L’Église romaine et les Négociations du Concordat (1800-1814)/13

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L’Église romaine et les Négociations du Concordat (1800-1814)
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 75 (p. 39-72).
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XIII.

L’EXCOMMUNICATION ET LE SECOND MARIAGE DE L’EMPEREUR.
DEUXIÈME PARTIE


I. Mémoires du cardinal Consalvi. — II. Œuvres complètes du cardinal Pacca. — III. Correspondance du cardinal Caprara. — IV. Correspondance de Napoléon Ier. — V. Dépêches diplomatiques et documens inédits français et étrangers, etc.


I

Du jour où l’empereur, ainsi que nous l’avons raconté dans notre précédente étude, s’était résolu au mariage autrichien, il n’avait pas cessé de s’occuper de ce qu’il y aurait à faire pour obtenir le plus vite possible la dissolution canonique du lien religieux qui l’avait précédemment uni à l’impératrice Joséphine[1]. Il fut tout d’abord un peu surpris et très blessé de rencontrer de la part de son oncle le cardinal Fesch, non pas des objections positives, mais certaines réserves pour ce qui le concernait personnellement, et l’avertissement sérieusement donné que la chose n’allait pas de soi, et qu’il y aurait, au point de vue ecclésiastique, des difficultés réelles à vaincre ou plutôt à tourner. En pareille occurrence, quand il s’agissait de têtes couronnées et qu’on n’avait à faire valoir que la raison d’état, le recours naturel était au pape. L’empereur lui-même l’avait bien senti quand, à propos du mariage contracte par son frère Jérôme, il s’était d’abord adressé à Pie VII. Les traitemens dont il avait usé envers le saint-père et la captivité du souverain pontife à Savone lui fermaient cette voie, si clairement indiquée. Toutes les autres, au dire du cardinal Fesch, étaient incertaines et peut-être dangereuses. Napoléon imputa les observations de son oncle à sa partialité maintenant avérée pour e saint-siège, et, comme il lui arrivait d’ordinaire dans les cas qui requéraient beaucoup de savoir-faire, il chargea son habile archi-chancelier de découvrir en gardant toutes les mesures possibles, les moyens de le tirer d’embarras. C’est à quoi excellait toujours Cambacérès, qui, bien qu’il eût conseillé un autre mariage, prit volontiers en main la direction de cette procédure. A vrai dire, il avait été de tout temps admis dans les pays catholiques que les causes matrimoniales entre souverains appartenaient exclusivement aux papes qui tantôt avaient prononcé par eux-mêmes à Rome même, et tantôt avaient constitué leurs légats juges immédiats et présidens des conciles chargés d’instruire hors de Rome ces importantes affaires. Ce droit du saint-siège avait été non-seulement reconnu par l’église de France, mais en fait pratiqué dans les derniers siècles par plusieurs des chefs de la monarchie capétienne. Louis XII avait fait dissoudre son mariage avec Jeanne de France par Alexandre VI (Borgia). Henri IV s’était adressé à Clément VIII Aldobrandini) pour se séparer canoniquement de Marguerite de Valois. Il est vrai que, pour affaiblir l’autorité de ces exemples, M. Bigot de Préameneu avait pris soin d’établir dans un long mémoire que ces deux princes n’avaient eu recours au saint-siège que par ce motif qu’ils le savaient à l’avance favorablement disposé, Clément VIII ayant conçu l’espérance qu’Henri IV épouserait l’une de ses parentes, et Alexandre VI ayant obtenu de Louis XII de considérables avantages pour son fils César Borgia; mais le ministre de Napoléon faisait à tout le moins une chose singulière lorsque, sautant par-dessus ces antécédens relativement de fraîche date, il essayait de prouver par force citations historiques que Louis VII, Louis VI et Charlemagne (celui-là du moins était un exemple à citer à propos de l’empereur) s’étaient parfaitement passés de l’autorisation du saint-siège[2].

Cambacérès était plus dans la vérité des choses quand il se bornait à établir que, suivant la théorie du droit moderne, un souverain pouvait en appeler à la même juridiction qui avait qualité pour décider dans les cas analogues sur les réclamations de ses sujets ; mais un pareil tribunal, s’il était en effet compétent, était-il aussi doué d’une suffisante indépendance ? Cela était une tout autre question, que l’archi-chancelier se garda bien de soulever. La vérité est que ce tribunal n’existait même pas ; on le créa pour la circonstance, et du même coup on organisa à la fois trois officialités différentes, l’une diocésaine, l’autre métropolitaine et la troisième primatiale. Cette dernière était ainsi appelée à cause du titre de primat des Gaules que le cardinal archevêque de Lyon venait alors de reprendre[3]. L’établissement de ce triple degré de juridiction était un fait entièrement nouveau, que ne justifiait aucun principe du droit ecclésiastique, mais qui avait paru utile à l’archi-chancelier pour donner à la décision plus de poids aux yeux du public[4]. Quelle liberté allait être laissée aux membres du clergé appelés à composer ces trois tribunaux différens ? On va le voir.

Le 22 décembre 1809, les deux officiaux de Paris, MM. Lejeas et Boislesve, et les deux promoteurs, MM. Corpet et Rudemare, furent invités à se rendre le jour même chez l’archi-chancelier, qui avait auprès de lui le ministre des cultes. « Par un article inséré au sénatus-consulte du 16 de ce mois, dit Cambacérès, je suis mis en demeure de poursuivre devant qui de droit l’effet des volontés de sa majesté. L’empereur ne peut espérer d’enfans de l’impératrice Joséphine ; cependant il ne saurait, en fondant une nouvelle dynastie, renoncer à l’espoir de laisser un héritier direct qui assure l’intégrité, la tranquillité et la gloire de l’empire. Il est dans l’intention de se marier et d’épouser une catholique ; mais son mariage avec l’impératrice Joséphine doit être auparavant annulé, et son intention est de le soumettre à l’examen et à la décision de l’officialité. » Il était impossible d’être plus humblement soumis et plus sincèrement dévoués à l’empereur que ne l’étaient les membres du clergé de Paris auxquels s’adressait en ce moment la harangue du prince archi-chancelier, et peut-être n’avait-il pas lui-même oublié les paroles pleines de déférence et d’admiration laudative que le plus considérable d’entre ces messieurs, l’abbé Lejeas, premier vicaire de l’archevêché de Paris, vacant depuis la mort de M. de Belloy, avait tout récemment adressées à l’empereur au nom du chapitre métropolitain. Ce fut toutefois l’expression d’une vive surprise, puis celle d’une craintive terreur que Cambacérès put d’abord lire sur le visage de ses interlocuteurs. « Cette cause, dirent-ils tout d’une voix, est de celles qui sont réservées, sinon de droit, au moins de fait, au souverain pontife. — Je ne suis pas, répondit l’archi-chancelier, autorisé à recourir à Rome. — Mais, objecta l’un d’eux, il n’est pas besoin de recourir à Rome pour avoir la décision du pape, puisqu’il est à Savone. — A la bonne heure, mais je ne suis pas chargé de traiter avec lui, et dans les circonstances actuelles c’est impossible[5]. » Le désir qu’avaient les malheureux ecclésiastiques du chapitre métropolitain d’être déchargés d’une si incommode commission était manifeste.


« Ils ouvrirent l’avis qu’on pouvait soumettre l’affaire aux cardinaux qui étaient présentement en si grand nombre à Paris. — Ils n’ont pas de juridiction ici, répliqua Cambacérès. — Mais, monseigneur, il existe précisément une commission de cardinaux, d’archevêques et d’évêques assemblés pour délibérer sur les affaires de l’église. — Ils ne forment pas un tribunal, et l’officialité est le tribunal établi pour connaître de ces causes. — Oui, prince, entre particuliers; mais dans cette occasion la dignité éminente des personnes en cause ne permet pas à l’officialité de se regarder comme le tribunal compétent. — Pourquoi donc? Est-ce qu’il n’est pas libre à sa majesté de se présenter, si bon lui semble, devant un tribunal établi pour ses sujets et composé de ses sujets? Qui peut lui contester ce droit? — En effet, reprit le promoteur, M. Rudemare, sa majesté en est le maître; mais cela est tellement nouveau et tellement contre l’usage, que nous ne pouvons prendre sur nous de nous regarder comme compétens, à moins que. le comité ne décide sur notre compétence. Disposés à faire tout ce qui dépend de nous pour prouver notre dévouement à sa majesté, nous ne pouvons cependant nous dispenser de recourir à tous les moyens qui peuvent mettre notre responsabilité à couvert et notre conscience en repos[6]. »


A des gens aussi troublés, il était nécessaire de concéder quelque chose. Cambacérès le sentit. « Nous ne voulons à aucun prix que cette affaire devienne publique et que les journaux anglais s’en emparent. Toutes les pièces en seront déposées dans la cassette de sa majesté, et nous vous demandons le plus profond secret. Le ministre des cultes vous fera cependant passer la décision que vous demandez[7]. » Le comité ecclésiastique indiqué par les membres de l’officialité, et dont nous aurons plus tard à nous occuper, siégeait alors effectivement à Paris. Il était composé de son éminence le cardinal Fesch, président, du cardinal Maury, de l’archevêque de Tours, des évêques de Nantes, de Trêves, d’Évreux, de Verceil, et de l’abbé Émery, supérieur du séminaire de Saint-Sulpice. Conformément à la promesse faite par l’archi-chancelier, la question de la compétence de l’officialité diocésaine lui fut soumise, et le 2 janvier 1810 il décida qu’elle était en effet compétente. Cependant ni le cardinal Fesch ni l’abbé Émery ne donnèrent leur signature. Le premier avait cru ne pas devoir assister aux séances tenues à ce sujet par le comité, en raison sans doute de la bénédiction nuptiale qu’il avait donnée aux époux en 1804, ce qui le mettait personnellement en cause. Quant à l’abbé Émery, il n’y avait point paru non plus, soit qu’il n’eût pas été convoqué, soit plutôt qu’il eût pris sur lui de s’absenter pour demeurer étranger à la décision de cette délicate affaire. Muni de la déclaration de compétence qu’il avait exigée, et que lui avait apportée un sieur Guyeu, secrétaire de l’impératrice-mère, à qui Cambacérès avait donné mission de suivre et de presser l’expédition de la sentence diocésaine, l’officialité dut se mettre à l’œuvre ; mais beaucoup de documens essentiels lui manquaient encore. Dans l’entrevue dont nous avons déjà rendu compte, Cambacérès avait raconté aux membres de l’officialité comment le mariage avait eu lieu, à la veille du sacre, au milieu de la nuit, sans curé, sans témoin, dans la chambre même de l’impératrice. Ils avaient alors réclamé l’acte de célébration. — Il n’y en a point, avait répondu le chancelier, ce qui était faux, car cet acte avait été dressé et délivré par le cardinal Fesch à Joséphine, qui l’avait depuis ce temps gardé précieusement dans sa cassette, et ne l’avait remis qu’après beaucoup d’hésitations et de larmes à ses enfans, le prince Eugène et la reine Hortense, chargés par l’empereur de le lui redemander et probablement de le détruire[8]. Ils avaient insisté pour avoir au moins l’acte de baptême de l’empereur. L’archi-chancelier ne l’avait pas davantage. « C’est pourtant une pièce qu’il nous est prescrit de nous procurer. — Je ne puis vous la procurer ; mais je l’ai vue, et il me semble que la parole d’un prince doit vous suffire ; » puis il avait ajouté : « Nous désirons que cette affaire se termine promptement, et avoir le plus tôt possible la décision du tribunal. — Monseigneur, lui avait-il été répondu, cette affaire doit pourtant être instruite et jugée comme celle de tous les sujets de sa majesté. — Quoi ! dit Cambacérès, vous voulez suivre les formes! Tout cela va traîner en longueur; j’ai été jurisconsulte : les formes tuent le fond. » Les formes, contre lesquelles l’archi-chancelier avait tant d’objections, ne furent pas en effet bien rigoureusement observées, ou du moins elles furent singulièrement abrégées. Le jour même où le comité ecclésiastique avait rendu sa décision, c’est-à-dire le 2 janvier, M. Guyeu apporta à l’officialité la requête de l’archi-chancelier, sans lui remettre aucune des pièces officielles qu’elle avait précédemment réclamées. La requête portait que la bénédiction nuptiale donnée aux époux dans la nuit du 2 décembre 1804 n’avait pas été précédée, accompagnée ni suivie des formalités prescrites par les lois canoniques, c’est-à-dire qu’il y avait eu défaut de présence du propre prêtre et absence de témoins. Après ces deux premiers moyens d’annulation, elle en produisait un troisième entièrement nouveau et qui surprit beaucoup les membres de l’officialité : c’était le défaut de consentement de l’empereur. L’archi-chancelier terminait sa requête en demandant qu’il fût dit et déclaré par l’officialité que le mariage de leurs majestés avait été non valablement contracté, et qu’il fût comme tel réputé nul et de nul effet, QUOAD FOEDUS. Le lendemain 3 janvier, M. Guyeu apportait à l’archi-chancelier la déclaration de compétence émise par le comité ecclésiastique. Cette déclaration établissait les trois degrés de juridiction diocésaine, métropolitaine et primatiale ; puis elle statuait sur un point qui n’avait pourtant pas été soumis au comité, à savoir qu’à moins que le consentement ne fût bien prouvé, le mariage était md de plein droit; il n’était rien dit quant aux formes de la procédure à suivre. Sur les observations faites par les membres de l’officialité, que la requête était entortillée et presque inintelligible, M. Guyeu répondit que les dépositions des témoins mettraient le tribunal au fait de tout, et sans désemparer il se mit en devoir d’exposer l’affaire à peu près comme avait fait le prince archi-chancelier, avec cette différence cependant que, laissant presque de côté le défaut de présence de témoins et du propre curé, il insista beaucoup sur le défaut de consentement de l’empereur, consentement qu’il représenta comme contraint, simulé, et donné seulement pour contenter l’impératrice. Il indiqua comme témoins qu’il voulait faire entendre M. Duroc, duc de Frioul, M. Berthier, prince de Neufchâtel, M. de Talleyrand, vice-grand-électeur, et le cardinal Fesch.

