Les Gaietés/L’Écuelle d’argent

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Les GaietésAux dépens de la Compagnie (p. 126-128).


L’ÉCUELLE D’ARGENT[1].

Air : Rendez-moi mon écuelle de bois.


As-tu vu mon écuelle d’argent,
As-tu vu mon écuelle ?
Dit Buteux, en se rengorgeant,
Ah ! qu’elle est large ! ah ! qu’elle est belle !
As-tu vu mon écuelle d’argent,
As-tu vu mon écuelle ?


D’où te vient cette écuelle d’argent,
D’où te vient cette écuelle ?
Chez le Czar ou chez le Régent
As-tu fait le polichinelle ?
D’où te vient, etc.

D’où te vient cette écuelle d’argent,
D’où te vient cette écuelle ?
De Paris Regnaud délogeant[2]
A-t-il oublié sa vaisselle ?
D’où te vient, etc.

D’où te vient cette écuelle d’argent,
D’où te vient cette écuelle ?
Bonaparte, esclave indigent[3],
N’a plus de quoi payer ton zèle…
D’où te vient, etc.

D’où te vient cette écuelle d’argent,
D’où te vient cette écuelle ?
À ses amis Arnault songeant[4],

Te l’envoya-t-il de Bruxelles ?
D’où te vient, etc.

Je la tiens, cette écuelle d’argent,
Je la tiens, cette écuelle,
D’un roi trop bon, trop indulgent,
Qui prend des chansons pour du zèle…
Je la tiens, etc.

« Qu’on lui donne une écuelle d’argent,
Qu’on lui donne une écuelle, »
Dit le prince, « puisqu’en mangeant
Pour chacun sa verve étincelle ; »
Qu’on lui donne, etc.

Il aurait cent écuelles d’argent,
Il aurait cent écuelles,
Si l’on en gagnait en changeant
De héros, d’amis et de belles.
Il aurait cent écuelles d’argent,
Il aurait cent écuelles !



  1. Cette chanson épigrammatique s’adresse à Désaugiers, à qui Louis XVIII venait de faire don d’une soupière d’argent, pour récompenser son zèle monarchique. Le poëte faisait montre à tout propos de cette soupière.

    Béranger dit dans sa Biographie qu’il n’est pas l’auteur des couplets « amers et très-spirituellement tournés » de l’Écuelle d’argent. On doit l’en croire, tout en faisant remarquer que les Baudouin, dans l’édition des Chansons inédites de 1828, insistent sur l’attribution qu’ils lui en font par ce sous-titre : Chanson adressée à M. Désaugiers par M. de Béranger.

  2. Regnaud de Saint-Jean d’Angely.
  3. Pendant la première invasion on engagea tous les membres du Caveau à faire des chansons pour ranimer l’esprit public. Désaugiers en fit une qui commençait ainsi :
    Il reviendra, le fils de la Victoire…
  4. L’auteur de Marins à Minturnes et de Germanicus. Une chanson faite par Désaugiers au sujet de cette dernière tragédie, décida Béranger à rompre avec Cadet Buteux. Leur liaison avait commencé sous les auspices d’Arnault et de Regnaud de Saint-Jean d’Angely.