L’Église romaine et les Négociations du Concordat (1800-1814)/05

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L’Église romaine et les Négociations du Concordat (1800-1814)
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 67 (p. 32-66).
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VIII.

LES NÉGOCIATIONS DU SACRE ET LE PAPE À PARIS.[1].


I. Mémoires du cardinal Consalvi. — II. Œuvres complètes du cardinal Pacca. — III. Correspondance du cardinal Caprara. — IV. Correspondance de Napoléon Ier. — V. Dépêches diplomatiques et documens inédits français et étrangers, etc.


I

À quelle époque Napoléon songea-t-il pour la première fois à se faire couronner et sacrer un jour par le pape ? Cela serait difficile à établir d’une façon un peu précise. Sans contredit les plus ambitieuses pensées hantèrent de bonne heure cette âme profonde, toute pleine de la plus fougueuse ardeur, capable en même temps des calculs les mieux dissimulés, et douée d’une imagination véritablement orientale ; mais, circonstance digne de remarque, depuis que l’essor de sa fortune avait donné un corps réel aux rêves prodigieux de sa jeunesse, Napoléon avait peu à peu cessé d’en entretenir familièrement comme autrefois les personnes de son entourage. A partir du 18 brumaire, tandis que par tous les actes de sa vie publique et privée, par son attitude vis-à-vis des représentans des cours étrangères, par sa conduite à l’égard de ses collègues, par ses façons d’être avec ses autres concitoyens, il semblait prendre plaisir à clairement indiquer que désormais il songeait à tout, on eût dit, à s’en fier à son langage, qu’au contraire il ne visait à rien. Sa modération avait été si bien jouée, il avait recouvert ses desseins d’un voile si épais, que le sénat lui-même, malgré son immense désir de plaire, y avait été le premier pris, lorsque, s’en rapportant à la modestie de ses paroles, il lui avait naguère maladroitement offert, au lieu du consulat à vie, dix années de prolongation de pouvoir. L’accueil glacial fait à cette offre mesquine avait dessillé tous les yeux. Les secrets désirs du premier consul, quoique encore enveloppés de nuages, n’étaient plus un mystère pour personne. Les avoir devinés, c’était pour le plus grand nombre même chose que de les vouloir servir. Cependant, parmi tant d’oreilles impatientes de s’ouvrir à ses confidences, il en était peu auxquelles il se souciât d’en conférer l’honneur. C’était parti-pris chez lui de traiter aussi légèrement que possible ses deux collègues du consulat. Rien ne lui répugnait plus que l’idée de relever leur position effacée en les associant efficacement à quoi que ce fût, surtout aux préparatifs, d’ailleurs assez peu déguisés, du grand événement qui allait prochainement mettre entre eux et lui une si prodigieuse distance[2]. Napoléon avait en outre des motifs particuliers pour se taire avec chacun d’eux des projets qu’il nourrissait du côté de la cour de Rome. Ancien secrétaire du chancelier Maupeou, caractère sage et conciliant, M. Lebrun, quoiqu’il eût toujours siégé sur les bancs les plus modérés de nos assemblées délibérantes, n’en était pas moins l’un des plus fervens adeptes des sectes philosophiques qui depuis trente années professaient le mépris des inégalités sociales et l’horreur de la religion chrétienne. La crainte de l’influence des prêtres agissait sur lui comme une sorte d’épouvantail, le seul capable de le faire sortir de sa douceur native et de son calme ordinaire. Il était le dernier de ceux à qui il eût été prudent de s’ouvrir d’un dessein qui réservait en France au chef de l’église romaine un rôle aussi considérable. Dans la pensée du premier consul, Cambacérès représentait surtout près de lui le parti de la terreur et cette ancienne montagne qui avait poursuivi d’une haine si particulière et si violente les ministres de la religion catholique. Même raison l’empêchait de se laisser pénétrer à ce sujet par l’ex-oratorien Fouché, devenu l’un des plus terribles proconsuls de la convention, et qui mettait maintenant à le servir dans ses desseins réels ou seulement supposés un zèle toujours excessif, parfois inconsidéré, dont Napoléon se sentait par momens embarrassé. Après les personnes que nous venons de nommer, M. de Talleyrand était celui de ses ministres avec qui le premier consul se plaisait le plus à agiter sous forme d’hypothèse toutes les chances de l’avenir. Cependant M. de Talleyrand lui-même ne sut rien. Deux ans seulement après la chute du directoire, en plein régime républicain, dont le calendrier subsistait toujours, comment avouer à qui que ce fût que déjà l’on pensait à faire verser sur son front la sainte ampoule? Et le moyen de convenir qu’on attendait du saint-père qu’il vînt à Paris mettre lui-même à des grandeurs qui n’existaient encore qu’en perspective ce sceau sacré de la religion qu’aucun prince de la maison de Bourbon n’avait reçu de la main d’un souverain pontife? Une espérance si vague, probablement chimérique, ne pouvait être si longtemps à l’avance convenablement entrevue que des seuls membres de sa famille.

Mais, chose étrange, le moment où il songeait à fonder sa dynastie et à faire souche impériale était celui où Napoléon se trouvait dans les plus mauvais termes avec presque tous les siens. Lucien, qui ne manquait ni de courage ni de talent de parole, avait toujours été porté à faire trop de cas de lui-même et trop peu de son frère cadet. Tout plein encore des services importans et, suivant lui, trop vite oubliés qu’il avait rendus dans la journée du 18 brumaire, il était en rupture ouverte avec le premier consul par suite d’un mariage un peu disparate qui avait apparu aux yeux du futur empereur comme une véritable mésalliance. C’était aussi un mariage, mais un mariage inspiré par lui-même, qui l’avait mis en grand froid avec Louis Bonaparte. Une répugnance réciproque avait présidé à l’union du futur roi de Hollande avec Hortense de Beauharnais, fille du premier mariage de Joséphine. Louis se montrait alors irrité et jaloux de la tendresse que le premier consul témoignait à sa femme, comme plus tard il se tint pour blessé de ce que l’enfant né de cette union, objet particulier de l’affection passionnée de Napoléon, était unanimement désigné par l’opinion publique et par les dépêches officielles du ministre des relations extérieures comme l’héritier présomptif du futur souverain de la France[3]. Le motif directement opposé venait au même instant de le brouiller avec celui de ses frères qu’il aimait le mieux, et dont il avait été jusqu’alors le plus satisfait ou, pour mieux dire, le moins mécontent. Joseph, fier de la part que lui avait laissée le premier consul dans la négociation ostensible du concordat et de la signature qu’il avait apposée au traité de paix d’Amiens, avait obstinément refusé comme indignes de lui toutes les distinctions honorifiques qui lui avaient été successivement offertes. Il avait prétendu être désigné comme remplaçant provisoire du premier consul pendant l’expédition projetée d’Angleterre et reconnu pour son successeur éventuel en cas d’accident[4]. Le refus qu’il avait essuyé l’avait exaspéré, et son mécontentement s’exhalait en paroles des plus violentes[5]. Il y avait cependant, à défaut des autres, un membre plus âgé de la famille à qui revenait naturellement cette confidence; c’était l’oncle du premier consul, l’abbé Fesch. Fesch, ancien chanoine et archidiacre d’Ajaccio, s’était très convenablement acquitté de ses fonctions ecclésiastiques jusqu’au jour où le chapitre de cette cathédrale avait été dissous par un arrêté de la convention. Obligé de se réfugier en France à la suite des troubles suscités dans l’ile par les partisans du général Paoli, il avait recherché et obtenu un emploi inférieur dans l’administration de l’armée que M. de Montesquieu commandait en Savoie. C’est de là qu’il partit, en qualité de commissaire des guerres, pour accompagner son neveu pendant ses campagnes d’Italie. Intéressé dans les fournitures de l’armée, vivant dans la société habituelle des généraux et des intendans militaires, il y avait, sans aller jusqu’au scandale, oublié peu à peu ses habitudes de prêtre[6].

Après le 18 brumaire, du jour où Napoléon, arrivé au pouvoir, souhaita de s’entendre avec Rome pour rétablir l’ancien culte, Fesch, soit qu’il y eût été invité par son neveu, soit qu’il se sentît intérieurement appelé à reprendre la carrière qui avait eu les préférences de sa jeunesse, se retira brusquement du monde. On le vit se mettre avec une ferme et méritoire persévérance sous la direction religieuse du respectable abbé Émery, supérieur général de Saint-Sulpice. En peu de temps, sa vie était devenue trop conforme aux devoirs de son état pour que sa nomination à l’archevêché de Lyon pût à bon droit choquer personne. On ne fut pas davantage surpris de son élévation au cardinalat. Lorsqu’il fut plus tard nommé à l’ambassade de Rome, des esprits trop inventifs s’imaginèrent que le premier consul méditait d’en faire un pape. Il est douteux que Napoléon y ait jamais songé. Embarrassé de s’ouvrir avec aucun de ses agens de ses projets sur le saint-père, le nouveau chef du gouvernement français trouvait simplement commode d’avoir à Rome un membre de sa famille. Fesch serait à coup sûr un intermédiaire moins habile, mais en revanche moins libre dans ses jugemens, moins dégagé de propos et d’allures que ne l’avait été le ministre indépendant dont nous avons déjà cité maintes fois les franches et originales dépêches. A défaut de qualités plus relevées, son oncle avait au moins ce mérite, auquel le premier consul commençait à sacrifier tous les autres, d’être en ses mains un instrument tout à fait docile. Ni le pape, désolé de voir partir M. Cacault, ni M. Cacault, si triste de quitter Rome, ne s’y trompèrent un instant. « On m’a rappelé, — disait M. Cacault après l’élévation de Napoléon à l’empire, mais avant la cérémonie du sacre, à son ancien secrétaire, M. Artaud, qui retournait à Rome servir sous les ordres du cardinal Fesch, — on m’a rappelé de peur que je ne contrariasse les vues du gouvernement, qui, un an d’avance, méditait ce sacre et voulait le pape à Paris... C’est une affaire très grave que ce voyage refusé ou accepté... Si le pape ne vient pas, il sera violemment reconduit au point d’où il est parti, après avoir payé plus que le prix convenu. Si j’avais été à Rome, — mais on m’en a retiré et comment! — j’aurais pu arranger cela pour avril et à Milan... Il y avait les convenances, la moitié du chemin qui arrange tant de choses; mais l’empereur veut peut-être faire une épreuve à Paris... Tenez, il se dit Charlemagne; un fils né de lui pourrait être Charlemagne, mais lui, il est Pépin le Bref... Il n’y a pas de Charlemagne en Europe avec une Grande-Bretagne si près de Paris; mais on lui a tourné la tête. Caprara lui a dit dans une note sul grugno : Nous vous proposons de vous sacrer le jour de Noël, anniversaire du couronnement du fils de Pépin, de ce Charles le Grand qui avait réduit l’Occident au silence et qui tenait l’Orient immobile... Comme on m’a gâté mon général et mon premier consul! Il ne m’écoute plus. Il m’a fait sénateur et muet[7]. »

Napoléon, qui n’avait jamais goûté beaucoup les conseils, n’était déjà plus à cette époque de sa vie disposé à écouter personne, et s’il y avait des fonctionnaires auxquels il fût porté à accorder moins de crédit encore qu’aux sénateurs, c’était à ses ministres au dehors. Actif autant qu’impérieux, il préférait leur donner des instructions très détaillées et très précises auxquelles il leur incombait avant tout de se conformer scrupuleusement. Le zèle pour ses intérêts, voilà ce que de préférence il recherchait en eux; mais force était à quelqu’un doué de tant d’esprit d’être obligé de reconnaître que les agens les plus dévoués ne sont pas toujours les plus utiles. Il s’impatientait alors contre eux, et ne se gênait en nulle façon pour leur montrer tout son dédain. C’est ainsi qu’à son oncle, le cardinal Fesch, qui, avant de partir, lui annonçait l’intention d’aller au ministère lire les dépêches de Rome, il répondit en façon d’adieu : « Ne lisez pas tant, tâchez seulement d’avoir du tact. »

