L’Église romaine et les Négociations du Concordat (1800-1814)/06

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L’Église romaine et les Négociations du Concordat (1800-1814)
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 69 (p. 84-118).
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VI.

COMMENCEMENT DES DIFFICULTÉS ENTRE NAPOLÉON ET PIE VII.


I. Mémoires du cardinal Consalvi. — II. Œuvres complètes du cardinal Pacca. — III. Correspondance du cardinal Caprara. — IV. Correspondance de Napoléon Ier. — V. Dépêches diplomatiques et documens inédits français et étrangers, etc.


I

Ainsi que nous l’avons raconté dans notre précédente étude[1], Pie VII était revenu à Rome (mai 1805) assez triste et passablement découragé. Son voyage à Paris n’avait guère profité à la cause du saint-siège, et sa position personnelle se trouvait, après son retour dans ses états, plutôt diminuée qu’agrandie. Entre les avantages que l’empereur des Français avait tirés de la consécration religieuse donnée à son pouvoir nouveau par le chef de la catholicité et ceux qu’en retour de cet acte de complaisance il avait bien voulu lui concéder, la disproportion était évidente ; elle frappait tous les yeux. Plus que personne, Pie VII en avait conscience. Toute réclamation publique était impossible, car rien de précis n’avait été formellement convenu, et le désappointement était, pour le saint-père, d’autant plus pénible à supporter, que la cause secrète en devait rester profondément cachée à tous les yeux. Tâchons d’en bien expliquer la nature.

Pie VII, on s’en souvient, était parti de Rome troublé jusqu’au plus profond de son âme de la terrible responsabilité qu’allait faire peser sur lui, pendant son séjour à Paris, sa double qualité de souverain temporel et de gardien de la foi catholique. Il s’était bien promis de ne point mériter le reproche d’avoir sacrifié injustement l’un à l’autre aucun des intérêts si considérables, mais d’essence si diverse, qui se trouvaient forcément confondus dans ses mains. Il avait donc mis le soin le plus attentif à bien établir avant son départ de Rome qu’il n’avait, comme prince régnant, voulu mettre aucune condition expresse à sa venue en France. Il n’avait de ce chef rien demandé, rien insinué ; il avait même repoussé les conseils du cardinal Fesch, qui, à plusieurs reprises, avait insisté pour qu’il réclamât, avant son départ et comme un préliminaire indispensable, la restitution des Légations. Tout autre avait été la préoccupation du saint-père. Parmi les assurances aussi vagues que nombreuses qui lui furent alors prodiguées, une seule avait paru lui tenir à cœur, à savoir qu’en dehors des communications officielles entre les deux gouvernemens l’empereur s’aboucherait confidemment avec lui et l’écouterait favorablement au sujet des affaires de la religion. Sur ce seul engagement, que verbalement et par écrit il n’avait pas cessé d’exiger avec une persistante inflexibilité, s’étaient fondées, à vrai dire, toutes ses espérances.

Resté toujours modeste, timide même, comme il l’était encore dans ses relations personnelles, Pie VII, depuis qu’il était monté sur le siège de Saint-Pierre, n’en avait pas moins acquis une certaine confiance dans l’autorité de son action pontificale. Le choix que le sacré-collège avait fait de lui, cette élévation si imprévue, si peu souhaitée, qui était venue le surprendre au sein de la plus innocente obscurité, lui étaient clairement apparus comme le signe des mystérieux desseins que la Providence se proposait d’accomplir par son humble entremise. Les respects mérités que ses rares vertus lui avaient attirés de la part de ses sujets italiens et des catholiques du monde entier, les témoignages de déférence qu’il avait reçus des souverains de l’Europe, plus que tout le reste l’empressement que le chef de la France républicaine avait mis à le rechercher et la facilité avec laquelle avait été signé si promptement le concordat, cet heureux fruit de leur utile accord, avaient insensiblement convaincu le pieux pontife qu’une sainte mission lui était réservée, à laquelle les secours d’en haut ne feraient certainement point défaut, mais pour laquelle, à ne tenir compte que des considérations purement humaines, il pouvait se croire merveilleusement bien préparé. Pendant la durée déjà longue de sa carrière ecclésiastique, jamais il n’avait pris parti contre ces principes de 89 si chers à la révolution française, et qu’elle s’était hâtée de répandre de l’autre côté des Alpes. Il leur avait au contraire, comme évêque d’Imola, par une lettre pastorale de 1797, donné dans une solennelle circonstance la plus éclatante adhésion. Bien différent en cela de son fidèle serviteur et de son ami le secrétaire d’état Consalvi, il avait le bonheur de n’avoir d’attache d’aucune sorte avec les vieilles royautés déchues, et d’être sans liens d’affection particulière avec les partisans de l’ancien régime, demeurés si nombreux parmi les membres du sacré-collège. Par ses antécédens, par ses sympathies bien avérées, par un ensemble de circonstances singulières, il se trouvait réaliser dans sa personne le véritable type du pape des temps modernes. Le gouvernement d’origine démocratique en train de se fonder en France n’avait plus rien qui pût à aucun degré lui déplaire depuis le jour où, remettant toutes choses à leur place, l’homme de génie dont la seule volonté suffisait à accomplir tant de merveilleux changemens avait enfin pris le parti de rendre dans ses états à la religion catholique toute son antique splendeur. Le chef de la nouvelle dynastie française n’était-ce pas ce brillant général dont les exploits avaient naguère si vivement parlé à l’imagination de tous les Italiens, qui, de passage à Rimini, avait signalé comme un modèle de sagesse et de dignité ecclésiastique la conduite tenue alors dans son diocèse par l’ancien évêque d’Imola, par celui-là même que la volonté visible de Dieu avait depuis miraculeusement porté à la tête de l’église, afin de lui ménager en des temps si difficiles le plus favorable traitement ?

Tels étaient les sentimens avec lesquels Pie VII était parti de Rome pour aller couronner l’empereur. Il n’éprouvait pas seulement pour lui la banale admiration que peu de gens lui refusaient alors ; il arrivait le cœur plein à son égard d’une ancienne et véritable sympathie, et, malgré les vagues inquiétudes qui déjà plus d’une fois avaient traversé son esprit, faisant après tout grand fonds sur sa bonne volonté. Justement parce qu’il se rendait la justice d’avoir cédé à un mouvement tout à fait sincère, qui, à son origine du moins, avait été complètement désintéressé, le saint-père ne doutait point de rencontrer en retour chez ce grand homme, qui pouvait faire tant de bien, des dispositions à peu près semblables. Il y a plus : confiant dans le don qu’il possédait de persuader et de plaire, qui en réalité était chez lui fort grand, Pie VII s’était outre mesure flatté de faire accepter par l’empereur Napoléon sa douce et pénétrante influence. Les affaires de la religion dont il avait si vivement réclamé le droit d’entretenir en particulier le chef du gouvernement français, c’étaient avant tout à ses yeux les intérêts du catholicisme lui-même ; c’était aussi la conservation intégrale de la souveraineté temporelle qu’à son avènement il avait juré de défendre, dont le maintien, à tort ou à raison, a toujours été considéré jusqu’à présent par les évêques de Rome comme la condition indispensable de l’indépendance de leur apostolat. S’il avait assez de confiance dans ce qui lui semblait son bon droit pour n’hésiter pas à le revendiquer sans faiblir, Pie VII était en même temps trop clairvoyant pour n’avoir point d’avance pressenti combien par les temps qui couraient, et avec un tel homme, il lui serait difficile d’ouvrir à ce sujet une négociation en règle. Il s’était donc arrêté à une sorte de compromis. Il avait pensé qu’une fois rendu à Paris, sans avoir mis de condition à cet acte de condescendance, après avoir au contraire donné, comme prince régnant, des preuves si multipliées de sa patience et de sa longanimité, il serait en meilleure position pour traiter cette question avec un fondateur d’empire qui lui-même avait si évidemment recherché de terrestres avantages dans le rétablissement de l’ancien culte. Profitant du laisser-aller d’un entretien tout familier, il pourrait alors, sans confusion fâcheuse et sans manque de dignité, glisser à propos d’utiles paroles sur le dénûment de la cour de Rome et sur les graves dommages depuis longtemps supportés par l’héritier amoindri de tant de pontifes autrefois si riches et si puissans. Le moment, pensait-il, était venu pour le chef d’une église rentrée en possession de ses antiques honneurs, mais toujours privée de la plus fructueuse partie de son légitime patrimoine, d’employer pour la recouvrer les seules armes qui fussent désormais à son usage, celles de la prière insinuante et de la plainte attendrie. Cette occasion, Pie VII s’était bien promis de ne pas la laisser échapper, et, plein d’une imprudente ingénuité, il avait mis tout son espoir dans l’action personnelle qu’il s’était, contre toute vraisemblance, flatté d’exercer sur un souverain parvenu au faîte des grandeurs, enivré de ses récens succès, et, dès les débuts de sa carrière, si parfaitement connu pour avoir toujours été inaccessible aux influences.

Si l’illusion était grande, elle fut de bien courte durée. A peine mis en demeure, Napoléon avait vite fait sentir à son interlocuteur qu’il n’était pas aisé de lui adresser des requêtes auxquelles il ne voulait pas répondre, et que c’était peine perdue de vouloir obtenir par voie détournée ce qu’il avait résolu de ne point accorder. Les Légations étaient le fruit de ses premières conquêtes. Il les avait cédées à une puissance qui lui devait son existence même, dont il était le protecteur déclaré, et qui était devenue l’alliée si intime et si nécessaire de la France, que réclamer une portion de son territoire, c’était vouloir démembrer l’empire. Pie VII avait fait prompte retraite. Insister n’eût servi qu’à compromettre en pure perte une autre cause plus chère encore à son cœur, celle des intérêts exclusivement religieux. Lorsqu’un peu remis de cette première mésaventure, le pieux pontife s’était efforcé d’appeler l’attention de l’empereur sur les réclamations qu’il se croyait en droit d’élever contre les articles organiques, il avait vu se dresser devant lui une résistance non moins invincible.

Le chef de la nouvelle dynastie s’était si complètement substitué aux souverains ses prédécesseurs, il était de si bonne foi devenu à ses propres yeux leur héritier direct, qu’il n’y avait pas, dans les matières ecclésiastiques comme dans tout le reste, une seule de leurs prérogatives, si contraire qu’elle fût à l’esprit des temps modernes, qu’il n’entendît exercer à son tour dans toute sa plénitude. Louis XIV était devenu son modèle et Bossuet son oracle. Au même titre que ce fils aîné de l’église qui avait eu Le Tellier pour confesseur, et s’était, par ardeur de prosélytisme, fait le persécuteur de ses sujets protestans, Napoléon, tout en affectant de ne professer aucun des dogmes chrétiens, et de vouloir rester par principe et par goût le protecteur indifférent des religions les plus diverses, tenait à garder la haute main sur le choix, sur la direction du clergé catholique, et à en régler par mesures de police le culte extérieur. Sur ce terrain, Pie VII trouva son redoutable adversaire armé encore de toutes pièces. La discussion, en se prolongeant, l’avait même rendu de plus en plus intraitable, car c’était le propre du caractère de Napoléon de s’animer par la contradiction, de profiter alors de tous ses avantages et de chercher à reprendre en détail ce que, en gros et de bonne grâce, il avait d’abord été tenté d’accorder. Ainsi rien de satisfaisant n’était résulté de l’entrevue personnelle entre Pie VII et l’empereur. Hormis d’assez larges libéralités accordées à des établissemens religieux et de très vagues promesses tout de suite oubliées, le malheureux pontife n’avait rien obtenu. Pour unique récompense du grand acte de complaisance qui lui avait tant coûté, auquel l’avait principalement porté l’attente d’une satisfaction territoriale à obtenir pour le saint-siège et d’un grand avantage à procurer à la religion, il avait rapporté à Rome la désolante certitude que l’empereur était résolu à garder les Légations, et ne consentirait jamais à modifier les articles organiques.

