L’Église et l’État (Tolstoï, trad. WS)

La bibliothèque libre.
L’Église et l’État
Traduction par Nathan Haskell Dole.
Crowell (p. 168).

L’Église et l’État[1]


« Quelle chose extraordinaire ! Il y a des gens qui semblent prêt à grimper dans les rideaux afin que les autres acceptent cette forme-ci de révélation, mais pas celle-là. Ils ne peuvent pas se reposer jusqu’à ce que les autres aient accepté leur forme de révélation, et aucune autre. Ils prononcent des anathèmes, persécutent et tuent ceux qu’ils peuvent des dissidents. D’autres groupes de gens font la même chose — prononcent des anathèmes, persécutent et tuent ceux qu’ils peuvent des dissidents. Et d’autres encore font la même chose. Ainsi, ils prononcent tous des anathèmes, se persécutent et se tuent – demandant que chacun croît comme eux. Et le résultat en est qu’il y a des milliers de sectes s’excommuniant, se persécutant et se tuant les unes les autres.

Au début, j’étais étonné qu’une telle absurdité évidente – une telle grossière contradiction – ne détruise pas la religion elle-même. Comment les gens pieux peuvent-ils rester si abusés ? Et vraiment, considéré d’un point de vue extérieur, général, c’est incompréhensible, et prouve de façon irréfutable que chaque religion est une fraude, et que toute l’affaire est pure superstition, comme le déclare aujourd’hui la philosophie dominante. Et regardant les choses de ce point de vue général, j’en suis venu inévitablement à reconnaître que toute la religion est une fraude. Mais je ne pouvais pas m’empêcher de penser que toute l’absurdité et l’évidence de la fraude, et le fait que néanmoins toute l’humanité y cède, indique que cette fraude doit être basée sur quelque chose qui n’est pas frauduleux. Autrement, nous ne pourrions pas la laisser nous décevoir –ce serait trop stupide. Le simple fait que toute l’humanité qui vit vraiment une vie humaine cède à cette fraude m’oblige à reconnaître l’importance du phénomène sur lequel la fraude est basée. Et, en conséquence de cette réflexion, j’ai commencé à analyser l’enseignement chrétien, lequel, pour toute la chrétienté, fournit la base de cette fraude.

C’était ce qui est apparent du point de vue général. Mais, du point de vue individuel –lequel nous montre que chaque homme (et moi-même) doit, pour vivre, toujours avoir une religion pour lui montrer le sens de la vie – le fait que la violence est employée dans les questions de religion est encore plus étonnant dans son absurdité.

En effet, comment pourrais-ce, et pourquoi devrais-ce concerner qui que ce soit de faire que quelqu’un d’autre, non seulement ait la même religion que lui-même, mais la professe aussi de la même manière qu’il le fait ? Un homme vit, et il doit donc savoir pourquoi il vit. Il a établi sa relation à Dieu, il connaît la vérité des vérités, et je connais la vérité des vérités. Notre expression peut différer ; l’essence doit être la même [ « Par la nature, les hommes se ressemblent ; c’est à la pratique qu’ils diffèrent. », dit Confucius, Ndt 1928] – Nous sommes tous les deux des hommes.

Alors pourquoi devrais-je – qu’est ce qui me pousse à – obliger qui que ce soit ou demander à qui que ce soit d’exprimer absolument sa vérité comme je l’exprime ?

Je ne peux pas contraindre un homme à altérer sa religion, soit par la violence, par la ruse ou par la fraude – les faux miracles.

Sa religion est sa vie. Comment pourrais-je lui prendre sa religion et lui en donner une autre ? C’est comme enlever son cœur et en mettre un autre à sa place. Je ne peux faire cela que si sa religion et la mienne sont des mots, et ne sont pas ce qui lui donne la vie ; si c’est une verrue et pas un cœur. Une telle chose est également impossible, parce qu’aucun homme ne peut tromper ou forcer un autre à croire ce qu’il ne croit pas lui-même ; parce que si un homme à ajusté sa relation à Dieu et sait que cette religion est la relation dans laquelle l’homme se tient envers Dieu, il ne peut pas désirer définir la relation d’un autre homme à Dieu en utilisant la force ou la fraude. C’est impossible, et néanmoins c’est fait et a été fait partout et toujours. C’est-à-dire que ce ne peut pas réellement être fait, parce que c’est en soi impossible ; mais quelque chose a été fait, et est fait qui ressemble à cela. Ce qui a été et est fait, c’est que certaines gens imposent aux autres une religion contrefaite et les autres acceptent cette contrefaçon – cette pseudo-religion.