Les témoins désignés étaient de trop grands personnages pour comparaître devant l’officialité. Il fut convenu qu’elle se transporterait elle-même chez eux pour recevoir leurs déclarations. On y procéda dans la journée du 6 janvier. Le procès-verbal de leurs déclarations fut remis le lendemain à midi au promoteur de l’officialité, M. Rudemare, et presque en même en temps il reçut une lettre de M. Guyeu, qui le prévenait que ses conclusions étaient attendues pour le jour suivant à onze heures, le menaçant de toute la colère de sa majesté, si la sentence n’était pas rendue à l’instant indiqué. Cependant, sans que M. Guyeu en eût donné le motif, la séance fut remise au lendemain 9 janvier à midi au prétoire de l’officialité, alors établi dans l’ancienne chapelle haute de l’archevêché. « Là M. Guyeu, après avoir extravagué pendant une demi-heure et plus sur le non-consentement de l’empereur, termina sa plaidoirie en déclarant que sa majesté n’avait jamais voulu contracter mariage avec l’impératrice Joséphine, et fit valoir, dit M. Rudemare, en faveur de l’homme qui nous faisait tous trembler un moyen de nullité qui ne fût jamais utilement invoqué que par un mineur surpris et violenté. » Le moment était venu pour le promoteur de l’officialité de donner son avis. Sa tâche était difficile, car les dépositions des témoins, malgré ce qu’avait annoncé M. Guyeu, avaient plutôt embrouillé qu’éclairci l’affaire. Elles étaient d’ailleurs parfaitement contradictoires. Trois des témoins, Duroc, Berthier et Talleyrand, s’accordaient à dire, sur les deux premiers chefs, qu’il était à leur connaissance que, si la bénédiction nuptiale avait été donnée, elle avait effectivement eu lieu sans consentement véritable de la part de l’empereur, sans propre prêtre, sans témoins, sans pièce authentique en constatant l’existence. « Or, remarquait fort justement le promoteur, un acte dont il n’y a ni titres ni témoins est sans réalité aux yeux du juge; il n’y a pas lieu à le déclarer valablement ou non valablement contracté, avec ou sans consentement suffisant; c’était comme une chose non avenue. Ce qui se passe dans le secret d’un appartement entre deux personnes sans laisser aucune trace est devant la loi comme ce qui se passe dans l’intérieur de l’âme et qui n’a que Dieu pour juge. » Mais arrivait la déposition du cardinal Fesch, qui démentait le dire de l’archi-chancelier et les dépositions des trois premiers témoins. L’aumônier de l’empereur affirmait qu’il avait dressé l’acte régulier de la bénédiction nuptiale, et qu’il en avait délivré lui-même le certificat à l’impératrice[9]. Certes l’embarras était grand pour le pauvre promoteur, mais plus forte encore était sa crainte de déplaire et de compromettre avec lui le chapitre de Paris et l’église de France tout entière. Arguant, comme il était vrai, de l’absence des deux témoins qu’exigeait le concile de Trente, et qui devaient même être au nombre de quatre suivant l’ordonnance de Blois, constatant également que le mariage n’avait pas été consacré par le propre prêtre, et repoussant d’ailleurs le moyen qui résultait du défaut de consentement de l’empereur, l’abbé Rudemare conclut en déclarant « que le mariage entre l’empereur et roi Napoléon et Joséphine de Beauharnais devait être considéré comme nul et non valablement contracté, et que les parties devaient cesser de se regarder comme époux. » Le tribunal diocésain adopta. sur l’heure les conclusions de son promoteur. C’était maintenant le tour du tribunal métropolitain de donner son approbation confirmative à la sentence de l’officialité diocésaine. Il ne la fit pas longtemps attendre; elle fut libellée dès le. surlendemain. Devant cette juridiction supérieure, il arriva que l’archi-chancelier Cambacérès,-M. Guyeu, son mandataire, ou plutôt leur redoutable client. à tous deux, l’empereur Napoléon, se trouva avoir encore plus. raison que devant le tribunal du premier degré. Non content d’admettre les deux premiers moyens de cassation, l’official métropolitain fonda principalement son jugement sur le non-consentement de l’empereur, et, les premiers juges ayant déclaré, qu’en réparation de l’atteinte portée aux lois de l’église les parties seraient tenues de faire aux pauvres de la paroisse de Notre-Dame, une aumône dont elles fixeraient elles-mêmes le montant, le second tribunal réforma, probablement comme irrévérencieuse, cette dernière partie de la sentence diocésaine, et prononça qu’elle. serait annulée, regardée comme non avenue et n’ayant, jamais été écrite[10]. Il était impossible d’avoir plus complètement gain de cause.

Ainsi que nous l’avons établi, du jour où il avait résolu de s’allier à la maison impériale. d’Autriche, qu’il connaissait pour si fortement attachée à la religion catholique et quelque peu pointilleuse en matière d’orthodoxie, Napoléon avait tenu à ce qu’il fût procédé à la cassation de son premier mariage suivant toutes les formalités canoniques en vigueur dans l’église romaine. Il ne se faisait pas l’illusion de croire que les deux premiers cas de cassation invoqués par son archi-chancelier, l’absence du propre prêtre et le défaut de témoins, fussent. en eux-mêmes des moyens bien valables. Au moment où il destinait son grand-aumônier, le cardinal. Fesch, à bénir, sa prochaine union avec Marie-Louise, il était à tout le moins, bizarre, sinon dangereux, de le dénoncer comme n’ayant pas eu qualité pour consacrer celle qu’il avait précédemment contractée avec Joséphine. Quant à l’absence des témoins, c’était une inobservation, des règles ordinaires, mais qui pouvait être considérée comme couverte par les pouvoirs généraux de dispense que Pie VII, à la veille du sacre, avait donnés à l’archevêque de Lyon, précisément pour qu’il pût, en dehors des conditions canoniques habituelles, marier religieusement Napoléon et Joséphine[11]. Quant au défaut de consentement de l’un des époux, cela était autre chose, et l’empereur, qui savait très bien et très vite apprendre tout ce qu’il avait intérêt à connaître, n’ignorait pas que partout et toujours aux yeux de l’église romaine il y avait dans l’absence de consentement une cause dirimante de nullité. Suivant la doctrine ultramontaine, qui n’est pas différente, si nous ne nous trompons, de celle qui est professée de ce côté des Alpes, car au fond le droit canon est tout romain, le mariage catholique ne résulte pas intrinsèquement de la bénédiction religieuse; elle en est la consécration, elle n’en forme pas l’essence. Aux yeux de l’église, un homme et une femme sont valablement unis lorsqu’ils ont juré conjointement devant Dieu de se prendre réciproquement pour époux. Le prêtre n’est que le témoin qui assiste à cet échange de la foi donnée et reçue. Il n’est pas nécessaire qu’il bénisse l’union contractée, ou seulement qu’il en prenne acte, il n’est même pas indispensable qu’il soit témoin consentant; il suffit qu’il soit présent de sa personne, fût-ce involontairement, et des mariages ainsi contractés, quoique l’église les blâme, n’en restent pas moins valables à ses yeux quand d’autres motifs n’en réclament pas la nullité. Par contre, l’absence du consentement, quand il n’a pas été virtuellement donné ou suffisamment établi, réduit tout le reste à néant. Voilà ce que l’empereur savait parfaitement, voilà la thèse qu’il avait invoquée dans l’affaire du prince Jérôme et de Mlle Patterson, et dont il voulait actuellement s’appliquer à lui-même le bénéfice. A coup sûr, en ce qui le regardait, elle était étrange, on peut même dire qu’elle choquait non pas seulement la délicatesse, mais les maximes de la plus simple droiture et de la plus banale honnêteté. On a peine à comprendre, en laissant de côté le sentiment religieux de la sainteté du mariage, qu’un tel homme ait consenti à se représenter comme ayant voulu, à la veille de cette grande cérémonie du sacre, tromper à la fois son oncle, qui le mariait, sa femme, qu’il semblait associer avec joie à sa gloire, et le pontife vénérable qui, malgré son âge et ses infirmités, était accouru de si ++loin pour appeler sur lui les bénédictions du Très-Haut. Tel était cependant le rôle où l’empereur s’abaissait alors volontairement, sans qu’aucune nécessité l’y contraignît, et sans qu’il dût en résulter pour lui le moindre bénéfice; mais l’habitude était prise chez lui d’une politique raffinée, pleine de ruses. Il la pratiquait avec une complète insouciance du bien et du mal, alors même que l’immensité de ses triomphes et la complaisance universelle la rendaient si parfaitement inutile au point de vue du succès, si gratuitement dégradante sous le rapport moral[12].

II.

