l’attestent encore les blocs erratiques transportés au loin et les rainures polies produites, à des hauteurs considérables, dans le flanc des montagnes latérales par le frottement des moraines et des débris qu’entraînait la marche séculaire des glaces. C’est le föhn, affirme-t-on, qui en naissant a délivré la Suisse de sa température boréale, et le föhn est né au moment où le Sahara, sortant des flots de l’océan équatorial, est venu exposer aux rayons des tropiques ses immenses plaines de sable si facilement réchauffées[4]. C’est en tout cas au doux favonius que la Suisse doit maintenant ses beaux pâturages des hauteurs ; mais s’il est le bon génie du pays, il exerce aussi, dans ses jours de fureur, d’épouvantables ravages : parfois il souffle avec une violence dont on ne peut se faire une idée. Franchissant les sommets des Alpes, il s’abat dans les vallées dirigées du sud au nord avec la rapidité de la foudre ; il brise les arbres, enlève les toits, couche les récoltes, soulève les flots des lacs et y abîme les barques imprudentes. Comme il est brûlant et sec, il dessèche tout : les fleurs se fanent, les plantes languissent, les charpentes se retirent, craquent et prennent feu à la moindre étincelle. C’est ainsi que toute la ville de Glaris fut réduite en cendres en 1861. Dans les lieux les plus exposés, quand le föhn souffle, tous les feux doivent être éteints ; on ne peut même cuire ses repas, et des gardes préposés par les communes font observer ces règlemens, dont personne ne conteste l’utilité.


II

Après les pâturages viennent les forêts, qui occupent une étendue presque aussi grande, 712,800 hectares, ce qui fait 18 pour 100 du territoire de la Suisse[5], et à peu près 1 hectare 1/2 par famille. Chose singulière et en même temps fâcheuse, ce ne sont point les cantons des montagnes qui sont les plus boisés. Ainsi ceux d’Uri, de Schwyz, Unterwalden, Tessin, Glaris, Berne, ont moins de forêts que ceux de Schaffhouse, Bâle, Soleure, Zurich, Argovie, Vaud et Thurgovie. Il est vrai qu’il faut déduire de la superficie des premiers la place occupée par les hautes chaînes où les arbres ne croissent plus ; mais d’un autre côté la part réservée à la charrue y est extrêmement réduite, et plus le pays est entrecoupé de ravins, de hauteurs abruptes et de rochers à pic, plus les vallées ont besoin de la protection que les massifs boisés peuvent seuls leur assurer. C’est surtout dans la composition des forêts qu’on peut suivre, d’étage en étage, l’influence de l’échelle des altitudes qui détermine presque uniquement en Suisse les différens modes d’exploitation des productions végétales. Dans ce pays de contrastes, où l’on rencontre dans les limites étroites de quelques lieues toutes les gradations de climat, depuis la douce température de l’Europe méridionale jusqu’aux glaces éternelles des régions arctiques, l’agronome doit souvent interroger le botaniste, et sans ses indications, il ne se ferait qu’une idée imparfaite des richesses que la nature offre ici aux besoins de l’homme.

Le premier arbre qu’on trouve immédiatement au-dessous de la région des neiges permanentes est le pin rampant (pinus mugho). À côté des rhododendrons, il étale le long du sol ses branches, en tout sens ramifiées, hérissées, entremêlées, qui recouvrent d’un épais manteau de verdure foncée les parois des montagnes où il croît. Il s’accroche dans les fentes des pierres, il se couche, il se tord, et n’élève enfin sa tige qu’à six ou huit pieds de hauteur. Il suit ordinairement la direction de la pente, et se projette ainsi au-dessus des précipices, qu’il borde d’un ourlet verdoyant. Ce serait une essence précieuse, si elle acquérait plus de développement ; mais ce nain de la famille des résineux ne livre guère qu’un peu de bois à brûler aux pâtres des alpes à moutons. À deux cents pieds plus bas commencent à se montrer deux espèces d’arbres très différens d’aspect, mais également utiles, l’arole (pinus cembro) et le mélèze (larix europœa). L’arole, aux rameaux d’un vert sombre, se mêle d’ordinaire aux mélèzes, dont les aiguilles, petites, fines, légères, et d’une teinte si douce, se renouvellent à chaque printemps. Ces deux arbres semblent préférer les Hautes croupes de formation cristalline, et pour les voir dans toute leur beauté il faut les chercher dans les vallées sauvages des Grisons, dans les gorges latérales de l’Engadine surtout. Là ils forment de vastes forêts où l’on peut errer des jours entiers, et où des races d’animaux, partout ailleurs éteintes, trouvent encore un dernier asile, entre autres le gigantesque coq des bois, le tétras, aux cris retentissans, qui le trahissent à l’époque des amours, et l’ours brun, qu’on vient traquer jusque dans ces solitudes pour en peupler les fosses de Berne. L’arole croît avec une lenteur extrême : pour former un beau fût, il faut cinq ou six siècles. Il porte un gros cône arrondi qui contient des amandes douces que se disputent les aigles et les jeunes pâtres. Son bois résineux, d’un grain très serré, est extrêmement précieux, et l’on s’en sert pour lambrisser les chambres, qu’il orne de ses belles teintes brunes et qu’il parfume d’une douce odeur d’aromate. Le mélèze est moins recherché pour les ouvrages de boiserie, mais il résiste admirablement aux intempéries de l’air, et dans les premières années il croît extrêmement vite. Fortement implanté par ses longues racines traçantes, il résiste à toute la violence des tempêtes sur les escarpemens les plus exposés, et jamais ses branches flexibles ne se brisent sous le poids des neiges. L’arole et le mélèze se plaisent au milieu des frimas d’un hiver de huit mois et dans l’air raréfié des hautes chaînes : à moins qu’on ne les y plante, ils ne descendent pas dans les vallées inférieures[6], et ils forment encore des massifs jusqu’à 6,200 pieds sur le versant nord et 7,000 pieds sur le versant sud. L’épicéa est le conifère le plus répandu. On le trouve à peu près partout, mais principalement sur les montagnes calcaires, qu’il orne de ses élégantes pyramides de rameaux superposés, d’un vert presque noir. Le sapin argenté avec ses aiguilles striées de filets blanchâtres, le pin sylvestre aux branches rigides d’un vert glauque, accompagnent l’épicéa jusque vers 6,000 ou 6,500 pieds ; mais partout on les rencontre en moindre abondance. Ce sont les résineux qui constituent en Suisse la beauté du paysage et la richesse du montagnard ; ils lui fournissent les matériaux nécessaires pour élever les parois de sa demeure, la couvrir, la chauffer, chose essentielle au milieu des frimas, pour fabriquer tous ses meubles, ses outils, les clôtures de ses prés, les conduits de ses fontaines, etc. Cette énumération indique assez que sans ces arbres, qui croissent dans les fentes des rochers et résistent aux froids les plus vifs, les hautes vallées seraient inhabitables.