La religion ne peut pas être forcée et ne peut pas être acceptée dans le but de quoi que ce soit, force, fraude, ou profit. Et cette fraude religieuse est une condition de l’homme qui dure depuis longtemps.

Quelle est cette fraude et sur quoi se base-t-elle ? Qu’est-ce qui induit les trompeurs à la produire ? Et qu’est-ce qui la rend plausible au trompeur ? Je ne vais pas discuter le même phénomène dans le Brahmanisme, le Bouddhisme, le Confucianisme, et le Mahométisme, même si n’importe qui ayant lu à propos de ces religions peut voir que la situation a été comparable à celle dans la chrétienté ; mais je parlerai seulement de cette dernière –étant le religion connue, nécessaire et chère pour nous. Dans la chrétienté, toute la fraude est construite sur la conception fantastique d’une Église ; une conception qui n’est basée sur rien, et qui, aussitôt que nous commençons à étudier la chrétienté nous étonne par son absurdité inattendue et inutile.

De toute les idées et les mots païens il n’y en a pas de plus païen que celui d’une Église. Il n’y a pas d’idée qui ait produit plus de mal, pas de plus opposée à l’enseignement du Christ, que celle d’une Église.

En réalité, le mot ekklesia signifie une assemblée et rien de plus, et c’est ainsi qu’il est utilisé dans les Évangiles. Dans le langage de toutes les nations modernes, le mot ekklesia (ou le mot équivalent « église » ) signifie une maison de prière. Au-delà de cela le mot n’a progressé dans aucun langage – malgré les quinze cents d’existence de la fraude-Église. Selon la définition du mot énoncé par les prêtres (pour qui la fraude-Église est nécessaire), ce n’est rien d’autre qu’une préface disant : « Tout ce que je vais dire est vrai, et si tu ne crois pas je te brûlerais, ou dénoncerais, ou te ferais toute sorte de tort. » Cette conception est un sophisme, nécessaire pour certains objectifs dialectiques, et elle est restée la possession de ceux pour qui elle est nécessaire. Parmi les gens, et pas seulement les gens ordinaires, mais aussi dans la société, parmi les gens instruits, il n’y a aucune conception telle qui est tenue, même si elle est enseignée dans les catéchismes. Aussi étrange que ce puisse sembler d’examiner cette définition, il faut le faire parce que tant de gens le proclament comme quelque chose d’important, alors qu’elle est absolument fausse. (Sans parler de l’inclusion fantastique des morts) ; si j’affirme que le chœur est une assemblée de vrais musiciens, je n’ai rien élucider à moins que je dise ce que j’entend par vrais musiciens. En théologie, nous apprenons que les vrais croyants sont ceux qui suivent l’enseignement de l’Église, c’est-à-dire qui font partie de l’Église.

Sans s’étendre sur le fait qu’il y ait des centaines de telles vraies Églises, cette définition ne nous dit rien, et semble au premier abord tout aussi inutile que la définition de « chœur » comme assemblée de vrais musiciens. Mais nous saisissons ici une vue de la queue du renard. L’Église est vraie, et elle est une, et en elle il y a des pasteurs et des troupeaux, et les pasteurs, ordonnés par Dieu, enseignent cette seule vraie religion. Ainsi, ça revient à dire : « Par Dieu, tout ce que nous allons dire est réellement toute vérité. » C’est tout. Toute la fraude tient là-dedans – dans le mot et l’idée d’une Église. Et la signification de la fraude est simplement qu’il y a des gens qui sont à coté d’eux-mêmes avec le désir d’enseigner leur religion aux autres.