Le tact était en effet la qualité qui allait manquer le plus au successeur de M. Cacault. Fesch n’était dépourvu ni d’instruction ni de lumières. Il avait une assez grande capacité de travail; il était doué d’une persistance contenue dans ses idées, qui, par malheur, approchait un peu trop de l’obstination, et revêtait ordinairement les formes du plus insupportable orgueil. C’est d’ailleurs dans toutes les carrières une difficile épreuve que de passer subitement, par le seul hasard de la protection d’autrui, d’une situation tout à fait subalterne à un poste éminent qui, en apportant le pouvoir, attire en même temps tous les regards. De simple chanoine devenu en quelques mois évêque, primat des Gaules, cardinal et ambassadeur, comment l’ancien commissaire des guerres se serait-il tout d’abord trouvé au niveau d’une fortune si complètement inattendue ? Non-seulement ses fonctions diplomatiques étaient pour lui toutes nouvelles, mais le terrain de la cour de Rome lui était parfaitement inconnu. En France, le rôle d’un cardinal oncle du chef de l’état avait été dès les premiers jours prépondérant. La plupart de ses collègues de l’épiscopat, fort enclins à s’exagérer le crédit du nouvel archevêque de Lyon, s’étaient adressés à lui comme à l’intermédiaire le plus utile auprès de son tout-puissant neveu. Il les avait secondés de son mieux et parfois avec efficacité. Un pareil patronage lui avait attiré, de ce côté des monts, la déférence du clergé de tous les rangs. La première erreur du cardinal Fesch fut de s’imaginer qu’il en serait ainsi de la part des ecclésiastiques romains ; la seconde, non moins grande, fut de se persuader qu’il ajouterait encore à son crédit, s’il affichait à Rome dès son début les plus hautaines prétentions. Les souvenirs de la mission de MM. de Créqui et de Lavardin sous Louis XIV, du cardinal de Bernis sous Louis XV, hantaient l’imagination du nouvel ambassadeur lorsqu’il franchit les portes de la ville éternelle. Ni MM. de Créqui et de Lavardin, ni le cardinal de Bernis n’étaient oncles du prince qu’ils étaient venus représenter auprès du Vatican, et le cardinal, qui déjà se figurait les laisser loin derrière lui par l’éclat de son rang, se promettait bien de ne les pas moins surpasser par l’étendue de son influence.

À Rome, où l’on a vu tant de choses, où l’on a pris depuis tant de siècles l’habitude de ne s’étonner de rien, la présence de cet oncle, ambassadeur de son propre neveu, ne produisit pas tout l’effet qu’en attendait le cardinal Fesch. Sans doute l’envoyé du premier consul fut reçu non-seulement avec tous les égards qui lui étaient dus, mais encore avec des attentions infinies et des recherches toutes particulières. Peut-être fut-il cependant un peu surpris, lui si fier de son rang nouveau, de s’entendre doucement expliquer comment, fidèle aux traditions de tous les temps, l’église romaine, par des raisons inhérentes à son régime intérieur, n’avait jamais autorisé aucun cardinal à prendre auprès d’elle le titre d’ambassadeur. Elle ne pouvait donc, comme à tous ses prédécesseurs, lui reconnaître que le titre de ministre ou de chargé d’affaires : c’était un premier déboire, ce ne fut pas le seul. À Rome, le cardinal Fesch était exposé à rencontrer dans plus d’une occasion officielle les représentans de quelques cours, en petit nombre d’ailleurs, qui n’étaient pas en bons termes avec le gouvernement français. Le roi de Piémont, dépouillé par Napoléon de ses états de terre ferme, était venu fixer sa résidence dans les paisibles murs de cette ville, habituée de longue date à prêter son hospitalité aux souverainetés déchues. Quoique ayant donné sa démission en faveur de son frère, l’ancien roi ne laissait pas que de tenir une sorte de petite cour, où se rencontraient une certaine quantité d’étrangers mal disposés pour le premier consul et quelques émigrés français qui passaient, à tort ou à raison, pour servir de correspondans aux princes de la maison de Bourbon. Grâce à son esprit facile et liant, M. Cacault, représentant très considéré d’un gouvernement très puissant et non moins redouté, s’était, sans aucun abandon de ses devoirs ni de sa dignité, fort heureusement tiré de tous ces petits embarras. Le cardinal Fesch ne manqua point, dès ses premiers pas, de s’y heurter très violemment. Son prédécesseur avait vécu sur le pied d’une aimable familiarité avec le cardinal secrétaire d’état Consalvi, avec la plupart des membres du sacré-collège, avec tous les chefs des missions étrangères : les secrétaires de sa légation, quoique l’un d’eux, M. de Chateaubriand, lui eût été imposé malgré lui, avaient eu part à sa confiance et à ses bonnes grâces. Toujours empressé à concilier et à plaire, il n’était point de frais qu’il n’eût faits pour se rendre agréable à la société romaine, qui a toujours été par elle-même une sorte de puissance. En quelques mois, le nouvel ambassadeur avait changé tout cela. Il passait des notes aigres au cardinal Consalvi ; il entrait en susceptibilité avec ses collègues du sacré-collège comme avec ceux du corps diplomatique, et se brouillait à peu près publiquement avec l’auteur du Génie du Christianisme. Le vide se faisait insensiblement autour de sa personne, et par une conséquence naturelle, tandis que le monde officiel du Vatican et la société romaine elle-même, habituée à plus d’égards, s’éloignaient peu à peu de l’oncle du premier consul, celui-ci, de plus en plus mécontent, les dépeignait de bonne foi à son neveu comme animés au fond contre lui d’une sourde hostilité et gardant à son endroit une incurable défiance.

Disons-le toutefois à la décharge du cardinal, cette attitude de hauteur et de mécontentement qu’il avait prise en arrivant à Rome n’était point tout entière de son fait. Elle lui avait été commandée par le premier consul ; elle entrait dans ses desseins. Depuis qu’il méditait, sans oser l’avouer encore à personne, de faire venir le pape à Paris, Napoléon avait tendu vers ce but tous les ressorts de sa politique à l’égard de la cour de Rome. Il ne se dissimulait pas à quel point cette démarche coûterait nécessairement à Pie VII. Si grands qu’il estimât les services rendus par lui à la religion catholique, si bien disposé qu’il sût le saint-père à son égard, il ne se flattait nullement d’obtenir une pareille grâce de la seule reconnaissance. Il dépendait de lui, il est vrai, à propos des articles organiques et de tant d’autres questions restées pendantes, de faire entrevoir au pieux pontife la possibilité de quelques nouvelles concessions religieuses sur les points qui lui tenaient particulièrement à cœur; mais cela même, pensait-il, ne suffirait pas. Pour agir efficacement sur le pape, il lui semblait bon de l’émouvoir par la crainte encore plus que par l’espérance. Quand on était à la veille de réclamer de lui un si grand service, quand on ne se proposait rien moins que de faire, à prochaine échéance, du chef auguste de la catholicité l’instrument de la plus prodigieuse des élévations, il était prudent de ne pas lui donner à penser qu’il fût si nécessaire. Il était opportun qu’il se sentît au contraire compromis et menacé. C’était de bon jeu, suivant les calculs du premier consul, de le tenir en inquiétude sur sa propre existence, afin de l’avoir pour ainsi dire à sa merci, et que, placé dans la difficile alternative de concéder une immense faveur ou d’infliger une mortelle injure. Pie VII fût poussé par la force des choses à se jeter tout entier dans les bras de Napoléon comme dans son seul refuge. Les récriminations violentes du cardinal Fesch n’avaient pas d’autre but, lorsqu’il se plaignait amèrement de la protection dont le gouvernement pontifical couvrait, disait-il, les intrigues d’un ancien émigré, le comte de Vernègues, devenu sujet russe, et que l’ambassade française voulait à toute force soustraire à la protection du tsar afin de le faire déporter et juger en France. Pour la rendre plus grave. Napoléon n’avait pas hésité à s’occuper lui-même de cette affaire. Il avait ordonné à M. de Talleyrand de passer une note menaçante qui devait être transmise au pape par le cardinal Fesch. « Cette note dira, écrivait-il à son ministre des relations extérieures, que les émigrés sont des hommes condamnés à la mort par les lois et considérés dans tous les pays comme individus morts civilement... Faites une lettre au cardinal Caprara. Expédiez un courrier extraordinaire au cardinal Fesch, pour lui faire connaître qu’il doit absolument exiger qu’on lui livre M. de Vernègues. Ajoutez que les principes de la cour de Russie sont subversifs de nos droits et de notre indépendance, et que nous ne souffrirons jamais d’aucune puissance qu’on se mêle de discuter nos droits intérieurs. » Cette lettre, en date du 10 germinal an XII (3 mars 1804), et qui n’est point, nous ne savons pour quelle raison, reproduite dans la correspondance de Napoléon Ier, ’, arrivait à Rome peu de jours après la nouvelle de l’exécution du duc d’Enghien. Si elle avait eu pour but principal d’effrayer le saint-siège, cet effet fut complètement atteint. Le cardinal Consalvi, qui avait résisté aussi longtemps qu’il avait pu par tous les moyens que la diplomatie mettait à sa disposition, consentit tout à coup à l’extradition de M. de Vernègues, sans se douter de quelle prochaine exigence, autrement grave et autrement embarrassante pour le saint-siège, cette impérieuse sommation de Napoléon n’était après tout que l’orageux prélude. Il serait aujourd’hui tout à fait impossible de représenter le meurtre du duc d’Enghien, accompli si peu de temps avant l’élévation du premier consul à l’empire et suivi de si près de l’ouverture faite au légat pour décider le saint-père à venir à Paris, comme le produit d’un mouvement de colère violent et irréfléchi. Cet acte fut au contraire mûrement délibéré; il faisait partie de la politique adoptée depuis quelque temps, c’est-à-dire depuis sa promotion au consulat à vie, par le futur souverain de la France. Un phénomène aussi étrange que triste, souvent signalé par les sagaces observateurs de cette mémorable époque, qu’on aimerait à pouvoir révoquer en doute, mais qui se trouve, hélas! trop pleinement confirmé par les mémoires des contemporains et surtout par la propre correspondance de Napoléon Ier, c’est la transformation qui, en un si court espace de temps, s’est opérée dans le caractère du premier consul. On est saisi d’épouvante quand on découvre à quel point la fortune, en couronnant les glorieux efforts de cet incomparable génie, a malheureusement exercé sur lui une action opposée à celle qui d’ordinaire se produit chez le commun des mortels. Aux natures vraiment nobles, le succès confère le plus souvent, comme faveur suprême, le don des beaux mouvemens et des généreuses initiatives; aux moins heureuses, il apporte un certain correctif dans leurs défauts et l’apaisement de leurs plus violentes passions. C’est le contraire qui arriva au premier consul pendant la période qui s’écoula entre le consulat à vie et l’empire. Depuis que tout lui a réussi au gré de ses vœux, il est devenu plus dur dans ses procédés, plus âpre dans ses exigences. A mesure qu’il a monté de degré en degré au faîte de la puissance, son âme s’est de plus en plus fermée aux sentimens désintéressés. Il ne paraît même plus les comprendre, et lui qui naguère encore, avec un art sans égal, avait su appeler à son aide tous les honnêtes gens de tous les partis, semble ne faire fonds désormais que sur les plus fâcheux côtés de la fragilité humaine. On eût dit que, las de se faire admirer, il n’aspirait plus qu’à se faire craindre.

