L’Université de France et la guerre/02

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L’Université de France et la guerre
Revue des Deux Mondes6e période, tome 34 (p. 587-618).
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L’UNIVERSITÉ DE FRANCE
ET
LA GUERRE

II.[1]

Nous avons vu, dans un précédent article, comment le corps d’armée universitaire s’est battu, et comment, pendant le même temps, l’Université a continue d’enseigner et de former ces générations dont quelques-unes sont déjà parties grosser le nombre des combattans, dont les autres auront le privilege, mais la tâche difficile aussi de jouir de la victoire. L’Université a rempli encore d’autres devoirs. Elle a enfin fait pénétrer ses enseignemens là où on eût cru que toute fonction cessait pour elle. C’est ce qu’il nous reste à montrer.


ŒUVRES DE GUERRE

La France qui étudie entra en relations avec la France qui combat autrement que par l’intermédiaire des maîtres devenus soldats. Il nous faut parler en effet des innombrables œuvres de guerre qui font tant d’honneur à l’Université. L’Université participa d’abord à l’œuvre du Secours national, dont le président était un universitaire, et un universitaire jouissant de l’affectueux respect de tous, M. Appeflt. Puis vinrent les œuvres plus exclusivement universitaires. La Belgique s’est immolée ; les instituteurs belges, avant que quelques-uns soient recueillis dans nos écoles même, sont dispersés et sans ressources. Immédiatement se fonde l’œuvre du « Franc des camarades belges. » Puis ce sont des Français eux-mêmes qui fuient devant l’invasion. Les instituteurs s’occupent de ce qui les regarde, des enfans de l’âge scolaire, et fondent l’ « Accueil français, » Par eux, les petits réfugiés sont placés, soignés, surveillés. Beaucoup en prennent à leur propre charge. Enfin, la guerre fait des veuves parmi les institutrices. Aussitôt des caisses de secours distribuant des allocations journalières sont créées. Une vive impulsion est donnée à cet esprit de solidarité par les Amicales des instituteurs et par la Fédération de ces Amicales. Les noms seuls de ces groupemens étaient connus du grand public et, faut-il l’avouer ? pas très avantageusement. On savait que des intérêts professionnels y étaient discutés avec quelque âpreté, et on y redoutait l’invasion de ce qu’on appelait — il y a très longtemps — le pacifisme. Nous sommes rassurés. La Fédération des Amicales vient de publier une plaquette charmante qu’elle vend au profit de l’« Accueil français. » La première image représente un soldat, un soldat-papa, dans son lourd manteau de factionnaire, qui fait la leçon à des enfans attentifs, levant le doigt pour insister sur l’importance du conseil qu’il donne. On devine quel est ce conseil, qui est de ne rien oublier. En réalité, dans ces Amicales, s’était développé un esprit corporatif qui a porté ses fruits. De ces œuvres il faut rapprocher le « Sou des lycées : » chaque élève est invité à apporter chaque semaine dix centimes. C’est sa contribution de guerre à lui, volontaire bien entendu, mais à laquelle la plupart, depuis deux ans, se soumettent avec une régularité toute militaire.

Nous dirons peu de chose de l’adoption du blessé par l’école, parce qu’il y aurait trop à dire. Le blessé fut pour l’enfant l’objet d’une tendresse fraternelle, de cette tendresse exaltée qui est souvent celle du petit frère pour le grand frère. Au prêt, pour lequel ils n’ont pas été consultés, de leurs écoles et de leurs lycées, nos élèves ajoutèrent, après coup, une intention à eux. Et quelle émotion quand ils durent (cela est déjà arrivé) rentrer dans ces salles où l’on avait souffert, et redevenues de simples classes ! Entre tous les blessés, ceux de leur école ou de leur lycée ont eu naturellement leurs préférences : pour eux toutes les gâteries, pour eux on se privé de dessert ou on se rationne au goûter. On les visite, et c’est une récompense que l’on s’efforce de mériter. On chante pour eux le dimanche ; on leur donne des représentations ; on apporte (n’est-ce pas une charmante idée d’enfant ? ) on apporte à ceux qui sont pères des poupées pour leurs fillettes. L’établissement féminin le plus proche s’occupe de leur linge et raccommode leurs vêtemens. Bientôt cependant ces dévouemens épars ne suffirent plus aux bonnes volontés ; on eut l’ambition des œuvres, et chaque école ou chaque ville tint à avoir la sienne. Quelques-unes sont exquises d’invention et de tendresse : œuvre du morceau de sucre (pour sucrer le café du soldat) ; — œuvre de l’œuf hebdomadaire (cette œuvre, fondée par les fillettes de Carcassonne, augmenta de 150 œufs par semaine le menu des blessés d’un hôpital) ; — œuvre des deux légumes, qui eut un objet analogue ; — œuvre des oreillers ; — œuvre des béquilles ; — œuvre de l’argent de poche.

Les maîtres n’eurent qu’à diriger le mouvement, ou quelquefois à le suivre ; de leur côté ils apportèrent ce qui est leur richesse à eux, leur science, leur parole et leur cœur. Des conférences furent instituées dans les hôpitaux, qui rencontrèrent les auditoires les plus vibrans. Ou bien ce sont des leçons individuelles qui sont données à ceux qui n’ont pas appris ou qui ont oublié. Et la docilité de ces trop grands élèves récompense de tous les dévouemens. Les maîtresses enfin ont revêtu le voile blanc de l’infirmière. Elles ont fait ce que toutes les Françaises ont fait, et ce qui sera la poésie de ce temps d’horreurs ; mais les autres Françaises n’avaient pas une classe à faire en même temps. Une institutrice des Vosges, à qui on demande comment elle peut se partager entre les blessés et ses élèves, répond simplement : « Comme j’avais un service de nuit à l’hôpital, je ne manquais jamais la classe. » — Quand le blessé sort de l’hôpital, toute relation n’est pas rompue entre lui et l’enfant. Nous faisons allusion à cette charmante habitude que, dès le début de la guerre, prirent nos élèves, sur la suggestion de leurs maîtres, celle de saluer les blessés. Dans les grandes villes, où les rencontres sont fréquentes, cette manifestation peut créer une lassitude pour celui qui en est l’objet, après lui avoir causé d’abord une émotion mêlée de surprise. Dans les campagnes, plus rare, elle garde plus de prix ; elle signifie, pour celui qui reçoit le salut, une promotion en considération publique et comme en dignité humaine, pour celui qui l’adresse un sentiment de la dette contractée et une promesse de patriotique émulation.

Le blessé eut un tour de faveur, et c’était justice, dans la sollicitude de l’école. Mais, dès l’automne de 1914, la guerre se prolongeant, l’hiver menaçant, la pensée des misères qui allaient être endurées apparut brusquement intolérable, et alors la France scolaire se mit à tricoter, ainsi d’ailleurs que la France entière. Ce fut comme un vœu. Cette ardeur à prendre l’aiguille dut au caractère mystique qu’elle revêtit de prendre des proportions d’événement, et de mériter une place dans l’histoire si pleine de ce temps. La France fut donc un vaste ouvroir. Mais, dans chaque village, c’est l’école qui est le quartier général de la laine. C’est là qu’on se réunit pour s’entraîner, et aussi se ravitailler. La provision de laine s’épuise-t-elle dans une école laïque, alors on voit un curé partir à bicyclette et faire une rafle dans toutes les merceries des environs. La laine eut son union sacrée. A un an de distance, on ne peut relire sans amusement les divers journaux pédagogiques qui ressemblèrent, durant quelques mois, à des journaux d’ouvrages pour dames. En visitant une école, on croyait visiter un magasin et un atelier tout à la fois : des paquets dans tous les coins, avant ou après la confection, et tous tes doigts au travail. On a fait des statistiques de la quantité de laine employée et du nombre d’objets envoyés : elles sont formidables et sans cesse à refaire. Les petits doigts des écolières ont fait ce qu’aucun service d’Etat ni aucune industrie n’eût pu faire, et économisé des millions…, et nos soldats eurent moins froid.

A la campagne, chacun travailla d’abord pour son soldat. Ensuite une sollicitude collective naquit : il faut penser à ceux à qui personne ne pense. Mais le particularisme eut sa prompte revanche : on veut pouvoir suivre en idée le passe-montagne ou le chandail où l’on a mis, avec la laine, tant d’intentions. Ainsi des régimens devinrent les cliens particuliers d’un lycée. C’est le lycée du département dont tel régiment est originaire ; c’est encore celui où le hasard l’a fait cantonner, et où le souvenir de son numéro est orgueilleusement gardé. Les colonels des régimens oubliés adressent leurs réclamations aux chefs universitaires comme à leurs fournisseurs obligés, réclamations toujours écoutées. Il y eut cependant des demandés difficiles à satisfaire, comme une certaine demande de bottes en toile goudronnée, sur le modèle de celles des mariniers de l’Ouest, et qui préserveraient les pieds de l’humidité des tranchées. Cela sortait des talens ordinaires de nos ouvrières. On prit des informations et la commande fut exécutée. Il va sans dire que des douceurs ne tardèrent pas à se glisser dans les envois utiles, surtout à certaines dates qui provoquèrent le désir d’associer nos soldats aux fêtes de la vie civile, et de leur causer un peu de joie. Puis l’enfant qui fait l’envoi ne résiste pas à la tentation d’y joindre un billet. Il faut bien qu’il y ait dans le paquet quelque chose de son petit cœur. Les chefs répondirent, et il y a ainsi, dans les archives de certaines écoles, des lettres de colonels où s’expriment leur bonté pour leurs hommes et leur orgueil de sentir derrière eux cette petite France frémissante. Des mères de soldats remercièrent aussi, remerciemens infiniment touchans, et enfin des soldats eux-mêmes. Voilà comment nous nous acheminons vers « l’individualisation » du paquet., Tout se perfectionne peu à peu dans cette guerre. Des instituteurs s’arrangèrent pour que chaque soldat de la commune reçût son paquet à lui. N’est-ce pas celui que l’on reçoit avec le plus de joie ? Rien qu’à le prendre des mains du vaguemestre, et à voir son nom sur l’adresse, le soldat cesse d’être un numéro matricule et redevient quelqu’un. Celui qui l’envoie est cependant un inconnu. Mais cet inconnu est un ami, un protecteur. Ce n’est qu’un enfant, mais la protection n’en est que plus douce et ressemble à cette protection ailée dont le soldat d’aujourd’hui, quand il était enfant lui-même, croyait sentir le frôlement. Ainsi se nouèrent des amitiés d’un tour mystique entre l’école et la tranchée.

