L’Énéide (trad. Nisard)/Livre VII

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Traduction par Charles Nisard.
Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètesFirmin Didot (p. 329-346).
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LIVRE VII.


(7, 1) Et toi aussi, ô Caïète, nourrice d’Énée, tu as fait en mourant l’éternelle renommée de nos rivages. Encore aujourd’hui ta mémoire vénérée protège les bords où tu reposes ; et ton nom, si c’est une gloire dernière, marque dans la grande Hespérie la place où sont tes os.

Cependant le pieux Énée avait célébré selon les rites les funérailles de sa nourrice, et lui avait élevé un tombeau ; la mer était calme : il fit appareiller, et s’éloigna du port. La nuit, le vent se lève et souffle en poupe ; la lune au front d’argent se prête à guider les navires ; les flots s’illuminent de sa clarté tremblante. (7, 10) Énée rase les rivages du promontoire de Circé : c’est là que la fille du Soleil fait retentir de ses chants éternels des bois inaccessibles, et que dans son palais superbe, où le cèdre embrase la nuit de ses feux odorants, elle fait courir la subtile navette entre les fils d’un tissu délicat. Là on entend gémir dans la nuit, et gronder en se débattant contre leurs chaînes, des lions furieux ; on entend se démener de rage dans leur prison les sangliers au rude poil et les ours, et hurler les loups à la taille immense : tous, privés de la forme humaine par la déesse cruelle, ont revêtu, par la force des puissantes herbes, (7, 20) les hideuses figures des bêtes sauvages. Neptune, craignant pour les pieux Troyens ces monstrueuses métamorphoses, et que, poussés vers le port, ils n’abordassent à ces funestes rivages, enfla leurs voiles d’un vent favorable, précipita leur course, et les emporta par delà le détroit orageux.

Déjà la mer rougissait des premiers feux du jour, et du haut des airs l’Aurore sur son char que traînent deux coursiers aux crins de rose, dorait au loin les ondes : soudain les vents tombent, tout souffle de l’air cesse, et la rame lutte contre une mer immobile. Cependant Énée découvre de la haute mer un vaste bois ; (7, 30) le Tibre le partage dans son cours délicieux, et va, tourbillonnant et chargé d’un sable jaune, se précipiter dans la mer : autour et au-dessus du fleuve, mille oiseaux, accoutumés à ses rives et à ses ondes, charmaient l’air de leurs chants, et volaient çà et là dans le bois. C’est là qu’Énée ordonne à ses compagnons de tourner leur proue et prendre terre ; et joyeux il entre dans les eaux et sous les ombrages du fleuve.

Je dirai maintenant, ô divine Érato, quels étaient les rois de l’antique Latium, quels événements remplissaient les temps, quel était l’état de l’empire, lorsqu’une armée troyenne aborda pour la première fois aux rivages ausoniens ; (7, 40) et je rappellerai l’origine des premiers combats. Toi, Muse, inspire le poëte ! Je dirai les horribles guerres, je dirai les armées rangées en bataille, les rois animés au carnage, les bataillons thyrréniens, et l’Hespérie entière rassemblée sous les armes. Une plus vaste carrière s’ouvre devant moi ; j’agite un plus vaste sujet. Le roi Latinus déjà vieux gouvernait dès longtemps, dans une paix profonde, les terres et les villes de son empire. Fils de la nymphe Marica, du pays des Laurentins, on dit qu’il eut pour père Faune, né de Picus : Picus, ô Saturne, remontait jusqu’à toi, à toi l’aïeul de ses aïeux. (7, 50) Latinus n’avait point d’enfant mâle ; un fils que les destins lui avaient donné lui fut enlevé dans la fleur de ses jours. Une fille lui restait, qui seul soutenait une si grande maison et un si beau trône, vierge déjà nubile, et que les ans ont achevé de mûrir pour l’hymen. Cent princes du vaste Latium et l’Ausonie entière prétendaient à sa main : le plus beau de tous est Turnus, Turnus fier de la longue suite de ses aïeux, et que la reine souhaitait avec une extrême ardeur d’unir à sa fille. Mais les dieux par mille prodiges épouvantables s’opposaient à cette alliance.