Sans contredit, une si malsaine disposition n’aurait pas complètement envahi ce vigoureux esprit, si à ce moment même le premier consul ne s’était senti sourdement en butte à d’odieuses machinations, bien propres, il faut le dire, à faire sortir des bornes de la modération un tempérament moins irascible que le sien. Vainqueur des différens partis, ayant mis sous ses pieds toutes les ambitions rivales qu’avait déchaînées une longue tourmente révolutionnaire, il lui arrivait ce qui attend inévitablement tout homme qui, après avoir saisi le pouvoir, se met à l’exercer à son profit. L’exemple de tous les siècles et de récentes expériences trop renouvelées depuis soixante ans nous ont appris ce qui se passe en pareilles circonstances. Nous savons combien l’accord le plus horrible s’établit facilement, quand tout espoir leur est enlevé, entre les sauvages instincts des factions les plus opposées, quelle fumée de crime monte alors au cerveau des fanatiques et quels noirs complots s’agitent mystérieusement dans les bas-fonds de ces conciliabules en démence. Il n’y avait, hélas! rien de nouveau ni de bien extraordinaire dans les dangers que cette effervescence maladive des passions politiques faisait courir au premier consul. Ce qui était vraiment singulier, c’était, nous ne voudrions pas dire l’effroi, il n’en était guère susceptible, mais la violente surprise, la colère indignée, l’indicible irritation que lui causaient ces projets d’attentat contre sa personne, la plupart futilement conçus, misérablement organisés, et sur lesquels ses nombreuses polices avaient l’œil incessamment ouvert. Ce qui l’exaspérait surtout au dernier point, c’était de ne pouvoir douter que le parti royaliste n’eût, grâce à l’argent de l’Angleterre et par l’intermédiaire de quelques-uns de ses membres les plus déterminés, mis la main dans ces détestables menées. Tandis qu’après l’affaire de la machine infernale tout son courroux s’était tourné du côté de la faction jacobine, dont il avait déporté les principaux chefs, il jetait maintenant feu et flamme contre les partisans de la légitimité, devenus fauteurs de révolte et de meurtre. Il n’avait point de paroles assez dédaigneuses à l’égard de ces princes qui trouvaient plus commode de le faire assassiner que de le combattre. Cette colère était légitime. Ce qui l’était moins, c’était, à l’heure même où l’on faisait éclat d’une si juste indignation, de songer à rendre coup pour coup, meurtre pour meurtre; c’était de calculer froidement comment le cadavre d’un Bourbon jeté en pâture aux ennemis de la vieille monarchie pourrait servir de marchepied pour monter jusque sur le trône naguère occupé par le chef de cette famille, contre laquelle on méditait une si terrible revanche.

Rompre ouvertement, définitivement, avec les royalistes, anéantir leurs coupables manœuvres en les remplissant d’épouvante, donner le plus abominable, mais aussi le plus sûr des gages à tous les hommes de la révolution, surtout à ceux de ses partisans qui, ayant eu vent des communications échangées avec le comte de Lille et brouillés à mort avec l’ancien régime, redoutaient ou faisaient semblant de redouter qu’il ne s’accommodât un jour du rôle de Monk, tel fut le plan de conduite qu’une déplorable et fausse habileté fit adopter à Napoléon. Fut-il seul à le concevoir, ou de funestes conseillers eurent-ils la malencontreuse adresse de le pousser malgré lui vers cette tragique résolution, qui le sait? Une note écrite huit jours avant l’enlèvement du duc d’Enghien à Eistenheim, note très peu connue et qui n’a point encore été publiquement produite, établit trop clairement que son ministre des relations extérieures fut dans cette décisive conjoncture consulté par le premier consul; mais il est à croire qu’expert surtout à pressentir et à flatter l’inexorable volonté d’un maître si peu facile à manier, M. de Talleyrand, selon son usage, ne mit toute son habileté, — et cette fois quelle funeste habileté! — qu’à le solliciter du côté où par malheur sa passion du moment ne l’entraînait que trop[8].

Quoi qu’il en soit, ce qui est encore plus certain, c’est que la sanglante catastrophe accomplie le 21 mars dans les fossés de Vincennes produisit l’effet absolument opposé à celui qu’en attendait Bonaparte. Personne n’approuva, même parmi les plus irréconciliables ennemis de la dynastie déchue. Tout le monde était consterné. Les plus désespérés furent sans comparaison les partisans les plus dévoués du nouveau régime. Une atmosphère de contrainte glaciale se répandit aussitôt tout autour du premier consul, et le suivit jusqu’au sein du cercle le plus intime de sa famille. On se gardait bien de blâmer; pour plus de sûreté, on évitait son entretien, d’ordinaire si recherché; lui-même ne réussissait pas toujours à soulever par des propos légers ou dédaigneux le poids du silence embarrassant qui suivait partout sa personne. Au défaut de sa conscience, qui ne l’avait point averti, sa perspicacité doublée d’ambition lui fit vite apercevoir, bien qu’il ne l’ait jamais reconnu, à quel point il avait froissé le sentiment public. Le mouvement d’opinion qui de lui-même le portait à l’empire s’était soudainement et singulièrement refroidi. Il fallait plus que jamais lui venir en aide et le stimuler. La perspective de la venue de Pie VII à Paris, qui d’abord ne s’était présentée à l’imagination du premier consul que sous la forme d’une décoration magnifique pour rehausser hausser la splendeur de son triomphe, lui apparaissait maintenant comme à peu près indispensable. Pour distraire efficacement tous les esprits, pour arrêter court les paroles que tout le monde avait au bord des lèvres, quoique personne n’osât les prononcer, pour laver la tache imprimée à son front par le sang d’un jeune prince, il ne fallait rien moins que l’onction d’un pape. Quand Pie VII lui-même l’aurait sacré, qui donc oserait lui jeter à la tête le nom du duc d’Enghien?


II.

Ce fut dans cette disposition d’esprit, l’air altier et soucieux, que, laissant de côté les tournures familières qui lui étaient habituelles avec le cardinal-légat, en paroles solennelles et brèves, du ton d’un homme mécontent des autres et surtout de lui-même. Napoléon s’ouvrit pour la première fois à Caprara, le 9 mai 1804, de la demande qu’il comptait adresser prochainement au saint-père. A cette date, non-seulement il n’était pas encore question de consulter la nation sur le grand acte qui allait faire d’un général de la république un monarque héréditaire, mais le sénatus-consulte qui devait lui conférer le litre d’empereur n’était ni voté par le sénat ni même définitivement arrêté; il ne le fut que le 16. Cependant la détermination de Napoléon était prise. Cela seul suffisait, et le surplus n’était à ses yeux, comme pour tout le monde, qu’une assez vaine formalité. Le soir donc, le légat se trouvant à Saint-Cloud dans les salons de Joséphine, Napoléon lui dit : « Toutes les autorités constituées me font sentir combien il serait glorieux que mon sacre et mon couronnement fussent faits par les mains du pape, et quel bien il en résulterait en même temps pour la religion. Il n’est pas vraisemblable qu’aucune puissance y trouve à redire ni en droit, m en fait. Je n’adresse pas dès à présent une prière formelle au pape parce que je ne veux pas m’exposer à un refus. Faites donc l’ouverture, et lorsque vous m’aurez transmis la réponse, je ferai auprès du pape, comme je le dois, les démarches nécessaires[9]. » Puis, dans un résumé qui frappa de plus en plus par sa précision et sa froideur le représentant du saint-siège, il lui énuméra ses titres à la bienveillance personnelle de Pie VII et cita en finissant l’exemple de Pépin sacré par le pape Zacharie. Il n’y avait d’absolument inattendu pour le cardinal dans cette confidence que la solennité de l’accent de son interlocuteur. Souvent le légat avait entretenu le Vatican des services rendus par le premier consul à la religion. Des premiers et plus que personne, il avait donné cours aux souvenirs tirés de la race des Carlovingiens, et dans sa précédente dépêche, la veille même, il venait justement, comme par une sorte de divination, d’entretenir le secrétaire d’état de sa sainteté « de ce premier roi d’une race nouvelle que substitua la nation française à son roi légitime Chilpéric, et que le pape était venu sacrer lui-même[10]. »

Dans la façon dont l’ouverture lui était faite, le cardinal discerna d’abord ce que de toute évidence le premier consul avait surtout voulu y mettre, à savoir le clair avertissement qu’il ne se tiendrait point pour satisfait de toute réponse qui ne serait pas une acceptation pure et simple. Déjà le représentant du saint-siège, depuis qu’il était question de monarchie héréditaire, n’était plus préoccupé que d’une chose : c’était de recevoir le plus tôt possible par courrier extraordinaire ses nouvelles lettres de créance, afin d’être parmi ses collègues du corps diplomatique le premier à féliciter le nouvel empereur. Cela lui paraît d’une importance capitale. Qu’on juge par là de l’émotion avec laquelle il transmet au saint-père la demande de Napoléon. « Le monarque qu’il s’agit de couronner, écrit-il, non sans quelque trouble, à sa cour en commentant avec une parfaite exactitude mieux que les paroles, c’est-à-dire l’attitude même et le ton de son tout-puissant interlocuteur, le monarque qu’il s’agit de couronner trouverait très mauvais et regarderait comme une injure que sa sainteté élevât des difficultés, cherchât à temporiser ou se refusât à son désir. Le ressentiment qu’il éprouverait serait d’autant plus fort qu’en sa qualité de chef de l’église le saint-père assurera mieux la succession héréditaire dans la famille de l’homme qui vient de rétablir et de consolider l’exercice du culte et de la religion catholique... Si du spirituel je passe au temporel, il me paraît évident que c’est le moment favorable où il sera possible au nouvel empereur d’étendre les limites trop resserrées des états du pape... Un refus de sa sainteté lui serait infiniment pénible. Il en éprouverait le plus vif déplaisir. On n’accepterait aucunes excuses pour valables, fussent-elles même confirmées par le cardinal Fesch. On ne les regarderait que comme des prétextes... Je me bornerai donc à supplier votre éminence de ne présenter dans la réponse aucune idée, même la plus éloignée, d’une difficulté quelconque, soit d’âge, soit de santé ou toute autre chose semblable[11]. »

Pour agir personnellement sur le cardinal secrétaire d’état, dont il appréhendait quelque peu la résistance, le légat, soit de lui-même, soit par connivence avec le gouvernement français, lui adressa en même temps une lettre particulière très flatteuse, pressante surtout, où perçait même une pointe de menace. Il était absolument nécessaire, lui écrivait-il, qu’il accompagnât le saint-père à Paris; toutes les personnes influentes attachaient le plus grand prix à ce voyage. Un refus serait attribué non pas au pape, mais à lui seul[12].

L’adhésion à la demande du futur empereur ne parut point à Rome aussi simple que le légat se l’était imaginé, ou peut-être avait fait semblant de s’en flatter. Le premier mouvement avait été celui d’une visible répugnance, mêlée de quelque surprise et de beaucoup d’épouvante. A Rome, on n’était point tout à fait de l’avis du représentant du saint-siège, qui, le 6 mai, lorsque la terre était encore toute fraîche sur la tombe du fusillé de Vincennes, parlant pour la première fois de la prochaine élévation de Napoléon à l’empire, mandait ingénument à Consalvi : « Ce qu’il y a de vraiment singulier dans le grand événement qui se prépare, c’est le calme parfait avec lequel cette affaire marche à son accomplissement[13]. »

Combien différente, quoi qu’en dise le cardinal, était l’impression ressentie à Paris, en France et dans l’Europe tout entière, à la suite de l’horrible catastrophe qui avait mis fin à la vie du dernier descendant des Condé ! « L’effet en fut tel sur les cabinets étrangers, dit avec raison M. Thiers, qu’on ne s’écarte point de la vérité rigoureuse en assurant que cette catastrophe devint la cause principale d’une troisième guerre générale. » Il est triste de constater cependant que, tandis que les cours de Saint-Pétersbourg et de Berlin s’en étaient émues et n’avaient point caché leur douleur et leur désapprobation, le silence, un silence prudent et absolu, s’était fait précisément du côté où le sentiment public s’attendait à voir surgir les plus vives protestations. La branche des Bourbons qui régnait à Madrid, non contente de se taire, redoubla d’attentions et de servilité envers le meurtrier du duc d’Enghien. A Vienne, le chef de l’empire germanique, dont le territoire avait été violé pour arrêter le malheureux prince, prit la peine d’assurer lui-même à M. de Champagny qu’il comprenait les dures nécessités de la politique.