On ne tarda pas à s’apercevoir que, entre tous les soldats, les plus abandonnés étaient ceux des régions envahies, les « envahis, » comme on dit. Les chefs militaires signalèrent les premiers cet abandon, cette détresse morale. Une note parue dans le Bulletin des Réfugiés du Nord et ainsi conçue : « Lesquels d’entre vous veulent une sœur, une marraine, pour remplacer temporairement la famille bloquée ? » provoqua immédiatement des milliers de réponses. Si l’hiver 1915 fut celui du tricot, l’hiver 1916 fut celui des marraines. Pas un aspirant filleul ne resta sans marraine et réciproquement. Quelques habiles, dit-on, en eurent même plusieurs. Le type du filleul de guerre a vite défrayé la littérature : il y eut les filleuls discrets et ceux qui le furent moins. Mais il y a un type de marraine jusqu’ici moins connu, la marraine collective : c’est une classe de lycée ou une école primaire. Le filleul n’est pas moins bien soigné. Quand il vient en permission, ayant plusieurs familles adoptives, il n’a pas assez de repas pour toutes. Dans quelques établissemens d’instruction, il y a la salle des filleuls, sorte de cercle du soldat plus intime et en miniature. Et on trouve parfois dans nos classes des photographies imprévues : un poilu, entouré de fillettes ou de petits garçons, car les marraines sont souvent des parrains. Ce qu’on ne dira jamais assez d’ailleurs, c’est que la marraine a apporté plus que des secours matériels à qui en manquait, un secours moral qu’on ne supposait même pas, a priori, aussi efficace et aussi nécessaire. La marraine devient vite la personne à qui on s’adresse pour les confidences sérieuses, les dernières volontés ; car, avec les camarades, on ne sait jamais si eux-mêmes survivront. On lui laisse le soin de prévenir, en cas de malheur, la famille, quand elle pourra être retrouvée : « La date de ma disparition sera celle de l’arrêt de ma correspondance. » Note charmante, après la note grave : on imagina de faire écrire à des papas par des fillettes ou des petits garçons qui portaient les noms mêmes de leurs enfans. — Aux filleuls « envahis » vinrent s’ajouter les filleuls prisonniers, autre institution née d’un autre besoin. Et le même lycée en eut des deux catégories. Il arriva qu’un soldat du Nord eut ainsi des nouvelles de son frère, depuis longtemps disparu. Un hasard heureux avait fait que le même lycée, le lycée de jeunes filles d’Agen, avait les deux frères, les frères Démarque, comme filleuls.

Qu’on se représente la vie d’un établissement scolaire où toutes ces tâches ont été assumées, sans préjudice de la tâche coutumière. Les jeunes filles, dont il a été surtout question, ont eu le sentiment que personne n’avait le droit d’être inutile, et qu’il leur fallait se rendre dignes des hommes. Elles y ont réussi et, dans l’histoire de l’Université pendant la guerre, il devra y avoir une large place faite aux établissemens de jeunes filles. Chaque directrice de lycée a raconté la vie de sa maison depuis 1914. Ces récits se ressemblent et diffèrent tout à la fois. La répétition monotone des mêmes formes de dévouement n’est pas d’ailleurs sans faire sur le lecteur une forte impression. Puis il y a des initiatives originales qui rompent cette monotonie : à A…, les élèves apprennent à imprimer en Braille pour fournir des livres de lecture aux soldats aveugles ; à B…, des professeurs, deux jeunes filles, ouvrirent une maison de réfugiés et surent l’administrer ; à C…, des maîtresses, accompagnées de soldats éclopés, se rendent au marché, pour améliorer l’ordinaire de l’hôpital, et obtiennent régulièrement de générosités habilement sollicitées des légumes qu’épluchent ensuite les élèves ; à D…, toute petite ville, on ouvrit un vestiaire de réfugiés, et quatre-vingts personnes passèrent au réfectoire, transformé en salon d’essayage. Ces premières lettres de l’alphabet figurent de véritables initiales, et nous pourrions continuer ainsi. Comment ne pas faire mention, par exemple, d’une école où l’on confectionne des vêtemens de deuil pour les mères et les épouses ? Le trait commun, c’est que partout ce qu’on pouvait espérer du bon cœur de toutes a été dépassé. « Je vis avec beaucoup de mes élèves, écrit la directrice du lycée Lamartine, depuis huit et dix ans, et avec plusieurs de mes collaboratrices depuis une vingtaine d’années, et je puis dire que j’étais bien loin de connaître toute leur valeur morale. » Il s’est donc produit là aussi un « miracle français. » Devant l’appel brutal des événemens, ces sentimens devinrent aigus : la conscience d’être, entre Français, de la même famille, et la honte éprouvée par les meilleurs d’entre nos enfans de leur propre tranquillité et de leur propre bonheur. Puissent ces sentimens durer ! Puissent nos fillettes ne pas laisser rouiller leurs aiguilles, et ne pas perdre l’habitude de regarder, au-delà des grilles heureuses de leur lycée, les misères que la guerre n’est pas seule à engendrer !

Voici deux tâches enfin où le rôle de l’école s’annonce, mais ne fait que commencer. La guerre a fait déjà d’innombrables orphelins. Une loi est en préparation qui en remet le soin à l’administration de l’Instruction publique. Si cette loi est votée dans ces termes, elle signifiera ceci : c’est que le premier devoir contracté envers les orphelins est en effet le devoir d’éducation, quelque modalité d’ailleurs que déterminent, pour cette éducation, les préférences paternelles, et des volontés sacrées, quoique parfois inexprimées. L’œuvre des « Pupilles de l’école » s’efforce déjà de créer dans l’école même, pour ceux qui lui sont confiés, une atmosphère de protection. Il y a déjà aussi quelques « frères et sœurs de guerre, » enfans riches qui prennent en charge l’éducation de l’orphelin pauvre. Une classe d’un lycée de Paris a adopté une orpheline et lui constitue une dot. Des principaux de collège offrent de prendre gratuitement des orphelins pour toute la durée de leurs études. Nous ne parlons que d’initiatives d’ordre universitaire. Il existera des orphelins de père et de mère. Mais, s’il y a des enfans sans foyer, il y a des foyers sans enfant, et parmi ces foyers sont les foyers solitaires de beaucoup de nos institutrices. On les a déjà appelées, comme pour susciter, par la magie du mot, un mouvement qui se répandra sans doute, les « mamans de guerre. » La loi votée trouvera les mœurs faites et les cœurs prêts.

Une occasion s’est présentée où l’Université a fait comme l’expérience de ce dont elle était capable, quand on lui confiait une tutelle. 1 800 enfans serbes sont arrivés en France, la plupart sans parens. Les parens, ou sont morts, ou sont restés sur les routes d’exil. Ces 1 800 enfans ont été répartis dans un grand nombre de nos établissemens. L’Etat fait les frais de leur instruction et de leur entretien. Mais il y a ce que l’Etat ne peut prévoir. Chaque établissement a aussitôt constitué des comités de patronage pour ces pupilles momentanés. Ces comités ont pourvu à tout et remplacent ; dans la mesure du possible, patrie et famille absentes. Faut-il ajouter que nos fillettes ont accueilli les fillettes serbes en les embrassant, la différence des langues ne permettant pas de manifester autrement les sentimens attendris avec lesquels on les voyait venir de si loin ; que les petits Serbes sont reçus les jours de congé, et pendant les vacances, dans les familles françaises ; et qu’ainsi nos enfans font à notre pays des amis pour toujours ? En vérité la guerre, si elle a créé des abimes, a aussi rapproché et a donné un sens plus plein au mot de fraternité. Dans cette fraternité avertie de nos écoliers, comme dans un sentiment de nature presque familiale, nos orphelins trouveront le plus sûr substitut des affections perdues.

La génération qui grandit devra perpétuer les souvenirs et entretenir les tombes. Pour elle ce soin pieux n’est pas seulement un devoir, mais une dette. Elle se prépare à la payer. Le culte des morts est un des honneurs de ce temps. Celui des morts pour la patrie prend l’importance d’un mouvement religieux. De ce culte les enfans sont les lévites. Dans plusieurs écoles, l’hymne de Hugo est devenu comme une prière du matin. Dans quelques villes où déjà ont été célébrées des fêtes commémoratives, la jeunesse de nos écoles y a été conviée, symbole de l’espérance mêlée aux regrets, et d’un geste gracieux, mais en même temps recueilli, a jeté des gerbes de fleurs sur les tombes de ses aînés. Des officiers anglais présens à l’une de ces fêtes ont admiré la gravité de ces jeunes officians ; la gravité des enfans ne surprend plus un Français. En Lorraine, des tombes sont régulièrement entretenues par les enfans des écoles. Dans quelques villes envahies, nous savons que cette pieuse coutume s’est aussi établie. Et, à l’arrière, des lycées et collèges se sont donné le devoir de fleurir les tombes exilées des soldats morts loin de leur pays et loin du champ de bataille, double tristesse.