Il est nécessaire d’avoir à la fois sous les yeux le Moniteur du temps, les dépêches du duc de Bassano et de M. de Caulaincourt, les mémoires imprimés et manuscrits des contemporains, et surtout, pour se guider à travers un pareil dédale, le fil conducteur de son inappréciable correspondance, si l’on veut se faire une idée encore bien incomplète de la prodigieuse activité déployée par l’empereur à ce moment de sa carrière. Il semble s’être comme à dessein multiplié pour mener à la fois avec une inconcevable intensité les existences les plus diverses, il faudrait peut-être dire les plus opposées. Le départ de Joséphine des Tuileries avait pendant les premiers jours jeté une teinte de tristesse sur toute la cour : on avait cru voir se répandre une sorte de mélancolie sur la physionomie de Napoléon ; mais cela n’avait guère duré, car tout le monde s’était vite donné le mot pour tâcher de distraire le maître de la France, et ses sœurs s’en étaient particulièrement chargées. La maison de la princesse Pauline ne lui laissait pas, en ce genre de besoin, le temps même de désirer, et l’on parla beaucoup à cette époque de l’emploi de quelques soirées où rien ne fut négligé pour l’entourer des distractions les plus capables de lui faire prendre son parti de l’isolement qui lui pesait. Chose singulière, au milieu des soins que sa famille et tant de femmes séduisantes voulaient bien prendre pour lui en faire perdre le souvenir, l’empereur n’oubliait pas entièrement Joséphine. Il lui écrivait à la Malmaison, où elle vivait tristement reléguée, des lettres où régnait, avec un véritable accent de tendresse, ce ton de commandement absolu et, pour ainsi dire, de consigne militaire qu’involontairement il transportait partout. « Si tu m’es attachée, si tu m’aimes, lui mandait-il dans le premier billet qu’elle reçut de lui après leur séparation, tu dois te comporter avec force, et te placer (sic) heureuse… Dors bien ; songe que je le veux[13]. » Les témoignages d’affection qu’il faisait parvenir à l’épouse abandonnée ne l’empêchaient pas toutefois d’être fort préoccupé des agrémens qu’il espérait bien rencontrer chez celle qui allait lui arriver de la capitale de l’Autriche. Napoléon s’était fait envoyer beaucoup de portraits de Marie-Louise. Il questionnait curieusement sur son compte les étrangers qui l’avaient vue à la cour de son père, l’empereur François. M. de Laborde avait été naturellement envoyé l’un des premiers à Vienne pour porter à la future impératrice les complimens de son époux, mais surtout pour juger de sa personne et de son esprit; l’empereur était d’autant plus disposé à s’en rapporter à lui qu’il le savait fin connaisseur. Avide d’apprendre quelle impression son messager lui rapportait de son voyage, Napoléon ne l’eut pas plus tôt aperçu qu’il s’écria tout d’abord : « Eh bien! décidément, comment est-elle? — Sire, répliqua M. de Laborde, sauvez-vous le premier coup d’œil, et, comme mari, votre majesté aura lieu d’être contente. » Cette adroite réponse parut satisfaire celui qui avait fait à son jeune maître des requêtes une si embarrassante question[14].

Aussi bien l’empereur, outre les préparatifs de son mariage, qu’il voulait entourer de la plus grande magnificence, ne manquait pas en ce moment d’occupations. C’était vers l’arrangement laborieux des affaires de l’église de France qu’était principalement tourné l’effort de son intelligence, restée toujours si puissante, mais où la fantaisie prenait de plus en plus le pas sur la raison. La guerre avait cessé; il entrevoyait devant lui des années de repos. « C’était, pensait-il, le moment de finir les affaires de Rome[15]. » Mais comment les finir? Cela lui paraissait très simple. « Les affaires temporelles seront terminées, dit une note de lui insérée dans sa correspondance à la date du 1er janvier 1810 et dont la minute est gardée, à ce qu’il paraît, aux archives impériales, les affaires temporelles seront terminées aussitôt que le sénatus-consulte sera publié. Il peut l’être très promptement, et cela peut être fait dans le cours de la semaine prochaine. Le conseil privé se réunirait mardi, le sénat se rassemblerait jeudi, et le sénatus-consulte se rendrait lundi... » Suivait le plan du sénatus-consulte. « Un sénatus-consulte de cette nature, continuait l’empereur, dès qu’il aura été rendu, fera voir au pape que tout est terminé[16]. » Après le projet de sénatus-consulte, rendu effectivement le 17 février 1810, vient le projet d’une lettre au pape dont nous citerons quelques passages, parce qu’elle peint au vif les sentimens impétueux et comme désordonnés auxquels l’empereur était alors en proie.


« Très saint père,... votre sainteté a oublié les principes de la justice et de la charité lorsqu’elle a publié une bulle qui excommunie une partie de mes sujets. C’est pour bénir et pour affermir les trônes et non pour les détruire que Jésus-Christ est venu faire le sacrifice de sa vie sur cette terre ; mais cette excommunication a été surprise à votre sainteté par des hommes profondément méchans. J’en appelle à l’église et à votre sainteté elle-même mieux informée… La triple tiare est une monstrueuse production de l’orgueil et de l’ambition, entièrement contraire à l’humilité d’un vicaire de Jésus-Christ. Les principes irascibles de ceux qui environnent votre sainteté auraient fait beaucoup de mal, si Dieu ne m’avait donné le calme et la véritable connaissance des principes sublimes de notre religion… J’ai en exécration les principes des Jules, des Boniface et des Grégoire. Ils ont fait que la moitié du monde chrétien s’est séparée de la religion catholique, et ils rendent aujourd’hui compte à Dieu de ce que leur folle ambition leur a fait faire et de la damnation de tant d’âmes que cette ambition a perdues. C’est. à votre sainteté de choisir. Moi et la France nous avons choisi… Nous ne parlons pas à votre sainteté un langage douteux et insidieux. La religion est une chose claire. Jésus-Christ et ses apôtres l’ont prêchée sur les toits afin qu’elle fût connue de tous. Voulez-vous être pape, le vicaire de Jésus-Christ et le successeur de saint Pierre, nous vous recevrons en triomphe et nous vous serrerons dans nos bras. Mais êtes-vous dominé par l’orgueil et le faste du monde, pensez-vous que notre trône doive vous servir de marchepied, nous ne vous considérerons. que comme l’œuvre du démon et comme l’ennemi de la religion, de notre trône et de nos peuples… Maintenant Rome fait irrévocablement partie de mon empire, qui forme les cinq sixièmes de la chrétienté. Vous aurez assez de soins et d’occupations quand vous voudrez vous borner aux affaires spirituelles et à la direction des âmes. J’ai la mission de gouverner l’Occident, ne vous en mêlez pas. Si votre sainteté se fût uniquement occupée du salut, des âmes, l’église d’Allemagne ne serait pas dans l’état de désordre et de désorganisation où elle se trouve actuellement. C’est depuis bien du temps que les pontifes de Rome se sont mêlés de ce qui ne les regardait pas en négligeant les vrais intérêts de l’église. Je vous reconnais pour mon chef spirituel, mais je suis votre empereur[17]. »


Les évêques que Napoléon méditait alors d’envoyer auprès du saint-père à Savone afin de lui remettre cette lettre devaient emporter avec eux les instructions suivantes :


« Tout le sénatus-consulte et rien que le sénatus-consulte. À l’avenir, les papes devront me prêter serment comme ils le prêtaient à Charlemagne et à ses prédécesseurs. Ils ne seront installés qu’après mon approbation, ainsi qu’ils étaient confirmés par les empereurs de Constantinople; mais je n’exige rien du pape actuel, je ne veux même pas qu’il reconnaisse la réunion de Rome à la France : je n’en ai pas besoin. Une donation faite en un temps de barbarie et soutenue par l’ignorance est subreptice. Si cependant le pape veut aller à Rome, il faut qu’il reconnaisse la réunion; mais, s’il ne veut point y aller, je ne lui parlerai pas de cette réunion. Le principal but de la négociation doit être de l’engager à choisir son domicile en France. Aussi bien j’ai seul les richesses et le pouvoir nécessaires pour subvenir aux besoins de l’église. Mon intention est, dans le cas où l’on réussirait à l’engager à venir en France, de le placer à Reims[18]. »


Le croirait-on? pendant qu’il était animé à l’égard du saint-père de tels sentimens, pendant qu’il n’hésitait pas à lui adresser un pareil langage et à lui faire porter de tels messages, l’empereur, à qui ne manquait certainement pas la connaissance des hommes, qui avait pratiqué intimement Pie VII, ne désespérait pas de l’amener à ses desseins, qui sait? de lui faire peut-être accepter un rôle dans la prochaine cérémonie de son mariage ! Par précaution en tout cas et à tout hasard, il mandait à son ministre des cultes « de faire venir à Paris non-seulement les ornemens pontificaux, mais encore la tiare et les autres joyaux servant dans les cérémonies du pape. Il y a entre autres une tiare que j’ai donnée au pape et qu’il ne faut point laisser à Rome[19]. »


Ces projets passablement inconsistans et tout à fait chimériques de l’empereur n’avaient pas longtemps tenu devant la réalité des choses. Ses rapports avec la commission des ecclésiastiques qu’il avait choisis et désignés lui-même pour s’occuper des affaires de l’église l’avaient peu à peu ramené, sinon à des sentimens plus raisonnables, du moins à une plus froide appréciation de ce qui était présentement possible. Nous aurons à parler avec détails dans une prochaine étude des affaires portées devant cette commission; il nous suffit aujourd’hui de dire un mot de l’impression produite sur l’empereur par les différens membres du clergé dont elle était composée. Le cardinal Fesch, qui en était président, et contre lequel il était en ce moment animé d’une mauvaise humeur très marquée à cause de la partialité qu’il lui supposait pour la cause du saint-père, était celui qu’il traitait avec le moins de faveur, quelquefois avec une rudesse et un mépris qui ne laissaient pas d’embarrasser quelque peu les membres du comité, si portés à la déférence envers l’oncle du chef de l’état. Quand le cardinal prenait la parole pour soutenir, en matière ecclésiastique, des opinions qui contrecarraient les siennes : « Où avez-vous appris cela ? reprenait aigrement Napoléon en l’interrompant. Est-ce en Italie, pendant que vous spéculiez sur le pain de mes soldats ? Laissez donc parler ceux qui sont experts sur des sujets auxquels vous n’avez jamais rien entendu. Je ne me soucie point de ce que vous pensez, je veux avoir l’avis de M. Duvoisin et de M. Émery ; à la bonne heure voilà des gens qui connaissent les affaires dont ils raisonnent. »

M. Duvoisin, l’évêque de Nantes, était très versé en effet dans la science théologique ; prêtre convaincu, agréable causeur, insinuant et fort habile à plaire, il soutenait de la façon la plus persuasive au milieu de ses collègues les thèses favorites de l’empereur, et s’était ainsi attiré toute sa confiance. M. l’abbé Émery, s’il ne possédait pas à beaucoup près au même degré la faveur personnelle de l’empereur, était de sa part l’objet d’une considération très évidente. Elle remontait déjà loin. Napoléon se souvenait qu’au temps de la négociation du concordat tous les ecclésiastiques avec lesquels il avait causé de cette grande affaire, l’abbé Bernier entre autres, avaient toujours cité le supérieur du séminaire de Saint-Sulpice comme un oracle de l’église, et n’avaient jamais manqué de s’étayer de son avis dans les controverses qu’ils avaient parfois soutenues contre lui. Napoléon l’avait à cette époque désigné pour un siège épiscopal, mais l’abbé Émery avait refusé, ce qui avait profondément blessé l’empereur ; il était revenu vite sur son compte quand il avait clairement discerné que c’était affaire de conscience de sa part et nullement d’opposition. Son estime pour lui s’en était même augmentée. « Est-ce que vous avez dans tout le clergé de Paris un homme comme l’abbé Émery ? » s’était-il écrié un jour en rencontrant l’abbé Malaret, l’un des grands vicaires du chapitre métropolitain. Il n’avait pas oublié que son oncle, le cardinal Fesch, était allé faire une longue retraite sous la direction du supérieur de Saint-Sulpice avant de reprendre ses fonctions ecclésiastiques. Il se sentait une naturelle admiration pour ce prêtre modeste qui semblait avoir le don de commander à ses supérieurs. Quand il avait nommé quelque évêque ayant besoin de se retremper dans l’esprit de son état, « il faudrait, disait-il, l’envoyer à l’abbé Émery[20]. » L’ancien oratorien Fouché, qui était très mal disposé pour l’abbé Émery, l’avait plusieurs fois dénoncé à Napoléon à cause de ses opinions, qu’il ne trouvait pas suffisamment gallicanes. L’empereur, très chatouilleux sur cet article, l’avait mandé à Fontainebleau, puis l’avait renvoyé très satisfait de sa conversation, quoique l’intrépide abbé l’eût plus d’une fois contredit, et cela dans des termes auxquels l’empereur n’était guère habitué. « Vous avez, dit-il au marquis de Villette, un parent bien sévère dans la personne de M. Emery ; mais on ne peut s’empêcher de l’admirer. » — « C’est un homme, ajoutait-il, qui me ferait faire tout ce qu’il voudrait et peut-être plus que je ne devrais » — « M. Émery, avait-il dit une autre fois, est le seul homme qui me fasse peur[21]. » — « Napoléon, a raconté M. Molé dans son discours de réception à l’Académie française, ne pouvait se lasser d’admirer dans ce saint prêtre je ne sais quel mélange de simplicité presque primitive et de sagacité pénétrante, de sérénité et de force, j’ai presque dit de grâce et d’austère ascendant. Voilà me dit-il un jour, la première fois que je rencontre un homme doué d’un véritable pouvoir sur les hommes, et auquel je ne demande aucun compte de l’usage qu’il en fera. Loin de là, je voudrais qu’il me fût possible de lui confier toute notre jeunesse ; je mourrais plus rassuré sur l’avenir. »