Nous aurions aimé à trouver trace quelque part soit d’indignation, soit de colère, soit de pitié dans les documens émanés de Rome. Par malheur, au Vatican on ne dit rien, officiellement du moins. Dans la correspondance du cardinal Caprara, dans les dépêches de la chancellerie pontificale, dans les mémoires du cardinal Consalvi, le nom du duc d’Enghien n’est pas prononcé; pas une ligne, pas un mot qui de près ou de loin indique ce qu’a pensé la cour de Rome d’un crime présent alors à tous les esprits, et dont les instances qui lui étaient maintenant adressées avaient justement pour but de provoquer l’oubli, et d’assurer, si cela eût été possible, la justification[14]. Cependant, si grande et selon nous si fâcheuse que fût la discrétion du Vatican, elle n’impliquait point l’indifférence. Nous ne croyons pas nous tromper en imputant à l’indignation trop renfermée, mais réelle de la cour de Rome la tranquille froideur avec laquelle elle reçut les dépêches de son représentant à Paris qui lui annonçaient l’élévation de Napoléon à l’empire. « Le pape attendra pour féliciter l’empereur que toutes les formalités de l’heureux changement de la république en monarchie aient été remplies, et que l’on connaisse le résultat des votes que le premier consul, dans sa sagesse et sa modération, a voulu obtenir avant d’accepter la couronne[15]. » Voilà qui ne concordait guère avec l’ardeur empressée du cardinal Caprara. Quant à la venue du saint-père à Paris, « le pape est fortement frappé, écrit Consalvi, de la gravité de la demande qui lui est adressée... Il n’y a pas en dix-huit siècles exemple d’un aussi long voyage entrepris pour un motif humain. Il y faut absolument un motif religieux très sérieux pour justifier l’abandon de sa résidence et la stagnation des importantes affaires ecclésiastiques de presque toutes les parties de l’Europe qui se traitent en ce moment à Rome... Il est indispensable de trouver le moyen de colorer ce voyage aux yeux du public et auprès des cours étrangères[16]. » Cet accueil peu gracieux, ces atermoiemens mal dissimulés désespéraient le légat, qui écrivait presque chaque jour pour implorer, outre le prompt envoi de ses lettres de créance, un bref de courtoisie pour l’impératrice Joséphine et la copie du cérémonial suivi lors du voyage de Pie VI à Vienne, qui lui est tout à fait indispensable, ajoute-t-il, pour répondre aux questions qui lui sont adressées sur ce qu’il y aura à faire pendant le séjour de Pie VII[17]; car supposer qu’en définitive le saint-père pourrait bien ne pas venir à Paris, c’est pour lui une hypothèse si effrayante, qu’il n’ose pas l’aborder même en imagination.

A Rome au contraire, on aurait bien souhaité de pouvoir honnêtement refuser. Ce n’était point seulement le souvenir si vif encore du meurtre récent du duc d’Enghien qui troublait Pie VII. Il venait de recevoir les réclamations canoniques que M. Arthur Dillon et douze autres évêques français non-démissionnaires venaient de lui adresser contre le concordat. Ces réclamations, écrites d’un ton différent des précédentes, où se trouvait mêlée une déclaration expresse en faveur des droits personnels du roi Louis XVIII à la couronne de France, avaient déchiré le cœur du pape. Il ne souffrait pas moins de s’entendre traiter à Rome par les ministres des cours étrangères de chapelain de l’empereur[18]. Si les cabinets européens en effet témoignaient à Paris pour le futur souverain de la France d’une déférence qui allait jusqu’à l’obséquiosité, loin de son regard redoutable, ils tâchaient de prendre leur revanche. L’Autriche en particulier, qui n’avait rien trouvé à redire à la violation du territoire germanique, avait quelque mauvaise humeur de voir un empereur de plus en Europe, et la consécration solennelle du nouvel élu par le saint-père excitait particulièrement sa jalousie. L’habile secrétaire d’état avait vite compris qu’il ne suffisait plus d’abonder dans les demi-mots du cardinal Fesch, et qu’il fallait ou épouser la cause d’un guerrier illustre affamé de gloire et de conquêtes, ou rompre définitivement avec lui. « Il prévit sur-le-champ ce que l’on pouvait attendre d’un tel homme, si par un refus on le blessait au plus vif[19]... » Pour suivre la route droite et ne pas se tromper au milieu de tant de difficultés, il n’y avait, dit-il dans ses mémoires, qu’à marcher avec une grande pureté d’intention. Il importait de ne pas se laisser guider par des vues autres que celles qu’il appartenait au pape de manifester en raison de son caractère et de son apostolat.

Tels furent les sentimens parfaitement avouables qui dictèrent les premières réponses de Consalvi à l’ouverture que le légat avait été chargé de transmettre à Rome. « Il n’y a pas de motif humain, tel grand soit-il, répète le secrétaire d’état, qui pourrait justifier l’interruption que le départ du pape de Rome apportera nécessairement aux nombreuses et graves affaires qui s’y traitent. Il y faut un motif religieux hautement annoncé et réellement atteint. Le pape entend dire que l’utilité positive de la religion, présentée en termes exprès dans l’invitation qu’il doit recevoir et réellement atteinte en résultat, peut seule mettre l’abandon de son siège à l’abri du blâme des catholiques; la dignité et l’honneur du chef de la religion l’exigent également. Si donc le saint-père doit quitter Rome pour aller à Paris, il est d’une indispensable nécessité que la lettre d’invitation que lui écrira l’empereur ne se borne pas à dire que, dans le désir d’être sacrée et couronnée par le saint-père, et dans l’impossibilité où elle est de se rendre à Rome, sa majesté impériale prie sa sainteté de venir pour la cérémonie à Paris. Il sera en outre absolument nécessaire d’ajouter à cette raison un motif religieux, et que ce motif, mis en belle place dans la lettre, soit exprimé bien clairement et paraisse au moins aussi essentiel que l’autre[20]. » Les termes dans lesquels la lettre de l’empereur devait être rédigée paraissaient si importans au cardinal qu’il s’enhardissait jusqu’à en tracer le plan et indiquer les expressions mêmes dont il serait à propos de se servir. Ce n’est pas tout. Le fond ne lui tenait pas moins à cœur que la forme. C’est pourquoi il prenait un soin égal à bien préciser ce que le saint-père entendait par les avantages réels que la religion catholique devait retirer de la démarche qu’on faisait près de lui. Il les énumérait dans plusieurs notes officielles que le légat était chargé de mettre sous les yeux de l’empereur et de son ministre des relations extérieures. Quoique le mot de conditions ne fût pas employé, et qu’on eût préféré par politesse adopter les expressions italiennes temperamenti e modi, c’étaient bien des conditions véritables qu’on se proposait de mettre à l’acceptation définitive, et le cardinal Caprara avait ordre de le déclarer positivement. Ces conditions étaient de différente nature et toutes d’une véritable gravité. Le point qui affectait le plus vivement le pape regardait les lois organiques. Sa sainteté voulait être assurée qu’elle pourrait renouveler à l’empereur les représentations déjà faites contre ces lois, que l’empereur les accueillerait toutes, et lui donnerait à ce sujet, avant ou après le couronnement, une complète satisfaction. Le saint-siège exigeait également que le gouvernement français donnât par écrit, au nom de l’empereur, la certitude que les évêques constitutionnels feraient entre les mains du pape leur rétractation positive, et dans le cas peu probable où l’un d’eux ne voudrait pas s’y prêter, le gouvernement français s’engagerait à le priver de son siège. L’empereur devait en outre promettre qu’il aurait égard aux réclamations du saint-père relatives aux décrets du vice-président Melzi, décrets qui avaient, au dire du Vatican, violé le concordat italien. Il était stipulé que la demande officielle à adresser au saint-père pour le prier de venir à Paris ne serait point envoyée à Rome par un courrier ordinaire, mais lui serait apportée par deux évêques chargés de cette mission[21].

« Quant à la manière dont sa sainteté sera reçue en France, l’humilité du saint-père souffre à l’idée de réclamer des honneurs, mais c’est le vicaire de Jésus-Christ et le chef de la religion qui y a droit... Il faudra donc que la cérémonie du sacre et du couronnement ne diffère en rien de ce qui s’est pratiqué en d’autres occasions[22]. » Le sincère accomplissement de toutes ces conditions pouvait seul, aux termes des dépêches du cardinal Consalvi, éviter le scandale et couper court aux reproches qu’il y aurait à attendre des contemporains et de la postérité, si, par un pareil déplacement et dans une telle occasion, le saint-père n’obtenait pas un avantage réel pour l’église. « Le bien de la religion, la tranquillité durable de la France et l’honneur même des deux personnages l’exigent pareillement, » disait en terminant le ministre du saint-siège[23].

Un instant Consalvi conçut presque l’espoir de pouvoir, sans trop de compromission, par des motifs uniquement tirés de sa conscience religieuse, dégager le saint-père des demi-engagemens qu’il venait de contracter en son nom. Tandis qu’il écrivait avec un visible embarras les dépêches dont nous venons d’indiquer l’esprit et la tendance, arrivait en effet à Rome le sénatus-consulte qui renfermait le texte du serment que le premier consul devait prêter au moment de son élévation à l’empire. Sur cette question du serment, le cardinal Consalvi s’exprime très catégoriquement. « Notre réponse affirmative allait partir, écrit-il au légat, quand est survenue cette formule du serment qui a soulevé toute la difficulté. On ne peut admettre le serment de respecter et de faire respecter les lois du concordat, ce qui n’est autre chose que de dire que l’on observera et fera observer les articles organiques. Respecter et faire respecter la liberté des cultes suppose l’engagement, non de tolérer et de permettre, mais de soutenir et de protéger, et s’étend non-seulement aux personnes, mais à la chose, c’est-à-dire à tous les cultes. Or un catholique ne peut protéger l’erreur des faux cultes[24]. Votre éminence, s’empresse d’ajouter le secrétaire d’état dans une lettre particulière adressée le lendemain au cardinal Caprara, insistera surtout sur ce que cette difficulté est toute spirituelle et qu’elle a surgi alors qu’on avait sauté par-dessus toutes les autres... Le défaut seul de temps m’empêche d’exposer quelques-unes des raisons pour lesquelles sa sainteté, tenant pour coupable le serment à prêter par l’empereur des Français, croit ne pouvoir condescendre à couronner ce monarque[25]. »

Il est plus facile de s’imaginer que de dépeindre la consternation du malheureux légat, lorsqu’il reçut de Rome une réponse si différente de celle qu’il en attendait. Son embarras était d’autant plus grand qu’il avait laissé concevoir autour de lui, dans le monde officiel, qu’il fréquentait exclusivement, toutes les espérances dont il s’était bercé lui-même. « Ce même jour (20 juin 1804), j’ai passé la soirée à Saint-Cloud dans l’appartement de sa majesté l’impératrice, qui longtemps après mon arrivée et après les complimens obligés daigna s’approcher de moi et me dit de la façon la plus gracieuse : « Eh bien ! nous aurons le saint-père à Paris pour sacrer l’empereur mon mari. » À cette assertion, fondée naturellement sur la connaissance de la dépêche du cardinal Fesch, je ne saurais dire si je pâlis ou si je rougis. A la vue de mon embarras, l’impératrice reprit : « Nous savons que les choses sont arrangées... Du reste votre discrétion mérite l’estime, et je ne puis désapprouver votre silence[26]. » Joséphine avait peut-être parlé par étourderie ou par une sincère ignorance du véritable état des choses. Il est naturel de penser qu’il entrait un peu plus de calcul dans les paroles de M. de Talleyrand, lorsque, le même soir, voyant venir à lui le représentant du saint-siège, il s’écria tout haut : « Ah! les choses sont enfin arrangées; le pape viendra couronner l’empereur, » Ce fut avec une grande timidité, à demi-mots, comme avec l’impératrice, que le cardinal se mit à expliquer qu’il y avait plusieurs points à concilier avant de pouvoir rien affirmer positivement ; mais le ministre, l’interrompant, se mit à parler d’autre chose. Ce qui trouble davantage encore le légat, c’est qu’il n’a pu, ni ce jour-là ni les suivans, aborder l’empereur. Napoléon témoigne manifestement qu’il ne se soucie point de parler d’affaires avec lui. Cette dernière circonstance jette le cardinal dans les plus pénibles perplexités. Il en est comme hors de lui; il ne se tient plus, et puisque tous ses collègues du sacré-collège ont été consultés, il veut, lui aussi, donner son avis, dire non pas seulement ce qu’il sait, mais ce qu’il entend de ses propres oreilles et ce qu’il voit de ses propres yeux.