Pour ces morts-là, on a fait autre chose encore. Rien n’est triste comme l’enterrement d’un soldat dans une ville inconnue, et que les siens n’ont pu venir suivre. Après le combat, sur le lieu même du combat, toutes tes mélancolies s’enveloppent de grandeur ; mais, après l’agonie de l’hôpital, la mort et ce qui la suit prennent un aspect plus grand de désolation. Cette sensation éprouvée fut comme an remords. Alors, nos collégiens suivirent d’abord les convois qui partaient de chez eux, du collège converti en hôpital. Puis on jugea que ce n’était pas assez et que, quel que soit l’hôpital, le même hommage était dû. Aussi, derrière le cercueil du soldat, le passant peut voir maintenant de grands collégiens qui représentent la jeunesse française en deuil, et qui, dans l’acte qu’ils accomplissent, trouvent eux-mêmes la plus virile des leçons. Les maîtres veillent à ce qu’elle soit mesurée à l’âge et à ce qu’aucune contrainte ne s’y mêle. Mais le service des morts a, lui aussi, ses « volontaires. » C’est ce qui donne un prix infini à ces manifestations multiples du patriotisme scolaire, entre lesquelles nous avons dû faire un choix. Elles ne sont pas l’obéissance à un mot d’ordre ; elles ne sont pas les moyens factices mis en œuvre par une pédagogie méthodique pour entretenir le moral du pays et associer le plus d’énergies qu’il est possible au combat nécessaire. Elles sont spontanées, elles sont le libre épanouissement de sentimens profonds. On cherchait autrefois qu’elle pouvait bien être l’âme de l’école. La patrie est apparue, plus vivante et plus belle que jamais, dans le péril qu’elle courait, et la question ne se pose plus.


CLASSES SUR LE FRONT

La vision de la mort nous a rapprochés du front. Là, sous la menace constante, là encore, « la classe continue. » L’école est plus que l’école, c’est un lieu de rendez-vous où on vient s’informer et se réchauffer. Des officiers sont attirés par elle, et lui font visite dans les loisirs de leur cantonnement, entre deux combats. Ils daignent parler aux enfans. « C’est ainsi, dit le témoin autorisé qui raconte ces faits, qu’à la faveur de cette horrible guerre, dont ce ne sera pas un des moindres bienfaits, nous voyons se réaliser notre rêve de l’école rendez-vous pacifique pour toutes les bonnes volontés, maison de famille pour les enfans et pour les parens, foyer national de concorde et d’union. »

Oui, tout près du front, la vie scolaire persiste encore. Quel déchirement quand il a fallu définitivement abandonner l’école devant l’ennemi qui avançait ! « Ah ! ma dernière classe ! écrit un instituteur, j’ai autant souffert que le vieux maître alsacien de Daudet. » Cet instituteur fit bien cependant de congédier ses élèves, car, l’instant d’après, des obus défonçaient l’école. Tout de même on s’obstine, on fait classe n’importe où, et les instituteurs de l’arrière qui, sous l’uniforme de soldat, viennent voir leurs collègues, admirent cette autre forme de courage. Le préfet de la Marne a félicité officiellement une institutrice d’avoir, en rouvrant son école, à la rentrée de 1914, dans un village qui n’existait plus, donné confiance à tous dans la reprise de la vie française. Mais le zèle n’a pas besoin d’être ainsi encouragé ; il a, tout au contraire, besoin d’être arrêté. L’autorité militaire s’en charge, et même l’autorité universitaire, là où elle peut pénétrer. On a évité les accidens ; mais, plusieurs fois, il s’en est fallu de peu. Dans la Marne, une troupe d’enfans que l’on conduisait à l’examen du certificat d’études a failli être victime d’une rafale soudaine. A Arras, le principal fait reconduire chez lui l’unique élève qui s’est présenté : la classe où il se serait trouvé fut éventrée. A Saint-Dié, le recteur fait suspendre les cours du collège de jeunes filles, le 5 février 1915. Le 6, à quatre heures du soir, heure de la sortie des élèves et de l’arrivée des mamans, un obus éclata à l’entrée même du collège. Une école de la Meuse encore ouverte fut démolie ; mais c’était un dimanche, il n’y avait pas d’élèves. Il y avait, hélas ! l’instituteur qui fut tué. L’institutrice de Paissy (Aisne) fait classe dans une grotte ; elle est surprise par un bombardement, elle groupe les enfans dans la partie de la grotte la moins exposée, les maintient en ordre pendant plus d’une heure, et les abrite de sa personne contre les nombreux éclats en retour arrivant de la grotte et frappant les bancs des écoliers. Ce sont les termes d’une citation bien méritée que nous reproduisons ici.

Les établissemens d’enseignement secondaire ont été fermés dans sept villes seulement, en deçà de la ligne du front : Arras, Soissons, Saint-Dié, Pont-à-Mousson, Sainte-Menehould, Verdun, Reims. Partout ailleurs, on a vécu, — dangereusement. Il semble que ce soit donner une victoire à l’ennemi que de céder et de fermer. « Je ne quitterai mon lycée que s’il menaçait de me tomber sur la tête, » dit un proviseur. Et une directrice : « Je resterai à mon poste jusqu’à ce qu’on m’oblige à le quitter. » Ce qui est aussi admirable que cette ténacité des chefs d’établissement et des professeurs, c’est la confiance des familles, c’est aussi l’héroïsme inconscient et la bonne humeur des enfans. Le courage professionnel ainsi pratiqué se rapproche du courage militaire, et ne continue d’en différer que parce que les jeunes filles en ont leur part. Des professeurs des deux sexes traversent chaque jour, en effet, des zones dangereuses, pour aller faire leur classe. Les élèves, un jour de bombardement particulièrement intense, peuvent manquer le lycée, mais pas les maîtres, bien sûr, ni les maîtresses. On prend quelques précautions, on change les heures de classe, que l’on fait très matinales ; on raccourcit les récréations, mais rien d’essentiel n’est sacrifié. Béthune a deux collèges : collège de garçons et collège de jeunes filles. Mais ils sont fondus en un, au collège de garçons. Depuis dix-huit mois, Béthune a subi 58 bombardemens, a reçu 2 800 obus ou bombes. Le collège même a été endommagé. Ce qui frappe l’inspecteur venu de Paris, qui entre dans la maison (car on continue d’inspecter, ne serait-ce que pour aller porter des témoignages d’admiration et de sympathie), c’est combien la vie se déroule simplement, normalement ; le danger, si voisin, ne trouble ni les élèves ni les maîtres. Les élèves ont été instruits de ce qu’ils doivent faire en cas d’alerte. Chacun a sa lampe électrique, qu’il prend au premier signal, et l’on se dirige vers la cave. Des masques contre les gaz asphyxians ont été aussi distribués, et les élèves sont exercés à s’en servir. Aucune inquiétude, aucune bravade non plus dans leur attitude. Quant aux maîtres, presque tous séparés de leur famille ou atteints dans leurs affections, ils n’en laissent rien paraître. Tout le monde travaille comme si on avait l’esprit libre de soucis. On doit au principal et à la directrice d’avoir entretenu, par leur action et leur exemple, ce parfait état de santé morale. Mais Béthune n’a pas été une exception. En général, on se porte bien au front.

Les lycées et collèges de l’académie de Nancy ont eu la bonne fortune, au milieu de leurs épreuves, d’avoir dans leur recteur même, M. Adam, un historiographe. On l’appelait familièrement, en temps de paix, le recteur « frontière, » parce qu’il tenait ferme le drapeau et, au besoin, en agitait les plis. Il ne sera plus bientôt, nous y comptons, le recteur de la frontière. Mais il aura été, en attendant, un admirable recteur du front. Ses récits, que traverse une paternelle émotion, sont d’une dramatique simplicité. Bombardement, descentes dans les caves, dévouemens dont on n’a même plus conscience, et partout le devoir professionnel obstinément accompli, voilà quelle en est la matière, toujours semblable à elle-même. Malgré lui, le lecteur est attiré par les épisodes qui s’y insèrent : un professeur emmené en otage, une maîtresse placée par l’ennemi comme protection en avant de ses troupes ; ou bien une directrice faisant la lecture de journaux allemands au général de Castelnau ; un principal qui reconnaît dans un officier bavarois un de ses anciens élèves et obtient de lui, par des remontrances bourrues, que des vies humaines soient épargnées. C’est cependant de la trame uniforme du récit que ressort encore la plus grande leçon. Qu’un seul professeur aille tour à tour enseigner la philosophie à Commercy, Bar-le-Duc et Nancy ; qu’une maîtresse, ne trouvant plus d’endroit où faire la classe, aille surveiller à domicile la confection de devoirs qu’elle ne saurait renoncer à donner, ce sont là bien petits faits, sans doute, et qui se passent dans le voisinage de grands faits ; mais ce qu’il y a d’important, c’est l’esprit qui anime ces obscurs serviteurs du devoir, c’est le mépris constant du danger, c’est l’exemple qu’ils donnent, c’est la vie qu’ils contribuent à entretenir. A Saint-Dié, les Allemands sommèrent une toute jeune répétitrice d’aller porter elle-même, à travers balles et obus, une lettre à la mairie. Pour être sûrs qu’elle remplira sa mission, ils gardent sa mère comme otage. Elle partit, bien que fort timide de sa nature. Et la personne qui fit ce récit à M. Adam ajoutait : « Les martyrs devaient s’avancer ainsi dans l’arène. » Elle revint d’ailleurs. Beaucoup de ses collègues lui ressemblent, et ne se doutent pas plus que la petite répétitrice qu’elles font quelque chose de peu ordinaire. Elles vont où il faut aller, sans se soucier du reste. L’héroïsme est devenu un état. Il faut ajouter que l’éducateur, ayant par profession la pensée tournée vers l’avenir, oriente du même côté la pensée des autres, grand bienfait, surtout quand le présent est ce qu’il est. Un publiciste a intitulé une brochure : Le travail invincible. Il songe au travail du laboureur. Ce caractère d’invincibilité convient aussi à l’humble travail scolaire : sous l’obus, il persiste et triomphe.