Parmi les arbres à feuilles caduques, le hêtre est le plus commun. Il n’apparaît qu’exceptionnellement dans la zone alpestre, où il s’élève par endroits jusqu’à 4,500 pieds, dans le canton du Tessin par exemple. Ce n’est que dans la région inférieure qu’il forme des massifs boisés. On le rencontre principalement sur le terrain de la molasse et du calcaire, notamment dans le Jura. Dans beaucoup de localités, on recueille ses feuilles pour remplacer la paille, qui fait généralement défaut. Celles de l’érable servent au même usage. Le chêne, si commun dans toutes les forêts de l’Europe centrale, est extrêmement rare dans toute la Suisse, et les chemins de fer, qui en réclament le bois pour leurs billes, l’ont presque entièrement fait disparaître. Les deux espèces de bouleaux, les betula alba et nana, et l’aune dans sa forme alpine accompagnent les résineux jusque vers la limite des neiges ; mais avec leurs branches rampantes et rabougries, leurs formes naines, ils n’ont d’autre utilité que de retenir les terres sur les déclivités des montagnes et d’empêcher la formation des avalanches. Aux bords des cours d’eau s’élancent le tremble, qui monte jusqu’à 5,000 pieds le long de l’Inn, et le frêne, qui a une certaine importance pour l’étable, parce que, dans plusieurs vallées, son feuillage, séché comme du foin, sert l’hiver de nourriture au bétail. Telles sont les principales essences qu’on trouve en Suisse ; mais celles à feuilles persistantes l’emportent de beaucoup sur les autres pour la masse et pour la qualité de leurs produits.

La plupart des forêts appartiennent aux communes. Les différens cantons en possèdent tout au plus la vingtième partie, et les particuliers n’en ont guère davantage. Dans les régions bien boisées, les forêts communales sont encore assez étendues pour fournir largement et sans mesure aux habitans le bois de chauffage et de construction dont ils ont besoin. Dans les districts où les forêts deviennent plus rares, on procède avec plus de ménagement, et la quantité de bois dont chaque ménage peut disposer est strictement limitée. Même avec ces restrictions, on comprend quel énorme avantage c’est pour les habitans de la campagne de pouvoir obtenir gratuitement les matériaux nécessaires pour entretenir ou rebâtir leur demeure, et les moyens de la tenir chaude pendant les longs hivers. On estime que chaque famille consomme en moyenne par an 2 1/2 klafters cubes (le klafter équivaut à 5,83 stères), ce qui fait en tout, pour les 485,087 ménages qu’accusait la statistique de 1853, un total de 1,212,718 klafters, estimés 25 francs le klafter. En ajoutant une exportation annuelle de bois d’une valeur de 10 millions, on obtient, pour le produit annuel des 712,800 hectares de forêt que possède la Suisse, une somme de 40 millions de francs ou environ 56 francs par hectare[7]. Ce produit est sans doute très beau ; malheureusement il n’est réalisé qu’aux dépens du capital forestier. En effet, d’après les calculs du département de l’intérieur, on estime qu’on ne peut régulièrement obtenir de chaque juchart de 36 ares qu’à peu près un demi-klafter de bois, tandis qu’on en abat 67 centièmes de klafter. L’excès de la consommation menace donc l’avenir des forêts ; on n’en est point étonné quand on songe que le bois est à peu près l’unique moyen de chauffage, non-seulement dans les foyers domestiques, mais dans les usines, dans les bateaux à vapeur, dans les locomotives mêmes, et que, dans une grande partie de la Suisse, les murs, les toits des maisons, des granges, des étables, les clôtures et les conduits d’eau sont uniquement en bois. À mesure que l’industrie se développe, le besoin du combustible augmente ; on le paie à des prix plus élevés, et les causes qui poussent les communes et les particuliers à forcer les coupes agissent avec plus d’intensité. D’autre part, il est vrai, la cherté du bois et l’extension du réseau ferré permettront au charbon étranger de pénétrer en Suisse et de remplacer de plus en plus le bois. L’importation de la houille monte déjà à 70,000 tonnes.

Les funestes effets du déboisement dans les pays de montagnes ont été si souvent et si bien décrits qu’il est inutile d’y insister ici. Nulle part la destruction des forêts ne peut occasionner plus de désastres que dans les hauts cantons, tous couverts de crêtes abruptes et de vallées profondément déchirées. Que dans les gorges alpestres certains bois protecteurs soient abattus, et en quelques années l’aspect du pays change, la montagne se pèle, les versans se ravinent, la terre végétale des pentes gazonnées est emportée par les eaux ; il ne reste plus que le rocher mi, et dans les vallées les terres cultivées disparaissent sous les débris qu’entraînent les torrens. La vallée du Rhin en amont du lac de Constance, celle de la Nolla derrière Tusis, celle d’Urseren dans le canton d’Uri, la plupart des vallées du Tessin, sont de tristes exemples de ces irréparables dévastations. Une autre conséquence de la diminution des massifs boisés particulière à la Suisse, c’est que le climat se refroidit et que par suite le niveau de la végétation arborescente descend. En maints endroits, entre autres aux passages de la Fluela et du Juliers, le voyageur est frappé de voir d’énormes troncs morts, noircis par les tempêtes, squelettes séculaires d’arbres jadis vigoureux, qui ont vécu là où depuis longtemps il a cessé d’en croître. Les glaciers aussi avancent et tendent à regagner le terrain qu’ils ont perdu à la cessation de la période glaciaire. Naguère encore on attaquait les forêts sans ménagement, on coupait à blanc, et les chèvres arrêtaient radicalement toute espèce de repeuplement. On cite une commune des Grisons qui, voulant transformer un bois en pâturage, essaya à plusieurs reprises de le brûler sur place sans pouvoir y réussir, et qui, quelques années après, pouvait obtenir 20,000 florins des arbres qu’elle avait voulu réduire en cendres. Heureusement on s’est aperçu du danger : des voix éloquentes se sont élevées pour le signaler, et on commence à comprendre de plus en plus que sans combustible toutes les hautes vallées deviendraient inhabitables, et que la moitié de la Suisse se transformerait en un désert glacé. Celui qui veut se faire une idée du degré de misère où tombent les populations alpestres quand les bois leur font défaut n’a qu’à visiter dans les Grisons le val d’Avers qui s’ouvre derrière la gorge de la Roffla sur le haut Rhin et qui s’étend jusqu’au passage du Septimer ; il verra les habitans réduits à la plus triste existence et obligés d’employer la fiente de leurs bestiaux comme unique combustible.