De si cruels déboires succédant à de si chères espérances, qui ne se serait attendu à voir le saint-père quitter son hôte des Tuileries dans des dispositions irritées et malveillantes ? Il n’en fut rien cependant. S’il avait été péniblement affecté d’avoir aussi mal réussi dans les tentatives où il avait mis toute l’ardeur de son zèle, l’échec qu’il avait essuyé n’avait excité chez Pie VII aucun amer ressentiment. De ces entretiens restés sans effet sur son impassible interlocuteur, il était sorti tristement désappointé, mais nullement aigri et point encore désespéré. Napoléon l’avait patiemment écouté ; c’était sa faute à lui de ne l’avoir pas su mieux persuader. Avec le temps peut-être y parviendrait-il, car si le génie de cet homme était prodigieux, son cœur aussi était excellent ; ce cœur, Pie VII s’imaginait en avoir trouvé le chemin, et se tenait pour assuré qu’il ne lui serait jamais entièrement fermé. Chose singulière et qu’à peine nous oserions avancer, si la preuve n’en devait jaillir presque à chaque page de ce récit, le charme que Pie VII s’était flatté d’exercer sur le nouveau chef de la France, c’était lui qui l’avait subi. Il y avait certainement une nuance de terreur dans cette étrange fascination, mais aussi un involontaire attrait alors profondément ressenti et depuis jamais entièrement effacé. Une sorte de tendresse, résignée et souffrante lorsque leurs rapports étaient interrompus, toujours ouverte à l’espoir et prompte à la confiance, quand l’occasion s’offrait de les reprendre, se mêla désormais aux sentimens de constante admiration que le souverain pontife ne cessa d’entretenir à l’endroit de ce grand homme non moins séduisant que redoutable, dont la bonne grâce avait en cette occasion si habilement tempéré les inflexibles refus, et qui, sans jamais rien éprouver des sentimens qu’il savait si bien inspirer aux autres, n’hésita point à tirer parti jusqu’au bout de l’affectueux ascendant qu’avec tant d’art il avait su conquérir sur l’inoffensif vieillard.

Sous peine de ne pas rendre suffisamment intelligibles les événemens qui vont maintenant se précipiter, il nous fallait, au risque de revenir un peu sur le passé, pénétrer plus avant que nous ne l’avions fait jusqu’à présent dans le caractère du saint-père, et préciser exactement les dispositions dont il était animé à l’égard de l’empereur des Français au moment même où, bien malgré lui, il allait devenir son adversaire. L’expérience nous l’apprend : quand la discorde vient à se mettre entre d’anciens alliés, tout l’effort de la lutte qui s’engage entre eux est uniquement dirigé vers les points faibles qu’aux jours de l’intimité on s’est mutuellement découverts. C’est là que de dessein prémédité sont portés les coups décisifs, et malheur à qui a donné le plus de prise contre lui !


II

Peu de temps après son retour à Rome, Pie VII avait convoqué le sacré-collège et rendu officiellement compte aux cardinaux (26 juin 1805) de son voyage en France. L’allocution pontificale rendue publique était empreinte de ce ton d’aimable placidité qui caractérisait les pièces directement émanées du saint-père. Il s’étendait avec une joie complaisante sur les sentimens de sincère piété et de profonde vénération pour sa personne qu’il avait, non sans une secrète surprise, rencontrés parmi les populations françaises, si souvent représentées comme ayant tout à fait renié l’ancienne foi de leurs pères. Il y avait des éloges bien sentis à l’adresse du clergé gallican et quelques mots touchans sur le repentir méritoire des évêques constitutionnels, qui s’étaient du fond du cœur soumis au jugement du siège apostolique sur les affaires de France. Il y racontait avec une visible émotion sa première rencontre avec Napoléon. « A Fontainebleau, disait-il, nous avons tenu dans nos bras ce prince si puissant et si plein d’amour pour nous[2]. » Des résultats politiques et religieux de sa visite, il parlait avec sobriété et mesure, témoignant officiellement, comme il était naturel, un peu plus de satisfaction et de confiance qu’au fond il n’en éprouvait réellement. « Ce ne sont pas seulement des espérances, disait-il aux membres du sacré-collège, que nous avons rapportées de ce voyage. Beaucoup de choses ont déjà été faites et sont comme les arrhes de ce qui doit se faire encore. » Ce langage, qui dans sa généralité n’avait rien de contraire à la vérité, n’était point de nature à déplaire à l’empereur. Occupé alors après le couronnement de Milan à visiter les grandes villes du nord de l’Italie, il était aise que des deux côtés des Alpes on le crût dans les meilleurs termes avec le saint-siège. Il ordonna d’autant plus volontiers l’insertion de l’allocution pontificale au Moniteur qu’il venait justement de prendre dans son nouveau royaume des mesures contre lesquelles il pressentait bien que le saint-père ne pouvait tarder à réclamer. Au mois de juin 1805, par l’article 56 du titre VI du statut constitutionnel italien, il avait en effet été formellement stipulé que le code Napoléon serait, à partir du 1er janvier suivant, mis en vigueur dans le royaume d’Italie et dans toute l’étendue des provinces annexées à la France.

Le code Napoléon autorisait, comme on sait, le divorce, que l’église romaine n’a jamais reconnu. Il établissait aussi comme obstacles dirimans au mariage certains empêchemens, que cette église n’a point admis, en même temps qu’il en écartait d’autres qui lui ont toujours paru à peu près insurmontables. Lors de la conclusion du concordat, Consalvi n’avait à cet égard soulevé aucune objection. En France, le divorce était déjà reconnu par la loi ; dans le préambule de la convention religieuse à laquelle il avait, au nom du saint-père, apposé sa signature, la religion catholique avait été déclarée purement et simplement religion de la majorité des Français. Les choses s’étaient passées différemment en Italie. Le concordat italien était antérieur à la publication du code Napoléon. Dans le concordat italien, la religion catholique avait été proclamée religion de l’état. Cette circonstance, aux yeux du Saint-père comme à ceux de son secrétaire, constituait à elle seule une énorme différence, et rendait à l’église romaine toute sa liberté d’action. Ses réclamations furent tout d’abord très énergiques. Peut-être y avait-il quelque chose d’un peu singulier et de passablement anormal dans l’attitude d’une puissance dont l’autorité est toute morale, et qui se croyait obligée à protester hautement, de ce côté des Alpes, contre un état de choses qui, la veille encore, sur l’autre versant, n’avait soulevé de sa part aucune sérieuse objection. Quoi qu’il en soit du fond des choses, le Vatican avait de plausibles réclamations à faire valoir à propos de la manière dont on s’était conduit envers lui. Il était en tout cas en droit de rappeler les engagement pris à son égard ; il n’eut garde d’y manquer. Par ordre du saint-père, son secrétaire d’état écrivit aussitôt au cardinal Caprara à Paris, et se hâta de passer une note officielle au cardinal Fesch à Rome. La teneur de ces deux documens faisait un peu contraste avec le ton que dans ses lettres particulières, depuis son séjour à Paris, Pie VII avait préféré prendre avec son ancien hôte des Tuileries. On sentait que cette fois c’était Consalvi qui tenait la plume. Sans amertume, sans reproches, sans entrer, si peu que ce fût, dans la voie des récriminations, l’ancien négociateur du concordat rappelait cependant avec fermeté et insistance les assurances tant de fois données par l’empereur lui-même. « Au sujet du concordat italien, sa majesté impériale avait déclaré à plusieurs reprises qu’il n’y avait pas lieu d’introduire en Italie, où il n’y avait pas de protestans, les dispositions que, par égard pour eux et en vue de la tranquillité commune, on avait adoptées en France. Dans le royaume d’Italie, la religion catholique était la religion d’état et de fait et de droit. Elle avait été proclamée telle dans la constitution et telle aussi dans les articles du concordat. La religion catholique cesserait pourtant d’être la religion de l’état, si l’état ne protégeait pas ses maximes les plus essentielles, si par un code nouveau il venait imposer tout à coup des règles qui étaient la négation même de ses droits les plus inviolables….. On avait donc surpris la bonne foi de l’empereur, ou, dans la multitude infinie des affaires qui occupaient sa vaste intelligence, il avait perdu de vue ce détail. Il suffirait certainement de faire appel à sa droiture ; jamais il ne voudrait porter un coup si fatal à la religion, et manquer à la foi due à une convention aussi sacrée que celle qu’il avait passée avec le saint-siège au sujet des affaires religieuses de l’Italie… Les devoirs de son ministère apostolique ne permettaient pas au saint-père d’étouffer le cri de douleur que lui arrachaient les blessures faites à la religion. Pour les guérir, il n’hésitait donc pas à faire parvenir au héros de la France et de l’Italie ses plus énergiques instances[3]. »

Ces remontrances de son ministre avaient été précédées d’une lettre écrite tout entière de la main de Pie VII, par laquelle, en termes plus généraux et beaucoup plus ménagés, il s’était plaint tristement à l’empereur lui-même de tout ce qui s’était passé à Milan. Il paraît que cet appel directement fait à sa loyauté toucha quelque peu Napoléon. Au fond, il était bien décidé à ne rien rétracter de ce qu’il avait arrêté en parfaite connaissance de cause ; mais sa réponse n’en fut pas moins courtoise, empreinte même d’une certaine cordialité. Plus explicite qu’il ne l’était d’ordinaire en ses communications avec le saint-père, il n’hésita pas à entrer dans d’aimables explications sur ses intentions qui avaient, disait-il, été excellentes. « J’ai voulu tout faire pour le mieux ; me serais-je trompé ? C’est ce que me ferait penser la lettre de votre sainteté. Lorsqu’elle sera bien instruite de la situation des affaires ecclésiastiques du royaume d’Italie, elle me rendra la justice de penser que tout ce que j’ai fait a été pour le bien de la religion. Très saint-père, je l’ai dit quelquefois à votre sainteté, la cour de Rome est trop lente, et suit une politique qui, bonne dans des siècles différens, n’est plus adaptée au temps où nous vivons… » Suivait l’énumération des largesses assez nombreuses qu’il avait faites au clergé italien, tant séculier que régulier, donnant tort, disait-il, à l’esprit de philosophie du temps, et consacrant ainsi le principe de l’utilité des maisons religieuses… Il avait d’autant plus de mérite à avoir agi de la sorte que depuis Joseph II les principes contraires sont tellement ancrés dans les esprits à Milan qu’il est impossible de les en faire revenir… « C’est pourquoi, disait-il en prenant, lui aussi à son tour, avec un art infini ce même ton de reproche amical qui animait la lettre de Pie VII, il avait été péniblement affecté d’apprendre que sa sainteté se plaignait de lui. Si elle avait été mieux informée, elle aurait su qu’en Italie on avait trouvé qu’il avait trop fait pour le clergé. Au reste il priait sa sainteté de croire au désir qu’il avait de la voir heureuse et contente et à l’intention bien formelle où il était de ne lui donner aucun sujet de chagrin et de mécontentement[4]. »

Cette lettre, accompagnée de l’invitation adressée au cardinal Fesch de s’entendre avec le Vatican sur de certaines modifications à introduire dans le décret de Milan (modifications qui ne furent jamais réalisées), combla le saint-père de joie. Il était charmé de voir l’empereur discuter ainsi avec lui dans sa correspondance personnelle le détail même des affaires et lui parler un langage si plein à la fois de tendresse et de piété. « Les démonstrations que votre majesté nous donne de son attachement à la religion et de son opposition au faux esprit philosophique du siècle nous ont rempli de consolation. Tout ce qui émane directement de votre majesté se ressent toujours de la grandeur et de la rectitude de son caractère… Nous vous remercions avec la plus grande effusion du cœur de ces sentimens auxquels vous pouvez être bien assuré que les nôtres correspondent avec la plus parfaite et la plus sincère réciprocité… Soyez également convaincu que, pour ce qui nous concerne, nous ne suivons aucune politique ; les maximes de l’Évangile et les lois de l’église sont nos uniques guides. Vous pouvez donc être assuré d’avance que nous procéderons toujours en parfaite simplicité de cœur, avec tout l’esprit de conciliation et de modération possible. » Profitant de l’occasion que l’empereur lui en avait lui-même fournie, le pape ne craint pas d’entrer dans l’énumération des changemens qu’il désire voir s’accomplir de l’autre côté des Alpes, « car il ne croit pas que personne ait trouvé, comme l’affirme Napoléon, qu’on ait trop fait pour le clergé en Italie. Soyez au contraire persuadé que la grande majorité des peuples bénira toujours d’autant plus votre majesté et sera d’autant plus pénétrée pour elle de fidélité qu’elle aura favorisé davantage la cause de la religion et de l’église. » — «… Quelle satisfaction pour moi, s’écrie avec un redoublement d’enthousiasme le saint-père en terminant sa lettre, et pour votre majesté quelle gloire d’avoir démontré devant le monde et pour la postérité que le désir de rétablir la religion, dont dépend la vraie félicité des états, a étroitement uni nos cœurs, et que vers ce but si généreux tous nos soins ont toujours été uniquement dirigés ! Cette pensée me remplit de joie[5]. »