Ailleurs, on descend dans les caves accidentellement, pour laisser passer la tourmente. A Reims, on y vit. Les écoles des caves de Reims ne sont pas seulement un fait-divers pittoresque, elles sont un témoignage de cette volonté de travail dont nous parlons. La rentrée est impossible, en octobre, 1914, dans des locaux sans cesse « arrosés. » On patiente un mois, deux mois, espérant une délivrance prochaine. Enfin, en décembre, Je maire, M. Langlet, et l’inspecteur primaire, M. Forsant, ont l’idée d’installer des écoles dans des caves. Des réfugiés belges et rémois, qui y avaient déjà cherché un abri, avaient, pour ainsi dire, montré le chemin. Il faut savoir que ce sont des caves particulièrement confortables que celles de Reims, vastes galeries de plusieurs kilomètres de long, creusées dans la craie à des profondeurs variant entre 2 et 10 mètres. La largeur de ces caves varie elle-même entre 5 et 10 mètres. Et la hauteur atteint 3 m. 50. Peu d’humidité et un air renouvelé, grâce à des ouvertures appelées « essores, » percées de distance en distance. On transporte donc dans ces caves le mobilier scolaire : bancs, tables et tableaux noirs. Pour remplacer la gaieté du soleil, on a des plantes vertes, des drapeaux, les portraits des hommes du jour. La maison Pommery eut l’honneur de recevoir la première école. Le succès ayant été rapide, d’autres écoles furent ouvertes dans les caves d’autres maisons. Il y eut quelques déménagemens, mais les écoles transportèrent leurs noms avec elles. Ce sont des noms auxquels on tient : école Joffre, école Dubail, école Albert-Ier. Ne pas désigner l’école par un nom de quartier avait été une mesure de précaution ; elle aboutit à ces choix heureux. Des caisses ou des fûts de Champagne servent de cloisons entre les différentes classes d’une même école. On a jusqu’à une salle de récréation et une salle de gymnastique. Dans l’école Dubail, la disposition est un peu différente. On est dans un cellier plutôt que dans une cave ; ce cellier est une vaste salle de 25 mètres de large et de 60 mètres de long. Elle est divisée par une bâche en deux parties : d’un côté, un cantonnement de troupes, de l’autre, l’école. Ainsi, même dans les sous-sols, université et armée fraternisent. Dans la partie réservée à l’école, quatre classes occupent chacune un angle du quadrilatère. Au centre sont les tout petits. Il y en a de deux ans. L’école Dubail est à 1 800 mètres de la première tranchée française. Deux instituteurs, dix institutrices, tous volontaires, font leur classe dans ces écoles souterraines. Le canon, dont le bruit arrive étouffé, fait à leurs leçons un accompagnement sourd auquel on est habitué.

Les petits écoliers de Reims ont eu une bonne presse. Des journalistes leur rendirent visite, puis des dames qui apportaient des bonbons. Il y a peu d’écoles où on ait mangé autant de bonbons depuis la guerre. Les puissantes maisons de Champagne, qui leur offrent l’hospitalité, les ont adoptés. Il y a eu, toujours dans les caves, arbres de Noël et cinéma. Les écoliers suisses leur ont écrit de jolies choses, auxquelles ils ont répondu. Ces distractions ne les empêchèrent pas de travailler et de passer avec succès des examens. L’ « Accueil français » leur procura des vacances. On s’attendait à ne pas les voir revenir. Les trois quarts revinrent, et ces enfans heureux rentrèrent dans la malheureuse ville en chantant. Leurs parens les attendaient groupés dans une de ces caves-écoles, lieu de réunion désormais consacré. Auparavant, il y avait eu la distribution des prix. Elle eut lieu à l’école Dubail. Le ministre de l’Instruction publique devait venir la présider ; il fut empêché. Le maire, le docteur Langlet, fut alors à l’honneur, comme il a été si souvent à la peine. L’idée même de cette fête souterraine, qui évêque les plus grands souvenirs, était heureuse. Il est conforme à notre humeur de narguer le destin et de sourire aux pires infortunes. A tous les élèves présens, outre leurs prix, — et des gâteaux, — fut remise cette attestation :


L’élève X…, par son travail et par son assiduité à suivre les cours, malgré le danger et la difficulté des circonstances, a mérité cette récompense.

Dans une cave de Champagne.

Le 332e jour du bombardement.

31 juillet 1915.


DANS LES RÉGIONS ENVAHIES

Et, au-delà de la ligne de feu, que deviennent maîtres et élèves ? Nous ne savons pas tout, et nous ne pouvons dire tout ce que nous savons. Nous savons qu’on travaille. Un vieil instituteur de l’Aisne, qui a dû à son âge d’être évacué ensuite par les Allemands, nous a raconté comment il rouvrit son école en octobre 1914, le nettoyage énergique qu’avec des moyens de fortune il lui fit lui-même subir (car elle avait servi à tout), puis l’arrivée successive des élèves « qui ne voulaient pas d’abord y croire. » Le difficile fut d’avoir des plumes. On retrouva heureusement les plumes usagées dans la boite à craie, où les élèves les déposaient chaque lundi, en échange d’une neuve. On était de bonne garde dans cette école ; et, quand les plumes usagées elles-mêmes vinrent à manquer, ce fut le triomphe du procédé La Martinière. Cette bonne volonté, luttant pied à pied contre les difficultés matérielles, fut l’histoire commune. Des instituteurs allemands demandent à assister à la classe. Ils s’étonnent de ne jamais voir battre les élèves, et cet étonnement fait plaisir. Ceux-ci travaillent bien, et une des tristesses que la prolongation de la guerre apporte à l’instituteur, c’est qu’il ne jouira pas de leurs succès au certificat. Les Allemands, autour de lui, chantent victoire ; mais l’instituteur en croit plutôt le bruit du canon qui ne s’éloigne pas, et il en est à désirer de l’entendre. « Voix du canon, voix de l’espoir, » dit-il stoïquement. Cette persistance de l’amour-propre professionnel et des espérances patriotiques, c’est encore l’histoire commune.

L’organisme plus compliqué d’un lycée ou d’un collège est plus difficile à faire vivre, et surtout à faire revivre. On y a réussi presque partout cependant. Un lycée est administré directement par les Allemands, destiné sans doute par eux aux fils de leurs officiers. Ailleurs, les Allemands laissent faire. Dans la plupart des villes, les locaux scolaires ont reçu un autre emploi. Mais, même à Longwy, où le principal résume l’histoire de son collège et de sa ville dans ce court post-scriptum d’une de ses lettres : Longwy = Herculanum ; même à Longwy, on a trouvé quelque chose. A Lille, c’est l’hôtel du recteur pour le lycée de jeunes filles, la Faculté des lettres pour le lycée de garçons ; à Roubaix, une maison appartenant à M. Motte ; à Tourcoing, un local dépendant de la municipalité. A Douai, une directrice habile a réussi à sauver quelques pièces de son collège, transformé en hôpital. Dans cet hôpital, les infirmières allemandes soignent les blessés allemands, et les maîtresses du collège les blessés français. Ailleurs de simples appartemens privés recueillent les élèves aux heures de classe.

Partout, on fait tout ce qu’on peut. Tous les ordres d’enseignement se confondent, et les femmes enseignent aux garçons un peu plus encore que de ce côté-ci des lignes. les Allemands ont souvent refusé de rapatrier des institutrices, mettant en avant cette raison, si honorable pour elles, qu’elles rendraient service à leur pays. Il en est donc resté davantage. D’autres fois, ce sont des maîtresses qui, ayant à choisir, ont refusé elles-mêmes d’être rapatriées : la directrice restait ; on ne voulait pas l’abandonner. Que d’actes admirables, aussi simplement accomplis, nous seront racontés un jour ! Dans quelques villes, il y a même eu des fantômes de distributions de prix. Le recteur et quelques professeurs de faculté sont allés faire passer des baccalauréats un peu sommaires. On a évité dans la mesure du possible l’immixtion allemande. On a évité l’argent allemand. Des municipalités remettent aux professeurs 30 francs par mois ; ailleurs ce sont des banques qui consentent des avances, ou des caisses d’épargne qui pratiquent les remboursemens de livrets par mensualités. Il reste des villes et des villages où nous ne savons pas de quoi vivent nos maîtres. Que de misères aussi nous seront racontées ! On a exigé de certains maîtres des engagemens de neutralités Il y a eu des refus que l’on a fait expier.