Et pourquoi sont-ils si anxieux d’enseigner leur religion aux autres ? S’ils avaient une définition réelle ils sauraient que la religion est la compréhension de la vie, la relation que chacun et chacune établit à Dieu, et qu’en conséquence, vous ne pouvez pas enseigner une religion, mais seulement une contrefaçon de religion. Mais ils veulent enseigner. Dans quel but ? La réponse la plus simple serait que le prêtre veut des petits pains et des œufs, et l’archevêque un palais, des pâtés au poisson, et une soutane de soie. Mais cette réponse est insuffisante. Il n’y a pas de doute que c’est là le motif intérieur, psychologique de la déception – celui qui maintient la fraude. Mais, comme il serait insuffisant, quand on demande pourquoi un homme (un exécuteur) consent à en tuer un autre contre lequel il ne ressent aucune colère, —dire que l’exécuteur tue parce qu’il obtient ainsi du pain, du brandy et un gilet rouge est aussi insuffisant que de dire que le métropolitain de Kiev avec ses moines bourrent des sacs de pailles [Les célèbres catacombes du monastère de Kiev attirent des foules de pèlerins pour adorer les reliques des saints. On raconte qu’un feu s’est un jour déclaré dans une des chapelles, et que ceux qui se sont hâtés de sauver le « corps incorruptible » d’un des saints a découvert que la précieuse relique n’était qu’un sac bourré de pailles. Ceci n’est qu’un exemple parmi plusieurs faits similaires, certains étant vrais et d’autres inventés. —TR], et les appelle les reliques des saints, simplement pour obtenir un revenu annuel de trente milles roubles. L’un et l’autre de ces actes sont trop terribles et trop révoltants à la nature humaine pour qu’une explication si simple et si grossière soit suffisante. L’exécuteur et le métropolitains expliquant leurs actions auraient toute une série d’arguments basés principalement sur la tradition historique. Des hommes doivent être exécutés ; des exécutions ont eues lieu depuis que le monde a commencé. Si je ne le fais pas, un autre le fera. J’espère, par la grâce de Dieu, le faire mieux qu’un autre le ferait. De même, le métropolitain dirait : le Culte extérieur est nécessaire ; les reliques des saints ont été adorés depuis le commencement du monde. Les gens respectent les reliques des catacombes de Kiev et les pèlerins viennent ici ; moi, avec la grâce de Dieu, j’espère faire l’usage le plus pieux de l’argent obtenu de façon ainsi blasphématoire.

Pour comprendre la fraude religieuse, il est nécessaire d’aller à sa source et son origine.

Nous parlons de ce que nous connaissons de la chrétienté. Considérons le commencement de la doctrine chrétienne dans les Évangiles, et nous trouvons un enseignement qui exclu clairement le culte extérieur de Dieu, le condamnant : et qui, avec une clarté particulière, désavoue positivement le statut de maître. Mais depuis le temps du Christ, nous trouvons une déviation de ces principes établis par le Christ. Cette déviation commence à partir du temps des apôtres, et particulièrement avec ce grand envieux du statut de maître —Paul. Et plus la chrétienté avance dans l’histoire, plus elle dévie, et plus elle adopte les méthodes du culte externe et la fonction de maître que le Christ avait si catégoriquement condamnés. Mais dans les premiers temps de la chrétienté, la conception d’une église était employée pour référer à tous ceux qui partageaient les croyances que je considère vraies. La conception d’une église est tout à fait correcte si elle n’incluse pas ceux qui font une expression verbale de la religion plutôt que son expression dans la vie entière – parce que la religion ne peut pas être exprimée en mots.

L’idée d’une vraie Église a aussi été utilisée comme argument contre les dissidents. Mais jusqu’à l’époque de l’empereur Constantin et du concile de Nicée, l’Église était seulement une idée.