Cette joyeuse confiance de Pie VII était certainement très sincère, comme l’était, à plus forte raison, son immense envie de complaire à l’homme tout-puissant sur la bonne volonté duquel il avait placé tant d’espérances. Peut-être à son insu le saint-père avait-il pourtant renchéri dans cette occasion sur les témoignages accoutumés de son affectueuse admiration. Peut-être aussi Napoléon avait-il mis quelque étude à surexciter cette fois les généreuses illusions de son trop facile correspondant. Il y avait des deux côtés un motif particulier à ce redoublement réciproque de cordiales manifestations. En effet, pendant que s’échangeaient, à propos des affaires d’Italie, ces lettres dont nous avons cru devoir citer les propres termes, une autre question avait surgi, d’une nature plus intime et toute personnelle, qui en France intéressait au plus haut degré le pouvoir du souverain, et à Rome la conscience même du pontife. Il s’agissait de la rupture du mariage religieux du prince Jérôme Bonaparte. A Rome on entrevoyait avec effroi la nécessité d’un refus ; c’est pourquoi on voulait multiplier les expressions d’un dévouement qui n’avait d’ailleurs rien de simulé envers celui qu’on avait si peur d’être obligé de mécontenter prochainement. A Paris, on ne désespérait point de réussir. On témoignait même une confiance peut-être exagérée dans le succès définitif, et l’on croyait en tout cas utile de ne montrer d’abord que ses côtés les plus aimables, sauf à se faire voir ensuite sous un plus redoutable aspect. L’affaire de la dissolution religieuse du mariage contracté en Amérique par le prince Jérôme Bonaparte a été le premier épisode de la lutte engagée entre l’empereur et le saint-père. Jamais depuis ils ne se sont complètement réconciliés. C’est pourquoi il devient nécessaire d’en raconter l’origine et les principaux détails.

Depuis que Napoléon s’était fait proclamer souverain héréditaire, tout ce qui concernait les membres de la nouvelle famille impériale avait pris aux yeux de son chef comme à ceux du public français une considérable importance. La cérémonie du sacre, en soulevant une foule de questions d’étiquette sur le rang que devaient occuper et les fonctions que devaient remplir à l’église de Notre-Dame les frères et les sœurs, les beaux-frères et les belles-sœurs de l’empereur, lui avait fourni l’occasion d’expliquer à Joseph quel rôle il destinait à ses parens dans le nouvel ordre de choses, et à quelles conditions ils pouvaient compter sur sa bonne volonté. Cette conversation si étrange, et d’une si intime rudesse, avait lieu à Fontainebleau quelques jours avant l’entrevue avec le pape. Immédiatement rapportée par Joseph à son confident le comte Miot de Melito, elle projette le jour le plus vif sur la résolution où l’empereur était alors soit de rompre entièrement avec ses frères, soit de les tenir sous sa plus absolue dépendance. Ses paroles, en levant tous les voiles, révèlent exactement les sentimens qu’il entretenait à l’égard de chacun d’eux. Il était bien décidée ne jamais rappeler Lucien, qu’il aimait mieux savoir mécontent à Rome qu’à Paris, trop près de sa personne[6]. Il avait meilleure opinion de Joseph, mais il ne lui convenait pas davantage que celui-ci gardât l’attitude indécise dans laquelle il s’était maintenu jusqu’alors. C’est pourquoi il le sommait d’avoir à prendre une résolution définitive. Il lui fallait ou se retirer de bonne foi des affaires et alors renoncer à tout, ou bien s’unir franchement à lui et devenir en réalité son premier sujet. « Si vous prenez le premier parti, celui de la retraite, donnez votre démission sans esclandre, disait Napoléon à son frère ; retirez-vous à Morfontaine, je vous donnerai un million, deux millions, s’il est nécessaire. Vous n’avez rien à craindre de moi. Je ne suis pas le tyran de ma famille ; jamais je ne commettrai de crime, puisque je n’en ai pas commis pour me séparer de ma femme, pour faire un divorce qui avait été résolu dans ma tête jusqu’à mon voyage en Normandie et en Belgique, où j’ai pu connaître la bassesse des Français et m’assurer qu’il n’était pas nécessaire d’en venir là pour obtenir de leur servilité tout ce que je voulais en exiger[7]. ». Dans cette hypothèse, l’empereur songeait à déclarer pour héritier le fils de Louis ; ce système, quoiqu’il put s’en arranger, ne lui convenait pas entièrement. Il n’ignorait pas qu’en écartant Joseph il se livrait complètement à la famille de Joséphine. « Cette famille n’aurait plus alors de frein, et, la faiblesse de Louis ne lui laissant aucun moyen de résistance, il serait exposé à n’avoir entrepris de si grands travaux et supporté tant de fatigues que pour appeler au trône peut-être un homme d’un autre nom. que le sien[8]. » Mais vouloir, continuer à jouir des avantages du rang de prince et rester cependant en opposition avec le système du gouvernement, ce serait de la part de Joseph se déclarer son ennemi, et cela l’empereur ne le souffrirait pas. « Où sont vos moyens d’attaque ? disait un peu cruellement Napoléon à son frère ; où est l’armée que vous avez à faire marcher contre moi ?… Avec quel secours, avec quelles forces me disputerez-vous l’empire ? Tout vous manque, et je vous anéantirai, car enfin vous serez obligé de paraître aux Tuileries ; je vous dirai : Bonjour, prince Égalité, et ce mot vous tuera… » Le parti le plus simple et le plus convenable auquel Joseph dût s’arrêter était donc de prendre son rang naturel dans la monarchie héréditaire. « C’est, un assez beau rôle à jouer, ajoutait l’empereur avec fierté, que d’être le second homme, de France et peut-être de l’Europe. Tout se justifie alors par l’importance du résultat, et ce résultat, vous ne le connaissez pas encore tout entier. Je suis appelé à changer la face du monde, je le crois du moins. Quelques idées de fatalité se mêlent peut-être à cette pensée, mais je ne la repousse pas, et cette confiance même me donne les moyens de réussir[9]. »

Joseph avait un instant paru céder aux conseils de l’empereur, mais pour reprendre bientôt sa première prétention, celle d’être reconnu pour l’héritier direct au trône de France. Un instant Napoléon avait cru trouver moyen de désintéresser l’ambition de son frère en lui offrant la couronne de Lombardie. Son principal motif était le désir qu’il avait d’écarter Joseph de la ligne de succession et d’y appeler la branche de Louis et par conséquent le fils de ce dernier, dessein qu’il avait, comme nous l’avons déjà expliqué, formé depuis longtemps et qu’il n’abandonna qu’à la mort de cet enfant. Cet acte de renonciation qu’on exigeait de lui faisait à Joseph l’effet d’une sorte de lâcheté personnelle, et malgré le conseil de son entourage il n’y voulut jamais prêter les mains.

Napoléon avait alors imaginé de donner la couronne d’Italie au fils aîné du prince Louis, en chargeant son père de gouverner le pays jusqu’à ce que l’enfant, qui resterait à Paris, eût atteint sa majorité. Le prince Louis rejeta de très haut cette proposition. « Tant que j’existerai, dit-il à l’empereur, je ne consentirai jamais ni à l’adoption de mon fils avant qu’il ait atteint l’âge de sa majorité, ni à aucune disposition qui, en le plaçant à mon préjudice sur le trône de Lombardie, donnerait par une faveur aussi marquée une nouvelle vie aux bruits répandus dans le temps au sujet de cet enfant[10]. »

Ce ne fut qu’après ce dernier refus, dont les motifs excitèrent au plus haut degré la colère de l’empereur[11], qu’il s’était décidé à donner au prince Eugène Beauharnais la vice-royauté d’Italie. Ce choix le rejetait un peu plus qu’il n’aurait souhaité du côté de la famille de sa femme, et justement parce qu’il était alors presque ouvertement brouillé avec trois de ses frères, Napoléon attachait le plus grand prix à rester au moins le maître des futures destinées du plus jeune d’entre eux, Jérôme Bonaparte, qui, n’étant encore rien par lui-même, semblait ne pouvoir lui opposer de résistance. Il se trouvait toutefois que, par le plus malencontreux hasard, ce dernier frère, sur qui Napoléon avait reporté son bon vouloir, venait de se laisser aller à une démarche qui bouleversait entièrement les desseins de l’empereur. Embarqué comme simple officier à bord de l’escadre de l’amiral Willaumez, Jérôme Bonaparte avait contracté mariage pendant son séjour à Baltimore avec Mlle Patterson, la fille de l’un des citoyens les plus considérés et les plus riches des États-Unis. A l’époque de cette union (8 décembre 1803), Napoléon n’était encore que premier consul, et le jeune officier de marine ne relevait en aucune façon des dispositions du sénatus-consulte qui avait réglé plus tard les conditions civiles de la nouvelle famille impériale. En elle-même, cette alliance n’avait d’ailleurs rien de disproportionné ; mais, dans son empressement à la conclure, Jérôme, âgé seulement de dix-neuf ans, avait, malgré les avertissemens du consul de France, négligé de se pourvoir du consentement de sa mère. Cette omission n’avait pas arrêté l’évêque de Baltimore. Conformément aux usages d’un pays qui reconnaît encore aux prêtres des différens cultes le droit de marier leurs coreligionnaires, c’est lui qui avait solennellement consacré cette union. A la première nouvelle du mariage de son frère, Napoléon avait d’abord affecté de considérer toute l’affaire comme une folle équipée de jeunesse. Plus tard, lorsque Jérôme, ayant pris passage sur un bâtiment américain, annonça l’intention d’amener sa jeune femme sur le continent afin de faire reconnaître tous ses droits, le nouvel empereur se montra tout à fait irrité. Il ordonna au ministre de la marine, M. Decrès, de ne laisser Mlle Patterson prendre pratique nulle part en France[12]. Si elle parvenait à débarquer, ordre était donné au ministre de la police de l’envoyer à Amsterdam, « où elle devra être mise à bord du premier bâtiment américain partant pour les États-Unis[13]. » Au lieu de venir directement eh France, Jérôme s’était rendu à Lisbonne. Il y avait trouvé des instructions émanées de son frère, instructions auxquelles il n’était sans doute pas prudent de désobéir, car, après avoir conseillé à sa femme d’aller l’attendre en Hollande, il prit à travers l’Espagne le chemin de Milan, où, comme nous l’avons dit, se trouvait alors l’empereur. Aucune mesure n’avait été négligée pour que Jérôme ne pût s’écarter de l’itinéraire qui lui avait été tracé. S’il se risquait à passer soit par Bordeaux, soit par Paris, Fouché était invité à l’arrêter et devait le faire diriger sur Milan par un officier de gendarmerie[14]. Cette dernière précaution ne fut point nécessaire ; Jérôme était rendu auprès de son frère dans les premiers jours de mai. A s’en rapporter aux lettres qu’il écrivait alors à sa jeune femme, Jérôme arrivait avec le désir et l’espoir de fléchir Napoléon. En cela, il avait trop présumé de lui-même. Peu de jours en effet après leur entrevue, Napoléon pouvait écrire à sa sœur, la princesse Élisa, qu’il était très satisfait des sentimens de son frère Jérôme. Le propre secrétaire du prince allait de sa part se rendre auprès de Mlle Patterson « pour lui faire connaître l’état des choses, et lui faire sentir que son mariage, nul aux yeux de la religion comme aux yeux de la loi, devait l’être dorénavant à ses propres yeux[15]. » La cassation de ce mariage n’était pourtant pas chose aussi facile que l’empereur le donnait à entendre. Un jugement du tribunal civil était nécessaire d’après l’opinion de Cambacérès lui-même, et ce jugement ne pouvait être rendu que sur la protestation de Mme Bonaparte mère, protestation que l’empereur obtint d’elle en effet quelques mois plus tard ; ces formalités entraîneraient forcément d’assez longs délais. Il y avait aussi la douteuse ressource, à laquelle finit par recourir Napoléon, d’annuler par décret impérial un contrat civil remontant à une époque où, pas plus que les autres consuls ses collègues, il n’avait juridiction sur les membres de sa famille ; mais, nonobstant cet excès de pouvoir, le mariage religieux subsisterait encore aux yeux des catholiques. Combien n’était-il pas plus commode et plus avantageux de s’adresser directement au saint-père, dont l’intervention lèverait immédiatement toutes les difficultés ! C’est à quoi se résolut l’empereur. Avec son habileté ordinaire, il se garda bien de laisser voir tout le prix qu’il attachait à l’important service qu’il attendait en cette occasion de la complaisance de Pie VII. La lettre adressée au saint-père l’entretenait au début des choses les plus insignifiantes, entre autres d’un ballon lancé à Paris le jour du sacre et qui était allé tomber près de Rome ; puis il y introduisait tout à coup, comme par hasard, le nom de Jérôme. « J’ai parlé plusieurs fois à votre sainteté, dit l’empereur, d’un jeune frère que j’ai envoyé sur une frégate en Amérique, et qui, après un mois de séjour, s’est marié à Baltimore, quoique mineur, avec une protestante, fille d’un négociant des États-Unis. Il vient de rentrer. Il sent toute sa faute. J’ai renvoyé Mlle Patterson, sa soi-disant femme, en Amérique. Suivant nos lois, le mariage est nul. Un prêtre espagnol a oublié assez ses devoirs pour lui donner la bénédiction. Je désirerais une bulle de votre sainteté qui annulât ce mariage… Il me serait facile de le faire casser à Paris, l’église gallicane ne reconnaissant point ces sortes de mariages ; mais il paraîtrait plus convenable que l’intervention immédiate de votre sainteté donnât de l’éclat à cette affaire, ne serait-ce que parce qu’il s’agit d’un membre d’une maison souveraine… Il est important sous bien des rapports, et pour l’intérêt même de la religion en France, qu’il n’y ait pas aussi près de moi une fille protestante, car il serait d’un exemple dangereux qu’un mineur, enfant distingué, soit exposé à une séduction pareille contre les lois civiles et contre toute espèce de convenances. »