« Est-il humainement possible, écrit-il avec douleur, de penser encore à un refus, quand leurs majestés impériales ont considéré la venue de sa sainteté comme certaine, et que cette conviction a été partagée par le ministère, par le public et propagée par les journaux? » L’idée du couronnement à faire à Paris par les mains du pape est une idée qui appartient uniquement à l’empereur lui-même. A s’en rapporter au pieux légat, ce ne serait pas l’ambition qui la lui aurait inspirée; loin de là. « C’est un sentiment de reconnaissance envers la majorité de la nation, il osera même dire de gratitude particulière à l’égard des ecclésiastiques français, lesquels ont manifesté la joie la plus vive de ce qu’il a échappé à l’attentat dirigé contre sa personne et de ce qu’il a été élevé au rang impérial. » Il fait ressortir comme une raison déterminante combien les protestans et les philosophes verront avec désagrément une cérémonie qu’ils traitent d’arriérée et d’illégale. Quant à la formule qui a excité les scrupules de sa sainteté, il paraît ne pas y attacher autrement d’importance; ce sont des expressions consacrées en France, et qui ne signifient pas ce que l’on suppose à Rome[27]. »

Bien autre restait toujours l’impression du cardinal Consalvi. La formule du serment ne lui parut nullement indifférente. « Elle est telle qu’un catholique ne doit pas la prêter, et qu’un pape ne saurait l’autoriser par sa présence. Il est de l’essence de la religion catholique d’être intolérante. Il ne faut pas se bercer de l’espoir de tourner cette difficulté du serment en présence du pape. Pie VII ne s’y prêtera pas. Il a déclaré au cardinal Fesch que, si on l’essayait, il n’hésiterait pas à se lever de son siège et à sortir de l’église à l’instant même, et quoi qu’il en pût arriver, » Les choses en restèrent là longtemps, et cette réponse que l’on espérait si prompte se fit attendre pendant plusieurs mois encore. Les cardinaux, consultés d’abord au nombre de dix, sous le sceau de la confession, s’étaient partagés par moitié. Il fallut en appeler vingt autres. La négociation, sur les conseils de l’abbé Bernier, fut remise tout entière à Rome même aux mains du cardinal Fesch, qui ne manqua pas d’y employer toute l’ardeur de son zèle et l’impétuosité de son caractère; mais l’usage qu’il fit de ses pleins pouvoirs n’était pas toujours heureux. C’était son idée fixe ou souvent reproduite que le saint-père devait profiter de la circonstance pour se faire rendre les légations et obtenir une compensation pour Avignon et Carpentras. Rendons au saint-père cette justice, qu’il ne voulut jamais entendre parler de mettre en avant une pareille prétention. Dans cette négociation comme dans celle qui précéda le concordat, il tint à honneur de ne vouloir rien mêler de temporel ’nullo di temporale) à ce qui regardait exclusivement la religion. Les rôles étaient complètement intervertis. Le cardinal Fesch, animé d’ailleurs des meilleures intentions envers le saint-siège, mais tout à fait déconcerté par le sang-froid et la douceur de ceux auxquels il avait affaire, brouillait tout, envenimait tout, et se laissait aller parfois aux plus étranges emportemens[28].

Le cardinal Consalvi a parfaitement raison quand il constate dans ses mémoires que le saint-siège maintint jusqu’au bout avec la plus grande fermeté comme avec la plus patiente douceur toutes les conditions que, dès le début, il avait mises à l’octroi de la faveur que le nouvel empereur sollicitait de sa complaisance. Il n’est pas moins dans le vrai quand il affirme que de ces conditions aucune ne fut plus tard sincèrement remplie ; mais où il se trompe, c’est quand il donne à entendre qu’à force de persévérance il avait réduit le gouvernement français à prendre à son égard des engagemens positifs et formels. Pour nous, qui avons sous les yeux toutes les communications échangées par écrit à cette époque, il est trop clair qu’il n’en fut rien. Nous doutons même qu’avec tout son esprit le ministre du saint-siège ait jamais pu entretenir sur ce point la moindre illusion. Le pape ne nous semble pas non plus avoir compté plus que de raison sur l’exécution des promesses qui lui furent alors prodiguées, quand il céda, de guerre lasse, aux vives instances du cardinal Fesch, aux notes répétées de M. de Talleyrand, aux désirs exprimés dans les lettres de plus en plus flatteuses de Napoléon. Le cardinal Fesch, comme la suite l’a prouvé, était seul de bonne foi. Rien de plus séduisant, il est vrai, mais aussi rien de plus vague que les espérances données au saint-siège dans les dépêches émanées du gouvernement français. C’était l’habile évêque d’Orléans qui en fournissait le fond, M. de Talleyrand y ajoutait les grâces de son insinuant langage ; mais il fallait beaucoup de complaisance pour s’y laisser prendre. Quant à Napoléon, quoique depuis son élévation au consulat à vie, puis à l’empire, modifiant successivement la souscription qui accompagnait sa signature, il en fût enfin, dans les lettres adressées au pape, venu à se qualifier de son dévot fils, il s’était abstenu soigneusement de prendre avec lui aucun engagement et par conséquent de le tromper lui-même. Ce fut à Rome qu’involontairement ou de parti-pris on se laissa induire en erreur. Il arriva cette fois au pieux pontife et à son judicieux conseiller, le cardinal Consalvi, ce qu’ils avaient tous deux reproché naguère à leur représentant à Paris. Ils eurent le tort de mettre en avant, sans d’ailleurs y insister autant que lui, car ils avaient infiniment plus de sagacité et de tact, des scrupules religieux dont ils devaient s’affranchir plus tard sans que rien fût changé au fond même des choses, sans qu’on se fût donné la peine de leur fournir quelque argument nouveau qui ne leur eût été présenté tout d’abord. Comme le cardinal Caprara, mais avec moins d’excuse, car la fascination qu’il subissait était entière et sans réserve, ils se confièrent à de vaines et fallacieuses apparences.

Quant aux considérations politiques que pouvait faire valoir une sagesse purement humaine, elles étaient nombreuses et puissantes, et si d’autres n’avaient pas été préalablement invoquées sans beaucoup de réflexion, on ne saurait disconvenir qu’elles étaient de nature à peser d’un grand poids sur la détermination de Pie VII. « On jugea, dit Consalvi, que le pape ne pouvait pas reculer devant ce voyage, même en supposant que Bonaparte ne tiendrait pas la parole donnée. Il ne fallait pas, dans cette hypothèse, fournir de prétexte à l’accusation que tout le monde, spécialement le clergé français, aurait fait peser sur lui, quoique sans raison valable. On n’eût point manqué de dire que, par son refus, le pontife occasionnait tout le mal dont on avait à se plaindre en France, et que par là même il empêchait tout le bien qui ne s’y faisait pas et qu’on aurait pu espérer. Il se serait exposé à s’entendre répéter qu’il s’était opposé aux intérêts véritables de la religion, et cela parce qu’il avait redouté les vaines paroles et les sottes censures des hommes animés de l’esprit de parti[29]….. Il pouvait fort bien arriver, si Napoléon violait ses promesses, que le voyage du pape ne mît pas un terme aux maux de la France. Toutefois on crut devoir enlever aux crédules le moyen si commode d’attribuer à Pie VII ces tristes éventualités….. En acceptant l’idée du voyage, nous eûmes encore la pensée de ne pas attirer par un refus les affreuses conséquences qui auraient fondu sur le saint-siège. Ces conséquences du reste ne regardaient pas seulement la chaire de Saint-Pierre; elles intéressaient l’univers entier, car la séparation de la tête et du centre devait nécessairement provoquer une grande perturbation dans le catholicisme. Ces réflexions l’emportèrent dans la balance. »

Jusqu’au dernier moment, l’hésitation resta très grande. Alors même que déjà il penchait vers l’acceptation, le saint-père se montra profondément blessé de la façon dont on s’y prenait avec lui, particulièrement du soupçon de mauvaise foi manifesté par le gouvernement français, qui lui reprochait d’avoir écrit à Vienne pour savoir s’il devait aller à Paris, supposition, disait-il, aussi absurde qu’injurieuse. Avec de pareils soupçons, écrivait Consalvi, les affaires ne sauraient marcher, et plutôt que de les supporter il était prêt à donner sa démission[30]. « Il faut pourtant, écrit-il à la même époque dans une lettre particulière adressée au légat, que votre éminence fasse en sorte, si le pape va à Paris, qu’on se contente de cela, qui est la chose essentielle, et qu’on ne s’obstine pas à lui vouloir forcer la main inutilement. Qu’on y écoute, de grâce, la raison, et qu’on veuille bien y tenir un peu compte des circonstances où se trouve autrui[31]. »

Après que le sacré-collège, consulté à loisir, eut donné en pleine liberté son avis, non-seulement sur la convenance du voyage en lui-même, mais aussi sur les difficultés soulevées par la formule du serment, lorsque les explications de plus en plus accentuées du cardinal Fesch eurent enfin porté une suffisante conviction dans l’âme de Pie VII, il se décida, vers les premiers jours de septembre, à faire savoir à l’empereur que, rempli de confiance dans les promesses reçues et renouvelées, il allait partir malgré ses infirmités et la rigueur de la saison. Tout semblait donc décidé; peu de temps après, tout était cependant remis en question. Au lieu de cette lettre sur laquelle il avait tant insisté, dont il avait à l’avance dicté presque les termes, et que devaient apporter deux évêques, lettre qui aurait contenu l’assurance donnée par l’empereur de s’entendre directement avec le saint-père sur les avantages qu’il s’agissait avant tout de procurer à la religion. Pie VII recevait des mains du général Caffarelli un billet assez laconique, fait pour déplaire, et si mesquin sous tous les rapports, selon Consalvi, que le pape se vit sur le point de retirer sa parole et de répondre par un non. Le général Caffarelli fut personnellement bien reçu par le saint-père; mais Pie VII se montra profondément ému à la lecture du billet de l’empereur, qui ne contenait rien de ce qu’il attendait. « C’est du poison que vous nous avez apporté là. » Si c’était ainsi qu’on remplissait le premier et le plus simple des engagemens qu’on avait pris avec lui, qu’adviendrait-il des autres? Il ne voulut pas se décider toutefois dans une affaire aussi grave sans prendre derechef l’avis du sacré-collège. Les cardinaux jugèrent que du moment où, sur les engagemens pris, on avait adhéré au voyage de Paris uniquement pour procurer un plus grand bien à la religion, il fallait tout sacrifier à ce but[32].


III.

Pie VII partit de Rome le 2 novembre. On eût souhaité à Paris de le voir accompagné du plus grand nombre de cardinaux possible. Plus sa suite eût été considérable et pompeuse, plus l’éclat en aurait rejailli sur le souverain qu’il venait consacrer. Le pape aspirait au contraire à ne donner à la cérémonie qu’une splendeur restreinte. Il amena seulement avec lui six cardinaux et deux princes romains, chefs de sa garde noble, quatre évêques et quelques prélats. Les plus pressantes sollicitations lui avaient été adressées pour que son secrétaire d’état fût aussi du voyage, mais le saint-père répondit « qu’il était de toute impossibilité que Rome fût à la fois abandonnée par le souverain et par son premier ministre, » et le cardinal Consalvi ne quitta point son poste. Pendant le trajet de Rome à Paris, on expédia courrier sur courrier au saint-père pour hâter chaque jour sa venue. Il fut contraint, écrit Consalvi, d’effectuer ce voyage avec une précipitation aussi indécente pour sa dignité que nuisible à sa santé. On ne l’avait pas même consulté pour fixer l’époque de la cérémonie, en un mot, ajoute le secrétaire d’état, on fit galoper le saint-père à Paris comme un aumônier que son maître appelle pour dire la messe[33].