L’abbé Émery avait été nommé malgré lui de la commission ecclésiastique. Il avait fait tout au monde pour être dispense d’y prendre part. Le plus souvent il y combattit les opinions de ses collègue les mieux disposés pour les projets du gouvernement. L’empereur lui savait gré de ce que, dans l’affaire de l’annulation de son mariage, l’abbé Émery avait été d’avis que l’officialité diocésaine de Paris était compétente. Pour le quart d’heure, il ne lui en fallait pas davantage. C’est pourquoi, connaissant si bien la juste considération attachée dans le clergé au caractère du digne supérieur de Saint-Sulpice, il s’était empressé de faire mettre dans le Journal des Curés une note d’où il résultait que la commission ecclésiastique dont il faisait partie avait approuvé non-seulement la compétence, mais encore les conclusions de l’officialité. Il n’en était rien. C’était une singulière manière de reconnaître la sagesse de la conduite de l’abbé Émery que de le compromettre ainsi dans une affaire à laquelle il n’avait voulu prendre aucune part sinon par l’opinion qu’il avait personnellement émise en dehors de la commission, et qui avait été, comme nous l’avons dit, favorable à la compétence de l’officialité. Cette supercherie, pour employer les termes les plus doux, servait les desseins de Napoléon, il se la permit sans scrupule. Réclamer par la voie des journaux n’eût pas été chose prudente ni même possible. L’abbé Émery se contenta de dire de vive voix et par écrit comment les choses s’étaient passées[22].


III.

Pendant que s’agitaient ces difficultés, l’affaire du mariage autrichien avait rapidement marché et les clauses du contrat matrimonial avaient été signées à Vienne. Peut-être l’empereur pensa-t-il que le moment était opportun, avant l’arrivée en France de la fille du très catholique empereur François, de lancer le sénatus-consulte dont nous avons parlé tout à l’heure, et qui devait officiellement réunir Rome à ses états. Les articles de ce sénatus-consulte avaient été délibérés dans le conseil privé. Napoléon avait revu et corrigé lui-même l’exposé des motifs que M. Regnault de Saint-Jean d’Angely devait lire au sénat. Il contenait comme d’habitude (dans quels termes et avec quelle exactitude, on va le voir) le résumé des griefs du gouvernement français contre le saint-siège. Voici un échantillon du langage que dans cette solennelle circonstance l’empereur trouvait bon de faire tenir au premier corps de l’état par l’orateur de son gouvernement : «... Et Rome, quand une branche de la dynastie de Napoléon eut reçu des mains de la victoire le sceptre de Naples et des Deux-Siciles, affecta de ne voir dans cet événement qu’une occasion de renouveler au XIXe siècle sur ces états les prétentions des Grégoire, des Léon, et d’oser parler encore de son droit sur des couronnes; mais cet absurde et imprudent langage, le pape ne l’adressait pas comme Grégoire VII aux enfans dégénérés et avilis de Charlemagne, mais à son successeur puissant et glorieux. Napoléon fit parler par ses ministres le langage de la modération méconnue, de la justice blessée, de la dignité offensée, de la puissance outragée. Il demanda au pape une garantie contre l’abus de sa neutralité par les ennemis du continent. À ce prix, il offrait avec une sincère bienveillance et l’oubli du passé et la sécurité de l’avenir. À ce langage ferme et juste, le cabinet de Rome s’alarma, députa, négocia, trompa, puis, rappelant son légat, lassa la patience, éveilla l’indignation, amena enfin le tour de la justice. Le gouvernement s’éteignait cependant au sein du désordre dont il était lui-même l’artisan. A défaut de soldats, il armait le fanatisme, et distribuait des scapulaires au lieu de fusils, des libelles au lieu de manifestes. Il s’anéantissait au sein de l’anarchie, il abdiquait par son abandon. Le ministre français dut s’éloigner. Le temps était venu. Les aigles impériales reprirent possession de leur antique territoire. Le domaine de Charlemagne rentra dans les mains d’un plus digne héritier. Rome appartint à l’empereur... »


Chose à peine concevable, de l’arrestation du pape, de sa venue en France, de sa réclusion à Savone, pas un mot dans ce document! Où était le pape, qu’était-il devenu au milieu des événemens dont l’empereur présentait une si étrange relation? Il n’appartenait pas aux sénateurs d’en rien savoir de plus que les très humbles journalistes de l’empire, auxquels, après six mois, il était encore interdit, comme au premier jour, de prononcer le nom même de Pie VII. Il ne suffisait pas à Napoléon d’accabler publiquement son faible adversaire sous des accusations auxquelles il lui était impossible de répondre, ce n’était pas assez de lui prodiguer des injures dans des documens officiels; il fallait autant que possible laisser le pays dans la plus complète ignorance sur le sort qui lui avait été réservé. Le pape, prisonnier dans une petite ville du littoral de la Méditerranée pendant que l’empereur s’enivrait de la pompe des fêtes qui préludaient à son prochain mariage, cela pouvait être d’un mauvais effet sur l’imagination du peuple français. Plus d’une fois, depuis le temps du sacre, le peuple avait associé ensemble ces deux noms du pape et de l’empereur. L’empereur en avait alors tiré gloire et profit, et les orateurs du gouvernement avaient dû leurs plus beaux effets d’éloquence aux idées que leur avait inspirées l’accord heureux mais trop passagèrement établi, entre ces deux puissances. Aujourd’hui, malgré l’habileté de sa prose. M. Regnault de Saint-Jean d Angely aurait u tort de hasarder la moindre allusion à l’état présent de Pie VII : le silence valait mieux; mais ce silence combien n’était-il pas lui-même significatif! Il prouvait qu’en dépit de tant de phrases sonores l’empereur avait, mieux que les gens qu’il faisait agir et parler, le juste sentiment de sa véritable situation devant l’opinion publique. Plus sagace qu’eux tous, il avait vaguement deviné qu’entre l’empereur triomphant et le pontife prisonnier, entre ces alliés d’un jour maintenant brouillés, les sympathies des âmes élevées et ne craignons point de le dire, celles du bon, du simple, de l’honnête vulgaire, n’étaient plus de son côté, qu’elles étaient entièrement passées de l’oppresseur à la victime. En vain la plupart des rois de l’Europe se pressaient à sa cour pour solliciter l’honneur de ses précieuses bonnes grâces; en vain il lisait sur les visages de tous ceux qui l’entouraient une soumission sans borne et sur les traits radieux de ses plus dévoués serviteurs un redoublement de zèle et d’admiration ; en vain il s’efforçait lui-même d’être tout entier à la joie de ce prochain mariage, qui était en même temps pour lui le plus éclatant des triomphes, car il avait conquis sa jeune fiancée à la pointe de son épée, comme ses plus belles provinces. Si son orgueil était satisfait, sa conscience n’était pas tranquille. A défaut de remords, qu’il n’était pas dans sa nature d’éprouver, il sentait un certain malaise toujours prêt à se trahir, une sorte d’irritation dont il n’était pas toujours le maître, chaque fois que des circonstances imprévues (et nous allons voir qu’elles ne firent point défaut) le forçaient à faire lui-même le rapprochement qu’il avait interdit à ses sujets, et lui rappelaient l’inoffensif vieillard qu’il avait fait enlever de son palais par des gendarmes, qu’il avait traîné de ville en ville, et qu’il détenait maintenant dans une petite bourgade de son empire, non-seulement séparé de tous ses conseillers naturels, mais privé, lui chef de l’église de toutes relations spirituelles avec les catholiques du monde entier.

L’occasion de reporter sa pensée sur ses anciens rapports avec le saint-siège fut d’abord fournie à l’empereur par l’arrivée successive des cardinaux romains, qu’il avait en hâte de faire venir à Paris. C’était un dessein politique qui lui avait dicté cette mesure. Napoléon avait craint, si Pie VII venait à mourir, que le membres du sacré-collège, réunis tout à coup sur quelque point du continent où sa domination n’était pas reconnue, ne songeassent à élire un pape qui lui fût contraire. Il s’était donc proposé de les tenir tous sous sa main, au centre même de son empire, afin de pouvoir peser davantage sur leur choix. Les ordres qu’il avait transmis à cet égard au général Miollis avaient été précis, et furent ponctuellement exécutés. À l’exception de quelques vieillards infirmes, tout à fait incapables de supporter le voyage et qu’on avait dû laisser s’éteindre doucement en Italie, tous les cardinaux avaient été, de gré ou de force, acheminés vers Paris. Consalvi était, avec le cardinal di Pietro, celui de tous qui avait fait la plus vive résistance à ce départ. Depuis sa sortie du ministère, l’ancien secrétaire d’état de Pie VII était volontairement resté étranger aux affaires, gardant d’ailleurs une attitude pleine de calme et de dignité. L’enlèvement du pape l’avait navré de douleur. Il avait depuis ce jour mis son étude principale à ne rien faire, à ne rien dire qui pût donner à croire qu’il reconnût la légitimité du gouvernement substitué à celui du saint-père ; mais, avec sa prudence ordinaire et ce tact merveilleux dont il avait déjà donné tant de preuves, il s’était également appliqué à ne pas pousser les choses trop loin. Il lui aurait été particulièrement désagréable de répondre par une attitude trop cassante ou par des procédés discourtois aux attentions de toute sorte que lui témoignait le gouverneur-général de Rome, avec lequel il était lié par d’anciennes relations d’une très étroite amitié. Cependant, lorsque Miollis lui avait signifié, comme aux autres cardinaux, le 21 novembre 1809, l’ordre de se rendre à Paris, Consalvi avait répondu qu’il ne pouvait, en sa qualité de membre du sacre-collège quitter sa résidence sans la permission du saint-père, auquel il allait aussitôt en référer. Miollis, très affecté de ce relus, aurait bien voulu se dispenser de le transmettre à son gouvernement ; il prévoyait qu’il indisposerait inutilement l’empereur. Vingt jours plus tard, il recevait en effet l’ordre de faire partir dans les vingt-quatre heures et par la force, si c’était nécessaire, les cardinaux Consalvi et di Pietro. Une escouade de soldats français s’abattit pendant la nuit du 9 décembre dans la demeure des deux amis, et, les obligeant à monter immédiatement en voiture, les accompagna jusqu’à cinq ou six lieues hors de Rome. Tout ce qu’avait voulu Consalvi était de bien démontrer qu’il n’avait cédé qu’à la violence. Poursuivant alors sa route le plus doucement possible, Il était arrivé à Paris le 10 février 1810.