Il y avait plus d’une inexactitude dans cette lettre de l’empereur. Le prince Jérôme n’avait pas, il est vrai, résisté aussi énergiquement qu’il s’en était flatté à l’ascendant de son tout-puissant frère ; il s’était plus aisément que Lucien laissé séduire par les perspectives ambitieuses que l’empereur avait fait miroiter devant lui. Cependant il s’en fallait de beaucoup qu’il eût si vite pris sur lui de désavouer complètement la femme qui portait son nom, avec laquelle ses liens venaient encore d’être resserrés par l’espérance d’une prochaine paternité[16]. Il n’était pas vrai non plus que ce fût un simple prêtre espagnol qui eût béni cette union ; elle avait été consacrée, ainsi que nous l’avons dit, par le propre évêque de Baltimore. Mlle Patterson n’avait pas été renvoyée en Amérique ; elle était alors en Angleterre, où, rassurée à demi par les lettres de celui qui, depuis leur séparation, n’avait pas cessé de se donner pour le plus affectionné des maris, elle attendait le moment de ses couches. Aucun de ces détails n’était ignoré de Pie VII. Un agent des États-Unis défendait près de lui la cause de la famille Patterson, pour laquelle l’Angleterre de son côté faisait également témoigner à Rome toute sa sympathie.

Le saint-père était d’autant plus embarrassé, qu’avec sa complaisance accoutumée Caprara était entré plus avant dans les idées de l’empereur, et n’avait pas hésité à mettre à sa disposition la science du théologien de sa légation. Un mémoire du révérend père Caselli accompagnait en effet ceux que plusieurs ecclésiastiques français avaient, à la demande du gouvernement, rédigé contre la validité du mariage contracté par le prince Jérôme. Sur ces matières délicates, qui ont de tout temps si fort occupé les canonistes de profession, Pie VII n’avait rien à apprendre de personne : elles avaient été l’objet de ses études tandis qu’il n’était encore qu’un simple moine. C’est à peine s’il consulta Consalvi, toujours si écouté dans les affaires qui touchaient à la politique. Il n’eut pas davantage recours aux avis du sacré-collège, car le plus grand secret lui avait été recommandé par Napoléon lui-même. L’affaire relevait exclusivement de la décision spirituelle du souverain pontife ; il se sentait en état de la résoudre par la connaissance approfondie qu’il avait de la matière et sans aucune assistance : il préféra donc l’instruite seul devant Dieu, et par cela même assumer sur lui seul vis-à-vis du souverain de la France la terrible responsabilité qui résulterait d’une décision défavorable, si elle lui était dictée par sa conscience. C’est par ces raisons qu’il préféra s’en expliquer directement avec l’empereur. « Nous avons voulu réserver exclusivement à nous-même, écrit Pie VII à Napoléon, l’examen de la question que vous avez soumise à notre jugement touchant le mariage en question. Au milieu du nombre infini des affaires qui nous accablent, nous avons pris tous les soins, nous nous sommes donné toutes les peines, nous avons fait nous-même toutes les recherches nécessaires afin de reconnaître si notre autorité apostolique pouvait nous fournir quelque moyen de satisfaire aux désirs de votre majesté, et rien ne nous eût été plus agréable que d’entrer dans ses vues ; mais quelle qu’ait été à cet égard notre application, et de quelque manière que nous ayons essayé de considérer la question, il nous a été impossible, parmi les motifs qui nous ont été proposés ou ceux que nous avons pu imaginer nous-même, d’en découvrir un seul qui nous permît, ainsi que le souhaiterait votre majesté, de déclarer la nullité dudit mariage[17]. » Après avoir constaté que les mémoires qu’on lui avait fait parvenir se contredisaient les uns les autres, le saint-père s’efforçait d’expliquer à l’empereur quelles étaient, au sujet du mariage entre catholiques et protestans, les maximes traditionnelles de l’église romaine.

« La disparité des cultes n’était pas à ses yeux un empêchement dirimant quand il s’agissait de personnes baptisées. Ces empêchemens n’atteignaient que les mariages contractés entre chrétiens et infidèles. Les unions entre catholiques et protestans étaient abhorrées par l’église ; cependant elle n’avait jamais refusé de les reconnaître pour valides. » Entrant alors dans la discussion la plus approfondie et la plus détaillée des circonstances qui avaient entouré le mariage du prince Jérôme et des motifs de nullité que les théologiens français et le père Caselli croyaient y avoir découverts, le saint-père démontrait avec le soin le plus scrupuleux comment il lui était impossible de les tenir pour valables. Un instant il avait espéré avoir rencontré le moyen de se conformer, sa conscience sauve, aux désirs exprimés par l’empereur. Il y avait en effet une cause canonique de nullité qui aurait pu être tirée de la clandestinité du mariage, c’est-à-dire de l’absence du curé appelé naturellement à bénir l’union : cette cause d’empêchement avait été spécialement formulée dans le concile de Trente ; mais par malheur elle ne pouvait être invoquée que dans les pays où le décret dudit concile (chapitre et section 24, de reformatione matrimonii) avait été publié et à l’égard des personnes pour lesquelles il a été publié. Pie VII avait donc ordonné les recherches les plus minutieuses et les plus secrètes aux archives de l’inquisition et à celles de la propagation de la foi pour s’assurer si le décret du concile de Trente avait été publié à Baltimore. On n’avait rien trouvé de semblable. Il résultait au contraire d’autres renseignemens recueillis sur un synode tenu par l’évêque actuel de Baltimore que jamais ladite publication n’avait eu lieu dans cette ville. « Il est donc hors de notre pouvoir, dans l’état actuel des choses, de prononcer le jugement de nullité, disait en terminant le saint-père ;… si nous usurpions une autorité que nous n’avons pas, nous nous rendrions coupable d’un abus abominable devant le tribunal de Dieu, et votre majesté elle-même, dans sa justice, nous blâmerait de prononcer une sentence contraire au témoignage de notre conscience et aux principes invariables de l’église. C’est pourquoi nous espérons vivement, disait en terminant le saint-père, que votre majesté sera bien persuadée que le désir dont nous sommes toujours animé de seconder autant qu’il dépend de nous ses desseins, particulièrement dans une affaire qui touche de si près à son auguste personne, n’a été cette fois rendu inefficace que par l’absence absolue de pouvoir, et nous la supplions de vouloir bien accepter cette sincère déclaration comme un témoignage de notre affection véritablement paternelle[18]. »

Il semblait que cette lettre, écrite tout entière de la main de Pie VII, portait en elle-même le témoignage de la plus évidente bonne foi. Jamais cependant l’empereur n’y voulut croire. Il ne consentit point à prendre pour sérieuses et sincères les raisons canoniques longuement déduites par le saint-père. Il les considéra comme de vains prétextes mis en avant pour colorer l’intention où était maintenant le Vatican de lui être désagréable et de prendre ainsi sa revanche du refus des Légations. Faire dépendre la décision d’une affaire aussi importante de la publication ou de la non-publication d’un décret du concile de Trente dans la petite ville de Baltimore parut à Napoléon une puérilité ridicule qui démontrait surabondamment l’offensante mauvaise volonté du saint-père. Ce qui l’exaspéra surtout et donna lieu aux plus violentes sorties, c’était cette protection patemment accordée, suivant lui, à la cause du protestantisme. Comment ! lui, l’homme du siècle, prenait en main la cause de la religion romaine, et c’était le pape au contraire, le chef et le défenseur-né du catholicisme, qui n’en montrait nul souci ! Son indignation à ce sujet était extrême ; il ne dépendait pas de lui de la taire. L’expression blessante de cette mauvaise humeur feinte ou réelle arriva jusqu’à Rome. Elle contrista profondément le saint-père, elle ne l’ébranla point. Sa conscience, sérieusement consultée, lui avait clairement répondu. Son honneur de prêtre, le salut de son âme, étaient en jeu ; la ligne du devoir était nettement tracée. « Dieu aidant, il n’y faillirait point. »

Dans cette première contestation avec le saint-siège, comme dans celles qui suivirent, le malheur de Napoléon fut de ne pas se rendre à l’avance un compte suffisant de la nature des obstacles contre lesquels de gaîté de cœur il allait ensuite violemment se heurter, ou plutôt, car rien n’échappait à la sagacité de ce prodigieux esprit, son mépris des hommes était devenu si général et si absolu, sa confiance croissante dans ses moyens d’action personnelle avait pris de telles proportions, qu’il n’y avait plus un genre quelconque d’opposition dont à la longue, — par habileté ou par force, — il ne se tînt pour assuré d’avoir raison. Tout ce qui venait de se passer et le spectacle qu’offrait alors la France n’expliquaient que trop les accès de cet orgueil si parfaitement insolent, mais jusque-là si complètement justifié par le succès. L’armée formidable du nouvel empire était plus que jamais sous la main de son glorieux chef ; la nuée innombrable des fonctionnaires de l’ordre civil lui obéissait comme un seul homme ; le clergé entier était à ses pieds. Aux âmes un peu fières qui avaient refusé de s’abaisser sous le commun joug, il avait imposé le silence et la retraite. Mme de Staël se débattait sous les douleurs de l’exil ; Carnot et le général Lafayette s’étaient réfugiés dans une volontaire obscurité. Des biais ingénieux ou, quand il l’avait fallu, l’énergique manifestation de son inébranlable volonté, lui avaient suffi pour surmonter les scrupules de la magistrature française. Pourquoi cette autre grande autorité morale dont le siège était à Rome se montrerait-elle de plus laborieuse composition ? La douceur connue du caractère de Pie VII promettait d’ailleurs une prompte et facile victoire.