Depuis l’empereur Constantin et le concile de Nicée, l’Église devient une réalité et une réalité frauduleuse. La fraude des métropolitains avec les reliques, et des prêtres avec l’eucharistie, la Mère Ibérienne de Dieu [La Mère Ibérienne de Dieu est la plus célèbre des icônes de Moscou.— TR], les synodes, etc. qui nous étonnent et nous horrifient, et qui sont si odieux qu’ils ne peuvent pas être expliqués simplement par l’avarice de ceux qui les perpétuent. La fraude est ancienne et n’avait pas simplement commencée pour le profit d’individus privés. Personne ne serait un tel monstre d’iniquité au point d’être le premier à la perpétrer, si c’était la seule raison. Les raisons qui ont amené la chose à être faite sont le mal : « Par leurs fruits vous les connaîtrez. » La racine était le mal.— haine, orgueil, inimitié contre Arius et les autres ; et un autre mal encore plus grand, l’alliance de la chrétienté avec le pouvoir. Le pouvoir personnifié dans l’empereur Constantin qui, dans sa conception païenne des choses, se tenait au sommet de la grandeur humaine (il a été inscrit parmi les dieux), accepte la chrétienté, donne un exemple à tous les gens, convertis les gens, prête une main secoureuse contre les hérétiques, et au moyen du concile œcuménique établit la seule vraie religion chrétienne.

La religion chrétienne Catholique était établit pour tout le temps. Il était si naturel de se rendre à ses déceptions que, jusqu’à aujourd’hui, il y a des gens qui croient à l’efficacité du salut de cette assemblée. Cependant, ce fut le moment où la majorité des gens ont abandonné leur religion. À ce point tournant, la grande majorité des gens sont entré dans le chemin païen, qu’ils ont suivi depuis. Charlemagne et Vladimir ont continué dans la même direction [Vladimir adopta le christianisme en 988 après J.-C. Plusieurs habitants de la capitale, Kiev, n’étaient pas enclin à suivre son exemple, alors, il « agit vigoureusement » (comme le note un historien russe), c’est-à-dire que les gens furent conduits au fleuve Dniepr pour être baptisés. En d’autres parties du dominion, le christianisme fut répandu parmi la population païenne qui ne le voulait pas « par le feu et l’épée » —TR ]

Et l’Église fraude continue jusqu’à maintenant. La fraude consiste en ceci : que la conversion des autorités constituées au christianisme est nécessaire, pour ceux qui comprennent la lettre mais pas l’esprit du christianisme ; mais l’acceptation du christianisme sans l’abandon du pouvoir politique est une perversion et une satire contre le christianisme.

La sanctification du pouvoir politique par le christianisme est blasphématoire ; c’est la négation du christianisme.

Après quinze cents ans de cette alliance blasphématoire du pseudo-christianisme avec l’État, il faut un effort ferme pour se libérer de toutes les sophismes complexes par lesquels toujours et partout (pour plaire aux autorités), la sainteté et la droiture du pouvoir d’État, et la possibilité qu’il soit chrétien, ont été plaidées.

En vérité, les mots un « État chrétien » ressemblent aux mots « glace chaude ». Soit la chose n’est pas un état utilisant la violence, ou ce n’est pas chrétien.

Afin de comprendre ceci clairement, nous devons oublier toutes ces notions aberrantes dans lesquelles nous avons été si soigneusement élevés, et se demander franchement quel est le but d’une telle science historique et juridique comme il nous a été enseignée ? De telles sciences n’ont aucune base solide ; leur objectif est simplement de suppléer une justification de la violence.

En omettant l’histoire des Perses, des Mèdes etc., prenons l’histoire de ce gouvernement qui le premier forma une alliance avec le christianisme.

Un nid de voleur a existé à Rome. Il a grandi par le vol, la violence, les meurtres, et il a subjugué des nations. Ces voleurs et leurs descendants, conduits par leurs chefs (qu’ils appelaient parfois César, parfois Auguste) ont volé et tourmenté les nations pour satisfaire leurs désirs. L’un des descendants de ces chefs voleurs, Constantin (un lecteur de livres et un homme rassasié par une vie mauvaise), a préféré certains dogmes chrétiens à ceux des vieux credo : plutôt que d’offrir des sacrifices humains il a préféré la messe ; plutôt que du culte d’Apollo, Vénus et Zeus, il a préféré celui d’un Dieu unique avec un fils – Christ. Ainsi, il a décrété que cette religion devait être introduite parmi ceux sous son pouvoir.