La rentrée en scène de l’habile et aimable ministre qui avait négocié, Il y avait près de dix ans, la grande affaire du concordat, ne pouvait manquer d’exciter une certaine sensation, même au milieu d’une cour alors fort distraite par les plaisirs et du public parisien, plus absorbé que jamais par le spectacle des événemens extraordinaires qui se déroulaient devant lui. Consalvi prévoyait bien que les yeux seraient naturellement fixés sur lui, et par avance il se sentait assez embarrassé de la contenance qu’il aurait à garder. Le saint-père avait ordonné à Rome aux cardinaux de ne prendre part à aucun dîner, à aucune réception, à aucune fête, dans un temps de si grand deuil pour le saint-siège. « Sans avoir besoin de la prohibition du pape, mon seul titre de cardinal et d’ancien membre du gouvernement pontifical, nous dit Consalvi dans ses mémoires, me faisait regarder comme une chose très indécente et très indigne qu’au moment où notre chef était prisonnier, le saint-siège plongé dans le malheur, l’église privée de sa liberté et de ses domaines, la religion au milieu des périls, de la ruine et de la tristesse, un cardinal pût parader dans les assemblées, dans les conversations, assister aux banquets et faire bonne mine aux représentans de ce gouvernement qui avait renversé le sien[23]. » La gêne qu’éprouvait Consalvi était d’autant plus grande qu’il était plus particulièrement connu, et l’on peut dire aimé de presque tous les personnages considérables dont le nom s’est rencontré sous notre plume. Il avait été en rapports intimes durant son premier séjour à Paris avec l’archi-chancelier Cambacérès, avec l’archi-trésorier Lebrun, le vice-grand-électeur Talleyrand, le ministre de la police Fouché, et le nouveau ministre des cultes, le comte Bigot de Préameneu, était lié avec lui par d’anciennes relations. Tous les membres de la famille impériale, la mère de Napoléon, ses frères, ses sœurs et ses beaux-frères, les nouveaux rois et les nouvelles reine, auxquels il avait rendu service à Rome pendant son ministère, n’avaient pas cessé de témoigner pour lui beaucoup d’estime et d’affection. Ce qui rendait à ses yeux sa position plus difficile encore, c’est que les cardinaux arrivés avant lui à Paris y avaient adopté une conduite toute différente de celle qu’il se croyait en conscience obligé de tenir. Non-seulement ils avaient tous accepté la pension de 30,000 fr. que l’empereur leur avait allouée, mais ils couraient à toutes les soirées, dans les maisons des grands fonctionnaires et des ministres de l’empire. où leur présence assidue n’était pas une des moindres singularités de cette époque fertile en surprenans contrastes.

Consalvi commença par refuser la pension de 30,000 francs, ne donnant d’abord pour motif de son refus que la vague assurance qu’il pouvait s’en passer; mais les insistances réitérées du ministre des cultes l’avaient obligé de convenir qu’il ne consentait pas à l’accepter parce qu’elle répugnait à sa conscience. Une autre épreuve à subir le préoccupait davantage : c’était la réception qu’il rencontrerait de la part de l’empereur. Il avait le pressentiment que, malgré son ancien mauvais vouloir, puisqu’il l’avait fait sortir du ministère, Napoléon lui ferait très bon accueil. Cette pensée qui le tourmentait beaucoup, était pour lui, nous assure-t-il, comme une épine dans le cœur. Il était vivement frappé du préjudice que pourraient porter à sa considération les gracieusetés publiques de celui « qui jouissait dit-il en ses mémoires, de tout autre chose que de l’amour et de l’estime du monde[24]. » Il n’ignorait pas que l’empereur, au jour même où il s’était plaint de lui avec le plus d’amertume, n’avait pas cessé de parler avec goût de sa personne et de son esprit. Il croyait même savoir que Napoléon se plaisait à le représenter comme ayant au fond modifié beaucoup ses opinions, et n’étant plus, naturellement ou par principes, hostile à sa manière de voir. Souvent on avait répété autour de l’empereur que la retraite de cet ancien secrétaire d’état, l’ami particulier de Pie VII avait été un très fatal incident. « S’il avait refusé parfois ce qu’il ne s’était point cru le droit d’accorder, celui-là du moins n’était pas un fanatique et jamais il n’avait repoussé les arrangemens possibles; la jalousie du cardinal Fesch, qui avait seule préparé et causé sa chute, avait fait le plus grand tort aux affaires publiques. » C’était la terreur de Consalvi qu’en s’exprimant ainsi en public Napoléon ne voulût donner à penser que l’ancien ministre de Pie VII blâmait secrètement la conduite tenue par la cour de Rome depuis qu’il était sorti du ministère. La seule idée que l’adversaire de son bien-aimé souverain songerait peut-être à se servir de lui pour ajouter aux chagrins du prisonnier de Savone le faisait frémir d’indignation,

Consalvi ne fut pas admis seul à l’audience impériale; il fut présenté en même temps que quatre autres cardinaux arrivés dans la semaine à Paris. C’étaient, outre le cardinal di Pietro, venu de Rome avec lui, les cardinaux Pignatelli, Saluzzo et Despuig. Le cardinal Fesch les avait placés à part en demi-cercle et du même côté, tandis que tous les autres cardinaux, résidant depuis longtemps à Paris, se tenaient de l’autre. La cour était au grand complet Arrive l’empereur avec son accompagnement ordinaire de rois, de reines, de princes, de princesses du sang et de tous les grands dignitaires de l’état. Le cardinal Fesch se détache, et commence à lui présenter les nouveau-venus par ordre de prééminence de cardinalat. Il lui nomme le premier « le cardinal Pignatelli. » Napoléon, qui était probablement dans un de ces jours de superbe dont parlait naguère Cambacérès, répond : « Napolitain, » et passe outre. Le cardinal Fesch présente le second : « le cardinal di Pietro. „ L’empereur s’arrête un peu : « Vous êtes engraissé; je me rappelle vous avoir vu ici avec le pape lors de mon couronnement, » et il passe. Le cardinal présente le troisième : « le cardinal Despuig. » — « Espagnol, répond l’empereur. — De Mayorque, sire, » ajoute le cardinal, plein de frayeur, et comme s’il voulait renier sa patrie. L’empereur, continuant sa tournée, arrive enfin à Consalvi, et avant que Fesch ne l’eût nommé : « Oh! cardinal Consalvi, comme vous êtes maigri! Je ne vous aurais pas reconnu. — Sire, les années s’accumulent. En voici dix écoulées depuis que j’ai eu l’honneur de saluer votre majesté. — C’est vrai, voilà bientôt dix ans que vous êtes venu pour le concordat, nous l’avons signé dans cette même salle; mais à quoi a-t-il servi? Tout s’en est allé en fumée. Rome a voulu tout perdre, et elle a tout perdu. Il faut l’avouer, j’ai eu tort de vous renverser du ministère. Si vous aviez continué à occuper ce poste, les choses n’auraient pas été poussées aussi loin Mémoires du cardinal Consalvi, t. II, p. 175. </ref>. » C’étaient justement là les paroles que Consalvi avait tant redouté d’entendre. Son trouble était si grand, dit-il, qu’il n’y voyait presque plus. Cependant, ne consultant que son honneur et que la vérité : « Sire, répondit le cardinal, si je fusse resté dans ce poste, j’y aurais fait mon devoir. » À ces mots. Napoléon le regarda fixement, puis, s’éloignant de lui et se promenant de droite à gauche dans le demi-cercle formé par les cinq cardinaux, il commença un long monologue, dans lequel il se mit à énumérer toute la suite de ses griefs sur la conduite du pape dans ces affaires de Rome et les dommages que Pie VII s’était causés à lui-même en refusant d’entrer dans son système. Après beaucoup d’allées et de venues, se trouvant à la fin de son discours en face du cardinal Consalvi, Napoléon s’arrêta derechef devant lui, puis répéta une seconde fois : « Non, si vous étiez resté à votre poste, les choses ne seraient pas allées aussi loin. » À cette nouvelle assertion, Consalvi, toujours animé du même sentiment, répondit encore : « Que votre majesté croie bien que j’aurais fait mon devoir! » Un regard plus sévère que le premier lui fut jeté par l’empereur, qui sans lui répondre recommença ses allées et venues, répétant toujours les mêmes plaintes sur la conduite du saint-siège, qui ne possédait plus aucun de ces grands hommes qui l’avaient jadis tant illustré; puis, s’adressant au cardinal di Pietro, placé à l’autre extrémité du cercle, et toujours sur le même ton, il dit une troisième fois : « Si le cardinal Consalvi fût resté secrétaire d’état, les choses ne seraient pas allées si loin. » Déjà l’ancien ministre de Pie VII avait à deux reprises contredit les assertions du tout-puissant souverain. Peut-être pouvait-il maintenant garder le silence. À cette répétition des mêmes paroles, un zèle excessif de son honneur lui fit, dit-il en ses mémoires, outre-passer toutes les bornes. « Napoléon était assez éloigné de moi; je sortis de ma place, puis, m’avançant jusqu’auprès de lui, à l’autre extrémité du cercle, et le saisissant par le bras, je m’écriai : Sire, j’ai déjà affirmé à votre majesté que, si j’étais resté à mon poste, j’aurais assurément fait mon devoir. » À ce coup, les cardinaux durent être fort étonnés de l’audace de leur collègue; nous doutons même très fort que dans toute la cour impériale présente à cette entrevue il y ait eu beaucoup de personnes capables de se compromettre à ce point. Napoléon parut surpris autant qu’offensé. « Oui, monsieur, s’écria-t-il, je le répète, votre devoir ne vous aurait pas permis de sacrifier le spirituel au temporel. » Et cela dit, il tourna définitivement le dos au cardinal Consalvi[25].

Cette scène, dont le retentissement fut considérable et qui défraya toutes les conversations de la soirée, n’était point faite pour rendre facile la position de Consalvi. Elle fut encore empirée par la tentative que fit alors Napoléon pour tâcher de tirer des cardinaux qu’il avait fait venir en France une déclaration quelconque qui pût lui servir dans sa querelle pendante avec le saint-père. Il avait trouvé les cardinaux italiens arrivés les premiers à Paris de si commode composition qu’il n’avait pas désespéré de se servir d’eux pour élever une sorte de contre-autel (contro altare) qu’il aurait pu opposer au souverain pontife. Ce but caché du chef de l’empire français avait été deviné par les membres du sacré-collège. Ils ne voulaient pas s’y prêter; ils craignaient encore plus de s’y opposer trop ouvertement. Consalvi rendu auprès d’eux, ils avaient rejeté sur lui, comme sur le plus capable, le soin de donner suite à cette embarrassante ouverture et de libeller une réponse écrite qu’ils savaient bien devoir paraître malsonnante aux oreilles de l’empereur. L’ancien secrétaire d’état s’en était chargé de peur que, cette affaire venant à tomber dans des mains moins fermes que les siennes, les intérêts du saint-siège et l’honneur même du pape ne s’y trouvassent déplorablement compromis. La lettre convenue entre les cardinaux, rédigée par Consalvi et remise à Napoléon par l’intermédiaire de son oncle le cardinal Fesch, portait en substance que les cardinaux, séparés de leur chef, ne pouvaient et ne devaient tracer aucun plan, ni rédiger aucune proposition, notamment dans des questions sur lesquelles le saint-père avait prononcé un jugement définitif. Il ne restait donc plus aux cardinaux autre chose à faire que d’unir leurs vœux à ceux de sa sainteté et de prier sa majesté de les exaucer[26]. Ce n’était point sans peine que Consalvi avait amené ses collègues à signer cette réponse, qui déjouait tout le plan de l’empereur. « Il était ivre de colère en sentant ses volontés ainsi dédaignées, raconte Consalvi, » et, déchirant la lettre des cardinaux en mille morceaux, il les jeta au feu pendant que son oncle le mettait verbalement au fait de ce qui s’était passé.