Des renseignemens sûrs nous ont permis de pénétrer dans quelques-unes de ces classes où l’ennemi ne pénètre pas, vrais sanctuaires. Avec quel frisson, que notre piété même accrue n’a pas connu, l’enseignement du français est donné et reçu ! On explique les textes avec la ferveur qu’appellent des textes sacrés. Et les devoirs des élèves ressemblent à des actes de foi. On est entre Français et on ne craint aucune trahison. L’expression contenue cependant des sentimens tire, comme cela arrive souvent, plus de force de cette contrainte même. Nous savons tout cela, et il y des précisions sous chacun des mots que nous écrivons. Nous savons aussi qu’on fait, en même temps, un sincère effort pour s’abstraire, pour apprendre, pour travailler. Et peut-être est-ce à cet effort dans sa simplicité, que nous devons encore le plus d’admiration et de reconnaissance.


ÉCOLES D’ALSACE

C’est le cœur moins oppressé que nous pénétrons dans les écoles d’Alsace. Elle fut même joyeuse la rentrée de la langue française en Alsace, et la douce langue prit, pour se faire entendre dans le lambeau de terre reconquise, des accens de fanfare. La chronique s’est emparée de la « première classe. » Ce fut à Massevaux, bourg de 3 600 habitans. Un soldat français eut l’honneur de la faire, n’était-ce pas justice ? C’était un Alsacien qui sut parler en patois aux enfans, ce qui provoqua de joyeux éclats de rire. La classe roula sur ce thème : la France est notre patrie. Un petit enfant, interrogé sur ce que faisait son père, répond d’une voix forte, un éclair d’orgueil dans les yeux ; « Mon père est soldat français. » Décidément ce sera besogne facile que de faire des Français de ces petits Alsaciens. Rapidement, l’enseignement est partout organisé. On pratique pour les leçons de langue la méthode directe. La discipline automatique, qui amusait et choquait nos maîtres au premier abord, s’assouplit entre leurs mains, et les élèves prennent, comme feront leurs parens, l’habitude de la liberté. L’autorité militaire a gardé la haute main sur l’administration scolaire, aidée d’ailleurs par un inspecteur primaire d’un département voisin. Il y a déjà 4 500 élèves avec plus de 100 maîtres ou maîtresses. Dans une forte proportion, des instituteurs et des institutrices en fonctions ont pu être maintenus, présentant des garanties absolues de loyalisme. C’est de bon augure. La même politique sans doute sera continuée. Non que les candidatures fassent défaut pour les fonctions d’enseignement en Alsace. Elles abondent, et déjà une université française de Strasbourg se dessine avec des noms illustres. L’autorité militaire emploie dans une forte proportion aussi les sœurs de la Congrégation de Ribeauvillé. Les autres maîtres sont, comme celui qui fit la première classe à Massevaux, des soldats, instituteurs dans la vie civile. Les petits écoliers reçurent des visites mémorables : celle du Président de la République, celle du généralissime. De toute la France, et, ce qui est plus touchant encore, de l’Algérie, des lettres leur parvinrent. C’étaient les souhaits de bienvenue de la patrie. Ils répondirent en exprimant, sur un ton de naïve sincérité, leur propre joie : on distingue très bien les lettres dictées par les maîtres de celles qui sont faites par les élèves eux-mêmes. On leur envoya des cartes postales pour leur faire connaître les plus beaux aspects de la patrie rendue, des cahiers avec des rubans tricolores, des livres et des livres. Il en vint tant pour les distributions de prix qu’on constitua, avec ce que l’on ne put employer, des bibliothèques populaires. Ces distributions de prix furent présidées par des généraux. La population, « qui n’avait pas connu de fête véritable depuis 1870, » écrit avec une noble simplicité un Lorrain, donc presque un Alsacien, M. Hinzelin, se pressait sur les bancs. A l’une de ces distributions, une fillette qui avait reçu un prix d’honneur s’écrie : « J’ai un prix de bonheur ! » L’enfant avait entendu, cela arrive souvent même aux grandes personnes, ce qu’elle avait elle-même dans son esprit et dans son cœur.

Une cérémonie plus imposante encore qu’une distribution fut l’examen du certificat d’études. Il eut lieu à Rougemont-le-Château (territoire de Belfort). Onze aspirans, et cinq aspirantes vinrent des écoles de Massevaux, Chavannes-sur l’Etang, Montreux-Vieux et Montreux-Jeune. Neuf aspirans, et quatre aspirantes furent reçus. La dictée était une page de Theuriet. Voici quel était le thème de la composition française : Décrivez votre ville d’Alsace. — Dites pourquoi votre petite patrie est si chère au cœur de tous les Français. Les copies remises sont conservées, comme des documens scolaires, au Musée pédagogique. Il y en a qui donnent l’impression d’être autre chose que des copies d’élèves, le cri du cœur de l’Alsace. Le jury se composait du recteur de Besançon, d’un professeur de Paris, membre du Conseil supérieur de l’Instruction publique, actuellement interprète sur le front, d’instituteurs, et de soldats instituteurs. Celui qui a eu le grand honneur de présider cette séance n’en a pas exagéré l’importance quand, dans le rapport adressé au ministre, il signale, avec une émotion grave, « le sérieux des enfans et des maîtres, instituteurs civils et militaires, le sentiment profond, instinctif chez les uns, fortement perçu par les autres, de l’acte si simple qui s’accomplissait en ce moment, et qui n’était rien moins que le retour à la France de l’âme et de l’intelligence des enfans de nos bien-aimés frères d’Alsace. »


DANS LES CAMPS DE PRISONNIERS

Allons en Allemagne, suivons les tristes convois de nos prisonniers, entrons dans les camps ; nous y verrons encore, chose inattendue, des universitaires faire leur métier et, par le travail qu’ils s’imposent, et auquel ils convient leurs compagnons, adoucir leur sort et celui des autres. Parlons d’abord des institutrices ; car il y a des institutrices prisonnières. A Zwickau, où des villages entiers avaient été transportés en exil, deux institutrices des Ardennes, et deux de la Meuse se trouvèrent au milieu de 70 enfans de quatre à treize ans, prisonniers eux aussi. La tentation était trop forte de se dévouer. Mais il fallait une autorisation : elles l’obtinrent ; des livres : un sous-officier allemand, professeur de français, prêta trois grammaires. Elles réussirent même à procurer à chaque enfant une ardoise et un crayon. Un morceau de linoléum tint lieu de tableau noir. Les enfans travaillèrent. Le camp fut moins bruyant, et l’atmosphère pour tous fut moins lourde. L’une de ces institutrices écrivait presque gaiment à son inspecteur d’académie :


Les jours de captivité passeront plus vite, nous l’espérons, dans l’exercice du travail habituel. De loin, monsieur l’Inspecteur d’académie, je suis toujours votre administrée. La distance qui nous sépare n’est que matérielle ; et instruire les petits Français prisonniers en Saxe vaut bien, n’est-ce pas, faire la classe aux écoliers libres de France.


A Amberg, en Bavière. le même spectacle d’enfans abandonnés et oisifs inspira à un instituteur et à une institutrice le même dévouement.

Dans les camps de prisonniers militaires, les instituteurs se cherchent les uns les autres, comme font sans doute les hommes de toutes les professions. Cependant peu de métiers tiennent à ce point leur homme. L’habitude, qui est la leur, des groupemens professionnels a fait naître, jusque dans les camps de concentration, des « amicales », dont les membres se rendent des services de tout genre, d’argent en particulier. Quand un mois de traitement parvient, on ne le garde pas pour soi seul. L’une de ces amicales, à Friedrichsfeld, s’est donné ce nom douloureux : l’Exil. » Les instituteurs transportent aussi au camp une autre habitude, celle des « conférences pédagogiques, » et on en voit à Müncheberg qui dissertent sur la meilleure façon d’enseigner l’analyse logique. Ailleurs, on traite de problèmes qui passionnent l’instituteur en France, comme « du meilleur moyen d’assurer la fréquentation scolaire. » Mais il y a quelque chose de mieux que de causer métier entre soi, c’est de faire ce métier. Il y a des illettrés dans le camp. On remédie à l’absence de livres en constituant avec des feuilles détachées une méthode complète de lecture, et on apprend à lire aux camarades. A ceux-là du moins la captivité aura servi à quelque chose. Puis comment ne pas profiter du voisinage d’étrangers pour apprendre les langues étrangères ? Il y a des répugnances à l’égard de l’allemand. JMais beaucoup de nos prisonniers reviendront parlant l’anglais, et beaucoup même parleront le russe, qui était peu parlé en France avant la guerre. Le camp de Gustrow, en particulier, est, semble-t-il, une véritable école de langues étrangères. On aurait perdu quelque chose du tempérament national, si on ne se préparait pas à des examens ; on se prépare donc au brevet et même aux postes et télégraphes ; et ce travail de préparation, dans ces conditions, n’est-il pas un témoignage de bonne santé morale ? A Erfurt, il y a même des cours de latin, de sciences appliquées, de droit. Enfin, on fait ce qu’en France on appelle des cours d’adultes ; on fait des conférences sur des sujets variés. On permet par-là à un plus grand nombre d’auditeurs de participer à cette vie intellectuelle qui hausse la pensée au-dessus de misères trop réelles, et sauve par-là de la démoralisation.