Avant que des observations multipliées eussent indiqué tous les désastres qui accompagnent le déboisement des hauteurs, on avait déjà remarqué que certains massifs boisés formaient la seule protection efficace des villages et des routes qu’ils défendaient contre la chute des avalanches : aussi les autorités locales veillaient-elles à leur conservation, et il était strictement interdit d’y abattre des arbres. C’est ce qu’on appelait des bannwülder dans la Suisse allemande. Ces précautions suffisaient autrefois, quand une population peu dense encore trouvait sans peine dans ses immenses forêts un combustible surabondant. Aujourd’hui, malgré la répugnance qu’inspire dans une société démocratique toute intervention du pouvoir central, plusieurs législatures cantonales ont voté récemment une série de lois destinées à imposer aux communes, en tout indépendantes, des règlemens sévères pour l’exploitation de leurs forêts. Berne, les Grisons, Thurgovie, Argovie, Schaffhouse, Fribourg, le Valais, Neuchâtel, Vaud, Saint-Gall, Soleure, ont sérieusement mis la main à l’œuvre. Le Tessin[8] lui-même, où les bois étaient ravagés avec autant d’imprévoyance qu’en Lombardie, le Tessin s’est ému dans ces dernières années. Désormais les défrichemens et les coupes sombres ne sont plus permis qu’après enquête et autorisation de qui de droit. Dans plusieurs cantons, des pépinières ont été établies aux frais du trésor public, des semences et de jeunes plants sont livrés à bas prix aux communes et aux particuliers. Des inspecteurs et des gardes forestiers cantonaux ont été nommés, et pour les former à l’exercice de leur profession, on a ouvert des cours à la fois théoriques et pratiques. Argovie a même fondé une école fréquentée déjà par deux cent cinquante élèves. Chaque année, les autorités cantonales publient un rapport constatant l’état des forêts et les améliorations réalisées ; mais dans ces rapports une observation qui revient fréquemment, c’est que le système électif appliqué aux fonctions d’inspecteurs empêche ces utiles fonctionnaires de rendre tous les services que peuvent attendre d’eux les pays où ils vieillissent dans un emploi qui demande avant tout une longue expérience et une parfaite connaissance des conditions particulières à chaque localité. Quoi qu’il en soit, l’opinion est saisie de la question, et il faut espérer qu’à l’avenir la Suisse saura conserver avec un soin jaloux sa belle couronne de verdure, le plus magnifique ornement de ses montagnes, la plus sûre protection de ses vallées et l’une de ses plus précieuses richesses. Ici, bien plus encore qu’à propos des laves du Vésuve, on peut dire : Posteri, posteri, res vestra agitur.

La Suisse est, après la Norvège, le pays où l’agriculture proprement dite occupe relativement le moins de place, même en y comprenant les terres plantées de vignes. Elle ne s’étend que sur les 15 centièmes de la superficie totale, c’est-à-dire sur 581,400 hectares seulement. Les prairies permanentes de la région inférieure s’étendent sur 636,480 hectares, embrassant ainsi à elles seules, sans compter les alpages, une plus grande surface que les terres labourées. Celles-ci manquent presque complètement dans la moitié des cantons ; elles n’y sont représentées que par de petits champs d’orge et de seigle resserrés au fond de quelque étroite vallée ou suspendus sur quelque terrassé au flanc des montagnes. On ne trouve la culture conduite sur une plus large échelle que dans les parties basses du canton de Berne, de Vaud, de Zurich, de Thurgovie, d’Argovie, de Soleure, de Fribourg, de Lucerne, de Schaffhouse et de Bâle.