Telle était aux approches de son union avec l’archiduchesse Marie-Louise la disposition déjà passablement irritée où se trouvait Napoléon tant à l’égard du cardinal Consalvi que des membres italiens du sacré-collège. Cependant il s’en fallait de beaucoup, ainsi que déjà nous l’avons indiqué, qu’il régnât parmi ces cardinaux un accord parfait, et les cérémonies du prochain mariage allaient, en les divisant en deux camps opposés, donner à Napoléon l’occasion de reconnaître quels étaient ceux sur lesquels il pouvait absolument compter et de faire sentir aux autres tout le poids de son redoutable ressentiment. Quatorze des cardinaux italiens avaient trouvé régulière et suffisante la sentence de l’officialité de Paris sur la non-validité du mariage religieux de Napoléon avec Joséphine. Treize autres pensaient au contraire, et Consalvi était du nombre, qu’il n’appartenait qu’au pape de se prononcer dans une si grave affaire. Jamais les deux partis opposés, malgré les pourparlers qu’ils avaient eus entre eux, n’avaient pu se mettre d’accord pour tenir une conduite commune. Les opposans, par l’intermédiaire de leur doyen, le cardinal Mattei, avaient fait expliquer leur façon de penser au cardinal Fesch. Ils lui firent savoir qu’ayant, en leur qualité de cardinaux, juré de maintenir dans leur intégrité les droits du saint-siège et les jugeant lésés par l’annulation du mariage de l’empereur prononcée sans la participation de Pie VII, ils ne croyaient point pouvoir assister à la bénédiction nuptiale qui serait donnée aux époux. S’ils avertissaient l’oncle de l’empereur de leur détermination, c’était surtout pour qu’il fit en sorte que la chose ne devînt pas publique. Le cardinal Consalvi eut soin de faire remarquer que, leurs objections n’ayant trait qu’à la cérémonie religieuse, rien ne les empêcherait de se faire présenter à la future impératrice, ni de paraître après le mariage à la réception des grands corps de l’état. Il suffirait donc de ne pas les inviter tous et en corps, d’inviter une portion d’entre eux seulement, sous prétexte de l’insuffisance de la salle, comme on faisait d’ailleurs pour le sénat et pour le corps législatif; de cette façon l’absence des opposans passerait inaperçue du public, et l’on éviterait toute fâcheuse interprétation. Il était difficile de montrer plus de franchise, mais aussi plus de mesure et de tact dans une affaire dont la gravité apparaissait tout entière à la clairvoyance habituelle de Consalvi, car il s’agissait, ce sont ses expressions, de blesser l’empereur à la prunelle même des yeux. Le moyen terme proposé par le conciliant cardinal était d’ailleurs parfaitement acceptable ; mais il y avait longtemps que Napoléon ne voulait plus transiger sur rien. La simple annonce d’une pareille proposition le fit bondir de fureur. « Bah! s’écria-t-il, ils n’oseront jamais. »

Telle fut la seule réponse à l’ouverture de Consalvi. L’ancien ministre d’état et ses collègues étaient cependant résolus à remplir à tout prix ce qu’ils considéraient comme leur devoir. Plusieurs moyens furent, avant le jour de la cérémonie, inutilement employés pour lâcher de les intimider. L’empereur lui-même ne s’y épargna point. Il lui était impossible d’imaginer qu’au degré de fortune et de grandeur où il était maintenant arrivé personne se risquât désormais à lui résister, fût-ce pour des motifs de conscience. Jadis il s’était donné parfois un peu de peine afin de convaincre les dissidens et les amener à ses desseins; combien avait été persuasive alors la séduction de sa brillante parole! mais ces temps étaient passés. Maintenant il ne songeait plus qu’à effrayer. Pour cela, il n’avait même plus besoin de parler, un regard devait suffire. A la réception du dimanche qui précéda de huit jours la célébration du mariage impérial, Consalvi était aux Tuileries aux côtés du cardinal Doria, évêque de Gènes, l’un des partisans les plus dévoués du gouvernement français. L’empereur, à peine entré dans la salle, vint à dessein entretenir le cardinal Doria, et, sans dire un mot à Consalvi, il lui lança un regard terrible avec des yeux vraiment foudroyans. Deux fois de suite il recommença cette scène, tantôt adressant à Doria des paroles pleines d’amabilité et de gaîté, tantôt plaisantant gracieusement avec les cardinaux qui étaient présens, puis retournant se planter devant Consalvi et le regardant, dit ce dernier, de la façon la plus féroce, ferocissimamente Mémoires du cardinal Consalvi, t. Il, p. 195. </ref>. Cela n’ayant pas réussi, ce fut le tour du ministre de la police de tâcher d’agir sur Consalvi; mais il s’y prit d’une manière toute différente. Avant la fin de la réception, Fouché s’approcha du cardinal Consalvi. « Serait-il vrai, lui dit-il avec un intérêt qui n’avait probablement rien de simulé, serait-il vrai que plusieurs cardinaux pensent à faire la folie ou plutôt à commettre l’énorme attentat de ne point paraître au mariage de l’empereur? » Après quelque hésitation, Consalvi répondit qu’il ne pouvait lui dire ni le nombre ni les noms de ces cardinaux, mais qu’il parlait à l’un d’eux. Fouché se récria. L’empereur le lui avait bien dit, mais il l’avait nié, et même en ce moment il ne pouvait le croire encore. — « Quoi! un homme doué de son intelligence et qui n’était pas imbu des préjugés de ses collègues ! » — Et tout aussitôt il se mit à énumérer les conséquences d’une pareille démarche : c’était se rendre coupable envers l’état de la façon la plus grave parce que cette affaire touchait à la légitimité du mariage, et intéressait la succession au trône des enfans qui en naîtraient. Consalvi eut réponse à tout; Fouché ne se lassa point. « Si les autres cardinaux ne venaient pas, le mal ne serait pas irréparable; mais si lui, qui avait été premier ministre, qui avait fait le concordat, sur qui les yeux de chacun étaient fixés, n’assistait pas à la cérémonie, ce serait une chose terrible, l’empereur en serait furieux. Cela ne se pouvait, ce serait un trop grand malheur. Il viendrait plutôt, lui, Fouché, le prendre dans sa voiture. » Ainsi finit un colloque qui, au dire de Consalvi, lui avait donné une sueur mortelle[27].


IV.

Cependant le moment décisif approchait, la future impératrice était arrivée à Paris. A la réception des grands corps de l’état, l’empereur, lui présentant le sacré-collège, nomma gracieusement Consalvi en disant à l’impératrice, qu’il tenait par la main : « C’est celui qui a fait le concordat. » Cela se passait le samedi au soir 31 mars. Le mariage religieux était fixé pour le surlendemain lundi. On avait à cet effet disposé en chapelle le grand salon du Louvre qui fait suite à la galerie des tableaux. Rien n’avait été épargné pour ajouter le plus magnifique éclat à cette cérémonie. Si vaste que fût la salle où la bénédiction devait être donnée aux époux, elle ne l’était pas encore assez pour contenir tous ceux qui, avec quelque apparence de droit, avaient aspiré à s’y faire placer. Toute la grande galerie des tableaux était remplie d’une foule de spectateurs choisis parmi ce que la France avait de plus distingué, et qui, rangés de chaque côté sur trois ou quatre rangs, jouissaient au moins du privilège fort envié de voir défiler devant eux le cortège impérial. Lorsque l’empereur, conduisant Marie-Louise par la main, traversa lentement l’interminable galerie, chacun fut frappé de l’air de triomphe qui éclatait dans toute sa personne. Sa physionomie, naturellement sérieuse, était resplendissante de bonheur et de joie. Comment en aurait-il été autrement? et pour cet enfant de ses œuvres, pour ce soldat de fortune épris avant tout des jouissances de l’orgueil, quelle immense satisfaction de mener ainsi à l’autel, au milieu de tant de têtes inclinées, la fille même des césars, enlevée comme un dernier trophée de victoire à la plus vieille race de souverains qui fut en Europe! Cependant la minute d’après, à peine entré dans la chapelle improvisée, les traits de l’empereur changèrent tout à coup d’expression. Son front s’était ridé. « Où sont les cardinaux? dit-il du ton le plus irrité à son maître de chapelle, l’abbé de Pradt. Je ne les vois point. » Il les voyait parfaitement, mais ils n’étaient que quatorze, son compte n’y était pas. « Un grand nombre s’y trouvent, lui fit remarquer l’abbé de Pradt. D’ailleurs il y a bien des infirmes et des vieillards parmi eux, et le temps est si mauvais! —Ah! les sots! » Puis, reportant ses regards sur quelques banquettes vides: « Mais non, ils n’y sont point. Ah ! les sots! les sots! » répéta-t-il encore d’une voix courroucée en lançant de ce côté un regard foudroyant accompagné d’un mouvement de tête où se peignait l’annonce de la vengeance, et l’abbé de Pradt comprit qu’il se formait un gros orage. Durant la cérémonie, l’empereur resta tout absorbé, comme s’il avait peine à se distraire de son mécontentement. Cependant, en revenant de l’autel, après avoir mis l’anneau nuptial au doigt de Marie-Louise, lorsqu’il fut assis de nouveau dans son fauteuil, s’adressant à M. de Pradt, il lui dit : « Je viens de donner un anneau à ma femme; elle ne m’en a pas donné. Pourquoi cela? » M. de Pradt lui fournit une explication quelconque. Napoléon demeura un instant dans une sorte de rêverie qui lui était familière quand il avait reçu une réponse qui ne le satisfaisait point. Au bout d’une minute, il reprit : « J’ai donné un anneau à l’impératrice parce que la femme est l’esclave de l’homme. Regardez chez les Romains : les esclaves portent tous un anneau[28].» Au retour de la cérémonie, les spectateurs de la galerie ne furent pas médiocrement surpris de voir cette physionomie du maître, tout à l’heure si radieuse, devenue en si peu de temps sombre et menaçante. Que s’était-il passé? Bientôt l’on connut l’absence des treize cardinaux, qui seule avait causé cette colère de l’empereur. Les effets en furent terribles et immédiats. Quoi! ils avaient osé persister dans une résolution qu’il les avait défiés d’accomplir! Quoi! ils avaient eu la hardiesse de le braver et de lui faire un affront public! Ils en subiraient un à leur tour. Ils n’avaient pas voulu assister aujourd’hui à son mariage, eh bien! demain il les chasserait honteusement de sa cour. Le lendemain était en effet le jour où devait se faire aux Tuileries la présentation de tous les grands corps de l’état aux deux souverains assis sur leur trône. Les treize cardinaux s’y rendirent avec leurs collègues, ainsi qu’il avait été convenu. Rien de moins assuré que leur contenance. « On peut facilement imaginer, dit le plus brave d’entre eux, le cardinal Consalvi, de quel cœur nous attendions, dans la grande salle où se trouvaient réunis cardinaux, ministres, évêques, le sénat, le corps législatif, les magistrats, les dames de la cour et tous les fonctionnaires de l’empire, le moment de voir l’empereur et d’en être vus. » Tout à coup, après trois heures d’antichambre, une porte s’ouvre, et paraît un aide-de-camp apportant l’ordre aux cardinaux qui n’avaient pas assisté au mariage religieux de partir sur-le-champ, parce que sa majesté ne voulait pas les recevoir. Qu’on juge de l’effet et de l’étonnement de toutes les personnes présentes ! Les unes entendirent l’ordre lui-même, les autres virent avec non moins de surprise ces graves personnages, que leur costume rouge désignait à tous les yeux, se retirer avec un manifeste embarras et traverser non sans peine les salons encombrés pour aller regagner leurs voitures. Cependant les cardinaux qui avaient assisté au mariage religieux étaient restés. Quand ils défilèrent un à un, l’empereur, debout devant son trône, lança les apostrophes les plus terribles contre les cardinaux expulsés. Ses invectives tombèrent principalement sur les cardinaux Oppizzoni et Consalvi. Il reprochait au premier son ingratitude, parce qu’il lui avait donné l’évêché de Bologne et le chapeau de cardinal; mais c’était surtout contre l’ancien secrétaire d’état de Pie VII que s’exhala son courroux. « Il était plus coupable que tous ses collègues. Les autres sont peut-être excusables, disait avec colère Napoléon, à cause de leurs préjugés théologiques. Il m’a offensé, lui, par principes politiques. Il est mon ennemi. Il veut se venger de ce que je l’ai renversé du ministère. Pour cela, il a osé me tendre un piège profondément médité en présentant contre ma dynastie un prétexte d’illégitimité, prétexte dont mes ennemis ne manqueront pas de se servir quand ma mort aura dissipé la crainte qui les comprime aujourd’hui. » Nous croyons que Consalvi se trompe quand il ajoute que ce fut un miracle, s’il ne fut pas alors fusillé ainsi qu’Oppizzoni et un troisième cardinal, probablement di Pietro, car dans sa première fureur l’empereur en aurait donné l’ordre, et peut-être s’exagère-t-il la bienveillance de son singulier ami, le ministre de la police, lorsqu’il suppose que dans cette circonstance la suprême adresse de Fouché lui sauva la vie. Napoléon, fort capable d’avoir articulé de semblables menaces, ne songea certainement pas à les exécuter. La scène étrange qu’il s’était donné le plaisir d’arranger avec tant d’éclat devant toute sa cour n’était d’ailleurs que le premier acte de sa vengeance, très froidement et très mûrement calculée. Dès le jour même, il écrivait en effet à son ministre des cultes : « Plusieurs cardinaux ne sont pas venus hier, quoique invités, à la cérémonie de mon mariage. Ils m’ont par Là essentiellement manqué. Je désire connaître les noms de ces cardinaux et savoir quels sont ceux qui ont des évêchés en France, dans mon royaume d’Italie ou dans le royaume de Naples. Mon intention est de donner à ces individus leur démission, et de suspendre le paiement de leurs pensions, en ne les considérant plus comme cardinaux. Vous me ferez un rapport là-dessus pour que je prenne un décret authentique[29]. »