La première entrevue entre Pie VII et Napoléon eut lieu en rase campagne, au carrefour de Saint-Hérem, sur la route de Fontainebleau à Nemours. Napoléon était en costume de chasse, botté, éperonné et environné d’une meute de chiens. Cette rencontre et cet appareil n’étaient point l’effet du hasard; c’était une combinaison ingénieuse qu’avait arrangée le nouvel empereur. Il lui déplaisait, à lui souverain élu de la veille, d’aller en grande cérémonie et en tenue officielle au-devant d’un autre souverain, fût-ce même le successeur de saint Pierre. Ce qui lui aurait bien autrement répugné, c’eût été de se prosterner devant lui et de lui donner, même en apparence, cette marque de déférence chrétienne qui est d’usage à l’égard des pontifes, et qu’à Vienne Joseph II n’avait pas refusée au prédécesseur de Pie VII. Tout cela se trouvait sauvé par le fait d’une rencontre fortuite en pleine forêt, un jour pluvieux du mois de décembre. « La voiture du pape s’arrêta, dit l’un des témoins de cette scène, sitôt qu’il aperçut l’empereur. » Il sortit par la portière de gauche avec son costume blanc; il y avait de la boue; il n’osait mettre à terre son pied chaussé de soie blanche. Cependant il fallait bien qu’il en vint là, raconte avec une sorte de triomphe celui qui avait eu mission de présider naguère à l’exécution du duc d’Enghien, et sur lequel Napoléon avait trouvé tout simple de s’en remettre du soin de régler les détails de son entrevue avec Pie VII[34]. Tout avait été prévu en effet, et les pas comptés à l’avance. Quand le pape fut à une distance convenable, l’empereur s’approcha à son tour, et tous deux s’embrassèrent. Il avait été convenu que l’empereur ramènerait le saint-père au palais de Fontainebleau dans sa propre voiture; mais qui monterait le premier? C’est là qu’éclata toute l’habileté du futur duc de Rovigo. Les conducteurs de cette voiture la firent avancer comme par une sorte d’inadvertance de manière à ce qu’elle séparât l’un de l’autre Pie VII et Napoléon. Des hommes apostés aux deux portières et qui avaient le mot d’ordre les ouvrirent en même temps; l’empereur prit celle de droite, un officier de la cour indiqua au pape celle de gauche; ils montèrent tous deux ensemble. L’empereur se mit naturellement à droite, et ce premier pas, ajoute avec une satisfaction visible le zélé serviteur de Napoléon, décida de l’étiquette pour tout le temps que devait durer le séjour du pape à Paris.

A Fontainebleau, le pape fut reçu avec grande solennité par Joséphine, par la famille impériale et par la cour entière, réunie à l’entrée du bel escalier qui occupe le milieu de la façade du vieux château. La joie rayonnait sur le visage de l’empereur, dit un témoin oculaire, tandis qu’il en franchissait les degrés accompagné de Pie VII. Ses regards, encore plus animés que d’ordinaire, semblaient dire : Regardez, voilà ma conquête! Par l’effet du hasard ou par une nouvelle combinaison dont l’à-propos nous échappe, la marche du cortège était ouverte par le corps des mameluks que Napoléon avait ramené d’Egypte. « L’aspect du visage de ces circoncis et de leurs costumes orientaux transportait à La Mecque, et faisait croire à la présence d’un grand-prêtre de Mahomet plutôt qu’à celle d’un pape. La figure de Pie VII témoignait de l’embarras qu’éprouve naturellement toute personne qui se sent dans un monde entièrement nouveau pour lui. On voyait que son pied, quoique baisé par tout le monde, ne se reposait pas avec confiance sur ce sol qu’il touchait pour la première fois….. Le mélange d’une cour tout ecclésiastique, où des hommes qui n’étaient même pas tonsurés portaient le vêtement épiscopal, avec cette autre cour militaire resplendissante du luxe et de l’éclat bruyant des armes, présentait le plus saisissant contraste. On aurait pu se croire au Japon le jour où l’empereur du ciel et l’empereur de la terre se rendent visite devant le peuple….. Au ministre Fouché, qui lui demanda comment il avait trouvé la France, le saint-père répondit avec un visible attendrissement : « Béni soit le ciel! je l’ai traversée au milieu d’un peuple à genoux. » A Paris, où bientôt il fut conduit dans la voiture de l’empereur, mais de nuit, afin que les habitans de la capitale ne vissent pas leur souverain assis à la gauche du pape, Pie VII fut logé au pavillon de Flore dans un appartement voisin de celui de son hôte. Là, comme à Fontainebleau, comme dans tous les lieux où il lui fut donné de se produire en public, le saint-père accueillit tout le monde avec une noble et paternelle bienveillance. « Il semblait voir un père au milieu d’une famille dont il eût été longtemps séparé, continue le même auteur, peu suspect à coup sûr de partialité. Il n’était cœur si dur dont son regard ne perçât la cuirasse, et personne ne s’est rencontré qui ait pu lui échapper<ref> Les quatre Concordats, par M. de Pradt, ancien archevêque de Malines, t. II, p. 210. </<ref>. »

Il n’entre pas dans notre sujet de raconter en détail le séjour du pape à Paris ni la cérémonie du sacre. Nous croyons que le cardinal Consalvi se trompe quand il assure que l’empereur fit intentionnellement attendre le saint-père sur son trône, auprès de l’autel de Notre-Dame. Ce retard, qui causa une visible anxiété à Pie VII, tenait à des dispositions mal prises, et fut tout à fait involontaire. Il nous semble sans intérêt de constater avec celui qui faisait office de maître des cérémonies du clergé, que pendant le cours assez long de la solennité l’empereur, soit fatigue, soit mauvaise disposition de santé, ne fit que bâiller. Nous passerons ce côté des choses purement extérieur et par conséquent assez peu significatif, et nous signalerons seulement deux incidens qui échappèrent alors à la connaissance du public, mais qui sont plus de nature à révéler le fond même des sentimens de l’empereur.

Le sacre d’un prince, c’est-à-dire le sceau divin mis à ses grandeurs mondaines et représenté par l’onction qu’il reçoit des mains du prêtre, est aux yeux de l’église sinon un véritable sacrement, du moins un acte essentiellement religieux. Telle était, et personne ne le savait mieux que Napoléon, la manière dont le pieux pontife comprenait, dans la solennité qui s’apprêtait, son rôle auguste et celui du souverain sur la tête duquel il allait, suivant les rites usités, verser l’huile sainte et appeler les bénédictions du Très-Haut, Cependant cet étrange catéchumène, que déjà tant de voix acclamaient à l’avance comme l’oint préféré du Seigneur, n’avait jamais été religieusement marié avec Joséphine. Tout le monde l’ignorait. L’empressement qu’en Italie, lorsqu’il n’était encore que le brillant chef d’une armée révolutionnaire, il avait mis à se rapprocher des prêtres, à faire baptiser à l’église les enfans des membres de sa famille et ceux de ses plus intimes généraux, la manière dont il avait encouragé et presque contraint son beau-frère Murat et tant d’autres à faire consacrer par l’église leur alliance civile, ses conversations, toute son attitude, celle surtout de l’impératrice, qui fréquentait assidûment les églises, avaient fait supposer au pape et à tout le monde qu’un mariage tenu secret les avait unis devant l’autel. Il n’en était rien. La politique, s’il faut appeler de ce nom des vues toutes personnelles, avait fait trouver simple et licite à l’empereur de dissimuler entièrement à Pie VII une circonstance qui non-seulement compromettait si fort la dignité du saint-père, mais en ce qui le concernait lui-même, — laissant de côté les scrupules religieux propres aux seuls croyans, — touchait de si près, il nous semble, à la conscience de l’honnête homme. Bonaparte n’avait pas encore résolu de se séparer de Joséphine. Tous les efforts de ses frères l’y poussaient<ref> Les moyens qu’employaient les frères de Napoléon pour le décider à se séparer de Joséphine étaient parfois étranges, et donnent une singulière idée des rapports des membres de cette famille et de ce qu’ils se pouvaient dire entre eux dans l’intimité. Voici les paroles que Joseph raconte lui-même avoir adressées à son frère, quand ils agitaient ensemble cette question du divorce. « Tu balances ! ai-je dit au premier consul. Eh bien! qu’en arrivera-t-il? Qu’un événement naturel amène la mort de cette femme, tu seras pour la France, pour l’Europe, pour moi qui te connais bien, tu seras son empoisonneur... n (Mémoires du comte Miot de Melito, t. II, p. 123.) </<ref>. Il résistait encore à ce moment par un reste de tendresse pour la compagne qu’il avait aimée, et de l’affection de laquelle, malgré de récens nuages, il se tenait avec raison pour assuré; mais sa pensée devançait déjà les temps où bientôt il allait céder aux inspirations d’une mauvaise et décevante ambition. Il trouvait en tout cas plus sûr de ne point donner publiquement des armes contre ses résolutions ultérieures à celle dont il lui faudrait peut-être se séparer plus tard. Telles étaient les raisons de son silence vis-à-vis du saint-père. Joséphine, cruellement poursuivie par ses beaux-frères, avait tout intérêt à le rompre. La veille du sacre, après mille hésitations, toute tremblante d’émotion et d’effroi, elle alla verser avec ses pleurs sa triste confidence dans les oreilles du pape. Pie VII en fut atterré. Sa réponse cependant fut pleine de tendresse à l’égard de la malheureuse femme éplorée, empreinte de douceur à l’endroit de celui qui l’avait trompé, et, pour ce qui regardait les devoirs du prêtre et du souverain pontife, d’un tact incomparable.

Canoniquement la situation de l’empereur ne le concernait pas, c’était affaire à régler entre sa conscience et lui. Il continuait donc, pour ce qui le regardait, à tout ignorer; mais, sachant de l’impératrice ce qu’il en avait appris, il ne pourrait, à son grand regret, la sacrer en même temps que son époux, si d’ici là ils n’avaient été mariés par un prêtre. Grande fut la colère de Napoléon quand il connut la démarche de Joséphine et la résolution du saint-père. Comprenant vite toutefois à quel point elle était inébranlable, il céda. Dans la nuit même qui précéda le couronnement, le cardinal Fesch, ayant pour témoins M. de Talleyrand et le maréchal Berthier, maria secrètement l’empereur dans la chapelle des Tuileries. Ces détails sur le mariage religieux de l’empereur et de Joséphine, accomplis de si mauvais gré et si tardivement, la veille même du sacre, sont restés jusque dans ces derniers temps inconnus du public. Plus scrupuleux qu’on ne l’avait été à son égard, le pape se considéra probablement comme lié par l’espèce de confession qu’il avait reçue de Joséphine; dans ses différends ultérieurs avec l’empereur, il n’en ouvrit jamais la bouche. Il n’y est jamais fait allusion dans les pièces émanées de la chancellerie pontificale, et le cardinal Consalvi, soit qu’il n’ait rien su, soit qu’il s’en taise par les mêmes motifs que le saint-père, n’en souille pas mot non plus dans ses mémoires. M. Thiers, qui le premier a raconté avec une parfaite exactitude cette scène de l’intérieur impérial, n’a pas décrit avec moins de vérité la physionomie générale de la cérémonie de Notre-Dame. Ce qu’il dit de la façon décidée, du geste à la fois impérieux et calme avec lequel Napoléon, devançant Pie VII, saisit la couronne pour la mettre lui-même sur sa tête, est emprunté aux souvenirs les mieux établis des contemporains. Il a raison d’ajouter qu’elle causa dans le moment parmi les assistans une très vive sensation, et qu’elle rencontra de la part du public de cette époque une générale approbation. Il nous appartient de constater qu’elle était la violation positive d’arrangemens convenus à l’avance. « Tous les empereurs de France, tous ceux d’Allemagne qui ont été sacrés par les papes, avait écrit le cardinal Consalvi le 7 août, c’est-à-dire quelques jours avant l’acceptation définitive, ont été en même temps couronnés par les pontifes. Le saint-père, pour se décider au voyage, a besoin de recevoir de Paris l’assurance qu’il ne sera rien innové dans la circonstance actuelle contrairement à l’honneur et à la dignité du souverain pontife[35]. » — « Il saute aux yeux, continue le secrétaire d’état dans une dépêche subséquente, combien la dignité et l’honneur de sa sainteté seraient compromis, si la cérémonie même qu’elle est appelée à faire venait à être faite par un autre main que la sienne. Cela ne serait point décent[36]. »

A cet égard, le cardinal Fesch et M. de Talleyrand avaient donné avec force protestations les mêmes assurances solennelles, mais vagues, que sur tous les autres points en litige. Le pape, si modeste qu’il fût, souffrit beaucoup de cette action imprévue de l’empereur; il la ressentit non point comme un affront fait à sa personne, mais comme une atteinte portée à sa dignité pontificale. Par amour de la paix, pour ne point compliquer par aucune apparence de susceptibilité la situation déjà si tendue, décidé d’ailleurs à n’attacher de sérieuse importance qu’aux choses qui intéresseraient directement la religion et l’état des âmes en France, Pie VII ne protesta point. Il prévint seulement que, si dans la relation officielle du Moniteur les détails de la cérémonie de Notre-Dame étaient rapportés autrement qu’ils avaient été à l’avance tracés dans le cérémonial convenu entre les deux cours, il réclamerait et prendrait soin d’établir qu’il n’avait point librement et de plein gré consenti à aucun changement. De là cette circonstance singulière, fort remarquée dans le temps et jamais expliquée, du silence absolu gardé par le Moniteur sur la cérémonie dont la description remplissait toutes les feuilles publiques de la France et de l’étranger. On crut d’abord à un retard motivé par le besoin qu’éprouvait l’organe officiel du gouvernement d’être plus exact et plus complet que les journaux ordinaires. On attendit, puis l’attention se porta vite ailleurs, car elle avait alors de quoi se distraire, et bientôt l’on n’y pensa plus.