C’est à Zossen, près de Berlin, que semble fonctionner l’organisation la plus complète ; c’est du moins celle sur laquelle nous avons le plus de renseignemens. On a fait circuler, de « gourbi en gourbi, » des listes pour se découvrir les uns les autres. On s’est trouvé 109, dont un professeur de Sorbonne, un professeur de lycée, un inspecteur primaire. Les maîtres trouvés, on recruta les élèves. Il s’en présenta 350. Des Belges demandèrent ensuite à être inscrits ; et quelques Russes sollicitèrent des leçons de français. On répartit les hommes par groupes de 20 environ ; et des leçons furent organisées tous les jours de huit heures et demie à onze heures et demie, et de six à neuf. L’amicale de Zossen tient des séances toutes les semaines, et les fonctions de président ne semblent pas être une sinécure : perpétuelle réfection d’un emploi du temps que les départs de maîtres et d’élèves pour d’autres camps troublent sans cesse ; enfin, correspondance avec la France. Car en France on sut ce qui se passait. Des sociétés d’aide intellectuelle se formèrent pour ces prisonniers, à l’entretien matériel desquels on s’était d’abord contenté de songer, et qui nous rappelaient que, même mal nourri, le corps n’était pas tout pour eux. L’une d’elles vise en particulier les étudians. Le ministère, les éditeurs envoyèrent les fournitures scolaires réclamées, et des livres. On fut quelque peu étonné de la nature des livres demandés ; et on constata, avec émotion, que quelques-uns là-bas poursuivaient des études difficiles, entreprenaient de véritables travaux, et on salua de loin leur force d’âme. Le délégué de la mission catholique de Fribourg, après avoir visité le camp d’Altdamm, écrivit à la femme d’un inspecteur primaire pour la féliciter du rôle qu’avait joué son mari auprès de ses compagnons de captivité, et qu’il résumait en l’appelant le « chef intellectuel » du camp. Beaucoup d’universitaires ont mérité le même jugement et la même appellation. Ils le doivent à ce qu’ils ont représenté, dans les souffrances physiques, la détresse morale et l’ennui pesant, le travail sauveur.


LES UNIVERSITÉS ET LEUR « POLITIQUE ÉTRANGÈRE »

Nous avons moins parlé de l’enseignement supérieur que des autres ordres d’enseignement. En un sens, il a été le plus atteint par la guerre. De plus de 42 000 en janvier 1914, le nombre des étudians de nos universités était tombé, en décembre de la même année, aux environs de 10 000, et c’est à peine s’il se maintient autour de ce chiffre. Encore les étudiantes et les étrangers représentent-ils presque la moitié de ce total. Il y a donc 32 000 étudians en moins. Ceux-là se battent. Les cours ont lieu cependant. La composition de l’auditoire de certains cours est impressionnante : des mutilés et de jeunes veuves, de vraies mutilées elles aussi, qui viennent chercher les moyens de refaire leur vie. Les sujets des cours publics s’inspirent des événemens, tout en se tenant au-dessus de l’actualité. M. Lanson traite du « développement de l’idéal français de culture nationale et humaine chez les grands écrivains des trois siècles classiques. » Cet exemple marque bien le caractère de ces cours. Enfin on travaille. Les publications scientifiques paraissent. On fait effort pour garder libre une part de son esprit et la donner aux tâches habituelles. Il y en a qui mettent à profit les loisirs de l’hôpital. Il arrive du Val-de-Grâce des communications à l’Académie des Sciences. Il y en a même qui ont prélevé ces laborieux loisirs sur les repos que laissent les combats. La Sorbonne a délivré deux doctorats posthumes. La thèse de M. Daniel, brillant travail sur la détermination de l’âge des arbres et des plantes, dont l’auteur a été tué comme lieutenant d’artillerie, fut achevée dans le voisinage des caissons. Et on a raconté ici même comment Maurice Masson, dont cette Revue porte le deuil, a poursuivi dans les tranchées la correction des épreuves de sa thèse sur la Religion de Rousseau, n’ayant pas fui « ce divertissement qui s’offrait à lui.

Il y a des travaux d’ordre scientifique provoqués par la guerre même : des travaux d’histoire d’abord. On a recherché les causes. On a voulu mieux connaître amis et ennemis, on a ausculté le passé pour y lire le secret de l’avenir. Puis des historiens prévoyans ont pensé à faciliter la tâche de leurs successeurs, en amassant des documens authentiques sur le présent. L’initiative est partie de Grenoble où, dès 1914, un chef, homme de sang-froid, invita les instituteurs à recueillir sur la mobilisation même toutes les notes pouvant servir à l’histoire future ; et ces notes prises sur le vif sont comme des instantanés où nous voyons se former, dans les couches profondes du pays, la vague qui devait le soulever. Le ministre de l’Instruction publique donna lui-même ensuite des indications pour la constitution de véritables répertoires de documens. Il ne s’agit pas de l’histoire militaire, ni de cette histoire politique dont les journaux fourniront la matière. Il s’agit de l’histoire régionale et locale qui fut si intense, si riche en manifestations de tout ordre et dont le souvenir risquerait de s’effacer. Tout ce qui touche à la guerre reçoit d’elle un reflet, et prend une valeur historique. Dans le même esprit, on a conseillé à chaque commune de faire des dossiers de lettres parvenues du front, de cahiers de route, dont les familles permettront au moins de prendre copie. Il y a dans cet effort presque préventif pour tout sauver de l’oubli, et comme pour amasser des reliques, un mélange d’esprit scientifique et d’un véritable esprit de piété.

L’histoire enregistre les événemens ; il s’agit pour d’autres sciences d’en modifier le cours. Comme on parle des arts de la paix, il faut parler aujourd’hui des sciences de la guerre. L’ennemi nous a forcés à mobiliser mécaniciens et chimistes. Ils sont là toute une armée qui fait besogne secrète ; respectons son silence et fions-nous à elle : on pense bien que des savans français ne travaillent pas inutilement. Ils ne travaillent pas non plus sans danger pour eux ; et hier on décorait, sur son champ de bataille à lui, Ernest-Fourneau, chimiste de l’Institut Pasteur, grièvement blessé. — A une autre science de guerre, notre médecine et notre chirurgie militaire, les événemens créent un champ d’expériences de proportions imprévues. Nos médecins, maîtres et étudians, ont été parmi les meilleurs serviteurs du pays qui n’en a eu que de bons. Ils ont été les égaux en courage des plus braves. Ils se sont fait tuer sans chercher à tuer. Alors que le reste de l’humanité n’a plus pour objet que de créer de la souffrance, ils sont restés ceux qui luttent contre elle. Décimés eux-mêmes en face d’obligations qui se multipliaient, ils ont réalisé des miracles d’énergie physique et de dévouement professionnel. Et, chez les hommes de science, l’esprit d’observation et de recherche a été heureusement stimulé. Entre tous les savans, les médecins ont gardé, malgré l’heure, le droit aux joies de la découverte, puisque cette découverte se traduit en applications immédiatement utiles. Aussi jamais les comptes rendus de l’Académie de Médecine n’ont-ils été aussi nourris. On classe les observations, les cas. On constitue officiellement les « archives médico-chirurgicales de la guerre. » L’art de guérir rivalise en progrès avec l’art de tuer. De jeunes étudians font leur thèse, comme l’a faite Maurice Masson, dans des installations souterraines, pendant l’intervalle des dangers et des services. Ils tirent même leurs sujets le plus souvent des expériences de la guerre. Il est arrivé que des chefs de corps, frappés par le spectacle de ce labeur méritoire, ont demandé à signer la préface de ces thèses. Il y a mieux encore. Un jeune médecin auxiliaire, M. Perrin, préparateur à la Faculté des Sciences de Grenoble, blessé à la cuisse, a fait, dans son lit d’hôpital, une thèse sur son propre cas. Il avait d’autre part reçu la médaille militaire et la croix de guerre. On comprend que le doyen de la Faculté de Médecine de Paris ait tenu à assister à cette soutenance et à féliciter le candidat. Il était impossible de tirer plus élégamment parti de la souffrance et de se montrer envers la mauvaise fortune plus beau joueur.