Cette façon de donner leur démission aux évêques qui lui avaient manqué, mesure à laquelle l’empereur revint depuis si souvent, était encore loin de lui suffire. A peine eut-il reçu le rapport de M. Bigot de Préameneu, rapport fait avec modération et qui chargeait aussi peu que possible les cardinaux contre lesquels il était dirigé, que Napoléon donna l’ordre à son ministre de la police de mettre en détention et de faire conduire dans une maison d’arrêt celui d’entre eux qui se permettrait de porter les insignes du cardinalat. Sa majesté était inébranlable. Elle ne voulait recevoir aucune excuse. Elle considérait comme factieux et comme conspirateurs contre l’état les cardinaux qui avaient émis la doctrine que le pape devait nécessairement intervenir dans la dissolution de son premier mariage. Elle était résolue à les envoyer devant une cour spéciale, afin de faire un exemple et d’intimider tous ceux qui, étant dans l’impuissance de troubler aujourd’hui l’état, voudraient semer pour l’avenir des germes de discordes civiles[30]; mais l’idée de faire comparaître des cardinaux devant une commission spéciale avait paru un peu forte à Fouché lui-même. L’empereur, se ravisant alors, dicta à M. de Bassano une note ainsi conçue :


« Le ministre des cultes enverra chercher et réunira ensemble dans son hôtel les treize cardinaux qui, sans empêchement résultant de cause de santé, ne se sont pas rendus à la cérémonie du mariage religieux. Le ministre leur dira... que sans le pape ils ne sont rien, et que, dans le cas où ils auraient une juridiction, la minorité aurait dû obéir à la majorité, que sa majesté a vu dans leur conduite le même esprit de rébellion qu’ils ont manifesté depuis dix ans, et qui a obligé sa majesté à s’emparer de Rome, et qui les a induits à porter le pape à fulminer contre lui une excommunication qui est la risée des contemporains et ne le sera pas moins de la postérité. Sa majesté avait méprisé leurs démarches et les avait interprétées dans un esprit de charité, voulant ainsi se dissimuler leurs mauvaises intentions; mais ils ont présentement comblé la mesure par les discours tenus dans leurs conciliabules... Il était donc temps qu’ils se souvinssent que sa majesté tenait le glaive de la loi pour frapper les mauvais prêtres et les traîtres à l’état. En général, poursuivait la note, il faut laisser entrevoir dans le discours que, si on leur fait leur procès, comme on ne connaît pas de juridiction ecclésiastique en France, il n’y a rien qui empêche qu’ils ne soient condamnés... Ils doivent apercevoir aussi que c’est parce qu’on les considère déjà comme condamnés qu’on ne veut plus qu’ils portent les distinctions ecclésiastiques ni le costume des cardinaux[31]. »


« Les ordres que votre majesté a donnés mercredi ont été ponctuellement exécutés, répond aussitôt le comte Bigot de Préameneu. Les treize cardinaux ont été réunis chez moi dans la même journée. Je leur ai parlé avec toute l’énergie dont je suis capable, et ils sont restés dans un état de confusion et de stupeur[32]. » Ce que le comte Bigot de Préameneu ne dit pas, c’est que Fouché avait assisté à l’entrevue, et qu’il avait paru, aussi bien que lui-même, assez touché de la réponse des cardinaux. Ils avaient en effet très doucement représenté que, s’ils avaient tenu la conduite qui leur était reprochée, c’était par devoir et non à coup sûr pour leur plaisir, qu’ils ne s’étaient point cachés de leur intention, puisqu’ils l’avaient annoncée au cardinal Fesch, à l’oncle même de l’empereur, comme étant leur collègue, et pour donner, en se servant de son intermédiaire, le moins de publicité possible à la chose, que c’était en vérité une manière toute nouvelle de conspirer que d’avertir celui contre lequel le complot était dirigé. Consalvi n’oublia pas de rappeler qu’il avait proposé un mezzo termine qui, s’il avait été adopté, aurait évité tout esclandre. L’accusation flétrissante de rébellion qu’on voulait faire tomber sur leur tête était donc aussi mal fondée qu’injurieuse à leur caractère et à leur dignité; c’était là surtout ce qu’ils priaient le ministre des cultes de faire connaître à sa majesté, car c’était la seule chose qui leur tînt au cœur, étant préparés à tout le reste[33]. L’idée d’une lettre à écrire à sa majesté fut alors mise sur le tapis par les deux ministres, évidemment très contrariés de la mission qu’ils avaient à remplir, et qui redoutaient ouvertement un éclat, « non pas seulement, disaient-ils, par intérêt pour les cardinaux, mais aussi pour le bien de l’empire, ne sachant pas trop comment tout cela allait finir[34]. » On se mit à discuter devant eux les termes de la lettre; mais parmi les cardinaux, tous également épouvantés, il y en avait plusieurs qui, n’entendant pas le français et ne comprenant pas bien ce qu’on exigeait d’eux, ses laissaient aller à prononcer des paroles assez maladroites parce qu’elles étaient ou trop humbles ou trop compromettantes. L’habile Consalvi, toujours de sang-froid, coupa court à cette confusion en promettant que le lendemain de très bonne heure le ministre des cultes recevrait la lettre qu’il avait désirée. Quand on relit les termes de cette lettre si parfaitement convenable, d’un ton si sage, si mesuré, si modeste, on se demande avec étonnement comment elle n’a pas réussi à désarmer la colère de l’empereur[35]. Il n’en fut rien cependant. Napoléon ne se relâcha pas d’une seule des mesures de rigueur qu’il avait arrêtées dans les premiers accès de son ressentiment. Les malheureux condamnés, puisqu’il les considérait comme tels, furent obligés de se dépouiller le jour même des insignes cardinalices, et de revêtir le costume des simples ecclésiastiques, ce qui donna lieu à la dénomination de cardinaux rouges et de cardinaux noirs, par laquelle on désigna désormais les deux partis du sacré-collège. Ils furent en outre privés de leurs biens tant ecclésiastiques que patrimoniaux, qui furent mis sous le séquestre. On ne saisit pas seulement leurs revenus, on les versa au trésor, en même temps qu’on faisait mettre le scellé sur leurs meubles; de façon que, pour vivre, la plupart se virent réduits à puiser dans la bourse de leurs amis, ou bien à recourir aux subsides charitables de quelques personnes pieuses dont l’assistance ne leur fit jamais défaut, mais ne manqua point, comme nous le verrons plus tard, d’exciter derechef contre eux toute la colère de l’empereur. Quant à ce qui regardait leurs personnes, le traitement ne fut pas moins sévère. L’empereur les exila deux par deux à Reims, à Rethel, à Mé4ères, à Saint-Quentin, à Sedan, à Charleville; trois d’entre eux furent internés à Sémur. Partout ils furent placés sous la surveillance de la police. Pour ajouter au désagrément de cette dispersion, on avait pris soin de mettre ensemble ceux des cardinaux qui se convenaient le moins; chacun d’eux dut rester dans la résidence qui lui avait été ainsi assignée jusqu’au moment de la signature du concordat de Fontainebleau.

Les réflexions se pressent dans l’esprit, et l’on se sent péniblement affecté quand on voit, dans toutes les affaires où la religion se trouve incidemment mêlée, l’empereur en venir si vite aux mesures de rigueur, et recourir si résolument à la persécution comme à son arme naturelle. Dans son différend avec les cardinaux italiens à propos de l’annulation de son premier mariage religieux, il n’y avait pas, comme dans sa querelle avec le pape, de question de souveraineté territoriale engagée. Ce n’était point là affaire de prince à prince ; mais il s’agissait d’un intérêt politique très considérable et de l’avenir même de sa dynastie. Dès lors, toute autre considération mise de côté, les sévices commencent de sa part, et rien ne l’arrêtera plus. Comme naguère il faisait un pape prisonnier, il donne maintenant leur démission à des évêques et dépouille des cardinaux de leur pourpre ; il fera plus : il frappera également les simples prêtres et parmi eux, dans son œuvre la plus chère, le plus vénérable d’eux tous, celui-Là même que tout à l’heure il exaltait si fort, l’abbé Emery, à qui, suivant ses confidences au comte Molé, il aurait été peu de temps auparavant si heureux de confier le sort des générations à venir. Qu’avait donc fait l’abbé Émery, et quel était son crime ? Il n’en avait commis aucun ; mais son malheur avait voulu que le cardinal della Somaglia l’eût consulté pour savoir s’il devait assister au mariage religieux de l’empereur. « Je n’aurais point d’objection à m’y rendre, si mon rang m’y appelait, avait répondu le sage et consciencieux théologien, puisque je crois valable l’annulation du premier mariage ; mais, si dans le for de votre conscience vous avez une opinion contraire, peut-être ferez-vous mieux de n’y aller pas, car la conscience oblige. » Voilà dans toute sa noirceur la faute de l’abbé Émery, et le cardinal della Somaglia, sommé par lui, attesta par écrit qu’il ne lui avait pas donné un autre conseil, ni prononcé une parole de plus ; mais cela était trop encore. Il fallait punir l’abbé Émery. Après avoir détruit toutes les congrégations d’oratoriens, de lazaristes, de pères de la doctrine, l’empereur était maintenant résolu à dissoudre les sulpiciens[36]. « Ce sont des gens qui s’attachent à des minuties, » s’était écrié l’empereur[37], et l’ordre fut donné à M. l’abbé Émery de quitter son séminaire, de n’avoir plus de rapports avec les membres de son ordre. Défense même lui fut faite de paraître désormais au milieu de ses anciens élèves[38] ; c’était blesser au plus profond de son cœur, c’était presque tuer de sa main le malheureux vieillard, déjà presque octogénaire.