Longtemps en Suisse, l’attention s’étant entièrement concentrée sur l’économie pastorale* la culture des champs labourés avait été négligée. Les dîmes, les droits de pâture à l’automne sur les terres cultivées, l’attachement aux vieilles coutumes, si prononcé dans les cantons, telles étaient les principales causes qui arrêtaient tout progrès. L’antique assolement triennal, c’est-à-dire la succession toujours identique d’une céréale d’hiver, d’une céréale de printemps et d’une jachère, était partout suivi il y a cinquante ans. Quoique toutes les dîmes ne soient pas encore rachetées, de grandes améliorations ont été accomplies, surtout pendant les vingt dernières années. L’introduction de plus en plus générale de plusieurs plantes nouvelles, de la pomme de terre d’abord, puis des légumineuses, trèfle et luzerne, enfin des plantes oléagineuses, conduisit successivement à une rotation mieux entendue. Aujourd’hui la culture alterne domine, et, par l’influence des écoles et dès nombreuses publications relatives à l’agriculture, elle se répand de proche en proche. Cependant, dans les parties les plus fertiles de la région des collines, en Thurgovie, dans le bassin du lac de Constance et du Rhin inférieur, la succession trop souvent répétée de deux céréales l’une après l’autre rappelle encore l’ancien assolement ; mais du moins la jachère nue, c’est-à-dire tout à fait improductive, a presque complètement disparu. Dans le Tessin, grâce à la fertilité du sol et à l’activité qu’imprime à la végétation le soleil du midi, on obtient, en suivant la rotation lombarde, la même année, après la première récolte, une récolte dérobée de sarrasin, de maïs quarantain ou de millet. Au nord des Alpes, le petit cultivateur qui n’épargne pas sa peine commence également à demander à la terre un double produit en semant des navets dans le chaume, comme on le fait en Flandre, où en y mettant du sarrasin, comme on le voit par exemple entre Coire et le lac de Wallenstadt. Cette pratique, trop peu répandue, devrait, semble-t-il, se généraliser : on obtiendrait ainsi un supplément de nourriture pour le bétail pendant l’hiver, et on recueillerait plus d’engrais. Or c’est par le manque d’engrais que pèche encore maintenant la culture des terres labourées. Les prairies à faucher et les vignes absorbant énormément de fumier, il n’en reste pas assez pour engraisser convenablement les céréales, dont le produit n’est pas en rapport avec la qualité généralement bonne du sol. Le blé primitif, l’épeautre, occupe une grande place dans l’assolement. Chose qui étonne dans un pays où l’industrie est aussi développée, les instrumens aratoires laissent beaucoup à désirer, notamment le premier de tous, la charrue, que la bêche, il est vrai, remplace dans beaucoup de districts. La charrue à la Dombasle et même la charrue américaine en fer commencent néanmoins à se répandre, et, grâce à la diffusion générale de l’enseignement, des changemens notables peuvent s’accomplir en peu de temps. Les grandes machines d’invention nouvelle, les semoirs, les moissonneuses, les batteuses, n’ont guère apparu qu’aux expositions. Par suite de l’extrême division des exploitations, ce n’est qu’au moyen de l’association qu’on pourrait les faire pénétrer dans l’usage ordinaire.

Si l’on se rappelle la répartition du territoire entre les prés et les champs, on ne s’étonnera pas de trouver les produits des seconds beaucoup moindres que ceux des premiers. La Suisse est sans doute le pays de l’Europe qui récolte le moins de grains, eu égard à sa population et à son étendue. On ne porte sa production totale en céréales de toute espèce qu’à 4,400,000 hectolitres, ce qui ne fait pour ses 2,760,000 hectares d’étendue productive que 1,60 hectolitres, et pour ses 581,000 hectares de terre arable que 7,59 hectolitres, tandis que la Belgique en fournit autant par chaque hectare de superficie, terrains incultes compris, ou en tout 24 millions d’hectolitres. En déduisant la semence et l’avoine, il ne reste en Suisse pour la consommation de 2 millions 1/2 d’habitans que 3,330,000 hectolitres de grain. D’après des calculs rigoureux, il y a au plus de quoi suffire à la consommation locale pendant trente et une semaines de l’année. C’est à l’étranger qu’il faut demander le surplus, c’est-à-dire 2,250,000 hectolitres, soit environ 1 hectolitre par tête, proportion énorme qu’on ne retrouve nulle part ailleurs, pas même en Angleterre. Nul autre peuple ne dépend à ce point, pour le pain qu’il mange, du marché extérieur ; c’est le résultat d’une entière liberté commerciale et du développement industriel de la Suisse, qui paie avec ses produits manufacturés, exportés au loin, les céréales qu’elle tire de l’Allemagne méridionale, de l’Autriche, de la Hongrie même par les voies ferrées. Rorschach, Arbon, Romanshorn, sur les bords du lac de. Constance, sont les entrepôts où les cantons viennent s’approvisionner. La pomme de terre, d’une croissance rapide pendant l’été, supporte mieux le climat des montagnes que le blé, auquel ne conviennent pas de trop longs hivers. Aussi le produit de ce tubercule est-il plus grand que celui des céréales, on le porte à 9 millions d’hectolitres. Parmi les plantes industrielles, on peut citer le lin, dont la culture est peu répandue, le chanvre que le petit cultivateur récolte et prépare lui-même pour faire la forte toile nécessaire à sa famille, la soie produite dans le val Misocco et dans le Tessin et dont on porte la valeur annuelle à 1 million 1/2 de francs, un peu de tabac qu’on cultive dans le pays de Vaud et de Fribourg et qu’on y transforme en cigares, et quelques plantes oléagineuses dont le produit est tout à fait insuffisant pour les besoins du pays. La vigne est de plus d’importance, surtout dans les cantons de Vaud, de Zurich, de Saint-Gall, d’Argovie et de Schaffhouse[9]. Les vignobles occupent environ 27,700 hectares ; c’est la cent quarante-sixième partie du territoire. On estime la production moyenne du vin à 200,000 hectolitres, soit 44 hectolitres à l’hectare. Heureusement, jusqu’à ce jour, l’oïdium a épargné les vignobles, excepté dans le Tessin, où la vigne, suspendue aux arbres et conduite en berceaux comme en Lombardie, a souffert des atteintes du fléau. La vigne est partout cultivée avec soin, car le Suisse, comme le remarque Jean-Jacques, aime à égayer ses fêtes par de larges rasades du cru national. La culture des vignobles est surtout admirablement entendue dans le pays de Vaud. La main-d’œuvre n’est pas épargnée ni l’engrais non plus, et pour en obtenir on paie des prix exorbitans. Le produit aussi est énorme ; on parle dans le pays de 5 à 6,000 francs par an à l’hectare. L’étranger attiré à Vevay ou à Montreux, sur les bords du Léman, par le doux climat et le charme incomparable de ces beaux rivages, ne peut se lasser d’admirer dans les vignobles, s’élevant en terrasses superposées depuis le lac jusqu’à la région des noyers, les ceps vigoureux qui, sous le vert luxuriant des pampres, étalent la pourpre et l’or de leurs baies appétissantes et splendides. Beaucoup de ces admirables grappes se vendent aux malades que les médecins d’Allemagne envoient ici faire la cure aux raisins.

