Lélia (1833)/Première Partie/VI

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H. Dupuy et L. Tenré (1p. 31-33).
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VI



Voilà comme vous répondez toujours ! Eh bien ! votre silence me fait pressentir de telles douleurs, que je suis réduit à vous remercier de votre silence. Pourtant cet état d’ignorance que vous croyez si doux, il est affreux, Lélia ; vous le traitez avec une dédaigneuse légèreté, c’est que vous ne le connaissez pas. Votre enfance a pu s’écouler comme la mienne, mais la première passion qui s’alluma dans votre sein n’y fut pas en lutte, j’imagine, avec les angoisses qui sont en moi. Sans doute vous fûtes aimée avant d’aimer vous-même. Votre cœur, ce trésor que j’implorerais encore à genoux, si j’étais roi de la terre, votre cœur fut ardemment appelé par un autre cœur ; vous ne connûtes pas les tourmens de la jalousie et de la crainte ; l’amour vous attendait, le bonheur s’élançait vers vous, et il vous a suffi de consentir à être heureuse, à être aimée. Non, vous ne savez pas ce que je souffre ; sans cela vous en auriez pitié, car enfin vous êtes bonne, vos actions le prouvent en dépit de vos paroles qui le nient. Je vous ai vue adoucir de vulgaires souffrances, je vous ai vue pratiquer la charité de l’Évangile avec votre méchant sourire sur les lèvres, nourrir et vêtir celui qui était nu et affamé, tout en affichant un odieux scepticisme. Vous êtes bonne, d’une bonté native, involontaire, et que la froide réflexion ne peut pas vous ôter.

Si vous saviez comme vous me rendez malheureux, vous auriez compassion de moi ; vous me diriez s’il faut vivre ou mourir ; vous me donneriez tout de suite le bonheur qui enivre ou la raison qui console.