Si la science française ne chôme pas en France même, nos universités ont mis comme une coquetterie, depuis que la guerre dure, à en assurer et à en étendre le rayonnement au dehors. Nos universités avaient depuis quelque temps une « politique étrangère, » comme on l’a appelée, qui succédait à un trop long effacement. Le moment n’était pas venu d’en changer. Et la France prouva que, ramassée qu’elle était sur elle-même pour une lutte effroyable, elle avait encore assez d’hommes, assez d’argent, assez de liberté d’esprit aussi pour entreprendre des fouilles archéologiques en Grèce ou en Espagne, pour envoyer des maîtres enseigner dans ses jeunes instituts de Florence, de Madrid et de Pétrograd, Avec l’Amérique du Nord en particulier, jamais les échanges de professeurs ne furent plus actifs. Jamais autant de professeurs français ne franchirent l’océan Atlantique, ce qui ne veut pas dire qu’ils le franchirent encore en assez grand nombre. Mais souvenons-nous que, il n’y a guère plus de quinze ans, Brunetière, pour un pareil acte, parut quelque peu paradoxal. Depuis deux ans, MM. Le Braz, Basch, Le Breton, Hovelaque, Buisson, Foucher, Jouffre de la Pradelle, Lichtenberger, Caullery ont suivi le chemin qu’il avait tracé. Cette année l’Alliance française d’Amérique a manifesté le désir d’entendre des professeurs-soldats. On lui a envoyé le capitaine Merlant, relevant à peine d’une grave blessure, et le sergent Coville, auxquels était réservé un accueil enthousiaste. L’exposition de San Francisco, à laquelle la France eut le bon goût de participer, fut pour la France intellectuelle l’occasion d’un hommage presque continu. Des conférences furent données ; et, à côté de ces conférences de quelque apparat, deux leçons françaises eurent lieu chaque semaine, faites par M. Delamare, secrétaire général de la Fédération de l’Alliance française en Amérique, et M. Chinard, directeur du département français à l’Université de San Francisco. Cette régularité tranquille d’un enseignement français, à San Francisco, en 1915, ne manquait pas de noblesse. Un livre : « la Science française » fut publié pour cette même exposition, sous la direction et l’impulsion de M. Lucien Poincaré, où les maitres de chaque discipline déterminent la large part de la France dans l’histoire de chacune d’elles. Ce livre fut répandu à des milliers d’exemplaires. Des éditions successives le tiendront au courant ; -des traductions en seront faites. Enfin, par les soins de notre office des universités, une bibliothèque a été constituée des œuvres les plus représentatives de la science et de la littérature de notre pays. Trois mille volumes la composaient ; et elle garnissait les murs de la salle où étaient données nos conférences, et qui fut appelée le salon de la Pensée française. Les Américains, qui gardent volontiers leur chapeau sur la tête, n’entraient dans le salon de la Pensée française qu’en se découvrant. Cette bibliothèque a été donnée, sur la demande qui nous en a été faite, à l’université de San Francisco. Et une société a été constituée, sous le nom de société des « Amis de la France », pour en assurer l’entretien et le développement. Cette bibliothèque a eu un autre succès : la ville de Barcelone a demandé qu’une toute pareille lui fût concédée ; et M. Lucien Poincaré vient d’aller brillamment l’inaugurer, en même temps qu’une statue de François Arago, que la même ville de Barcelone a voulu élever justement cette année. Modestes victoires, mais qui ne coulent pas de sang, et qui permettront à l’autre victoire de produire tous ses fruits.

Nous entrevoyons quelques-uns de ces fruits. Jamais le prestige de notre pays n’a été plus grand a l’étranger, prestige dû à nos soldats plus qu’à nos conférenciers sans doute. Mais la France héroïque et la France intellectuelle ne sont qu’une seule France ; et c’est bien ainsi qu’elle apparaît à qui la regarde de loin. Ceux qui l’avaient aimée pour le seul charme qui émanait d’elle éprouvent comme un remords de ne l’avoir pas aimée comme elle méritait de l’être ; mais à personne elle n’inspire ce sentiment, où il entre autant de défiance que de respect, voué à la force qui n’est que force. Tout ce qui pense dans le monde, et en particulier en Amérique, « croit » en la France, avec la nuance de mysticisme que ce mot comporte. Quel est donc le secret de la France ? demandait à M. Hovelaque un Américain étonné, comme tous ses compatriotes, des forces improvisées qui ont jailli de notre sol et de nos âmes. Ce secret, on s’apprête à venir le lui demander, on s’apprête à venir se mettre à son école. On le dit tout haut. Un illustre professeur de là-bas explique comment le sentiment de répugnance éprouvé pour une nation « à ce point dominée par une philosophie nationale aussi dépravée » a ruiné une autorité intellectuelle établie avec quelle habileté cependant ; comment, au contraire, la noble attitude de la nation française se dressant devant l’épreuve « lui a valu un respect profond pour sa vie littéraire ou savante, pour sa culture nationale. » Et il conclut que ces faits ont inspiré aux Américains le désir de s’instruire plus que jamais à l’école et à l’exemple de la France. On ne s’en tient pas aux paroles. Des actes se préparent, nous pouvons l’affirmer. En même temps, la politique prévoyante de nos universités a abaissé la barrière de formalités coûteuses qui, jusqu’ici, faisait souvent reculer les étrangers. Les universités allemandes ont choisi le même moment pour se fortifier par des mesures vexatoires contre l’invasion de la clientèle étrangère, afin de pouvoir dire sans doute qu’elles écartent ceux qui ne viennent plus à elles. Nous osons donc concevoir les plus hautes espérances.

Ces espérances nous créent des devoirs. Nos universités, dont la caisse propre est alimentée par les droits d’inscription, vivent de rien ou de peu, depuis que les étudians les ont quittées. Elles n’ont rien demandé à l’Etat. On se défend contre la faillite à une heure où il faudrait fourbir son outillage et améliorer son installation, pour recevoir des hôtes attendus. La France a de si lourdes charges, elle aura tant de plaies à panser que des cliniques et des laboratoires risquent d’intéresser médiocrement l’opinion, et d’attendre longtemps le bon vouloir des pouvoirs publics. Il peut même paraître impertinent et impie d’avoir en ce moment de pareils soucis. Il y va cependant d’une chance presque inespérée à saisir, et de l’avenir de notre influence dans le monde. La clientèle scientifique vaut, elle aussi, que l’on fasse quelques frais pour elle. Il faudra donc que les universitaires, qui ont eu toutes les formes de courage, aient le courage d’une apparente inopportunité et de l’indiscrétion.

L’Université a rendu au pays un dernier service. Elle a parlé pour lui pendant qu’il se battait, et ces combats de l’arrière furent aussi des combats, L’Allemagne intellectuelle avait attaqué, on se souvient comment. Quatre-vingt-treize savans, c’est-à-dire quatre-vingt-treize témoins de la vérité avaient accepté de mentir pour leur patrie. Les universités françaises et les différentes Académies répondirent. Du manifeste des universités françaises, dont les phrases martelées et pressantes semblent avoir été écrites pour le bronze, il n’est que juste de rapprocher la réponse faite par les instituteurs français à leurs collègues allemands. Ceux-ci avaient tenu ce raisonnement : on sait ce que nous valons comme instituteurs ; il n’est pas vraisemblable qu’une armée sortie de nos écoles ait commis des atrocités. Les instituteurs français répondirent : cela n’est pas vraisemblable, en effet ; mais cela est, et vous discutez sur ce qui est vraisemblable, parce que vous n’osez discuter sur ce qui est. Il faut dire, malgré ces joutes brillantes et quelques articles retentissans, que la propagande française fut pendant longtemps d’une extrême discrétion. N’avions-nous pas notre bon droit qui parlait pour nous ? Et les esprits les plus nobles parmi les neutres ne furent pas insensibles à la dignité de notre silence. Mais, quand il apparut que la guerre devait durer, quand on comprit que la séduction exercée sur les neutres faisait partie du plan de campagne de l’ennemi, il y eût eu quelque naïveté à prolonger ce silence.

Dès septembre 1914, deux professeurs impatiens d’être utiles à leur pays, MM. Rébelliau et Lévy-Brühl, conçurent le projet d’un journal en plusieurs langues. L’Alliance française facilita la réalisation de ce projet, en mettant à leur disposition ses moyens d’action, ses locaux, ses correspondans, son Bulletin même qui devint le Bulletin de guerre de l’Alliance française. Le premier numéro paraissait le 1er novembre 1914, en français et en espagnol. Cinq mois après sa fondation, le Bulletin paraissait en neuf langues et atteignait 70 000 lecteurs. Il parait aujourd’hui en dix langues : français, allemand, anglais, danois, espagnol, grec, hollandais, italien, portugais, suédois, et touche 200 000 lecteurs. D’autres universitaires, sous le nom d’Études et documens sur la guerre, publièrent des brochures dont nous ne citerons pas les litres, parce qu’ils sont connus de tous, et dont quelques-unes eurent le don d’exaspérer l’ennemi. D’autres séries de brochures suivirent, celles de la Bibliothèque d’histoire contemporaine, celles de la Revue hebdomadaire, etc. Mgr Baudrillart, à la Société" des conférences, a fait l’historique de cette propagande française, et a noblement rendu hommage à l’effort des professeurs de l’Université. Qu’il soit permis en retour de se souvenir que la jeunesse de l’éminent prélat appartint à cette Université et lui fit honneur, et de tirer pour elle quelque orgueil de l’admirable propagande à laquelle son nom est attaché. En visant l’étranger, beaucoup de brochures ont d’abord atteint les Français et, les confirmant dans l’instinctif sentiment de leur bon droit, leur ont apporté du réconfort. Cependant il vint à des universitaires encore, sous l’infatigable inspiration de M. Lavisse, l’idée d’une autre tâche : elle consistait à n’avoir en vue que les Français et à ne s’adresser qu’à eux seuls, mais à eux tous. De là les Lettres à tous les Français, leçons d’optimisme raisonné, qui furent répandues par dizaines de mille, et que nos instituteurs tirent pénétrer dans les plus humbles hameaux. Ainsi tous ont combattu dans l’Université. à l’arrière comme au front. Il n’y a pas de non-combattans, en effet, dans cette guerre. Celui qui se sent quelque forme d’énergie que ce soit, se demande : Que puis-je faire pour mon pays ? et le fait. Les professeurs dont nous avons parlé, ne pouvant plus tenir l’épée, se sont mobilisés eux-mêmes pour d’autres batailles. La science, l’autorité, le talent, étaient des armes. Ils s’en sont servis.