Personne ne lui a dit : « Les rois exercent l’autorité parmi les nations, mais parmi vous, il n’en sera pas ainsi. Ne tuez pas, ne commettez pas d’adultère, n’emmagasinez pas de richesses, ne condamnez pas, ne résistez pas [par le mal] à celui qui est mauvais. »

Mais ils lui ont dit : « Tu souhaites être appelé un chrétien et continuer à être le chef du clan des voleurs – tuer, brûler, battre, convoiter, exécuter et vivre dans le luxe ? Tout cela peut être arrangé. »

Et ils ont arrangé un christianisme pour lui, et ils l’ont arrangé très doucement, mieux même que ce qu’ils pouvaient en attendre. Ils ont entrevu que, lisant les Évangiles, il pourrait en venir à réaliser tout cela (i.e. une vie chrétienne) est demandé —et non pas la construction de temples ou le culte en eux. Cela ils l’ont entrevu, et ils ont soigneusement planifié un tel christianisme pour lui qui le laisserait continuer sa vieille vie de païen sans embarras. D’un coté Christ, le Fils de Dieu, est seulement venu pour apporter le salut à lui et à tout le monde. Christ étant mort, Constantin peut vivre comme il veut. Et plus encore, — quelqu’un peut se repentir et avaler un petit morceau de pain et du vin, et cela lui apportera le salut, et tout sera pardonné.

Mais plus encore que cela : ils ont sanctifié son statut de chef du clan des voleurs et dit qu’il procédait de Dieu, et ils l’ont oint d’huile sainte. Et lui, de son coté, a organisé pour eux le congrès des prêtres qu’ils souhaitaient, et leur ordonna de dire quelle devait être la relation de chaque homme à Dieu, et ordonna à chacun de répéter ce qu’ils disaient.

Et ils ont tous commencé à répéter cela, et ils étaient content, et maintenant cette même religion a existé depuis quinze cents ans et d’autres chefs voleurs l’ont adopté, et ils ont tous été lubrifiés avec de l’huile sainte, et tous, ils ont été sacrés par Dieu. Si quelque voyou vole chacun et égorge plusieurs personnes, ils vont le huiler, et il sera alors de Dieu. En Russie, Catherine II, la femme adultère qui a tué son mari, était de Dieu ; il en fut ainsi en France avec Napoléon.

Pour balancer les affaires, les prêtres ne sont pas seulement de Dieu, mais presque des dieux, puisque l’Esprit saint repose en eux de même que dans le pape, et dans notre synode, avec ses officiers commandants.

Et aussitôt qu’un des chefs voleurs oints souhaite que son peuple et un autre commence à s’entre-égorger, les prêtres préparent immédiatement de l’eau bénite, aspergent une croix (que le Christ porta et sur laquelle il mourut parce qu’il désavoua de tels voleurs), prennent la croix et bénissent le chef voleur dans son travail de massacre, de pendaison et de destruction. [En Angleterre, l’eau bénite n’est pas utilisée mais un archevêque récite une sorte de prière pour le succès des armées de la reine, et un aumônier est assigné à chaque régiment pour enseigner aux hommes le christianisme —TR]

Et cela aurait pu être bien si seulement ils avaient été capable de s’entendre là-dessus, et si les oints n’avaient pas commencé à s’appeler les uns les autres voleurs, ce qu’ils sont en fait, et les gens n’avaient pas commencer à les écouter et à cesser de croire aux personnes ointes ou aux dépositaires de l’Esprit Saint, et n’avaient pas appris d’eux à les appeler comme ils s’appellent entre eux, par leur propre nom, i.e. voleurs et trompeurs.

Mais, incidemment, nous avons seulement parlé de voleurs parce que c’était eux qui ont induit les trompeurs en erreur. Ce sont les trompeurs, les pseudo chrétiens que nous devons considérer. Ils sont devenus tels à cause de leur alliance avec les voleurs. Il ne pouvait pas en être autrement. Ils se sont détournés de la route quand ils ont consacré le premier dirigeant en l’assurant que lui, par sa puissance, pourrait aider la religion. – la religion de l’humilité, du sacrifice de soi, et l’endurance au mal. Toute l’histoire, non pas de l’Église imaginaire, mais de la réelle, c’est-à-dire des prêtres sous la coupe des rois est une série d’efforts vains de ces prêtres infortunés pour préserver la vérité de l’enseignement, alors qu’il la prêchent par le mensonge et l’abandonnent en pratique. L’importance de la prêtrise dépend entièrement de l’enseignement qu’ils souhaitent répandre ; cet enseignement parle d’humilité, de sacrifice de soi, d’amour et de pauvreté ; mais il est prêché par la violence et les mauvaises actions.