Quant au pieux pontife, sa pensée était uniquement tendue vers le but religieux, le seul utile, le seul vraiment important du voyage qu’il avait entrepris. S’il avait donné au nouveau souverain de la France une marque si éclatante de considération publique et d’affection personnelle, il entendait en faire exclusivement profiter la cause sacrée dont il était le défenseur. Plus il avait montré de condescendance poussée jusqu’à l’abnégation dans les choses terrestres qui regardaient les intérêts ou l’orgueil de l’empereur, plus il se flattait de le trouver à son tour conciliant sur les questions d’un ordre tout différent, dont il allait avoir à l’entretenir ; mais contre son attente, du jour où pour la première fois il ouvrit la bouche sur ces sujets dont son cœur était tout plein, de ce jour-là commencèrent les déceptions amères et les déboires incessamment renouvelés du malheureux Pie VII. Depuis l’entrevue de Fontainebleau, Napoléon n’avait point cessé d’être attentif et gracieux envers son hôte. Le pape, doué lui-même d’un vif et charmant esprit, n’avait pas été insensible aux séduisantes manières de ce grand capitaine capable de devenir, s’il lui plaisait, le plus aimable des hommes. Cependant lorsque tous deux se trouvèrent face à face pour traiter les questions qui les avaient divisés et qu’il leur restait à résoudre, en peu de temps il fut évident pour l’un et pour l’autre qu’ils n’arriveraient jamais à s’entendre. Non-seulement l’accord fut impossible à établir, mais le charme lui-même fut rompu. On a su peu de chose sur ces entretiens confidentiels du pape et de l’empereur. Ils n’aimèrent jamais à s’en expliquer. Le résultat seul en transpira. En continuant à rendre justice à la touchante patience du saint-père, Napoléon ne cacha point à ses confidens qu’il lui trouvait l’esprit étroit, obstiné et pas trop différent de celui des autres prêtres. Ce qui avait irrité l’empereur, c’est que sur nombre de points d’histoire ecclésiastique et autres sujets semblables dont il avait pris une teinture, et qu’avec sa merveilleuse sagacité il avait étudiés pour la circonstance sous la direction de l’habile Portalis, le pape souvent lui tint tête, maintenant ses dires et lui remontrant tout doucement par où péchait sa science de fraîche date. Il ne plaisait pas à l’empereur d’être pris en faute sur quoi que ce soit. Plusieurs fois il se fâcha. « Est-ce que votre sainteté, s’écria-t-il un jour, me prendrait pour un Charles IV ? »

Il était difficile de se méprendre à ce point. Pie VII ne commit point de pareilles erreurs. À voir au contraire l’empereur ainsi armé de toutes pièces contre lui, il comprit vite l’inanité des espérances auxquelles il s’était laissé aller. Par un juste sentiment du devoir, mais sans entretenir désormais aucune illusion, il rappela les promesses faites, insista verbalement et par écrit sur tous les points qui avaient été l’objet des engagemens pris avant son départ de Rome. Il savait d’avance qu’il ne réussirait point, et par le fait il n’obtint rien. Une seule circonstance fit descendre d’en haut un peu de consolation dans son âme désolée : ce fut la rétractation complète des évêques constitutionnels. Consalvi a grand soin de nous avertir que le gouvernement français, quoiqu’il eût promis son concours, ne fut pour rien dans leur retour au sein de l’église. Cette réconciliation, si précieuse à ses yeux, fut l’œuvre toute personnelle de Pie VII et le triomphe de son irrésistible charité. La réception pleine de respect et d’affection qu’il rencontra de la part des habitans de Paris lui procura aussi un peu de soulagement. Qu’il faille l’attribuer à son caractère sacré ou à l’impression produite par son âge, par le doux éclat de son visage le plus souvent animé du plus gracieux sourire, l’accueil empressé de la multitude ne lui fit en effet jamais défaut pendant tout le temps de son séjour dans la capitale. Chose singulière, et qu’on aurait peine à croire si l’on ne savait ce que peuvent être sur ce point délicat les susceptibilités des pouvoirs absolus, même les mieux établis, même les plus illustres, Bonaparte fut un moment jaloux de la popularité de Pie VII. Par un misérable ombrage, le glorieux vainqueur de tant de batailles qui passait au Champ-de-Mars des revues où courait la foule enthousiaste de ses admirateurs ne put prendre sur lui de permettre que le pape officiât pontificalement à Notre-Dame, et Pie VII, au jour de Noël, fut obligé d’aller dire une messe basse dans quelque obscure chapelle de paroisse. Quand vint le moment du départ, qui coïncida avec les solennités de la semaine sainte, on le fit s’arrêter à Mâcon, nous raconte Consalvi, de peur que, se trouvant le jour même de Pâques à Lyon, ville très catholique, il n’y éclipsât l’empereur[37].

Pie VII ne réclama pas une seule fois contre les traitemens dont il fut l’objet pendant son séjour en France, traitemens que son ministre et son confident dévoué, le cardinal Consalvi, nous représente avec un peu d’exagération comme ayant été une suite d’affronts continuels. A quelque point de vue qu’il les ait considérés, nous croyons qu’ils affectèrent assez peu le souverain pontife en comparaison de l’immense et douloureux désenchantement qu’il rapporta de Paris. Sans doute il était encore loin d’entrevoir les prochaines catastrophes qui allaient bientôt menacer le siège de Saint-Pierre. Il s’en fallait de beaucoup qu’il s’imaginât être à la veille d’une rupture ouverte avec le nouveau souverain de la France. Il avait toutefois perdu à son égard presque toutes ses illusions. Il avait senti, au contact de la personne elle-même, combien deviendraient de plus en plus dures et de plus en plus impitoyables les exigences de ce dominateur si violent, si absolu, incapable d’admettre jamais aucune résistance à ses volontés, et moins que toute autre celle qu’un jour il rencontrerait dans la conscience du pontife qui venait de le sacrer. De son côté, s’il couvait dès lors (ce dont nous doutons un peu) les vues étranges exposées dans ses mémoires, sur le parti qu’un empereur français, dominateur de l’Europe entière, pourrait tirer d’un pape transporté avec tout son pouvoir spirituel de Rome à Paris, Napoléon put facilement deviner que Pie VII ne serait jamais le pontife qui se prêterait à un pareil projet. A supposer qu’il y eût un instant songé, il fut vite désabusé. Un homme considérable de la cour impériale que le pape n’a point voulu nommer, mais qui passait pour colporter parfois à titre d’essai les pensées du maître, ayant parlé un jour devant lui de la possibilité pour le pape d’habiter Avignon ou d’accepter un palais papal à l’archevêché de Paris, où l’on pourrait établir un quartier privilégié comme à Constantinople, quartier dans lequel le corps diplomatique accrédité auprès de l’autorité pontificale aurait le droit exclusif de résider, le saint-père, effrayé de ces paroles plutôt insinuées qu’adressées directement, crut nécessaire d’y couper court. « On a répandu, dit-il devant ce même grand-officier, on a répandu le bruit qu’on pourrait nous retenir en France. Eh bien ! tout est prévu. Avant de partir de Rome, nous avons signé une abdication régulière et valable, si nous sommes jeté en prison. L’acte est hors du pouvoir des Français. Le cardinal Pignatelli en est dépositaire à Palerme, et quand on aura signifié les projets qu’on médite, il ne vous restera plus entre les mains qu’un moine misérable qui s’appellera Barnabé Chiaramonti[38]. »

Aujourd’hui, placés à distance et facilement éclairés sur la valeur des faits par les conséquences qu’ils ont portées, nous pouvons sans grand mérite apprécier de sang-froid ce singulier événement de la venue du pape à Paris et du couronnement par ses mains du glorieux représentant de la révolution française. Il nous est aisé de reconnaître qu’il n’a point tenu les promesses qu’il semblait annoncer à l’église, comme à l’empire. « Napoléon attachait une extrême importance à cette cérémonie; il était fortement persuadé, dit le comte Miot de Melito, que l’onction religieuse reçue des mains du pontife rendrait sa personne sacrée. » — « Il était rempli de l’idée que cette cérémonie l’avait beaucoup relevé aux yeux des Français, écrit M. de Pradt; très souvent je l’ai entendu mettre son sacre au nombre des causes qui le faisaient le plus considérer par la nation. » Aux jours de l’infortune, Napoléon a pu se rendre compte de ce que valait aux yeux de la multitude cette consécration religieuse. A l’île d’Elbe, à Sainte-Hélène, il a pu lire des harangues non moins adulatrices, non moins enthousiastes et plus sincères peut-être que celles qui lui étaient naguère adressées, portées par tous les évêques de son choix aux pieds des princes légitimes, que, lui régnant, ils avaient si vite et si complètement oubliés. Rien n’était changé pour eux, pas même la formule de leur serment, quoique le gouvernement nouveau l’interprétât sans doute autrement que n’avait fait Napoléon[39]. Prisonnier à Savone, le saint-père eut, à son tour, tout le temps de connaître la vanité des courtes espérances qu’il avait mises dans l’heureuse entente un moment établie avec le chef du grand empire français; mais à l’heure dont nous parlons ces terribles leçons que préparait l’avenir sur la fragilité de l’alliance entre l’église et l’état n’étaient pas même entrevues par les plus sagaces esprits. Seule peut-être, Mme de Staël, guidée par sa haine de la tyrannie renaissante, avait franchi les mers pour aller en imagination chercher sur les côtes de l’Amérique le modèle d’un état de choses encore voilé en Europe aux yeux de la plupart de ses contemporains.

A considérer terre à terre, mais sainement, les choses, à ne tenir compte que de leur valeur du moment, il n’est point douteux que l’empereur avait beaucoup gagné au sacre. Cette éclatante solennité avait eu pour premier effet de faire entièrement oublier, sauf de quelques âmes rigides et fières, le meurtre du duc d’Enghien, et cette adhésion formelle du souverain pontife avait calmé presque tous les scrupules. A la voix de celui qui avait appelé les bénédictions du ciel sur le nouvel élu du Seigneur, les barrières étaient tout à coup tombées, qui retenaient encore, non pas seulement les vulgaires convoitises, celles-là étaient depuis longtemps franchies, mais aussi les légitimes aspirations de beaucoup d’honnêtes ambitieux qui bridaient de servir un chef de gouvernement dont tous les actes ne supportaient pas le rigoureux examen des consciences délicates, mais qui se montrait alors si heureux, si habile et si fort. Ainsi, tandis que de cette première rencontre entre les représentans des deux grands pouvoirs qui se disputent la terre Napoléon sortait humainement grandi, s’il pouvait l’être encore à cette époque, Pie VU, il faut bien en convenir, restait spirituellement un peu diminué; lui-même en avait conscience.

Ce fut l’âme triste et le cœur troublé qu’il revint à Rome, attendant non sans inquiétude le jugement que porteraient sur les fruits de son voyage les membres du sacré-collège romain et les catholiques du monde entier, car c’est le propre des papes et bien souvent leur embarras, dont peut-être on ne leur tient pas toujours assez compte, qu’il leur faut agir non pas en vue d’un seul pays, mais de tous ceux qui acceptent leur suprématie religieuse. Quelques-unes des appréciations portées hors de France à cette époque par un homme qui fut depuis l’apôtre à coup sûr très éloquent, mais à notre sens très compromettant de la cause papale, sont remarquables par leur extrême vivacité et l’amertume dont elles sont empreintes. Ajoutons de plus qu’au moment où elles s’exprimaient dans une langue qui n’est nulle part de bon goût, mais qui est particulièrement choquante, quoique habituelle, dans une certaine école religieuse, ces appréciations étaient de plus souverainement injustes[40]. Le comte de Maistre ignorait alors les rudes assauts soutenus, les combats livrés en silence, les refus opposés en toute douceur, sans bruit comme sans jactance, par celui qu’avec tous les honnêtes gens il allait bientôt être tenu d’admirer, lorsque, — sa dignité de prince temporel et sa conscience de sacré pontife se trouvant à ses yeux clairement engagées dans des questions nettes et précises, — Pie VII, demeuré toujours patient, humble et résigné, mais devenu tout à coup d’une fermeté inébranlable, se mit à soutenir bien à contre-cœur la longue lutte défensive dont il nous reste maintenant à rendre compte.