L’EXAMEN DE CONSCIENCE DE L’UNIVERSITE

Engagée ainsi dans la lutte, l’Université fut amenée à faire un retour sur elle-même, à sonder ses responsabilités et à mesurer l’efficacité de son action. Toute grande épreuve invite à de semblables examens de conscience. Cet examen est plus nécessaire pour ceux qui enseignent, et qui sont comptables pour les autres en même temps que pour eux-mêmes. L’Université prête donc l’oreille, comme le pays entier, aux leçons de la guerre. Mais alors que, après 1870, tous les ordres d’enseignement furent ébranlés par le contre-coup des événemens et durent subir des remaniemens profonds, il semble que les responsabilités lui soient moins lourdes à porter aujourd’hui et qu’une crise pédagogique ne doive pas, cette fois, sortir de la crise politique que nous traversons. L’Université ne prétend pas avoir sciemment façonné cette âme que le pays s’est découverte et que des ressorts mystérieux ont fait jouer. Elle eut la collaboration heureuse de ce que les philosophes appellent l’inconscient, et où des forces venues du passé s’élaborent. Tout de même ses enseignemens n’ont pas trop mal tourné, et elle a sa part dans le rôle joué par la jeunesse sortie de ses mains. Le pays n’éprouve pas de colère à son sujet, et se tourne plutôt vers elle avec un sentiment de reconnaissance. On lui demandera donc d’abord de rester fidèle à elle-même. Il ne se peut pas cependant que d’aussi grands événemens ne ressortent d’utiles leçons. Elle aura appris d’eux le prix de l’union entre les Français ; et la neutralité, qui est sa loi, se teintera de plus de respect encore pour toutes les forces morales qui ont soutenu l’âme française pendant l’épreuve, et de plus d’amitié entre les hommes. Elle aura appris des mêmes événemens l’utilité de la règle, de la discipline, de la coordination des efforts, puisqu’on n’ose plus se servir du mot « organisation. » Il n’est pas douteux, non plus, et nous avons signalé déjà des symptômes de ce mouvement d’opinion chez les élèves eux-mêmes, qu’une prédominance jalouse sera réclamée dans les programmes pour tout ce qui est notre langue et notre tradition. La culture classique bénéficiera de la même faveur, comme une vieille nourrice qui fait partie de la famille. Les pédagogues allemands, dans un accès de nationalisme frénétique, se hérissent en ce même moment, et veulent secouer la superstition de l’antiquité. A quoi bon, écrit l’un d’eux, les discours de Cicéron quand on a ceux de Bismarck ? A leur aise ! les choses seront plus claires ainsi : d’un côté toute l’humanité du passé et du présent ; de l’autre, l’Allemagne. L’amour passionné que nous portons à notre littérature ne souffre pas, chez nous, de l’admiration que celle des autres pays nous inspire, ni de la reconnaissance que nous ressentons pour les lettres antiques. Et, à y regarder de près, cette sécurité de l’affection témoigne d’une foi plus grande dans la valeur de son objet.

On a pu craindre que, l’Allemagne se réclamant de la science et des méthodes scientifiques, elle n’eût réussi à les disqualifier à nos yeux, et que quelque réaction imprudente ne se produisît où elles seraient enveloppées. Ce serait tomber dans le piège, et nos ennemis se réjouiraient du bon tour qu’ils nous auraient joué, en nous faisant croire que la science est allemande. Il conviendra seulement de perdre l’habitude, à laquelle une pédagogie de défaite s’était peut-être trop facilement pliée, d’associer ces deux mots, et de ne plus parler aussi complaisamment de « science allemande. » La science est française, au moins autant. Il conviendra par suite, et cela est déjà commencé, de revendiquer ces titres de la France dans l’histoire des sciences. Nous avons cité un livre dont tel a été l’objet. D’autres ont paru qui ont pour auteurs les savans les plus qualifiés. Et cette revendication a servi, en même temps, à marquer le caractère de l’esprit français dans les découvertes françaises. Une conscience plus nette de notre génie nous a été donnée ; nos gloires sont sorties de l’anonymat où nous les laissions tomber. A tous égards, il était temps que fût faite cette révision et cette comparaison des titres. Malgré ses appétits d’annexion, l’Allemagne n’a pas pu s’annexer la science ; nous ne la lui livrerons pas, sous ce prétexte qu’elle l’a compromise par l’usage qu’elle a fait d’elle. Même dans l’ordre des sciences historiques et philologiques, nous continuerons à nous servir de méthodes que nous avions apprises aux Allemands, s’ils nous les ont rapprises. Mais nous nous attacherons en même temps à des qualités que nous n’avons jamais réussi à leur apprendre. Devant toutes les tentations de réaction, nous saurons garder ainsi une mesure française. Même la langue allemande, que boycottent nos enfans, survivra dans nos programmes, si elle y perd un rang auquel elle n’avait pas droit. Nous saurons aussi faire une place plus grande à l’enseignement professionnel, sans retomber dans le défaut d’une excessive imitation. Rien de tout cela ne comporte une révolution. L’édifice s’est montré solide sous l’ouragan, quoique les réparations à faire et les retouches à apporter nous apparaissent mieux. Il serait aussi imprudent, en ce qui le concerne, de vouloir tirer trop de leçons de la guerre, que de n’en pas tirer du tout.

Cet examen de conscience de l’Université a été poussé plus à fond. Et, pour cet approfondissement, l’analyse a été secondée par l’action, qui souvent nous révèle à nous-mêmes. Jamais l’Université n’avait aussi exactement défini pour elle-même les traditions et les principes qu’elle représente. Elle avait enseigné la philosophie, sans se douter qu’elle avait une philosophie à elle ; elle avait des aspirations et des tendances que l’aveuglante clarté de la lutte a précisées. Il a fallu que cette guerre extraordinaire mobilisât les idées après les hommes. Toutes les idées françaises se sont rangées en bataille. Alors le pays a reconnu ce qu’il croyait, l’Université ce qu’elle enseignait. Là est le secret de cette confiance réciproque renforcée ; là est un des secrets aussi d’une unanimité qui nous surprend nous-mêmes. Les plus incrédules se sont découvert une foi, les plus réalistes un idéal ; et cette foi, et cet idéal sont les mêmes pour tous. Ils sont au fond de l’âme de ceux même qui en reconnaissent d’autres. Et enfin ils ne font qu’un avec les enseignemens essentiels de l’Université. Tandis que, selon la profonde remarque de Renouvier, le culte de la force et du destin est le vice capital de la pensée et de la civilisation germaniques, le culte de la liberté est l’aboutissement de la pensée française de tous les temps, et le centre autour duquel gravitent toutes nos dévotions intellectuelles ; il donne chez nous au culte même de la patrie, qu’il complète, comme un horizon plus large et un prestige d’universalité.

L’école française se dresse, forte de ce dogme à elle, en face de l’école allemande. Celle-ci se prétend victorieuse, parce que, au dire de la Pädagogische Warte, nos classes auraient manqué de maîtres pendant la guerre. Cela est faux, nous l’avons vu ; et cette victoire ressemble à d’autres victoires allemandes. Mais le débat est plus haut. Il s’agit pour nous d’une croisade philosophique. Le mot a été imprimé pour la première fois, je crois, par M. Boutroux. Mais la pensée a été souvent exprimée. Plus consciente pour l’élite intellectuelle, elle a pénétré les âmes de tous les combattans, et devient pour eux un principe supplémentaire de courage. Tous ont entendu les mêmes voix. Et, l’un d’eux nous l’a dit plus haut, tous ont senti plus ou moins descendre sur eux comme le secours surnaturel de l’idée pour laquelle ils luttent. Ils savent qu’elle peut ne pas empêcher de mourir, mais qu’elle-même ne meurt pas et que les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle.

On a parlé justement de la responsabilité de l’école allemande. Personne, parmi nous, ne s’aviserait de lui reprocher l’ardeur de son patriotisme, car nous avons à un haut degré le sentiment de la réciprocité ; mais elle a sciemment et méthodiquement intoxiqué le peuple qui lui était confié, faisant servir l’éducation à des fins politiques aujourd’hui avouées. En face de cette formidable responsabilité, l’école française n’a rien à se reprocher. Quiconque a franchi son seuil, pour y recevoir le plus haut enseignement ou le plus humble, sait qu’il n’a jamais été trompé. Or, par cette seule horreur du mensonge officiel, nos maîtres ont, sans même l’avoir cherché, mieux servi leur pays. Ils n’ont pas commis ce péché contre l’esprit qui est de subordonner la vérité. Ils n’ont pas trahi l’enfant qui se livre à eux sans défense. Ils n’ont pas, comme eût dit « leur » Kant, abaissé des fins au rang de moyens. Il en résulte qu’ils n’ont point de part dans le crime présent, s’ils en ont dans la résistance qu’il a rencontrée. L’Université de France a la conscience pure. De nobles combattans se mettent en paix avec Dieu avant d’aller courir le risque de mort. Une des forces de l’Université, à cette heure redoutable qui met à l’épreuve toutes les puissances morales au service de la France, est de se sentir en communion avec le pays, en paix avec la conscience humaine.

Il faut ajouter un dernier mot : Université n’a jamais aussi fortement signifié union, union de tous ceux qui la composent à quelque titre, soldats et civils, hommes et femmes, maîtres et élèves, depuis les grands semeurs d’idées-forces jusqu’à la fillette de l’école de hameau qui a fait, en tricotant, sa campagne d’hiver. Grâce à cette union, les grands exemples ont été répandus, les courages sans cesse exaltés, les leçons ont mieux porté, il y a eu une contagion des bonnes volontés et un courant continu d’énergie. Union sacrée dans l’Union sacrée, qui lui survivra, comme elle l’a précédée, qui fait de l’Université une des institutions les plus robustes et les plus harmonieuses du pays, une force non seulement pour la paix, mais pour la guerre, qui lui a donné de se mesurer avec les devoirs les plus divers et d’apparaître, en face d’eux, comme une grande personne morale.


RAYMOND THAMIN.

  1. Voyez la Revue du 15 juillet.