Afin que le sacerdoce ait quelque chose à enseigner et qu’ils aient des disciples, ils ne peuvent pas se passer de l’enseignement. Mais afin de blanchir et de justifier leur alliance immorale, ils ont, avec les plus astucieux procédés, à cacher l’essence de l’enseignement, et dans ce but, ils ont à déplacer le centre de gravité de ce qui est essentiel dans l’enseignement à ce qui est externe. Et c’est-ce qui est fait par la prêtrise, la source de la fausse religion enseignée par l’Église. La source de l’alliance des prêtres (qui se nomment eux-mêmes l’Église) avec les autorités constituées, c’est-à-dire avec la violence. La source de leur désir d’enseigner une religion aux autres tient au fait que la vraie religion les expose, et ils veulent remplacer la vraie religion par une religion fictive arrangée pour justifier leurs actes.

La vraie religion peut exister n’importe où, sauf où elle est évidemment fausse, c’est-à-dire violente ; ça ne peut pas être une religion d’État.

La vraie religion peut exister dans toutes les soit disante sectes et les hérésies, seulement elle ne peut pas certainement pas exister où elle est jointe à un État utilisant la violence. Assez curieusement les noms de religions « grecque orthodoxe », catholique » ou « protestante », comme ces mots sont couramment utilisés, ne signifient que « religion alliée au pouvoir », — Religion d’État et donc fausse religion.

L’idée d’une religion comme union de plusieurs –de la majorité— en une croyance et dans la proximité de la source de l’enseignement n’était, dans les deux premiers siècles du Christianisme qu’un faible argument externe en faveur de l’exactitude de certaines vues. Paul a dit : « Je connais de Christ lui-même ». Un autre a dit : « Je sais de Luc ». Et tous ont dit : « Nous pensons droitement, et la preuve que nous avons raison est que nous sommes une grosse assemblée, ekklesia, l’Église ». Mais c’est seulement au moment du concile de Nicée, organisé par un empereur, que l’Église est devenu une fraude nette et tangible pratiquée par certaines personnes qui professent cette religion-là.

Ils ont commencé à dire : « Il a plu à nous et au Saint-Esprit ». L’ « Église » ne signifia plus simplement une partie d’un faible argument, mais « puissance dans les mains de certaines gens ». Elle s’est alliée avec les dirigeants, et a commencé à agir comme les dirigeants. Et tout ce qui s’unit au pouvoir et se soumet au pouvoir, cesse d’être une religion et devient une fraude.

Qu’est-ce que le christianisme enseigne, si on le comprend comme l’enseignement de n’importe laquelle de toutes les églises ?

Examinez-le comme vous le voulez, composez-le ou divisez-le, l’enseignement chrétien tombe toujours en deux parties nettement séparées. Il y a l’enseignement des dogmes : du Fils divin, du Saint-Esprit, et de la relation de ces personnes, — à l’eucharistie avec ou sans vin, et avec pain avec ou sans levain ; et il y a l’enseignement moral : d’humilité, liberté sans avidité, pureté de corps et d’esprit, clémence, liberté de l’esclavage et paix. Autant que les docteurs de l’Église ont travaillé pour mélanger ces deux côtés des enseignements, ils ne se sont jamais mélangés, mais comme l’eau et l’huile sont toujours resté séparées dans les plus grands et plus petits milieux.

La différence des deux côtés de l’enseignement est clair à chacun, et tous peuvent voir les fruits de l’un et de l’autre dans la vie des hommes, et par ces fruits peuvent conclure quel côté est le plus important, et (si on peut utiliser une forme comparative) plus vrai. Quelqu’un qui regarde l’histoire de la chrétienté de ce point de vue est saisi d’horreur. Sans exception, du début à la fin, regardez ce que vous voulez, examinez le dogme que vous voulez –du dogme de la divinité du Christ, à la manière de faire le signe de la croix [Un des points majeurs de divergence entre les « vieux croyants » et l’Église russe « orthodoxe » était à savoir si, en faisant le signe de la croix, deux doigts ou trois devaient être tendus.], et à la question de servir la communion avec ou sans vin, — le fruit des labeurs mentaux pour expliquer les dogmes a toujours été l’envie, la haine, les exécutions, les bannissements, le meurtre des femmes et des enfants, les bûcher et les tortures. Regardez de l’autre côté, l’enseignement moral, du fait d’aller dans la nature pour communier avec Dieu, à la pratique de fournir de la nourriture à ceux qui sont en prison : ces fruits là sont tous dans nos conceptions de la bonté, et tout ce qui est joyeux, réconfortant, et qui nous sert de balise dans notre histoire…