Ce fut donc avec la plus entière confiance qu’irrité, méprisant, tout plein du sentiment de son écrasante supériorité. Napoléon entama la lutte contre un adversaire en apparence si désarmé. Dans cette dangereuse collision, définitivement engagée, l’empereur devait marcher de méprise en méprise. Celle par laquelle il avait débuté dès lors au sujet du mariage de son frère consistait à s’être entièrement trompé sur le degré de résistance, modérée, patiente, mais invincible, que sur une question purement religieuse la conscience du souverain pontife se croirait tenue d’opposer à des exigences contraires aux règles invariables de l’église. La seconde erreur ne devait pas être moins grave : elle provint de même de la complète méconnaissance du caractère de Pie VII et de l’idée que le pape s’était faite des devoirs également sacrés qui incombaient à sa qualité de souverain temporel. L’affaire du prince Jérôme avait pu demeurer à peu près secrète. Napoléon s’était aisément tiré des ennuis qu’elle lui avait causés en cassant cette union par un simple décret impérial et en mariant peu de temps après son jeune frère, non pas, comme avaient semblé l’annoncer les récens et impétueux éclats de son prosélytisme religieux, à quelque princesse catholique, mais au contraire à l’héritière de l’électeur luthérien du Wurtemberg. Bien différentes allaient être les conséquences des mesures agressives, qu’une politique mal entendue et sa passion de plus en plus allumée lui firent bientôt adopter contre le saint-siège. Le retentissement en devait être immense. En s’emparant au début de la ville d’Ancône, en confisquant successivement le surplus des états pontificaux, en mettant la main sur la personne du pape lui-même, en le retenant captif à Savone, l’empereur put d’abord imaginer qu’il poursuivait la plus facile des entreprises, car jamais parmi les princes de la terre il n’avait eu affaire à plus faible partie. La vérité était pourtant qu’à son insu il s’était lancé au contraire dans la plus périlleuse des aventures. La violence déployée contre le saint-père ne pouvait en effet manquer de jeter au milieu des intérêts catholiques du monde entier une funeste perturbation, dont ses propres états allaient être les premiers à ressentir promptement le contre-coup. Chose singulière, et qui fait ressortir le bizarre agencement des affaires humaines, le chef de l’église romaine s’était aliéné le chef de la grande démocratie française pour avoir intrépidement défendu contre ses prétentions princières l’honneur de la fille protestante d’un modeste citoyen des États-Unis ; il était destiné à se voir enlever ce qui lui restait des lambeaux de son pouvoir temporel parce que, n’étant point en guerre avec l’Angleterre, il ne voulait point consentir à lui fermer ses ports.

Un rapide coup d’œil sur ce qui se passait alors en Europe est nécessaire pour expliquer comment le cours des événemens amena peu à peu une situation aussi extraordinaire.


III

De notables changemens étaient survenus en Europe depuis qu’au printemps de 1805 l’empereur et le saint-père avaient pris congé l’un de l’autre. La cérémonie de son couronnement à Milan n’avait pas en effet tellement absorbé l’attention de Napoléon qu’il n’eût trouvé le temps, durant son séjour de l’autre côté des Alpes, de mettre toutes choses sur un pied nouveau dans le nord de l’Italie. Il avait définitivement réuni Gênes à l’empire, donné la principauté de Lucques à l’une de ses sœurs et organisé l’état de Parme comme une dépendance de la France. Ces remaniemens de territoires, si désagréables à l’Autriche, qui n’avait pas encore renoncé à l’espoir de rentrer un jour en possession de ses provinces lombardes, avaient été habilement exploités par l’Angleterre. Elle en profita pour attirer dans son alliance cette puissance depuis longtemps sollicitée par elle, mais demeurée jusqu’alors dans la plus timide irrésolution. L’adhésion du cabinet de Vienne aux traités déjà signés par l’empereur de Russie constituait une véritable coalition à laquelle ne manquait plus désormais que l’assentiment de la Prusse. Cet assentiment devenait lui-même assez probable, car si à Berlin le ministère tenait à rester ostensiblement en bons termes avec nous, la famille royale se montrait, depuis l’attentat contre le duc d’Enghien, profondément aliénée, et l’on peut dire de cette cour qu’elle n’attendait qu’une occasion propice pour prendre enfin parti contre nous. Ces projets de ses ennemis n’étaient point inconnus de l’empereur. Il savait aussi que le ministre de la Grande-Bretagne en était l’âme, que lui seul les avait inspirés, les payait et les dirigeait, C’est pourquoi il était plus résolu que jamais à porter chez elle-même cette guerre que l’Angleterre lui suscitait partout sur le continent sans y prendre encore directement aucune part. Tel était le but des immenses armemens maritimes accumulés dans les ports de la Manche. Pour franchir le canal, pour porter sur le rivage ennemi l’incomparable armée depuis deux longues années exercée sous sa puissante main et maintenant toute frémissante à l’idée d’entreprendre une si prodigieuse aventure, Napoléon n’attendait plus qu’un vent favorable et l’arrivée de la flotte de l’amiral Villeneuve.

Aussi longtemps qu’il s’était flatté de pouvoir porter un coup si direct et si décisif à son plus redoutable adversaire, l’empereur avait jugé prudent de ne point laisser soupçonner aux alliés non encore déclarés de Pitt, surtout à l’Autriche, qu’il eût déjà l’œil ouvert sur leurs secrètes dispositions ; mais après le retour inattendu de Villeneuve dans le port de Ferrol, lorsqu’il vit ruiné de fond en comble tout le plan de sa descente en Angleterre, l’empereur reporta immédiatement ses pensées sur les affaires du continent. Ce moment fut à coup sûr un des plus graves de sa vie. Nos pères se souvenaient d’avoir entendu raconter à M. Daru comment au camp de Boulogne, appelé près de l’empereur au moment où lui parvenait la fatale nouvelle, il avait dû écouter d’abord les plaintes, les plus violentes et la satire la plus amère de la conduite de M. de Villeneuve. Il n’était point de termes si outrageans et si peu mérités qui ne sortissent avec fureur de sa bouche pour caractériser l’inhabileté et la mauvaise conduite du malheureux amiral. Puis, ce premier mouvement satisfait et passé, M. Daru eut ordre de s’asseoir et de prendre une plume. Aussitôt, oubliant ce qui venait de l’irriter, laissant de côté les projets depuis si longtemps médités, auxquels il avait consacré tant de soins, tant d’efforts, tant d’argent, entrant dans un ordre d’idées entièrement différent, et retrouvant tout à coup le calme dont il avait besoin pour combiner son nouveau plan, Napoléon dicta presque sans s’arrêter les ordres nécessaires pour transporter avec célérité et mystère au cœur même de l’Allemagne cette armée dont le camp était alors assis en vue des côtes de l’Angleterre. Ces ordres embrassaient tout, prévoyaient tout. Le nombre des jours de marche des différens corps, leur destination et jusqu’à l’emplacement qu’ils devaient occuper sur le vaste champ de bataille inopinément ouvert devant eux y étaient calculés avec la dernière précision. Jamais peut-être le génie des grandes opérations militaires ne se manifesta chez l’empereur à un plus haut degré. M. Daru, cet appréciateur si excellent, d’un esprit si distingué, d’un jugement si calme, qui depuis a été de nouveau le témoin discret de tant d’actes extraordinaires, chaque fois qu’il évoquait le souvenir de cette mémorable journée, se sentait, après de longues années, frappé encore d’étonnement autant que d’admiration.

Ce n’étaient point seulement les affaires de l’Allemagne qui appelaient en ce moment l’attention de l’empereur. Il s’était réservé la conduite des armées destinées à opérer entre le Rhin et le Danube. Pour lui, de ce côté, nulle inquiétude ; sa confiance était entière dans la sûreté des coups qu’il devait porter lui-même. il s’était d’ailleurs ménagé la bonne volonté de quelques-uns des princes allemands dont les territoires allaient supporter les premiers efforts de la guerre. « Ces princes frémissent d’indignation, je les vengerai, s’était-il écrié dans une séance de son conseil, d’où il avait fait sortir les huissiers et les jeunes gens afin de garder plus secrètes les menaces de sa terrible prophétie. Je vengerai en même temps mon honneur et celui de la France… Je briserai cette odieuse maison d’Autriche, que je n’aurais pas dû épargner ; je la réduirai au rang de puissance secondaire. Mes alliés verront qu’ils ont pu se fier à moi et que ma protection n’est pas vaine. Je ferai de la Bavière un grand état interposé entre l’Autriche et moi, et j’irai signer une nouvelle paix dans le palais de l’empereur d’Allemagne… Mon armée est dans le plus brillant état ; je lui ai fait traverser la France sans qu’il y eût un seul déserteur. Partout elle a été accueillie avec transport, et c’est à qui a voulu recevoir et nourrir mes soldats… Bientôt je partirai, et avant que la nouvelle de ce que j’aurai fait soit parvenue chez nos ennemis, je serai au milieu d’eux et j’aurai déjà vaincu[19]. »

L’état de l’opinion publique en France et la situation des affaires en Italie, voilà les seuls points un peu sombres qui, au moment de son départ pour l’armée (septembre 1805), causaient quelques soucis à l’empereur. Le succès de sa campagne d’Allemagne suffisait, pensait-il avec raison, pour lui ramener les esprits des Parisiens, plus inquiets d’ailleurs que mécontens. De l’autre côté des Alpes, le rôle des troupes françaises devait, au début du moins, rester presque exclusivement défensif, car si, en mettant à leur tête le brave Masséna, l’empereur lui avait donné rendez-vous à Vienne, il entendait bien y être arrivé le premier. Masséna avait d’ailleurs en face de lui sur l’Adige l’archiduc Jean, mis à la tête de la principale armée de l’Autriche, et il s’en fallait de beaucoup que les corps de troupes massées dans le nord de l’Italie eussent été recrutés et équipés avec le même soin qui avait présidé à l’organisation des anciens bataillons du camp de Boulogne. La besogne confiée à Masséna pouvait donc, dans certaines circonstances, devenir d’une assez difficile exécution. Une escadre anglaise s’était fait voir dans la Méditerranée ; elle avait des croiseurs dans l’Adriatique. Une armée anglo-russe se faisait entrevoir à l’horizon, prête à partir de Corfou et de Malte pour débarquer dans quelque port de l’Italie méridionale ; déjà l’on attendait presque publiquement son arrivée à Naples. Napoléon, qui ne souhaitait pas d’extraordinaires succès à son habile lieutenant, mais qui voulait encore bien moins lui attirer des revers, crut utile d’appeler la politique à son aide afin de rendre plus de liberté dans ses manœuvres à cette armée placée hors du cercle de son action personnelle, et dont il ne pouvait de si loin diriger tous les mouvemens. Les inspirations de cette politique ne furent point cette fois très heureuses, et, chose rare pour lui, l’empereur, d’ordinaire si méfiant, se fit lui-même en cette occasion l’instrument des secrets desseins de ses plus acharnés ennemis. Il y avait au fond de la péninsule italique quinze ou vingt mille Français qui, sous les ordres du général Gouvion Saint-Cyr, tenaient garnison à Otrante et dans ses environs. Ce corps d’observation, placé à quelques jours de marche de sa capitale, répondait de la bonne volonté du roi de Naples ; mais il manquait aussi beaucoup à Masséna, qui se plaignait de n’avoir sous la main que des forces insuffisantes, et mettait vivement en relief dans sa correspondance tous les dangers de sa situation. Napoléon était assez perplexe. Il commençait à ressentir déjà les inconvéniens de l’extension trop considérable donnée à ses grandes combinaisons stratégiques, qui, embrassant désormais l’Europe presque entière comme un vaste échiquier, ne lui permettaient plus d’être prêt à faire face partout aux éventualités d’une lutte engagée sur tant de points éloignés avec de si nombreux adversaires.

