Lêda ou la louange des bienheureuses ténèbres

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Lêda

ou

La louange des bienheureuses ténèbres
1894


A mon ami André Gide


Et les noires forests espaisses de ramées.
Et du bec des oiseaux les roches entamées.
Pierre de Ronsard









On n’y voyait presque plus. Une invisible Artémis chassait sous le croissant penché, derrière les branches noires qui pullulaient d’étoiles. Les quatre Corinthiennes restaient couchées dans l’herbe près des trois jeunes hommes ; et l’on ne savait plus très bien si la dernière oserait parler après les autres tant l’heure était au silence.

Les contes ne doivent être dits qu’en plein jour. Dès que l’ombre est entrée quelque part, on n’écoute plus les voix fabuleuses parce que l’esprit fugitif se fixe et se parle à lui-même avec ravissement.

Chacune des femmes étendues avait déjà un compagnon secret dont elle créait le charme à l’image réelle de son désir enfantin. Pourtant, elles ouvrirent toutes les yeux dans l’obscurité quand le grave Mélandryon dit ces premières paroles :

« Je vous conterai l’histoire du Cygne et de la petite nymphe qui vivait sur les bords du fleuve Eurotas. C’est à la louange des bienheureuses ténèbres ».

Il se releva, mais à demi, et s’appuya d’une main dans l’herbe, et voici comment il parla :