Les gens d’autrefois qui n’avaient pas encore pu être témoins des fruits de l’un et de l’autre côté du christianisme pouvaient être trompés. Et les gens pouvaient être égarés qui étaient entraînés dans des disputes à propos des dogmes, ne remarquant pas que de telles disputes servaient non pas Dieu mais le diable, ne remarquant pas que le Christ a dit nettement qu’Il venait pour détruire tout les dogmes ; pouvaient aussi être trompés ceux qui avaient hériter d’une croyance traditionnelle en l’importance de ces dogmes, et qui avaient reçu une formation mentale si perverse qu’ils ne pouvaient pas voir leur erreur ; d’autre part, ces gens ignorants pouvaient être égarés pour qui ces dogmes ne semblaient rien que des mots ou des notions fantastiques. Mais nous à qui le simple sens des Évangiles – répudiant tous les dogmes— est évident, nous devant les yeux de qui sont les fruits de ces dogmes dans l’histoire, ne pouvons pas être trompés. L’histoire est pour nous un moyen –même un moyen mécanique— de vérifier l’enseignement.

Est-ce que le dogme de l’Immaculé conception est nécessaire ou non ? Qu’est-ce qui en est sorti ? La haine, les abus, l’ironie. Et est-ce que cela a apporté quelque bénéfice que ce soit ? Pas du tout.

Est-ce que l’enseignement que l’adultère ne devrait pas être condamné était nécessaire ou non ? Qu’est-ce qui en est sorti ? Des milliers et des milliers de fois les gens ont été ramollis par ce souvenir.

Encore, est-ce que tout le monde s’entend à propos de n’importe lequel des dogmes ? Non. Est-ce que tout le monde est d’accord que cela est bon de donner à celui qui a besoin ? Oui, tous sont d’accord.

Mais d’un côté, les dogmes — à propos desquels tous sont en désaccord, et que personne ne requiert — est ce que le sacerdoce a distribué et distribue encore sous le nom de religion ; alors que de l’autre côté, ce à propos de quoi tous peuvent s’entendre, et qui est nécessaire à tous, et qui sauve les gens, est le côté que le sacerdoce, même s’ils n’ont pas osé le rejeter, n’ont pas osé non plus avancé comme un enseignement, parce que cet enseignement les répudie.

La religion est la signification que nous donnons à nos vies, c’est cela qui donne de la force et la direction à notre vie. Chacun qui vit trouve un tel sens, et vit sur la base de ce sens. Si l’homme ne trouve aucun sens dans la vie, il meurt. Dans cette recherche, l’homme utilise tout ce que les efforts précédents de l’humanité ont fourni. Et ce que l’humanité a atteint, on l’appelle révélation. La révélation est ce qui aide les hommes à comprendre le sens de la vie.

Telle est la relation dans laquelle l’homme se tient envers la religion… »

  1. Cet article est interdit en Russie, et même s’il a été écrit il y a plusieurs années, il n’a jamais été imprimé en Russe.

    Un jour, j’ai questionné Tolstoï à propos de cet article, dans lequel il me semblait que la vérité était exprimée de façon quelque peu rude et même brutale. Il m’a expliqué que c’était l’ébauche d’un article qu’il avait planifié mais qu’il n’avait pas mené à une forme tout à fait satisfaisante. Après qu’il fut mis de côté pendant quelque temps, à la faveur d’autres travaux, un ami l’a emprunté et en a pris une copie, et il a commencé à circuler de mains en mains sous forme écrite ou lithographié. Tolstoï ne regrette pas la publicité ainsi obtenu pour l’article, comme il exprime quelque chose qu’il sent être vrai et important. (NDT. 1928)