Tous les efforts des diplomates de la Russie et de l’Angleterre étaient alors tendus vers le cabinet des Deux-Siciles. Ils avaient trouvé un ardent appui chez la reine de Naples. C’était d’accord avec eux et cédant à l’influence de son ministre anglais, Acton, et du général russe de Lascy, que l’orgueilleuse sœur de Marie-Antoinette avait entraîné son faible époux, le roi Ferdinand, à tenter le rôle le plus indigne à la fois et le plus dangereux, celui de tendre un piège abominable au tout-puissant souverain de la France. Ce piège réussit d’abord complètement. Soit en effet que le soupçon ne vînt pas à Napoléon qu’une si faible puissance oserait jamais le braver à ce point, soit qu’à l’avance il se complût dans la facile revanche qu’à tout mettre au pis il saurait bien prendre d’une aussi perfide trahison, l’empereur accueillit avec plaisir l’offre solennellement faite à Paris par l’ambassadeur de Naples de la neutralité de sa cour, si la France consentait à rappeler le corps d’armée de Gouvion Saint-Cyr. En se débarrassant de ce surveillant incommode, la cour de Sicile n’avait qu’un but, celui de rendre plus facile l’attaque méditée par les Anglais et les Russes sur les derrières de Masséna. L’empereur, résolu à ne diminuer en rien l’effectif des troupes placées sous ses ordres immédiats, mais trop sagace pour n’être pas en même temps un peu inquiet de l’infériorité trop évidente de son armée d’Italie, fut surtout frappé de l’avantage qu’il trouverait à pouvoir ainsi renforcer Masséna sans s’affaiblir lui-même. Cette raison le décida, et dans le courant de septembre, après avoir pris soin toutefois de lier à son égard la cour de Naples par les clauses explicites du traité le plus formel, il enjoignit à Gouvion Saint-Cyr d’opérer sa jonction avec le gros des troupes opposées sur l’Adige à l’archiduc Jean. Au point de vue militaire, cette concentration était tout à fait commandée par les nécessités mêmes de cet immense plan de campagne, qui avait pour but d’amener sous les murs de la capitale ennemie deux armées, dont l’une devait descendre la vallée du Danube, tandis que l’autre remontait les gorges de la Styrie et du Tyrol. Pour prendre position en Lombardie, il fallait que le corps d’armée de Gouvion traversât dans toute leur étendue les états du pape. Ses instructions lui ordonnaient de s’acheminer doucement le long des côtes de l’Adriatique. Tandis qu’accoutumé à régler par lui-même avec la plus rigoureuse précision tout le détail du mouvement de ses troupes, il suivait de l’œil sur la carte les différentes étapes que son lieutenant aurait à parcourir, le regard de Napoléon rencontra la ville d’Ancône. Ancône, son ancienne conquête, située presque en face de Corfou, repaire actuel des Anglais et des Russes, était naguère encore entre ses mains. Il avait eu la générosité, maintenant si fâcheuse, de la rendre sans conditions à Pie VII, qui, pour récompense, venait à l’instant même de lui montrer tant de mauvaise volonté dans l’affaire du mariage de son frère Jérôme. Les motifs de conscience mis en avant par le saint-père n’avaient été, après tout, que de vains prétextes ; ils avaient servi à découvrir le fond même de son cœur. Puisque la cour de Rome faisait maintenant des vœux patens pour ses ennemis, il n’était que sage de mettre fin à de puérils ménagemens et de prendre, malgré elle et au besoin contre elle, toutes les précautions qu’exigeait l’état présent des choses en Italie. Au lieu de passer simplement dans le voisinage d’Ancône, Gouvion Saint-Cyr reçut donc l’ordre de s’y introduire de gré ou de force, d’y établir garnison, d’en renforcer la citadelle et de concentrer dans ses mains le commandement de tout le pays environnant.

A tous les points de vue, cette décision de l’empereur était une faute. Du moment que, par des raisons militaires et pour renforcer Masséna, il avait pris son parti de dégarnir le midi de l’Italie, il n’y avait que des inconvéniens à laisser ainsi à mi-chemin un corps détaché qui, tout en faisant grandement défaut sur les champs de bataille de la Lombardie, n’était pas très utile à Ancône. Si la méfiance des projets bénévolement prêtés par lui à la cour de Rome, si le désir de se venger d’une injure gratuitement supposée avaient déterminé Napoléon, aucun de ses sentimens n’était à cette époque, si peu que ce fût, justifié par les présentes dispositions du saint-père. Ainsi que nous l’avons tant de fois établi, Pie VII n’avait à aucun degré les préjugés ni les tendances d’un pontife de l’ancien régime. Dans la lutte maintenant engagée en Europe, ses vœux sincères étaient du côté de l’homme des temps nouveaux et de cette France devenue sans doute un peu trop militaire pour son goût, mais restée à ses yeux démocratique et chrétienne. Depuis la cérémonie du sacre, il était demeuré en froid avec la maison impériale d’Autriche. Les autres adversaires de l’empereur, l’Angleterre et la Russie, étaient du nombre de ces puissances schismatiques pour lesquelles en temps ordinaires le chef de la catholicité ressent naturellement assez peu de sympathie. Entre le Vatican et la cour de Naples, il y avait eu de récens froissemens à propos de Bénévent et de Ponte-Corvo. La reine Caroline, qui avait si facilement entraîné son mari dans de mystérieux complots contre la France, avait été promptement découragée quand elle avait voulu ourdir à Rome de pareilles intrigues. Les représentans de l’Autriche et de la Russie, les agens secrets de l’Angleterre et de la cour de Naples, loin de compter, nous ne disons pas sur le concours, mais seulement sur l’assentiment moral du saint-père à la cause de la coalition qui venait de se nouer en Europe, et dont les futurs succès mettaient déjà en mouvement l’imagination des nouvellistes de la ville de Rome, se plaignaient au contraire assez vivement de la partialité évidente du pape à l’égard de l’empereur des Français. Sans employer, pour caractériser sa politique, des expressions semblables à celles que nous avons relevées dans la correspondance du comte de Maistre, ambassadeur du roi de Sardaigne à Saint-Pétersbourg, ils n’hésitaient pas à représenter Pie VII comme ayant, depuis son voyage à Paris, aliéné tout à fait son indépendance de prince temporel et perdu à peu près complètement la liberté même de ses jugemens personnels. La sévérité des appréciations que les ministres étrangers faisaient parvenir à leur cour était en partie soupçonnée par le saint-père. Son âme tendre en était profondément troublée. — Triste et singulière situation ! pendant qu’il était en butte aux injustes soupçons de Napoléon, Pie VII s’épuisait en infructueux efforts pour persuader aux membres du corps diplomatique accrédités près de lui qu’il garderait en toutes circonstances une stricte neutralité ; mais eux non plus ne le voulaient pas croire. En vain expliquait-il que, pour assurer sa neutralité du côté de la France, il n’avait pas eu besoin, comme son voisin de Naples, de conclure un traité, parce que cette neutralité résultait de sa situation même et de sa qualité de père commun des fidèles. « Elle était pour lui, disait-il, de devoir étroit, et jamais il ne souffrirait qu’il y fût porté atteinte par qui que ce soit. » Ces protestations solennelles de Pie VII étaient écoutées avec respect, mais sans confiance, par les ambassadeurs étrangers, car, s’ils étaient tous persuadés de sa volonté de rester neutre, aucun ne lui croyait le pouvoir de faire, en cas de besoin, observer sa neutralité. Le libre passage accordé à travers les états pontificaux aux troupes du général Gouvion Saint-Cyr pour se rendre sur les champs de bataille du midi de l’Italie était à ce moment même dénoncé par le ministre de l’Autriche comme une preuve flagrante de la complaisance du pape envers Napoléon. Déjà nos plus fougueux adversaires annonçaient, peut-être sans beaucoup y croire, la prochaine occupation des domaines du saint-siège ; Consalvi protestait contre la seule admission d’une semblable hypothèse ; le cardinal Fesch demeurait impassible et silencieux, lorsqu’au plus fort de ces ardentes controverses échangées entre toutes les chancelleries et dans tous les cercles de Rome tomba tout à coup la surprenante nouvelle de la prise de possession d’Ancône par les troupes françaises.

Le général Gouvion Saint-Cyr était entré à Ancône vers le milieu d’octobre 1805 ; pendant quelque temps, il avait à dessein laissé ignorer ses véritables projets. Consalvi s’était, au premier bruit de cette frauduleuse invasion, adressé à l’ambassade française. A Rome, le cardinal Fesch n’avait pu donner que les plus vagues réponses. L’oncle de Napoléon ne savait absolument rien. Il y avait eu probablement quelque malentendu. On avait tort, en tous cas, de se tant émouvoir. Il allait d’ailleurs écrire aussitôt à sa cour… Le cardinal Fesch faisait-il semblant d’être plus ignorant qu’il ne l’était en effet, et d’avoir été, comme le saint-siège lui-même, pris au dépourvu par une mesure que certainement il était loin d’approuver ? Ou bien l’empereur, afin de mieux tromper la cour de Rome, avait-il commencé par abuser son propre ambassadeur, dont le zèle pour les intérêts temporels du pape commençait à lui déplaire ? Cela serait aujourd’hui assez difficile à démêler. Le saint-père, les membres du sacré-collège et Consalvi lui-même, quoique déjà à peu près brouillé avec le cardinal Fesch, ont toujours incliné à croire qu’à l’ambassade de France on n’avait rien su à l’avance. Suivant eux, le ministre de Napoléon aurait été de la meilleure foi du monde lorsque, dans les premiers instans, il avait cherché à représenter la prise de possession de la ville et de la citadelle d’Ancône comme un acte provisoire et de simple précaution militaire, inspiré probablement au commandant français par les dangers de sa marche le long d’une côte exposée aux invasions de l’ennemi. Il n’était pas moins sincère, d’après leur opinion, quand il donnait à entendre que le général Gouvion Saint-Cyr ayant sans doute agi sans instructions, cette occupation ne serait pas maintenue, et que le bon sens et la prudence commandaient d’attendre, avant de se plaindre trop vivement, le résultat des réclamations qu’il allait se hâter de faire parvenir en France. De sa part, il n’y aurait donc eu dans cette occasion ni jeu joué, ni piège tendu à la crédulité du Vatican ; le cardinal, afin d’être mieux en état de remplir le rôle auquel il était destiné, aurait été le premier induit en erreur par ce même grand homme, qui, occupé à tourner par la plus heureuse des inspirations la formidable position des Autrichiens en Bavière, ne dédaignait pas d’employer dans ce même moment les irrécusables facultés de son prodigieux, mais peu scrupuleux génie, à surprendre dans les filets d’une astucieuse diplomatie la confiance d’un pieux pontife, et ne regardait pas davantage à compromettre l’honneur personnel de son propre ambassadeur.

Toujours est-il que le Vatican resta jusqu’aux premiers jours de novembre sans obtenir aucune explication précise du cardinal Fesch et sans savoir ce que signifiait au juste l’occupation inattendue d’Ancône. Plus cette occupation se prolongeait, plus le bruit s’accréditait à Rome qu’elle avait dû être tacitement concertée avec le gouvernement pontifical. Cette assertion, qui rencontrait peu de contradicteurs parmi les membres du corps diplomatique, était insupportable à Pie VII. Il avait patienté aussi longtemps qu’il avait pu ; mais rien n’arrivait de Paris, ni d’Allemagne, soit au Vatican, soit à l’ambassade de France. D’Ancône, on apprenait que les soldats de Gouvion Saint-Cyr réparaient les dehors de la citadelle et la remplissaient de provisions. Le saint-père ne se contint plus, Déjà il avait ordonné au cardinal secrétaire d’état de réclamer par une note officielle contre la violation flagrante de sa neutralité. « Je ne vous laisserai pas seul sur la brèche, avait-il dit à Consalvi, et moi aussi, puisqu’il le faut, je paierai de ma personne, et je viendrai à votre secours. » Le 13 novembre 1805, une lettre cachetée, à l’adresse de l’empereur, fut remise par Pie VII aux mains du cardinal Fesch. Cette date du 13 novembre est importante à noter, car Napoléon, dans sa réponse, que nous rapporterons plus tard, ne craignit point de reprocher à Pie VII de lui avoir écrit cette lettre par suite de la connaissance qu’il aurait eue de la fâcheuse position de l’armée française sous les murs de Vienne, et parce qu’il avait, à la même époque, reçu la nouvelle du débarquement des Anglais et des Russes sur les rivages du royaume de Naples. Or ce débarquement n’eut lieu que le 19 novembre. Ce que l’on connaissait le 13 novembre au Vatican, c’était l’étonnante capitulation d’Ulm, la défaite du général Mack, coupé dès le début de la campagne de ses communications avec Vienne, et la ruine complète de son armée, devenue en quelques semaines, seulement la prisonnière de guerre de son habile vainqueur. Il n’y avait certes point là de quoi inspirer confiance à Pie VII dans le succès des puissances coalisées contre la France. Il n’y avait jamais cru, et, comme nous l’avons déjà dit, il ne le souhaitait pas. Le saint-père était à ce moment exclusivement agité par ce qui venait de se passer dans ses propres états. On lui avait manqué de parole, on avait violé sa neutralité, on l’avait rendu suspect aux représentans de toutes les puissances catholiques, qui ne croyaient plus à ses pacifiques assurances ; bientôt le moment allait venir où le paisible exercice de sa mission apostolique, étendue sur le monde entier, lui serait partout impossible. Telles étaient les appréhensions qui déchiraient son cœur et les sentimens dont sa lettre était remplie. Le cardinal Fesch avait bien pressenti en la recevant combien l’expression d’une si violente douleur, si les termes n’en étaient pas habilement ménagés, pourrait blesser l’empereur. C’est pourquoi il avait demandé d’en prendre connaissance et qu’on lui en remît au moins copie ; mais Pie VII l’avait tenue secrète à Consalvi lui-même. Il lui avait semblé qu’il aurait plus de chances de réussir, et que l’amour-propre de Napoléon serait moins intéressé à ne pas céder aux instantes supplications de son ancien hôte, si elles lui parvenaient sous la forme d’un épanchement tout à fait intime et personnel. La lettre partit donc ainsi qu’elle avait été conçue et écrite par Pie VII. Il y avait donné cours avec une franche et généreuse ouverture aux sentimens qui, longtemps contenus par sa douceur naturelle et par des motifs d’une prudence tout humaine, s’échappaient maintenant avec impétuosité de son cœur trop péniblement affecté.