Au milieu du palais, au sein même des pénates domestiques, était un laurier (7, 60) aux rameaux sacrés, et qu’un respect religieux conservait depuis longtemps. Le roi, dit-on, l’avait trouvé planté dans le lieu même où il avait jeté les fondements de sa ville, et l’avait consacré à Apollon. Les Laurentins en prirent leur nom. Un jour, ô prodige incroyable ! des abeilles, comme une nuée épaisse, vinrent, traversant les airs avec un immense bourdonnement, s’abattre sur la cime du laurier, s’entrelacèrent les unes aux autres par les pattes, et tout à coup, se ramassant en essaim, apparurent suspendues au feuillage de l’arbre sacré. Le devin consulté répondit : « Je vois un guerrier étranger arriver sur nos bords ; je vois un peuple nombreux (7, 70) venir des mêmes lieux que cet essaim, et dominer du haut de nos citadelles. » C’est peu : un jour que, brûlant sur les autels un chaste encens, la vierge Lavinie se tenait près de son père, on vit, ô terreur ! le feu sacré saisir ses longs cheveux, toute sa parure s’enflammer en pétillant, son bandeau royal, sa couronne de pierreries s’embraser : on la vit elle-même, enveloppée d’une pâle lumière et d’un tourbillon de fumée, répandre le feu dans tout le palais. Ce prodige semble effrayant aux devins ; tous en augurent une brillante destinée pour la fille des rois, (7, 80) mais pour les peuples l’embrasement d’une grande guerre.

Cependant le roi, que ces prodiges alarment, va consulter les oracles divins de son père Faunus, et s’enfonce dans les bois sacrés de la profonde Albunée, qui s’échappe à flots retentissants de sa source sacrée, et qui du sein des ombrages épais exhale d’horribles vapeurs. C’est là que les peuples d’Italie et toute la contrée d’Œnotrie viennent dans leurs doutes pieux chercher les réponses du sort. Là, quand le prêtre a porté ses dons sur l’autel et dépouillé les brebis immolées, il se couche pendant la nuit silencieuse sur leurs peaux étendues, et s’y endort : alors il voit voltiger autour de lui mille fantômes étranges ; (7, 90) il entend mille voix diverses ; il jouit du commerce des dieux, et, jusque dans les profondeurs de l’Averne, il interroge l’Achéron. Alors le roi Latinus, attendant venir les réponses des dieux, immolait cent brebis chargées de laine, et s’endormait couché sur leurs toisons étendues. Soudain une voix sortant du fond de la forêt fit entendre ces mots : « Garde-toi, ô mon fils, d’unir ta fille à un époux latin ; ne consens pas à l’hymen qui s’apprête : un étranger viendra, dont le sang mêlé avec le nôtre (7, 100) élèvera jusqu’aux astres la gloire de notre nom, et dont les descendants verront tout ce que le soleil éclaire d’un océan à l’autre rangé sous leurs lois et abattu à leurs pieds. » Cette réponse de son père Faunus et ces avertissements donnés dans la nuit silencieuse, Latinus ne les tint pas secrets ; mais déjà volant au loin, la Renommée les avait répandus dans les villes de l’Ausonie, lorsque les petits-fils de Laomédon vinrent enchaîner leurs vaisseaux au rivage du Tibre.

