L’Émigré/Lettre 121

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P. F. Fauche et compagnie (Tome IVp. 26-29).


LETTRE CXXI.

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Melle Émilie
à
La Cesse de Loewenstein.


Je savais, ma chère Comtesse, le mariage de la Duchesse, et hier chez le prévôt du chapitre on s’est fort étendu sur le sacrifice qu’elle était obligée de faire du titre de Duchesse ; on l’aurait trouvée, je crois, moins à plaindre de conserver ce titre glorieux en vivant de son travail dans un grenier. La compagnie s’est un peu calmée lorsque le comte de Versterbourg a dit que le Président était allié aux plus grandes maisons de la Cour ; mais la satisfaction a été complette lorsqu’il a ajouté que la qualité de Président donnait le droit de mettre sur ses armoiries un manteau pareil à celui des ducs, et que l’écusson de la Duchesse conserverait ce brillant attribut. Enfin on a été ravi de savoir qu’elle ne s’appellerait pas Présidente, mais comtesse de Longueil. Voilà ma chère amie, les commentaires qui ont été faits sur le mariage. Pour moi je n’ai songé, comme vous pensez bien, qu’à l’heureux changement de situation de notre amie ; c’est le seul point de vue sous lequel j’envisage cet événement ; car vous savez qu’il faut, pour qu’un tel lien m’intéresse, qu’il unisse des personnes jeunes, aimables et passionnées ; mais un mariage retardé par un accès de goutte ne présente rien de séduisant à l’imagination. Le Président ne peut être le sujet d’un roman, et dans tout ce qui a rapport à l’union des sexes, j’aime les idées romanesques. Il a cinquante-quatre ans, et il pourrait être le père de la Duchesse qui n’en paraît avoir que vingt-cinq, c’est-à-dire dix de moins que son âge ; elle peut donc prétendre encore à m’intéresser, mais pour le Président il ne s’offre à mes yeux que sous l’aspect d’un père ou d’un oncle respectable, et à ce titre je lui sais gré, ainsi que vous, de l’éducation du Marquis. J’ai écrit à la Duchesse, pour lui faire mon bien sincère compliment ; je songeais souvent pour elle avec effroi à l’avenir, je la voyais malade, infirme et forcée d’interrompre son travail ; le sort ne peut plus rien contre elle, grâce au respectable Président. Adieu, ma Victorine.

Le Baron se porte bien, et m’a écrit une lettre charmante que je vous montrerai ; il y est fort question de vous et je serais tentée d’être jalouse de tout ce qu’il en dit.

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