« Nous avouons franchement à votre majesté avec l’ingénuité connue de notre caractère que l’ordre qu’elle a donné au général Saint-Cyr d’occuper Ancône et de la faire approvisionner nous a causé non moins de surprise que de douleur. L’amertume de cette occupation nous a été rendue plus sensible, s’il est possible, par la manière dont elle a été accomplie, votre majesté ne nous en ayant en aucune façon prévenu. C’est avec un vif chagrin, nous ne saurions le dissimuler, que nous nous voyons ainsi traité d’une manière qu’à aucun titre nous ne croyons avoir méritée. Notre neutralité a été reconnue par votre majesté comme par toutes les autres puissances. Celles-ci l’ont pleinement respectée, et nous avions des motifs particuliers de croire que les sentimens d’amitié que votre majesté professait à notre égard nous auraient préservé d’un si cruel affront. Nous nous apercevons que nous nous sommes trompé. Nous vous le dirons donc franchement : depuis notre retour de Paris, nous n’avons éprouvé qu’amertumes et déplaisirs, tandis qu’au contraire la connaissance personnelle que nous avions faite de votre majesté et notre conduite invariable à son égard semblaient devoir nous promettre un tout autre traitement. En un mot, nous ne trouvons pas chez votre majesté le retour des sentimens que nous nous croyions en droit d’attendre de sa justice. Ce que nous nous devons à nous-même, ce que nous imposent les obligations contractées envers nos propres sujets, c’est de réclamer de votre majesté l’évacuation d’Ancône, et nous ne verrions pas, si un refus nous était opposé, comment le concilier avec la continuation des bons rapports avec le ministre de votre majesté, ces rapports devenant en trop évidente contradiction avec le traitement que nous continuerions à recevoir dans cette affaire de la ville d’Ancône.

« Que votre majesté soit bien persuadée que nous accomplissons un devoir bien pénible pour notre cœur en lui adressant cette lettre, mais nous ne pouvions nous taire sans dissimuler la vérité et manquer aux étroites obligations qui nous sont si évidemment imposées ; c’est pourquoi nous voulons espérer qu’au milieu des amertumes dont nous sommes abreuvé votre majesté voudra bien au moins nous délivrer de celle dont le poids pèse si étrangement sur nous en ce moment, et que sa volonté seule suffirait à nous épargner. »


Il semblait qu’il fût difficile de se méprendre sur le sens de cette revendication par le saint-père des droits de sa neutralité. Les motifs qu’il invoquait, n’étaient-ce pas ceux là mêmes qu’il venait d’opposer tout à l’heure aux instances des diplomates étrangers, quand ceux-ci avaient tenté de l’entraîner dans leur coalition contre la France ? Dans ces reproches adressés à Napoléon, on sentait le ton plaintif de la tendresse blessée plutôt que l’aigre accent d’une menaçante récrimination. Il y avait plus de tristesse à cour sûr que de colère dans la façon dont Pie VII rappelait les traitemens auxquels il avait été en butte depuis le jour où, par un acte d’insigne complaisance, il avait consenti à venir sacrer l’empereur à Paris. Quant à la crainte doucement exprimée de ne pouvoir continuer ses bons rapports avec l’ambassadeur de France, si l’évacuation d’Ancône n’était révoquée, comment ne pas comprendre qu’elle avait été à peu près imposée au saint-père par l’obligation où il était de donner dans Rome même aux agens des cabinets ligués contre l’empereur un gage assuré de cette impartialité qu’ils s’obstinaient tous à vouloir mettre en doute ? Napoléon, s’il eût été de sang-froid et s’il eût écouté les inspirations ordinaires de son incomparable bon sens, n’en aurait pas jugé autrement. Par malheur, quand la lettre que nous venons de citer lui parvint il était aux prises avec les sérieuses difficultés qui entravèrent un moment sa marche audacieuse et précédèrent la magnifique victoire d’Austerlitz. Les immenses mouvemens stratégiques qu’il lui fallait accomplir entre l’armée amenée d’Italie par l’archiduc Charles et celles que les empereurs d’Autriche et de Russie groupaient en face de lui en Moravie absorbaient alors toute son attention. Plus tard, après la paix de Presbourg, le soin de tirer de son éclatant triomphe tout le profit possible avait encore distrait sa pensée des affaires moins importantes qui s’étaient passées loin de sa vue de l’autre côté des Alpes. L’occupation d’Ancône et les doléances du saint-siège avaient donc été oubliées ou mises de côté pour céder le pas à de plus pressans intérêts. Ce fut peu de jours seulement avant son retour en France qu’à Munich, le 7 janvier 1806, Napoléon trouva enfin le temps de répondre à la lettre de Pie VII.

Pour comprendre, nous ne saurions dire pour justifier l’inconcevable et méprisante hauteur qui allait faire tout le fond de cette tardive réponse, il faut avoir présente à la pensée, comme une explication peut-être et non point à coup sûr comme une excuse, la série des étourdissans succès que venait de remporter Napoléon. Ils étaient de nature à l’enivrer d’orgueil ; mais la véritable grandeur eût peut-être consisté à porter avec plus de modération les faveurs prodigieuses et d’ailleurs si bien méritées dont la fortune venait de le combler. Cette modération qui fait toute la bonne grâce des grands hommes ne lui avait pas manqué, lorsqu’au lendemain d’Austerlitz, sur le champ de bataille encore fumant des débris ensanglantés de l’armée autrichienne, il avait reçu avec une aimable courtoisie le malheureux souverain de cette puissance tout à coup déchue de son rang parmi les nations. Dans tout ce qui se rapportait immédiatement à la guerre, les procédés du général primaient volontiers chez Napoléon les calculs du politique. Lorsqu’il était au milieu de ses soldats, une certaine générosité propre au métier des armes ne lui était pas étrangère. C’est ainsi qu’il avait, sans trop le presser, laissé Alexandre se dégager comme il avait pu de la formidable étreinte dans laquelle, en général malhabile, le souverain de la Russie avait assez étourdiment compromis son armée. Les premières exigences produites dans son entrevue avec l’empereur François, au bivouac de Paleny, n’avaient rien eu non plus de trop excessif. Les dangereuses chances du terrible jeu de la guerre étaient encore assez présentes à sa pensée pour lui inspirer quelque réserve ; mais à mesure qu’il s’était éloigné du théâtre de ses récens exploits, les habitudes de son caractère avaient peu à peu repris le dessus. Dans les négociations ouvertes à Presbourg, il n’avait pas en effet tardé à témoigner la manifeste intention de démembrer absolument et de réduire presque à néant les états du souverain dont la condition misérable venait, un instant auparavant, d’exciter sa pitié. Il avait pris dans ses conférences avec M. d’Haugwist une sanglante revanche des hésitations trop évidentes de la Prusse et de son alliance projetée avec l’Angleterre en lui imposant l’obligation de se brouiller maintenant avec elle par l’invasion des états du roi de Hanovre. La trahison, non pas seulement méditée, mais accomplie de la reine Caroline, avait reçu son châtiment par l’apparition du décret qui avait appris à l’Europe étonnée que la branche des Bourbons de Naples « avait cessé de régner. » L’électeur de Bavière, élevé à la dignité de roi, avait été récompensé de sa fidélité à la France par l’octroi du Tyrol et d’une notable partie des possessions héréditaires de la maison d’Autriche. Ces actes multipliés d’une souveraine omnipotence qui ne connaissait plus d’autres limites que celles de sa propre convenance s’étaient accomplis avec la plus extrême facilité. Ce n’est pas tout. Comme il entrait dans les vues de l’empereur de faire marcher désormais d’un même pas l’agrandissement de sa puissance et celle des membres de sa famille, il ne s’était arrêté quelque temps à Munich que pour y conclure le mariage de son fils adoptif, Eugène Beauharnais, vice-roi d’Italie, avec la princesse Auguste de Bavière. L’alliance de cette princesse avait été arrangée primitivement par sa mère avec l’héritier de l’électorat de Bade ; mais il en était des filles des électeurs de l’Allemagne ainsi que de leurs provinces, Bonaparte en disposait à son gré. La future reine de Bavière avait dû faire taire ses répugnances ; le prince badois avait retiré ses prétentions à la main de la princesse Auguste, et recevait en dédommagement celle de Mlle Stéphanie Beauharnais, reconnue pour princesse de la maison impériale de France ; enfin l’empereur mettait pour la première fois en avant l’idée du mariage de la fille de l’électeur du Wurtemberg avec le prince Jérôme. Est-il besoin d’ajouter que celui qui distribuait ainsi les couronnes en Allemagne ne trouvait plus de rebelles parmi ses propres frères ? Le plus récalcitrant d’entre eux, Joseph, s’était décidé à ceindre la couronne de Naples, et venait de recevoir de Schœnbrunn l’invitation d’aller la conquérir à la tête d’une armée française maintenant dirigée sur le midi de l’Italie. Le prince Louis ne montrait plus de répugnance à aller régner sur les Hollandais, à la condition, toujours maintenue cependant, qu’on lui permettrait d’y emmener sa femme. Ces exemples d’une si méritoire obéissance avaient rencontré partout des imitateurs. Il n’y avait pas un ordre, pas un secret désir de l’empereur qui, en France, en Allemagne, en Italienne fût alors aussi vite accompli que connu ou seulement pressenti. A Paris, l’inquiétude avait promptement fait place au plus vif enthousiasme. Le sénat, le corps législatif, qui tous deux, au début de la campagne, avaient pu être accusés d’un peu de froideur, éclatèrent en transports d’admiration. Les adresses des conseils municipaux emplirent à nouveau les colonnes du Moniteur. Tous les corps publics qui n’avaient pas encore perdu chez nous l’usage de la parole s’en servirent à l’envi pour célébrer le merveilleux accomplissement de ces projets, dont la simple annonce les avait naguère passablement épouvantés. La chaire, elle, ne s’était jamais tu. Elle n’eut seulement qu’à monter d’un ton le diapason déjà si fort élevé de ses ardens panégyriques. Les noms de Pépin, de Charlemagne et du grand Cyrus retentirent plus que jamais avec les rapprochemens accoutumés sous les voûtes de nos grandes cathédrales de France comme sous les humbles toits de nos modestes églises de village.