Énée, le bel Iule et les principaux chefs troyens, vont d’abord se reposer sous les rameaux touffus d’un grand arbre. Là des mets leur sont préparés ; et des gâteaux de froment posés sur l’herbe (7, 110) (ainsi l’avait prescrit Jupiter) leur servant de plats, ils chargent de fruits sauvages les tables de Cérès. Tous leurs mets épuisés, la faim les força de mordre dans les gâteaux, d’attaquer d’une main et d’une dent audacieuses cette pâte fatale, et de n’en pas épargner les larges carrés. Alors Iule : « Oh ! nous mangeons jusqu’à nos tables. » : Ce mot plaisant fut le premier qui leur annonça la fin de leurs misères ; vite Énée le saisit, et, frappé du sens divin qu’il renferme, il l’arrêta sur les lèvres de son fils : (7, 120) « Salut, s’écrie-t-il aussitôt, terre que me devaient les destins ; salut, dieux tutélaires de Troie, dieux fidèles, salut : ici est notre demeure, ici notre patrie : Anchise, il m’en souvient encore, en me dévoilant le secret des destins, a laissé dans mon esprit ces paroles : "Mon fils, quand, poussé sur un rivage inconnu, la faim te forcera, les mets consumés, de manger les tables, alors tu pourras espérer un sûr asile pour tes destins fatigués ; alors souviens-toi de poser là de tes mains les fondements de ta nouvelle ville, et de la fortifier." Voilà donc cette famine tant redoutée ; voilà que s’accomplissent les derniers oracles qui promettaient un terme à nos malheurs. (7, 130) Courage donc, compagnons ; et demain aux premières lueurs de l’aurore, allons explorer ces lieux, en reconnaître les habitants et les villes, et portons-nous loin du port sur des points divers. Aujourd’hui faites des libations en l’honneur de Jupiter ; invoquez dans vos prières mon père Anchise, et que les tables soient de nouveau chargées de vins. » À ces mots Énée ceint sa tête d’un rameau vert ; en même temps il invoque le Génie du lieu, la Terre qui naquit avant les dieux, les nymphes, et les fleuves de l’Ausonie qui lui sont encore inconnus, la Nuit et les astres qui se lèvent dans les ténèbres, Jupiter Idéen, Cybèle Phrygienne, (7, 140) Vénus sa mère dans le ciel, et Anchise son père dans l’Érèbe. Soudain le père tout-puissant des dieux tonne trois fois dans un ciel pur, et fait rayonner au haut des airs un nuage de flamme et d’or, qu’il secoue lui-même d’une main visible. En même temps le bruit se répand dans l’armée des Troyens, que le jour est enfin arrivé où ils vont bâtir les murs d’un nouvel Ilion. Ils recommencent donc à l’envi leurs festins, et, ces heureux présages les transportant d’allégresse, ils relèvent les cratères et les remplissent jusqu’au bord. Le lendemain, dès que l’Aurore éclaira la terre de ses premiers feux, les Troyens se divisent, vont reconnaître la ville, les frontières et les rivages de la nouvelle contrée : ici est le lac formé par la source du Numicus ; (7, 151) ce fleuve, c’est le Tibre ; cette contrée est habitée par les belliqueux Latins. Alors le fils d’Anchise choisit parmi ses compagnons cent ambassadeurs, auxquels il ordonne de marcher vers les murs de la cité royale. Ils devaient paraître devant le roi couronnés de branches d’olivier, lui offrir des présents, et lui demander son alliance. Ils partent, ils volent. Cependant Énée trace un fossé, humble enceinte de sa ville future, en bâtit les premières demeures, les fortifie, et les entoure comme un camp de créneaux et de retranchements. (7, 160) Déjà les ambassadeurs avaient achevé leur route, et voyaient les tours et les hauts édifices de la capitale des Latins ; déjà ils entraient dans ses murs. Hors de la ville, des enfants et des jeunes gens dans la fleur de l’âge s’exerçaient, les uns à manier des coursiers, et à dompter un poudreux attelage ; les autres à bander leurs arcs redoutables, et à lancer d’un bras vigoureux de souples dards ; d’autres, à se provoquer à la course ou à la lutte. L’un d’eux, poussant son coursier, prend les devants, vole vers le vieux roi, et lui annonce que des étrangers à la haute stature, aux vêtements inconnus, sont arrivés dans la ville. Le roi ordonne qu’on les introduise dans son palais ; et lui-même, pour les recevoir, s’assied sur le trône de ses ancêtres. (7, 170) Dans le lieu le plus élevé de la ville était un vaste et majestueux édifice, soutenu sur cent colonnes ; c’était le palais de Picus, environné de forêts : une antique religion le remplissait d’une sainte horreur. C’était là que, pour premiers auspices, les rois venaient recevoir le sceptre, et qu’on levait les faisceaux devant eux : ce temple était pour eux le sanctuaire de la justice ; on y célébrait les festins sacrés ; des béliers y étaient immolés, et les premiers de l’État se rangeaient en ordre autour de tables immenses. Sous ce vestibule apparaissaient d’antiques statues de cèdre représentant la suite des aïeux du roi ; c’étaient Italus, Sabinus qui planta la vigne et qui tient encore à la main la serpette recourbée, (7, 180) le vieux Saturne, Janus au double front, et tous les autres rois de la nation depuis son origine ; guerriers qui avaient reçu de glorieuses blessures en combattant pour la patrie. Aux portes sacrées du palais étaient suspendues les dépouilles de l’ennemi, des chars captifs, des haches, des panaches, les gonds immenses des portes conquises, des javelots, des boucliers, des éperons arrachés aux navires. Au milieu de ces trophées paraissait, tenant à la main le bâton augural, vêtu de la courte tunique, et portant au bras gauche un bouclier, Picus, le dompteur de coursiers : Circé, son amante, transportée par sa passion, (7, 190) le frappa de sa baguette d’or, et par la vertu de ses breuvages le changea en oiseau, et répandit sur ses ailes les plus vives couleurs. Tel était ce temple des dieux : ce fut là qu’assis sur le trône de ses pères Latinus reçut les Troyens. Lorsqu’ils eurent été introduits, le roi le premier leur parla ainsi avec bonté :