D’HAUSSONVILLE.

  1. Voyez la Revue du 1er  décembre 1866.
  2. Le premier consul venait tout récemment de donner la mesure de ses sentimens vis-à-vis de ses deux collègues, et cela justement à l’occasion de la fête solennelle de Pâques dont nous avons parlé dans notre dernière étude. Le clergé avait fait demander le matin aux Tuileries si, dans la cérémonie qui allait avoir lieu, MM. Lebrun et Cambacérès, en qualité de second et de troisième consuls, ne devaient pas être encensés après Napoléon. Il leur fut répondu officiellement que non. « Cette fumée, ajouta ironiquement leur dédaigneux collègue, serait encore trop solide pour eux. »
  3. « Il n’y a personne en Europe qui n’ait vu d’une manière évidente dans le sénatus-consulte d’avènement que l’héritier présomptif était dans la branche du prince Louis. » Dépêche chiffrée de M. de Talleyrand à M. de Thiard, chargé d’affaires près le grand-duc de Bade, 8 novembre 1805. Voir aussi, sur les rapports du premier consul avec son frère Louis, tous les mémoires du temps, et particulièrement ceux de Fouché, duc d’Otrante. Comme l’explique très bien dans l’Encyclopédie des gens du monde M. Vieillard, ancien député, ancien sénateur et précepteur de l’empereur actuel pendant son enfance, ces mémoires de Fouché, quoique ayant été juridiquement proclamés apocryphes à la suite d’un procès entre l’éditeur et la famille de l’ancien ministre de la police, n’en ont pas moins été composés d’après des documens authentiques et des notes autographes fournies par Fouché lui-même.
  4. Lettre de Joseph Bonaparte au premier consul insérée dans ses mémoires, avril 1803.
  5. Nous prions nos lecteurs de se bien persuader que nous n’inventons jamais rien. Il y a plus : de même que nous empruntons de préférence à la correspondance du cardinal Caprara et aux documens émanés du saint-siège les détails qui nous semblent n’être pas entièrement favorables à la cause de l’église romaine, de même c’est dans la propre correspondance de Napoléon, dans celle de ses frères, dans les pièces officielles du temps, dans les mémoires de ses serviteurs les plus dévoués, que nous allons chercher exclusivement la preuve des faits qui ne font pas grand honneur au premier empire. Telle est notre règle; nous n’osons pas dire qu’elle soit indispensable en histoire; elle est toutefois la plus sûre, et nous aurons soin de ne pas nous en écarter jusqu’à la fin de ce travail. Voici comment s’exprimait Joseph à cette époque :
    « Mon frère veut surtout que le besoin de son existence soit si vivement senti et que cette existence soit un si grand bienfait que l’on ne puisse rien voir au-delà sans frémir. Il sait et il sent qu’il règne par cette idée plus que par la force ou la reconnaissance. Si demain, si un jour on pouvait se dire : Voilà un ordre de choses stable et tranquille, voilà un successeur désigné qui le maintiendra; Bonaparte peut mourir, il n’y a ni trouble ni innovation à craindre, — mon frère ne se croirait plus en sûreté….. Telle est la règle de sa conduite….. Je suis las de sa tyrannie, de ses vaines promesses tant de fois répétées et jamais remplies. Je veux tout ou rien. Qu’il me laisse simple particulier ou qu’il m’offre un poste qui m’assure la puissance après lui….. Qu’il aille encore une fois, s’il le veut, ensanglanter l’Europe par une guerre qu’il pouvait éviter,... pour moi, je me réunirai à Sieyès, à Moreau même, s’il le faut, à tout ce qui reste en France de patriotes et d’amis de la liberté pour me soustraire à tant de tyrannie. » (Mémoires de M. le comte Miot de Melito, t. II, p. 48 et 152, etc.)
  6. « Je trouvai alors à Montebello, indépendamment des personnes dont j’ai parlé..., son oncle Fesch, alors intéressé dans les fournitures de l’armée, et qui, suivant le bruit public, vivait très peu en prêtre, dont il ne portait pas le costume » (Mémoires du comte Miot de Melito, t. Ier, p. 161.)
  7. Vie et pontificat de Pie VII, par M. Artaud, t. Ier, p. 483.
  8. « J’ai beaucoup réfléchi à ce que vous m’avez fait l’honneur de me dire hier,.. La forme du gouvernement qui nous régit est la plus appropriée aux mœurs, aux besoins, aux intérêts de notre pays... Mais ce qu’on ne sent pas moins en France et même en Europe, car l’Europe y est aussi intéressée que la France, c’est que cet ordre de choses si précieux tient uniquement à votre personne, qu’il ne peut subsister et se consolider que par elle. Les convictions à cet égard seraient même à peu près unanimes, si quelques intrigans malintentionnés n’avaient l’art de semer continuellement des bruits qui tendent à faire croire que vos idées ne sont pas complètement arrêtées, que vous pourriez tourner vos regards vers l’ancienne famille régnante. Ils vont même jusqu’à donner à entendre que vous pourriez vous contenter du rôle de Monk. Cette supposition, répandue avec une grande perfidie, fait le plus grand mal... Voilà qu’une occasion se présente de dissiper toutes ces inquiétudes : la laisserez-vous échapper? Elle vous est offerte par l’affaire qui doit amener devant les tribunaux les auteurs, les acteurs et les complices de la conspiration récemment découverte. Les hommes de fructidor s’y retrouvent avec les Vendéens qui les secondent. Un prince de la maison de Bourbon les dirige... Le but est évidemment l’assassinat de votre personne. Vous êtes dans le droit de la défense personnelle. Si la justice doit punir rigoureusement, elle doit aussi punir sans exception. Réfléchissez-y bien! » (Note de M. de Talleyrand au premier consul, 8 mars 1804.)
  9. Dépêche du cardinal Caprara au cardinal Consalvi, 10 mai 1803.
  10. Dépêche du cardinal Caprara au cardinal Consalvi, 9 mai 1804.
  11. Le cardinal Caprara au cardinal Consalvi, 10 mai 1804.
  12. Lettre particulière du cardinal Caprara au cardinal Consalvi, 13 mai 1804.
  13. Le cardinal Caprara au cardinal Consalvi, 6 mai 1804.
  14. A la page 387 des mémoires de Consalvi, nous trouvons une note assez vague de l’éditeur, qui, sans en indiquer la provenance et la nature, cite un écrit où le cardinal prête au saint-père les sentimens que nous lui supposons nous-même. « Quand le cardinal Fesch vint, de la part du chef de la France, annoncer au pape l’assassinat de cette grande et innocente victime, le saint-père pleura beaucoup, et dit que ses larmes coulaient autant sur la mort de l’un que sur l’attentat de l’autre. Dans sa pensée. Pie VII déplorait amèrement cette mort, mais il déplorait encore plus amèrement peut-être que Bonaparte s’en fût rendu coupable. Les explications embrouillées que le cardinal Fesch était chargé de lui présenter ne le convainquirent point, et lorsqu’on mit en question le couronnement de Bonaparte et le voyage à Paris, la mort du duc d’Enghien fut une des causes secrètes qui firent si longtemps hésiter le saint-père. »
  15. Le cardinal Consalvi au cardinal Caprara, 23 mai 1804.
  16. Ibid., 30 mai 1804.
  17. Le cardinal Caprara au cardinal Consalvi, 16, 20, 26 mai 1804.
  18. « Le seul bruit vague de la possibilité du voyage du pape a provoqué un déluge de critiques, à commencer par les ministres étrangers, qui donnent au saint-père le titre de chapelain de l’empereur. » Le cardinal Consalvi au cardinal Caprara, dépêche chiffrée du 5 juin 1804,
  19. Mémoires du cardinal Consalvi, t. II, p. 385.
  20. Le cardinal Consalvi au cardinal Caprara, 6 juin 1804.
  21. Mémoires du cardinal Consalvi. — Dépêche chiffrée du cardinal Consalvi au cardinal Caprara, 5 juin 1804. — Idem, 6 juin 1804. — Idem, 7 juin 1804. — Note n° 1 jointe à la dépêche du 6 juin. — Lettre du cardinal Caprara à M. de Talleyrand, 25 juin 1804. — Dépêche du cardinal Fesch à l’empereur, 10 juin 1804.
  22. Note jointe à la dépêche du 6 juin 1804.
  23. Le cardinal Consalvi au cardinal Caprara, 6 juin 1804.
  24. Le cardinal Consalvi au cardinal Caprara, dépêche chiffrée du 5 juin 1804.
  25. Le cardinal Consalvi au cardinal Caprara, note n° 2 jointe à la dépêche du 6 juin 1804.
  26. Le cardinal Caprara au cardinal Consalvi, 23 juin 1804.
  27. Le cardinal Caprara au cardinal Consalvi, 29 juin.
  28. M. Artaud raconte qu’à la suite d’une des entrevues les plus orageuses qu’il ait eues avec le cardinal secrétaire d’état pendant cette longue et difficile négociation, le cardinal Fesch avait tellement perdu la tête, qu’à son decano di portera, qui lui demandait où il fallait conduire son éminence, il répondit tout en colère, devant la foule étonnée : Casa del diavolo ! (M. Artaud, Vie de Pie VII, t. Ier, p. 489.)
  29. Mémoires du cardinal Consalvi, t. II, p. 390.
  30. Le cardinal Consalvi au cardinal Caprara, 1er août 1804.
  31. Lettre particulière du cardinal Consalvi au cardinal Caprara, 1er août 1804.
  32. Mémoires du cardinal Consalvi, t. II, p, 402.
  33. Ibid., t. II, p. 403.
  34. Mémoires du duc de Rovigo, t. II, p. 111.
  35. Note 1 jointe à la dépêche du 7 août du cardinal Consalvi au cardinal Caprara.
  36. Lettre du cardinal Consalvi au cardinal Caprara, 2 septembre.
  37. Mémoires du cardinal Consalvi, t. II, p. 462.
  38. Histoire du pape Pie VII, par M. Artaud, t. II, p. 45.
  39. Cette formule du serment consignée dans l’article VI du concordat, par laquelle les évêques s’obligeaient, si dans leur diocèse ou ailleurs ils apprenaient qu’il se tramât quelque chose contre la sûreté de l’état ou au préjudice de l’état, à le faire savoir au gouvernement, n’a pas été maintenue en 1830. Elle fut abolie pendant le court passage de M. de Broglie au ministère de l’instruction publique et des cultes. Les évêques prêtèrent alors le serment des pairs et des députés. Sous la république, les évêques eurent, comme tous les autres citoyens, le bonheur de n’en prêter aucun. Il n’est pas hors de propos de faire observer que, tandis qu’en Italie on offre au saint-père de dispenser les évêques du serment, il vient d’être rétabli en France suivant la vieille formule du concordat.
  40. «... On se moque ici assez joliment du bonhomme, qui en effet n’est que cela, soit dit à sa gloire; mais ce n’est pas moins une calamité qu’un bonhomme dans une place et à une époque qui exigeraient un grand homme.
    « 9 mars 1804.
    « Les forfaits d’un Alexandre Borgia sont moins révoltans que cette hideuse apostasie de son faible successeur... Je n’ai point de termes pour vous peindre le chagrin que me cause la démarche que va faire le pape. S’il doit l’accomplir, je lui souhaite tout simplement la mort... Je voudrais de tout mon cœur que le malheureux pontife s’en allât à Saint-Domingue pour sacrer Dessalines. Quand une fois un homme de son rang et de son caractère oublie à ce point l’un et l’autre, ce qu’on doit souhaiter ensuite, c’est qu’il achève de se dégrader jusqu’à n’être plus qu’un polichinelle sans conséquence. »
    Voilà ce que la passion dictait à M. de Maistre en 1804. Nous doutons qu’aux yeux de tout homme de bon sens ces énormités soient rachetées par d’autres énormités qu’il a écrites plus tard en sens inverse.