C’est au milieu de ce concert d’éloges qui de tous côtés arrivait à ses oreilles qu’ouvrant pour la première fois peut-être la lettre de Pie VII, Napoléon entendit résonner comme une note pénible et discordante le cri de douleur échappé à la conscience du souverain pontife. Depuis que cette lettre avait été écrite, combien de rapides événemens s’étaient succédé en peu de temps en Italie et en Allemagne, dont le saint-père ne pouvait pas même être soupçonné d’avoir en rien subi l’influence, car ils n’étaient pas encore accomplis quand il avait mis la plume à la main ! De ces événemens, quelques-uns avaient laissé à l’empereur un désagréable souvenir. Malgré son définitif et incomparable triomphe, ce sont ceux-là qui paraissent avoir occupé sa pensée pendant qu’il répondait à Pie VII. Le roi de Naples l’avait trahi. A Rome, lorsqu’on avait cru les Napolitains et les Russes prêts à envahir la ville, son oncle, effrayé d’un si dangereux voisinage, avait eu la faiblesse de s’adresser aux ennemis de la France pour ménager la sûreté de sa légation[20]. L’idée seule de cette démarche lui était restée sur le cœur comme un affront d’autant plus insupportable que, pour l’éviter, il avait d’avance fait parvenir au cardinal Fesch l’ordre de se rendre à Bologne en cas d’alarme[21]. Les Prussiens avaient un instant failli prendre parti contre lui, et la nouvelle de sa situation, momentanément compromise entre les armées russe et autrichienne, avait, pendant quelques courtes journées, fait reluire un éclair de joie, à Rome comme ailleurs, sur le visage de tous ses ennemis ; voilà ce qu’en écrivant au saint-père il n’avait garde d’oublier, sans se soucier toutefois de savoir si Pie VII avait, à un degré quelconque, partagé ces sinistres espérances. Ne s’était-il point naguère refusé à casser le mariage d’un prince français, frère de l’empereur, avec la fille protestante d’un simple citoyen des États-Unis ? Là était le crime et le signe trop évident de sa mauvaise volonté. Et ce pape, n’était-ce pas celui qui, afin d’obtenir la restitution d’une partie de ses provinces, n’hésitait pas, il y avait six mois à peine, à le reconnaître devant l’Europe entière comme l’héritier des anciens empereurs d’Occident ? Mais lui, le successeur de Zacharie, comment avait-il rempli ses devoirs envers le Charlemagne des temps modernes ? Voilà ce que Napoléon croyait à propos de rappeler à Pie VII, et dans quels termes, on va le voir :


« Très saint-père, écrit l’empereur de Munich, le 7 janvier 1806, comme s’il décachetait à l’instant même la missive du pape, je reçois une lettre de votre sainteté sous la date du 13 novembre. Je n’ai pu qu’être très vivement affecté de ce que, quand toutes les puissances à la solde de l’Angleterre s’étaient coalisées pour me faire une guerre injuste, votre sainteté ait prêté l’oreille aux mauvais conseils, et se soit portée à m’écrire une lettre si peu ménagée. Elle est parfaitement maîtresse de garder mon ministre à Rome ou de le renvoyer. L’occupation d’Ancône est une suite immédiate et nécessaire de la mauvaise organisation de l’état militaire du saint-siège. Votre sainteté avait intérêt à voir cette forteresse dans mes mains plutôt que dans celles des Anglais ou des Turcs. Votre sainteté se plaint de ce que, depuis son retour de Paris, elle n’a eu que des sujets de peine. La raison en est que depuis lors tous ceux qui craignaient mon pouvoir et me témoignaient de l’amitié ont changé de sentimens, s’y croyant autorisés par la force de la coalition, et que, depuis le retour de votre sainteté à Rome, je n’ai éprouvé que des refus de sa part sur tous les objets, même ceux qui étaient d’un premier ordre pour la religion, comme par exemple lorsqu’il s’agissait d’empêcher le protestantisme de relever la tête en France. Je me suis considéré comme le protecteur du saint-siège, et à ce titre j’ai occupé Ancône. Je me suis considéré, ainsi que mes prédécesseurs de la deuxième et de la troisième race, comme le fils aîné de l’église, comme ayant seul l’épée pour la protéger et la mettre à l’abri d’être souillée par les Grecs et les musulmans. Je protégerai constamment le saint-siège, malgré les fausses démarches, l’ingratitude et les mauvaises dispositions des hommes qui se sont démasqués pendant ces trois mois. Ils me croyaient perdu. Dieu a fait éclater, par le succès dont il a favorisé mes armes, la protection qu’il a accordée à ma cause. Je serai l’ami de votre sainteté toutes les fois qu’elle ne consultera que son cœur et les vrais amis de la religion. Je le répète, si votre sainteté veut renvoyer mon ministre, elle est libre de le faire : elle est libre d’accueillir de préférence et les Anglais et le calife de Constantinople ; mais, ne voulant pas exposer le cardinal Fesch à des avanies, je le ferai remplacer par un séculier… Dieu est juge qui a le plus fait pour la religion de tous les princes qui règnent[22]. » Comme si cette lettre n’était point déjà assez significative, le même jour Napoléon en adressait une seconde à son oncle. Cette dernière était plus insultante encore pour le pape, et le cardinal Fesch recevait l’invitation d’en donner connaissance au Vatican.


« Le pape m’a écrit la lettre la plus ridicule, la plus insensée ; ces gens-là me croyaient mort. J’ai occupé Ancône parce que, malgré vos représentations, on n’avait rien fait pour la défendre, et que d’ailleurs on est si mal organisé que, quoi qu’on eût fait, on aurait été hors d’état de la défendre contre personne. Faites bien entendre que je ne souffrirai plus tant de railleries, que je ne veux point à Rome de représentans de Russie ni de Sardaigne. Mon intention est de vous rappeler et de vous remplacer par un séculier. Puisque ces imbéciles ne trouvent pas d’inconvénient à ce qu’un protestant puisse occuper le trône de France, je leur enverrai un ambassadeur protestant… Je suis religieux, mais je ne suis pas cagot. Constantin a séparé le civil du militaire, et je puis aussi nommer un sénateur pour commander en mon nom dans Rome. Il leur convient bien de parler de religion, eux qui ont admis les Russes, et qui ont rejeté Malte et qui veulent renvoyer mon ministre ! Ce sont eux qui prostituent la religion… Dites à Consalvi, dites même au pape que, puisqu’il veut chasser mon ministre de Rome, je pourrais bien aller l’y rétablir. On ne pourra donc rien faire avec ces hommes-là… Ils deviennent la risée des cours et des peuples. Je leur ai donné des conseils qu’ils n’ont jamais voulu écouter. Ils croyaient donc que les Russes, les Anglais, les Napolitains auraient respecté la neutralité, du pape ! Pour le pape, je suis Charlemagne, parce que, comme Charlemagne, je réunis la couronne de France à celle des Lombards et que mon empire confine avec l’Orient. J’entends donc que l’on règle avec moi sa conduite sur ce point de vue. Je ne changerai rien aux apparences, si l’on se conduit bien. Autrement je réduirai le pape à être évêque de Rome… Il n’y a rien, en vérité, d’aussi déraisonnable que la cour de Rome[23]. »


En vérité, on se demande ce que se proposait alors l’empereur en adressant à Pie VII de pareils reproches et de si terribles menaces. La suite de cette étude fera voir que les menaces, chaque année plus accentuées, ne parvinrent point à ébranler la conviction où était le saint-père qu’il ne lui était pas loisible, par des motifs uniquement tirés de sa conscience de souverain pontife, de se départir comme prince temporel des obligations d’une scrupuleuse neutralité. Quant aux reproches de s’être entendu avec les ennemis de la France et d’avoir au fond de son cœur formé des vœux contre elle, les détails dans lesquels nous venons d’entrer ont suffisamment démontré à quel point ils étaient injustes. Au moment où Napoléon parlait en termes si blessans de la prétendue tendresse de Pie VII pour les sujets schismatiques de l’empereur de Russie et les citoyens de la protestante Angleterre, le souverain pontife avait repoussé toutes leurs offres. Ses secrètes sympathies, loin de s’être portées du côté du très catholique souverain de l’Autriche, étaient tout entières acquises à celui qui allait, après le triomphe, se montrer si injurieusement cruel à son égard ; mais, comme il arrive trop fréquemment en ce monde, la violence même de ces récriminations si imméritées était destinée à faire naître chez l’innocente victime de tant d’injustes soupçons la disposition d’esprit dont Napoléon se plaignait alors sans motif. La moitié de l’année ne s’était pas en effet écoulée que, dans la capitale de l’Autriche humiliée, le nonce de sa sainteté s’adressait en secret à sir Robert Adair, l’ambassadeur d’Angleterre à Vienne. Il était chargé de lui dire que, « le gouvernement de sa sainteté ayant été sommé de signer un traité avec la France pour lui livrer toutes ses forteresses et exclure les Anglais de tous ses ports, le pape s’y était une première fois refusé avec beaucoup d’énergie et de dignité ; mais, dans une conversation qui avait eu lieu à Paris entre Napoléon et le cardinal Caprara le 3 juillet 1806, cette demande venait d’être renouvelée avec la menace, en cas de refus ou d’hésitation, de s’emparer à l’instant même de tous les états de sa sainteté… » — « Dans les circonstances qui m’ont été relatées par le nonce, je n’ai pas hésité, ajoute le ministre d’Angleterre à Vienne, à lui déclarer que, si des événemens de force majeure obligeaient le pape à chercher un asile temporaire dans des contrées placées sous la protection des armes de sa majesté britannique, il y serait reçu avec toutes les marques convenables de déférence et de respect[24]. »

Cette offre de l’hospitalité anglaise ne devait jamais être mise à profit par le chef de la catholicité ; nous ne savons pas si Pie VII songea jamais à y recourir. N’est-il pas déjà bien singulier et vraiment digne de remarque qu’une semblable proposition ait pu lui être aussi naturellement adressée, dans l’année même qui suivit l’entrevue de Fontainebleau et la cérémonie du sacre ?


D’HAUSSONVILLE.

  1. Voir la Revue du 1er janvier 1867.
  2. Allocution pontificale prononcée en coitsistoire le 26 juin 1805.
  3. Dépêche du cardinal Consalvi au cardinal Fesch, août 1805.
  4. Lettre de l’empereur au pape, 19 août 1805. (Correspondance de Napoléon Ier, t. II, p. 99.)
  5. Lettre de Pie VII à Napoléon Ier, 6 septembre 1805.
  6. « Je sais que vous êtes incapable d’un crime, et que jamais, quels que soient les avantagea que vous pourriez trouver à ma mort, vous ne les achèteriez par un attentat. Je ne pense pas ainsi de Lucien, et voilà pourquoi je l’ai écarté, pourquoi je ne le rappellerai Jamais. » Mémoires du comte Miot de Melito, t. Ier ; p. 238.
  7. Mémoires du comte Miot de Melito, t. Ier, p. 239.
  8. Ibid., t. 1er, p. 340.
  9. Ibid., t. Ier, p. 341.
  10. Mémoires du comte Miot de Melito, t. Ier, p. 297.
  11. « Il saisit le prince Louis par le milieu du corps et le jeta avec la plus grande violence hors de son appartement. » Ibid., t. Ier, p. 297.
  12. Lettre de l’empereur Napoléon Ier à M. Decrès, 3 floréal an XII (23 avril 1805).
  13. Lettre de l’empereur au ministre de la police, 3 floréal an XII (23 avril 1805).
  14. Lettre de l’empereur au ministre de la police, 23 avril 1805.
  15. Lettre de l’empereur Napoléon Ier à la princesse Élisa, 16 floréal an XII (6 mars 1805).
  16. Lettre de Jérôme Bonaparte à Mme Élisa Bonaparte, 15 avril 1805.
  17. Lettre de Pie VII à l’empereur Napoléon, juin 1805.
  18. Lettre de Pie VII à l’empereur Napoléon, juin 1805.
  19. Mémoires du comte Miot de Melito, t. II, p. 276, 279, 280.
  20. Lettre de Napoléon Ier au cardinal Fesch, 22 décembre 1805.
  21. Lettre de Napoléon à M. de Talleyrand, 10 décembre 1805.
  22. Correspondance de l’empereur Napoléon Ier, t. XI, p. 527.
  23. Correspondance de l’empereur Napoléon Ier, t. XI, p. 528.
  24. M. Adair to M. secretary Fox. Vienna, august 11, 1806.