Les autres fruits constituent encore pour la Suisse un produit qui n’est pas à dédaigner. Les arbres fruitiers qui ombragent les vergers et qui entourent les demeures rurales égaient presque partout le paysage champêtre. Ils s’élèvent en général jusqu’à l’altitude de 2,800 pieds, et dans l’Engadine jusqu’à 3,600 pieds. Les cerisiers même montent encore plus haut. On croit généralement que les arbres fruitiers ne nuisent pas à la croissance de l’herbe : aussi toutes les prairies qu’on peut clore et surveiller sont-elles plantées de poiriers et de pommiers. Le statisticien Franscini porte la récolte des fruits à 3 millions d’hectolitres. Une partie sert à faire du cidre, du most, qu’on consomme beaucoup dans les cantons où l’on ne fait pas de vin ; une autre partie est découpée en tranches, puis séchée, et le schnitz forme dans l’alimentation un accessoire très apprécié. Les noyers, l’ornement des lacs et l’orgueil des vallées au nord des Alpes, et le châtaignier, qui couronne de sa brillante verdure leurs-versans méridionaux, donnent également d’abondans produits. Les noix servent à faire de l’huile, et les châtaignes rôties ou bouillies, castaneœ molles, apparaissent une ou deux fois par jour sur la table frugale du montagnard tessinois.

Comme la Suisse est principalement adonnée à l’économie pastorale, le chiffre de son bétail doit être élevé. Il monte à environ 2 millions de têtes, comprenant 400,000 moutons, 379,000 chèvres, 280,000 porcs, 100,000 chevaux et 875,000 bêtes à cornes, dont 525,000 vaches à lait. La Suisse possède deux races de l’espèce bovine très distinctes, également renommées à l’étranger, mais d’un mérite réel très différent. La première est la race de Berne, à robe tachetée. Elle est grande, forte, d’une fière tournure, imposante par sa masse, avec des cornes et une taille puissantes ; seulement elle exige beaucoup de nourriture, donne relativement peu de lait et s’engraisse difficilement. La variété de l’Emmenthal a des membres plus légers et est meilleure laitière. L’autre race est celle de Schwyz, à robe brune. Elle est grande aussi, mais elle a les extrémités fines, les cornes très petites, et, d’après des expériences répétées faites à Grignon et à Hohenheim, près de Stuttgart, elle donne autant de lait que la vache hollandaise et plus de crème. On rencontre dans le canton d’Uri et dans le Haslithal une variété de la race de Schwyz plus dégagée encore, aux jambes sèches, à l’œil vif ; leste et adroite comme les chèvres, c’est une vraie race alpestre. Jusqu’à présent les races suisses doivent leurs qualités aux influences-naturelles du climat et de la nourriture : l’homme n’a rien fait pour les améliorer. Depuis quelque temps, l’attention publique s’est tournée de ce côté. Les expositions internationales de bétail, où la Suisse a paru avec honneur, ont stimulé l’amour-propre des cantons et leur ont fait mieux saisir l’importance de la question. Des concours ont été établis, des primes accordées, et une heureuse rivalité stimule les efforts des éleveurs ; toutefois, dans un pays aussi montagneux que la Suisse, il ne faut admettre qu’avec prudence l’introduction du sang étranger : mieux vaut perfectionner encore la meilleure des races indigènes et la répandre le plus possible. Pendant les quarante premières années du siècle, le chiffre du bétail augmenta considérablement, depuis lors il est resté à peu près stationnaire : le nombre des bêtes à cornes a encore augmenté de 3 pour 100 ; mais celui des chevaux et du petit bétail a notablement diminué. Aujourd’hui, par 100 hectares d’étendue productive, la Suisse possède 32 têtes de l’espèce bovine, tandis que la Belgique en compte 46, et la France 20.

À combien s’élève le produit brut ? C’est là une question du plus grand intérêt, car, en comparant le chiffre de ce produit et celui de la population, on peut se faire une idée approximative du degré de bien-être dont celle-ci jouit. En résumant les données fournies par les statistiques fédérales, on peut tracer le tableau suivant :

Produits végétaux.


Céréales 55,000,000 fr.
Vins, fruits, plantes industrielles 50,000,000 fr.
Pommes de terre, légumes 40,000,000 fr.
Bois 40,000,000 fr.
Produits animaux.


Lait, beurre et fromage 100,000,000 fr.
Viande 56,000,000 fr.
Laine, peaux, volailles, miel, etc 15,000,000 fr.
Jeunes chevaux 5,000,000 fr.
Total général 361,000,000 fr.

Si l’on répartit ce total entre tous les citoyens, on obtient 144 fr. par tête, tandis qu’un semblable calcul donne en Belgique 116 fr., et en France 139. La nation suisse peut donc trouver dans la masse de ses produits les élémens d’une condition heureuse, d’autant plus qu’elle importe encore une notable quantité de denrées alimentaires, et que le cultivateur garde pour son usage presque tous les fruits de son labeur. Cette circonstance si favorable tient à la constitution de la culture et de la propriété.