« Enfants de Dardanus, nous connaissons votre ville et votre origine ; nous savions qui vous étiez, avant que vous n’eussiez tourné vos proues vers ce rivage : que demandez-vous ? Quel motif ou quelle nécessité vous a portés à travers tant de mers jusqu’aux bords ausoniens ? Est-ce trompés par les astres, ou poussés par les tempêtes (7, 200) qui fatiguent si souvent les matelots en pleine mer, que vous êtes entrés dans notre fleuve et que vous vous êtes abrités dans ses eaux ? Ne fuyez point mon hospitalité, et connaissez les Latins, le peuple de Saturne : ce n’est point la loi qui les enchaîne à l’équité ; justes par inclination, ils sont restés fidèles à l’exemple de cet antique dieu. Je me souviens encore (mais le récit en est obscurci par les ans) que des vieillards de la nation des Aurunces m’ont autrefois raconté que Dardanus, né dans ces campagnes, pénétra jusqu’aux villes phrygiennes de l’Ida, après avoir passé par Samos de Thrace, aujourd’hui la Samothrace ; il était parti de Corythe, ville de Tyrrhénie : (7, 210) maintenant le palais étoilé des cieux l’a admis à ses splendeurs éternelles, et il partage avec les dieux l’encens des humains. »

Il dit ; Ilionée lui répond en ces mots : « Noble sang de Faunus, ce n’est pas l’affreuse tempête qui nous a poussés sur ces bords et forcés d’entrer dans votre empire ; ce n’est point un astre trompeur qui a jeté hors de leur route nos vaisseaux égarés : c’est à dessein et de notre propre mouvement que nous avons porté nos pas jusqu’en ces murs, chassés que nous sommes du plus grand des empires que le soleil venant des extrémités de l’Olympe ait jamais éclairés. (7, 220) Jupiter est le commencement de notre race ; les Troyens se glorifient de l’avoir pour aïeul ; notre roi lui-même, Énée, qui nous a envoyés vers vous, voit remonter sa race jusqu’à Jupiter. Qui ne sait quel orage fondant de la cruelle Mycènes s’est répandu sur les champs de l’Ida ? par quelle force ennemie des destins, poussées l’une contre l’autre, l’Europe et l’Asie se sont entre-choquées ? Toute la terre en a retenti, et les peuples relégués sur les dernières plages de l’Océan, et les peuples séparés du reste du monde par la vaste zone que le soleil embrase. Échappés de cet affreux déluge, portés sur tant de vastes mers, nous demandons pour nos dieux pénates un humble abri, un peu de terre le long du rivage (7, 230) hospitalier, l’eau et l’air qui sont à tous les mortels. Nous ne ferons point de déshonneur à votre royaume ; la gloire de votre bienfait en grandira encore, et jamais le souvenir ne s’en effacera de nos cœurs ; non, l’Ausonie ne se repentira jamais d’avoir reçu dans son sein les enfants d’Ilion. J’en jure par les destins d’Énée, par sa main aussi fidèle dans les traités que redoutable dans les combats. Si vous nous voyez humbles devant vous et portant les bandelettes de la paix avec des paroles de suppliants, ne nous méprisez pas pour cela : plus d’une nation a recherché notre alliance, a voulu, tout proscrits que nous sommes, nous réunir à elle. (7, 239) Mais les arrêts impérieux du destin nous ont forcés de chercher sur vos terres une autre patrie. Dardanus vient retrouver son berceau ; et Apollon par ses ordres formidables nous ramène sur les bords du Tibre tyrrhénien, et à la source sacrée du Numicus. Recevez donc d’Énée ces médiocres présents, débris de sa première fortune, restes recueillis des cendres de