Quel fut toutefois l’effet produit dans le moment par les violences de Napoléon sur ce digne ecclésiastique, si modéré dans ses doctrines, si sage dans sa conduite, si conciliant, si porté à user d’égards et peut-être faudrait-il dire d’une certaine complaisance envers les pouvoirs établis ? Ainsi que Pie VII l’avait fait en 1800, alors qu’en parlant à M. Cacault des exigences du premier consul relativement au concordat il vantait au ministre de France la manière paisible et régulière dont les affaires religieuses se traitaient dans les pays de liberté, même hérétiques, comme Pie VII devait le faire plus tard encore à Savone pendant les terribles orages du concile de 1811, l’abbé Émery tourna alors ses regards désolés du côté des États-Unis, « Hélas ! écrivait-il à son plus intime ami, le directeur du séminaire des sulpiciens à Baltimore, il faut regarder comme possible, d’après les bouleversemens qui se sont déjà faits et qui se préparent, qu’il ne puisse plus y avoir bientôt de sociétés de sulpiciens en France, et que la chose et le nom ne subsistent plus qu’en Amérique… Il ne peut être question pour moi de m’y transporter, mon âge ne me le permet pas ; mais je vous préviens que, dans le cas où ce que je crains arriverait, plusieurs des nôtres se transporteraient où vous êtes, et je prendrais des mesures pour que tout notre avoir et tout ce que nous possédons de plus précieux puisse les y suivre[39]. »

Ainsi de 1800 à 1810, pendant cette période de dix années que nous avons déjà fait passer presque entière sous les yeux de nos lecteurs, les choses avaient été conduites de telle façon par l’empereur, qu’un prêtre, qui avait applaudi de tout son cœur à l’œuvre du concordat, un savant théologien tout gallican dans ses tendances, le directeur spirituel du cardinal Fesch, l’oracle modeste, mais pendant toute sa vie religieusement écouté de l’église entière de France, qui d’ailleurs n’avait jamais prêché que la prudence, la conciliation et toute la déférence possible à l’égard du souverain maître de la France, n’entrevoyait plus de refuge contre son pouvoir de plus en plus exorbitant et ses violences toujours croissantes que de l’autre côté des profondeurs de l’Atlantique.


D’HAUSSONVILLE.

  1. Voyez la Revue du 15 avril 1868.
  2. Lettre de M. Bigot de Préameneu à l’empereur.
  3. Vie de M. l’abbé Émery, t. II, p. 245.
  4. Ibid., p. 246.
  5. Narration par l’abbé Rudemare de la procédure suivie à l’occasion de la demande en nullité du mariage de l’empereur Napoléon et de l’impératrice Joséphine. — Pièces justificatives de la vie du cardinal Fesch, par l’abbé Lyonnet, présentement évêque d’Albi, t. II, p. 140.
  6. Relation de l’abbé Rudemare.
  7. Voyez les Pièces justificatives publiées à la suite de la Vie du cardinal Fesch, par l’abbé Lyonnet.
  8. Voyez M. Thiers, Histoire du Consulat et de l’Empire, t. XI, p. 353.
  9. Narration de M. l’abbé Rudemare.
  10. Narration de l’abbé Rudemare. Voir les Pièces justificatives de l’Histoire du cardinal Fesch, par l’abbé Lyonnet.
  11. Le cardinal della Somaglia a toujours dit et répété à qui a voulu l’entendre « qu’au moment de réhabiliter le mariage de Napoléon avec Joséphine Mgr Fesch, chargé de faire la cérémonie, alla voir le pape, qui était en ce moment à Paris. « Très saint père, lui dit-il, je puis me trouver dans tel cas que j’aie besoin de tous les pouvoirs de votre sainteté. — Eh bien ! répondit le pape, je vous les donne tous. » — Défense de la vérité sur le cardinal Fesch, par un ancien vicaire de Mgr d’Amasie; Lyon 1842, p. 187.
  12. Napoléon a presque toujours racheté par un certain éclat dans la forme, à tout le moins par une certaine dignité extérieure d’attitude et de ton ce que le fond même de ses actions laissait parfois à désirer. Il ne paraît point que, pendant l’instruction du procès suivi devant l’officialité de Paris, l’empereur ait eu occasion de s’exprimer personnellement sur les circonstances de son mariage religieux de 1804. On conserve pourtant au dépôt des archives impériales des papiers où se trouve officiellement consignée par les dépositions des témoins qui ont parlé en son nom et sous son évidente inspiration la version qu’il désirait accréditer au sujet de son non-consentement au mariage contracté avec l’impératrice la veille du sacre. Nous aurions aimé à les consulter. Dans ces pièces, mises autrefois sous les yeux de M. Thiers, peut-être aurions-nous rencontré quelques détails qui nous auraient servi à atténuer dans une certaine mesure aux yeux de nos lecteurs l’étrange attitude prise en cette circonstance par le chef du premier empire. Cela ne nous a malheureusement pas été possible, les ordres les plus formels ayant été récemment donnés pour qu’on ne nous communiquât aucun des documens des archives impériales. Même chose nous était déjà advenue l’année dernière quand, à propos des relations entre l’empereur et le saint-siège, nous avons témoigné le désir de consulter les archives du ministère des affaires étrangères. De ces refus successifs, contre lesquels nous n’avons pas d’ailleurs la moindre réclamation à élever, il résulte que, possesseur de nombreux documens, de beaucoup de manuscrits et de mémoires provenant de source nationale ou étrangère, mais dont la teneur n’est pas systématiquement favorable au premier empire, nous n’avons pas pu les contrôler aussi rigoureusement que nous l’aurions désiré avec les pièces gardées soit aux archives impériales, soit au département des affaires étrangères. Nous le regrettons d’autant plus que les bienveillantes et sagaces communications qui nous ont été faites avec une si parfaite obligeance dans d’autres départemens ministériels nous ont mis souvent à même de découvrir la fausseté de beaucoup de sottes imputations qui, de 1814 à 1816, ont été méchamment dirigées contre la mémoire de l’empereur Napoléon Ier. Encore une fois, nous espérons bien ne jamais nous tromper sur rien d’essentiel, ni même sur des détails relativement importans, car notre circonspection est extrême, et nous travaillons sur un fonds de documens authentiques presque quotidiens et parfaitement irrécusables. Cependant, s’il arrivait que, par suite de l’ignorance involontaire où nous avons été laissé des motifs qui, en telle ou telle occasion, ont pu déterminer les actes de Napoléon Ier, nous ayons bien malgré nous laissé subsister un peu plus d’ombre et de taches que nous n’aurions souhaité autour de cette grande figure, il est bon que nos lecteurs sachent d’où cela provient, et que cela ne serait pas tout à fait notre faute.
  13. L’empereur Napoléon à l’impératrice Joséphine à la Malmaison. Trianon, 17 décembre 1809. (Date présumée.)
  14. M. de Laborde avait le don des heureuses reparties. A quelques années de distance, l’empereur, qui ne faisait plus guère attention à lui, et l’avait à peu près oublié, lui dit un jour en passant: « Eh bien! monsieur de Laborde, vous voilà maintenant l’aîné de mes maîtres des requêtes. — Oui, sire, et toujours le cadet de vos soucis! »
  15. Note insérée dans la Correspondance de l’empereur, t. XX, p. 169.
  16. Ibid.
  17. Note insérée dans la Correspondance de Napoléon Ier, t. XX, p. 69.
  18. Note insérée dans la Correspondance de Napoléon Ier, t. XX, p. 169, d’après la minute conservée aux archives de l’empire.
  19. Lettre de l’empereur au comte Bigot de Préameneu. Paris, 2 février 1810. — Correspondance de l’empereur Napoléon Ier, t. XX, p. 173.
  20. Récit de l’abbé de Bauzan, récit de M. de Janson, évêque de Nancy. — Papiers conservés au séminaire de Saint-Sulpice pour écrire la vie de l’abbé Émery.
  21. Récit du marquis de Villette, récit de M. Garnier. Papiers conservés au séminaire de Saint-Sulpice pour écrire la vie de l’abbé Émery.
  22. Voici un extrait de la note officiellement communiquée par le gouvernement au Journal des Curés et reproduite le 16 janvier 1810 dans le Journal de l’Empire : « ….. Dans une question si importante, l’officialité de Paris a consulté les cardinaux Fesch, Maury et Caselli, l’archevêque de Tours, les évêques de Nantes, d’Évreux, de Trêves et de Verceil, et l’abbé Émery, conseiller de l’Université, composant le comité qui s’assemble tous les jours pour s’occuper des affaires importantes de la religion.
    « Ce comité, après avoir examiné les informations et les dépositions des témoins qui ont été entendus dans cette affaire, a été unanimement d’avis des motifs et des conclusions de la sentence de l’officialité, qu’il a trouvés conformes aux coutumes de l’église gallicane et aux différens canons et décrets des conciles.
    « Nous sommes bien aises de pouvoir donner ces détails, qui sont faits pour satisfaire les fidèles, soit par l’importance qui a été mise à se conformer aux lois de l’église, soit par le poids, le caractère et la science des hommes qui ont été consultés et qui en ont décidé. »
    À cette date du 16 janvier 1810, il s’agissait beaucoup moins, quoi qu’en disent le Journal de l’Empire et le Journal des Curés, de satisfaire les fidèles que d’agir utilement sur la cour impériale de Vienne en vue du prochain mariage avec Marie-Louise. Quant aux détails officiellement fournis par le gouvernement à ces deux feuilles, ils étaient tout à fait contraires à la vérité, ainsi qu’il résulte de la lettre suivante de M. l’abbé Émery : « Vous avez vu mon nom au bas d’une pièce à laquelle je n’ai eu aucune part. L’affaire a été discutée en mon absence, et il n’a été question dans la commission que de la compétence. Ces messieurs disent que la sentence et les motifs n’ont point été soumis à leur délibération. J’incline cependant à croire que, du côté du tribunal ecclésiastique, tout a été régulier. » — Lettre de M. l’abbé Émery à son parent M. Girod (de l’Ain), du 14 février 1810. — Papiers conservés au séminaire de Saint-Sulpice pour écrire la vie de l’abbé Émery.
  23. Mémoires du cardinal Consalvi, t. II, p. 166.
  24. Mémoires du cardinal Consalvi, t. II, p. 174.
  25. Mémoires du cardinal Consalvi, t. II, p. 176.
  26. Mémoires du cardinal Consalvi, t. II, p. 188.
  27. Mémoires de Consalvi, t. II, p. 198 et suiv.
  28. M. de Pradt, les Quatre Concordats, t. II, p. 446.
  29. Lettre de l’empereur à M. le comte Bigot de Préameneu, 5 avril 1810, Cette lettre n’est pas insérée dans la Correspondance de Napoléon Ier.
  30. Lettre de Fouché au ministre des cultes, 5 avril 1810.
  31. Note en date du 5 avril 1810 écrite tout entière de la main du duc de Bassano. Cette note n’est pas insérée dans la Correspondance de Napoléon Ier.
  32. Lettre du comte Bigot de Préameneu à l’empereur. 6 avril 1810.
  33. Mémoires du cardinal Consalvi, t. II, p. 208.
  34. Ibid.
  35. «Dichiarano inoltre che non hanno mai voluto in animo ne di farsi guidici, ne dispargere dubbii sulla validita dello sciogliamento del primo matrimonio, ne intorno alla legitimità del secundo, ne produre incertezza circa la successione al trono dei figlii che ne nascerono. Supplicano finalmente V. M. di accettare queste loro umili e sincere dichiarazioni unite ai sentimenti di quel profundo rispetto, e di quella dovuta obbedienza e sommissione che hanno l’onore di professarle. » — Lettre signée par les treize cardinaux italiens, 6 avril 1810.
  36. « Il convient que le séminaire de Saint-Sulpice change tout à fait de main et de nature à dater d’après-demain… Le ministre des cultes fera connaître dans la journée de demain les intentions de l’empereur aux grands vicaires de Paris et à M. Émery. (Palais de Saint-Cloud, 13 juin 1810.) » — Cette note, dont copie est déposée au secrétariat de l’archevêché de Paris, n’est pas insérée dans la Correspondance de Napoléon Ier.
  37. Vie de l’abbé Émery, t. II, p. 257.
  38. Lettre de M. l’abbé Émery à M. l’abbé Nageot, — Matériaux manuscrits pour écrire la vie de l’abbé Émery.
  39. Ibid., 12 mars 1810. — Matériaux manuscrits pour la vie de l’abbé Émery.