Depuis longtemps il n’existe plus en Suisse de grandes terres seigneuriales. Ce pays sauvage, avec ses hautes montagnes couvertes de neige, ses forêts et ses rudes pasteurs, convenait peu au développement de 1 ! aristocratie féodale. Dès le XIVe siècle, les paysans insurgés commencèrent à s’affranchir des petits tyrans dont on voit encore par-ci par-là les burgs en ruine. La seule noblesse qui se maintint fut un patriciat citadin, dont les intérêts étaient concentrés dans deux ou trois villes, Bâle, Genève et Berne. La terre resta entre, les mains de la population rurale. Une grande partie du sol, — les forêts et les alpages, — appartenant aux paroisses, et étant ainsi hors du commerce, la jouissance en demeura forcément aux habitans de la commune. Indépendamment de la part indivise qui lui revenait dans les biens communs, chaque famille possédait généralement quelque propriété, petite ou grande. Aujourd’hui encore, malgré le développement industriel, chacun à peu près est propriétaire. Dans les cantons agricoles, quatre-vingt-dix ménages sur cent prennent part à la propriété immobilière. Même dans les cantons où s’est fixée l’industrie, comme Zurich ou Glaris, la proportion ne tombe pas au-dessous de 70 pour 100. Presque tous les ouvriers employés dans les manufactures ont un bout de prairie ou un petit champ, une ou deux vaches et quelques chèvres que soignent la femme et les enfans, et dont le produit, suffisant en partie à leurs besoins, leur permet de traverser les crises sans de trop vives souffrances. Le sol est donc très morcelé. Cependant on ne trouve pas ici ce nombre infini de toutes petites parcelles qu’on rencontre en France et en Belgique au bas de l’échelle cadastrale. D’autre part, les propriétés de 100 hectares sont pour ainsi dire inconnues. Les biens de 50 ou 60 hectares, y compris les bois, sont rares, et passent déjà pour de grands domaines. La grandeur moyenne des exploitations est de 15 ou 16 hectares dans la région inférieure, de 3 ou 4 hectares seulement dans la zone élevée. C’est le canton de Berne, dans ses gracieuses vallées de l’Emmenthal et du Simmenthal, qui présente le plus de belles fermes. C’est là qu’on peut visiter ces riches paysans, fiers de leur opulence rustique et dédaigneux du sort précaire de l’habitant des villes, que Jeremias Gotthelf a si bien décrits[10]. Le morcellement des biens opéré par les héritiers pour sortir d’indivision est chose rare. Dans la plupart des cantons, l’aîné hérite de la ferme et paie leur part aux autres enfans ; ailleurs c’est le plus jeune, et ces coutumes anciennes, si favorables à une bonne culture, sont rigoureusement observées. Dans la campagne, la population augmente très lentement, et beaucoup de jeunes gens émigrent pour chercher fortune loin du foyer paternel, de manière que l’équilibre entre le nombre des biens et celui des héritiers se maintient, Peu d’exploitations sont louées ; le propriétaire cultive presque toujours son bien lui-même. Il s’ensuit que la statistique n’a rien pu recueillir de très précis sur le prix des fermages. Quant aux prix de vente, ils varient tellement, dans un pays si accidenté, qu’il est difficile d’indiquer même une moyenne. Franscini porte le prix des bonnes prairies à 5,000 ou 6,000 francs l’hectare, et la terre arable ne doit pas se vendre moins cher. Dans les localités où se développe l’industrie, on paie la même étendue de 10 à 11,000 francs. Les vignobles ont encore une plus grande valeur : on l’estime de 10 à 20,000 fr. l’hectare, et, pour les expropriations dans le canton de Vaud, les chemins de fer ont été condamnés à les payer jusqu’à &0 et 50,000 fr. Comme il y a peu de travail à exécuter dans une contrée où domine le régime pastoral, chaque famille suffit d’ordinaire pour l’exploitation de la ferme qu’elle occupe. Le nombre des journaliers est donc moins grand que dans les autres pays. Il s’ensuit que leur salaire est en général élevé : il doit être environ de 1 fr. 50 c. à 2 fr. Le nombre des serviteurs des deux sexes faisant partie du ménage rural est plus considérable ; ils partagent les occupations et les repas du fermier, et paraissent satisfaits de leur sort. Leurs gages ont presque doublé depuis une quinzaine d’années.

On a pu voir dans une étude précédente[11] qu’en Flandre, pays de petite propriété et de petite culture, la terre, fécondée par un travail intelligent et incessant, donne des produits plus abondans et plus riches que partout ailleurs ; mais le cultivateur qui crée ces richesses n’en jouit pas : il n’a souvent ni indépendance, ni instruction, ni bien-être ; il est à la merci de son curé et de son propriétaire, tiraillé entre les deux quand ils sont en désaccord, comprimé par les deux quand ils s’entendent. Il n’a qu’une nourriture végétale grossière, et la plupart du temps il ne sait ni lire, ni écrire. C’est qu’il ne possède pas la terre qu’il cultive. La Suisse nous offre un tableau bien différent. Le produit brut n’est pas énorme, mais il est également réparti. Les grandes fortunes sont rares, mais tout le monde est dans l’aisance. C’est que chacun à peu près est propriétaire. La civilisation est semblable à ce métal divin, forgé, disaient les anciens poètes, d’or, d’argent et de bronze : elle est formée de bonnes mœurs d’abord, ensuite de lumières, enfin de bien-être. Quelques chiffres montreront à quel degré s’est élevée la Suisse sous ces trois rapports. Commençons par le bien-être matériel, c’est ce qu’on peut le mieux constater. Se nourrir, se loger, se vêtir, voilà les trois besoins auxquels l’homme doit pourvoir. La Suisse est le pays du continent où l’on consomme le plus d’alimens d’origine animale : on compte par tête et par an 22 kilos de viande, 12 kilos de fromage, 5 kilos de beurre et 182 kilos de lait. La consommation de sucre et de miel, qui monte à 5 kilos, et celle du sel, qui va à 14 kilos, est aussi plus élevée qu’ailleurs. Sous le rapport du logement, la Suisse présente encore des conditions extrêmement favorables. Dans la campagne, chacun a sa demeure ; et celle-ci est toujours spacieuse et bien éclairée, car de lourdes taxes n’ont pas fait mesurer ici d’une main avare l’air et la lumière. Les châteaux manquent, mais nulle part on n’aperçoit ces tristes masures à une ou deux fenêtres que les statistiques nous montrent encore si nombreuses en France et en Angleterre. Les Alpes forment la ligne de démarcation de deux systèmes de construction tout à fait différens. Au midi, où il s’agit de se préserver de la chaleur, les maisons sont en pierre et à toit plat, et on les voit de loin détacher crûment leurs murs blanchis à la chaux sur le ciel bleu ou sur le vert éclatant de la végétation méridionale. Au nord, où c’est du froid, de la neige et de l’humidité qu’il faut ; se garantir, les maisons sont en bois, avec de grands toits qui avancent et des balcons qui protêt gent le rez-de-chaussée. Chacun connaît ces pittoresques habitations rustiques, les chalets, qui, accrochés à la montagne ou assis au bord des lacs, s’harmonisent si bien avec la verdure tendre des prairies, les sombres teintes des sapins, et tous les accidens de forme et de couleur de la nature alpestre. La moyenne des chambres habitables s’élève, par famille de 4,79 personnes, au chiffre de 3,85. On sait assez maintenant l’heureuse influence qu’exercent sur la santé, sur la moralité, sur le bien-être, les commodités du logement, pour apprécier toute la signification de ce simple chiffre.

