Léonie de Montbreuse/17

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Michel Lévy frères, éditeurs (p. 89-94).


XVII


Je revins de la promenade pour faire ma toilette et me rendre dans le salon où déjà ma tante et Alfred m’attendaient. Nous lui reprochâmes la manière dont il avait parlé à mon père à propos de son pupille. Il nous répondit, comme à son ordinaire, en enfant gâté, et nous dit que pour peu qu’on l’étourdît encore de ce chef-d’œuvre de perfection, il le prendrait dans une si parfaite antipathie, qu’il lui deviendrait impossible de la cacher.

Ma tante, qui connaissait mieux que moi l’obstination de son fils et sa mauvaise tête, me fit signe de ne pas l’animer par de nouveaux reproches, et je me tus en faisant d’assez tristes réflexions sur les inconvénients d’un caractère aussi emporté et si déraisonnable.

Dans ce moment, mon père entra en conduisant M. de Clarencey qu’il nous présenta comme une ancienne connaissance. En effet, ma tante se rappela bien l’avoir vu l’hiver précédent au bal de l’ambassadeur d’Espagne, et, comme elle avait autrefois beaucoup connu son père, elle lui parla d’une manière si affectueuse du plaisir qu’elle avait à retrouver le fils d’un ancien ami, qu’il ne s’aperçut point de l’air maussade dont Alfred lui rendit son salut, et s’informa avec intérêt des suites de sa blessure.

Alfred, qu’un mot obligeant flattait toujours, se dérida pour lui répondre, et finit par causer avec lui en toute confiance.

Lorsque l’on sortit du salon pour se mettre à table, Alfred me dit à voix basse :

— Au fait, je crois que c’est un bon enfant.

Ce qui, dans sa bouche, voulait dire un homme aimable, sans prétentions, et surtout fort indulgent sur les défauts à la mode.

Je ne me trouvai pas, à beaucoup près, si bien disposée qu’Alfred en faveur de M. de Clarencey. Il m’avait saluée très-froidement, ne s’était pas le moins du monde occupé de moi, et j’étais très-décidée à ne faire aucun frais d’esprit pour lui. Après dîner, on proposa de faire de la musique ; je refusai en prétextant un violent mal de tête. Alfred vint aussitôt me demander s’il était vrai que je fusse souffrante. Je lui répondis que non ; mais que ce Monsieur ne me paraissait pas tellement amusant que l’on fût tenu de l’amuser par réciprocité.

Alfred fut charmé de cette maussaderie ; il aimait à retrouver ses défauts chez les autres, et se gardait bien de les blâmer, justice assez rare dans le monde.

La soirée se passa tristement. Mon père paraissait moins mécontent de son neveu ; il lui savait gré de ses politesses pour M. de Clarencey ; mais il était blessé de mon silence et de l’air ennuyé que j’affectais.

M. de Clarencey se retira de bonne heure. Mon père voulut le reconduire une partie du chemin ; Alfred se proposa pour les accompagner. On le refusa parce que le temps était humide et qu’il devait éviter tout ce qui pouvait lui rendre la fièvre jusqu’à son parfait rétablissement.

Après leur départ, chacun donna son avis sur le protégé de M. de Montbreuse. Ma tante lui trouvait une belle figure, un regard charmant et la tournure la plus distinguée ; Alfred s’en tenait à son premier éloge, et moi, tout en convenant de la noblesse de ses traits et des avantages qu’il était difficile de lui contester, j’appelais son air calme un air insignifiant, et j’affectais de n’avoir aucune opinion sur lui, pour mieux cacher celle que j’en conservais.

À travers l’impartialité que je voulais montrer, on voyait clairement que j’étais plus sévère que bienveillante pour M. de Clarencey.

Je m’attendais à recevoir quelques reproches de M. de Montbreuse sur l’humeur que j’avais montrée dans la soirée ; il ne m’en dit pas un mot, et se contenta de plaisanter ma tante sur la conquête qu’elle venait de faire :

— Vous avez renvoyé Edmond enchanté de vous, ma sœur, lui disait-il ; votre conversation est pleine de charmes, sensible, gaie, spirituelle ; elle réunit tout ce que l’on recherche dans le monde, et vous possédez au plus haut degré cette politesse affectueuse qui encourage l’esprit des gens timides et les prévient toujours si favorablement ; enfin, on ne saurait mieux faire les honneurs de chez soi, et mille choses de ce genre qu’il m’a fallu écouter tout le temps de notre promenade.

— Madame, interrompit Alfred en baisant la main de sa mère, je vous fais mon compliment de ce nouveau succès, il est digne de vous, et, s’il vous plaît de me donner un aussi joli beau-père, j’en serai ravi ; car je me sens très-disposé à aimer M. de Clarencey.

— Mauvais plaisant, lui répondit en riant madame de Nelfort, vous mériteriez bien qu’il fût assez fou, et moi assez sotte pour vous jouer ce tour ; mais, soyez tranquille, je saurai résister aux séductions d’une passion si dangereuse ; permettez-moi seulement un peu de coquetterie ; je m’en suis tant refusé dans ma jeunesse que j’ai bien le droit d’en faire quelques-unes à présent.

Je ne pris pas la moindre part à cette plaisanterie qui soutint la conversation jusqu’au moment où chacun se retira.

J’avais bien remarqué l’intention de blâmer ma conduite dans le récit que mon père avait fait des éloges qu’Edmond prodiguait à ma tante, et j’en étais un peu piquée ; ce qui mécontentait davantage mon amour-propre, c’était l’idée d’avoir tout simplement paru à M. de Clarencey une personne disgracieuse.

J’aurais voulu qu’il eût témoigné quelque étonnement de trouver si peu de bonne grâce dans cette Léonie qu’on devait lui avoir citée comme n’étant pas aussi désagréable ; j’aurais voulu qu’il se fût plaint de mon air dédaigneux, mais je ne lui pardonnais pas de s’en être point aperçu.