Pour le vêtement, les données recueillies sont tout aussi favorables. Chacun connaît ces costumes pittoresques où se reflètent les habitudes, les traditions et pour ainsi dire l’individualité de chaque canton. Au grand regret de l’artiste, ces diversités caractéristiques tendent à disparaître ; mais, si l’habillement devient plus uniforme, il reste ce qu’il doit être dans un pays de température si variable. Sans exclure le coton, la laine y entre dans une proportion plus large que partout ailleurs. D’après des calculs faits avec soin, la dépense pour le vêtement monte à 60 francs par tête. Aucune autre nation n’atteint un chiffre aussi élevé. Nourriture abondante et fortifiante, logement sain, aéré et bien chauffé, habillement comfortable, voilà bien certes tous les élémens qui composent le bien-être d’une nation. Une donnée recueillie avec soin par là statistique moderne peut ici servir de contrôle. Si le bien-être est réel, la durée moyenne de la vie doit être longue, et en effet elle est de trente-quatre ans et trois mois. C’est le chiffre le plus élevé que l’on constate sur le continent européen, et ce terme est atteint ici malgré la rigueur d’un climat rude et changeant. On peut encore ajouter deux autres indices de prospérité : l’activité du commerce extérieur et le nombre des personnes qui déposent aux caisses d’épargne. Le chiffre des exportations et des importations réunies, réparti par tête, dépasse d’un tiers celui de l’Angleterre, et se trouve être quatre fois plus grand que celui de la France. D’autre part, on compte en Suisse 1 déposant sur 12 habitans, en Angleterre seulement 1 sur 20, en France 1 sur 30.

Si ces quelques traits peuvent faire apprécier le développement matériel, il est plus difficile de fournir des preuves irrécusables du progrès moral et intellectuel. Voici deux ou trois faits qui en donneront cependant une idée. La Suisse est le pays du monde qui compte le plus d’instituteurs et le plus d’enfans fréquentant l’école. C’est après l’Amérique du Nord celui qui fait pour l’enseignement le plus de sacrifices. On compte sur 100 habitans 17 enfans recevant l’instruction publique et 1 maître par 356 habitans, c’est-à-dire deux fois autant de maîtres qu’en Prusse. Les dépenses pour l’enseignement doivent être environ de 6 millions, ce qui fait 2 fr. 25 cent. par tête. La France devrait relativement dépenser 83 millions pour le même objet ; elle est loin d’y consacrer cette somme, et les autres états n’approchent pas davantage d’un tel chiffre. Quant aux mœurs, afin d’en juger, on prend volontiers pour base le nombre des naissances illégitimes ; or nulle part elles ne sont plus rares qu’en Suisse. La proportion y est de 6 pour 100, tandis qu’en Autriche elle est de 13 et en Bavière de 21 pour 100. Dans le canton de Glaris, contrée très industrielle, elle tombe à 1 pour 100. En résumé, le peuple suisse est donc celui qui se loge, s’habille, se nourrit le mieux, fabrique et exporte le plus, fait le plus grand commerce, dépose le plus aux caisses d’épargne, vit le plus longtemps, envoie le plus exactement ses enfans à l’école, paie le moins d’impôts, entretient le moins de soldats et le plus d’instituteurs et compte le moins d’enfans naturels. Ce sont là sans contredit les indices d’une civilisation saine et d’un bon emploi des forces productives.

Je me garde bien de ne voir ici que les effets d’une cause unique, je sais trop ce que peut entre autres pour la liberté, et par suite pour la prospérité d’un peuple, l’émancipation religieuse, mais je ne puis m’empêcher de croire que le partage de la terre entre les mains de ceux qui l’exploitent et la prédominance de la vie rurale sont pour beaucoup dans les heureux résultats que l’on vient de constater. Il n’y a point de grande ville en Suisse. Bâle et Genève n’ont qu’une quarantaine de mille habitans chacune, Berne 30,000, Lausanne et Zurich 20,000 environ. On tombe ensuite à de petites cités beaucoup moins peuplées, quoique souvent très importantes encore par l’activité qui y règne. Comme la centralisation est presque nulle et que la nation est formée d’une agglomération de communes souveraines, chaque localité forme un centre indépendant, et les populations rurales sont à peu près aussi éclairées, aussi riches, aussi avancées sous tous les rapports, que les populations urbaines. En parlant des guerres héroïques qui ont affranchi les Suisses au moyen âge, on a coutume de les appeler un peuple de bergers. L’expression ne serait plus de mise depuis les merveilleux progrès qui ont fait de cette contrée alpestre le pays le plus industriel de l’Europe, Cependant les traditions de l’ancien état de choses exercent encore leur influence. L’industrie, à peu près partout combinée avec l’agriculture, s’est principalement fixée aux champs dans les cantons de Neufchatel, de Zurich, de Glaris, de Saint-Gall, d’Appenzell, et, malgré le développement de la richesse, le caractère national a conservé les qualités solides de l’esprit campagnard : la prudence, l’économie, l’attachement aux anciennes coutumes. C’est ainsi que, sous les formes d’une démocratie radicale, se perpétue un esprit conservateur qui sert de lest à la république au milieu des changemens incessans que provoquent et facilitent les institutions des divers cantons.

Sans doute l’économie rurale en Suisse a encore beaucoup de progrès à faire, surtout dans l’exploitation des terres arables ; mais ici, comme dans toute l’Europe, l’attention se tourne de ce côté. Les autorités cantonales instituent des primes, organisent des concours, font des lois pour la conservation des forêts. Les associations agricoles, déjà au nombre de trente, se multiplient et deviennent plus actives. Les journaux d’agriculture, qui vont s’améliorant, vulgarisent les connaissances des pratiques rationnelles des autres pays, et préparent les réformes dont ils signalent la nécessité. Déjà trois écoles d’agriculture sont fondées : l’une à Altenryf, dans le canton de Fribourg, l’autre près de Zurich, la troisième à Mûri, en Argovie. Les traditions d’Hofwyl, consacrées par le nom de Fellenberg, et les établissemens où, d’après l’admirable méthode de Wehrli, on joint à l’instruction scolaire le travail des champs, font pénétrer jusque chez les petits propriétaires les principes d’une bonne culture appropriés aux circonstances locales. Dans un pays où l’habitant des campagnes non-seulement sait lire, mais lit effectivement, la routine cède plus facilement aux innovations heureuses, et les améliorations se généralisent parfois avec une rapidité inconnue ailleurs. Ici le capital ne manquera pas à l’agriculture, car il n’existe pas de grande ville centrale qui aspire en son sein toutes les richesses du pays, et l’on ne croit pas qu’il soit d’une bonne économie d’employer les épargnes disponibles à créer des arméniens formidables, à bâtir des palais, à organiser des fêtes, et à fomenter le luxe sous toutes ses formes. Si dans le domaine de l’industrie, malgré les obstacles en apparence insurmontables que lui opposaient la nature et la jalousie aveugle ou étroite de ses voisins, la Suisse a su conquérir les marchés lointains de l’Orient et de l’Amérique, il est à croire que la même activité, la même intelligence, appliquées à l’agriculture, y obtiendront des résultats aussi merveilleux et moins soumis aux vicissitudes du commerce étranger. Les progrès réalisés depuis vingt ans font bien augurer de ceux de l’avenir, et, grâce à la constitution de la propriété, l’augmentation du produit profitera à ceux qui l’auront fait naître.



EMILE DE LAVELEYE.

  1. Quoiqu’il n’existe pas d’ouvrage spécial sur l’agriculture en Suisse, on trouve un grand nombre de monographies très intéressantes sur certains cantons ou sur certaines cultures. On peut citer notamment l’économie rurale du canton d’Appenzell par L. Zellweger, celle des Grisons par Bockman, puis Steinmüller, Beschreibung des Schweizerischen Alpen-und-Landwirthschaft, 1802, — R. Schatzmann, Schweiserische Alpen-wirthschaft (Aarau 1862). Les statistiques agricoles publiées par le gouvernement fédéral renferment les données générales réunies jusqu’à ce jour. Ce qu’il y a de plus complet sur l’agriculture suisse, ce sont les chapitres consacrés à cette matière dans un livre de M. Arwed Emminghaus, die Schweizerische Volkswirthschaft (1860, Leipzig), et dans le Schweiserkunde de M. A. Berlepsh (Braunschweig, 1858-1860).
  2. Contenant 40,000 pieds carrés et le pied suisse étant de 30 centimètres, le juchart équivaut à 36 ares.
  3. Suivant un de ces récits conservé par les pâtres de l’Oberhasli, il y avait autrefois dans l’Urbachthal, là où le glacier de Gauli amoncelle aujourd’hui ses blanches pyramides, un grand alpage (c’est le nom donné à ces pâturages de la zone alpine) qui appartenait à une riche bergère nommée la belle Blümlisalp. Elle attira sur elle la colère du ciel, et elle fut engloutie avec son bien, ses vaches et son chien. Maintenant on entend parfois encore une voix et la clochette de son troupeau. « Moi et mon chien Rhin, va-t-elle murmurant le soir, nous sommes condamnés à errer éternellement sur ce glacier. » Beaucoup de passages jadis praticables pour les bêtes de somme ont cessé de l’être. Ainsi, au revers du Mont-Rose, le passage du Monte-Moro conserve encore les traces d’un ancien empierrement. Aujourd’hui les fraudeurs seuls le franchissent.
  4. La France ne peut sentir au même degré que l’Italie et la Suisse les effets du vent du Sahara, parce que le grand massif de l’Atlas l’arrête en Afrique même, tandis que cette haute chaîne s’abaisse en face de la Sicile, de l’Italie et de la Suisse.
  5. La Suisse n’a donc de boisé que le sixième de son territoire, tandis que la Prusse en a le cinquième, l’Autriche un quart, la Bavière et le Wurtemberg un tiers ; mais elle a plus de forêts que l’Angleterre, la France, l’Italie, l’Espagne ou la Belgique.
  6. Comme le mélèze réunit deux qualités qui d’ordinaire s’excluent, — une croissance rapide et un bois très durable, — on en a beaucoup planté, même dans des pays peu élevés, comme en Allemagne et en Belgique. Dans ces régions basses, il croît d’abord très vite, mais vers trente ans il se met en graines et cesse de se développer. Arbre mystérieux, dit avec raison je ne sais quel traité de sylviculture, on ne peut deviner ce qui lui convient. Brantôme, invoquant l’autorité de César, raconte que le bois ne mélèze est incombustible : il n’en est rien.
  7. D’après M. J. Clavé, l’hectare de forêt ne produit en France que 34 francs et en Prusse que 22 francs seulement ; mais il est à remarquer que les bois de la Suisse sont presque tous des futaies peuplées d’arbres séculaires.
  8. Les terribles accidens causés cet hiver (1862-1863) par les avalanches dans les vallées Bedretto et Formazza, où les neiges ont écrasé des groupes entiers de maisons, montrent assez qu’il est plus que temps d’arrêter le déboisement, déjà porté trop loin en plus d’un canton.
  9. Quelques crus sont renommés en Suisse, par exemple le cortaillod et le favergne, ensuite le neufchatel, que Frédéric II avait introduit à la table de la cour de Prusse, l’yvorne et le lacôte des Lords du lac de Genève, l’oberlander et le malanser de la vallée du Rhin au-dessous de Coire, dont les premiers ceps ont été plantés par le fameux duc de Rohan, l’habile stratégiste de la Valteline, le bailloz et le malvoisie des environs de Sion, qui, entre deux chaînes de montagnes couvertes de glaciers, empruntent un feu extraordinaire à un climat si chaud, que le figuier, l’olivier et le laurier-rose croissent à l’état sauvage.
  10. Voyez dans la Revue du 1er août 1851 l’étude de M. Saint-René Taillandier sur Jérémie Gotthelf.
  11. Voyez la Revue du 15 juin 1861.