Troie embrasée. Voici la coupe d’or qu’Anchise répandait pour les libations ; voilà le sceptre et la tiare sacrée que portait Priam, lorsqu’il dictait ses lois à ses peuples assemblés : ces tissus sont l’ouvrage des femmes d’Ilion. » (7, 249) Ces paroles d’IIionée frappèrent l’esprit du roi des Latins. Immobile, l’air pensif, les yeux fixés à terre, il les roule dans une attention profonde : ce ne sont pas les présents d’Énée, ce n’est pas la pourpre éclatante ni le sceptre de Priam qui le touchent ; c’est l’hymen de sa fille, c’est ce tendre intérêt qui occupe toutes ses pensées ; et il roule dans son esprit l’oracle du vieux Faunus. Cet étranger parti d’une contrée étrangère est bien le gendre que lui annoncent les destins, et que d’heureux auspices appellent à succéder à son empire ; de son union avec sa fille doit naître une glorieuse postérité, qui par son invincible courage envahira le monde entier. Enfin il s’écrie dans un transport de joie : « Que les dieux secondent nos projets, (7, 260) et accomplissent leurs présages ! Troyens, je vous accorde ce que vous demandez, et je ne dédaigne pas vos présents. Tant que Latinus régnera, vous trouverez dans ses États et des champs féconds et toute l’opulence de Troie. Qu’Énée seulement, s’il désire avec tant d’ardeur s’unir à moi par les liens de l’hospitalité et devenir mon allié, vienne dans mon palais, et qu’il ne redoute pas mon visage ami. Que je touche la main de votre roi ; ce sera notre traité. Vous, allez lui porter en mon nom cette réponse. J’ai une fille, que je ne peux pas unir à un prince de ma nation ; les oracles paternels et mille prodiges célestes (7, 270) me le défendent. Ils m’annoncent que l’époux destiné à ma fille viendra des rives étrangères, qu’il est promis au Latium, et qu’il portera jusqu’aux astres la gloire de notre sang. Votre roi est celui que marquent les destins ; je le crois, et, si mes pressentiments ne me trompent, je le désire. » Il dit, et fait choisir ses plus beaux coursiers : trois cents étaient nourris dans ses superbes haras : il ordonne qu’on amène à chacun des Troyens un de ces coursiers : tous, légers comme les vents, étaient couverts de housses de pourpre richement brodées. Des colliers d’or pendent de leurs larges poitrails ; l’or couvre leurs harnais ; ils rongent un frein d’or. (7, 280) Le roi envoie à Énée un char et deux coursiers pareils, enfants de ceux du Soleil ; leurs naseaux soufflaient le feu. L’artificieuse Circé les avait créés, en soumettant, par un heureux larcin, ses cavales aux coursiers de son père. Chargés des présents de Latinus et de ses paroles rassurantes, les ambassadeurs s’en retournent montés sur leurs superbes coursiers, et rapportent la nouvelle de la paix conclue. Mais voici que l’implacable épouse de Jupiter revient d’Argos, et, traversant les airs sur son char, aperçoit dès le promontoire de Pachynum, et du haut des cieux Énée tout entier à sa joie. (7, 290) Elle voit la flotte troyenne à l’ancre, les Troyens déjà travaillant à bâtir leurs nouvelles demeures, déjà s’assurant de la terre ausonienne, et abandonnant leurs vaisseaux. Elle s’arrête, comme enfoncée dans son âpre ressentiment : alors secouant sa tête altière, elle exhale sa colère en ces mots : « Race odieuse, destins des Phrygiens toujours contraires à mes destins ! Les a-t-on vus succomber dans les champs de Sigée ? Captifs, ont-ils été pris ? Leur Ilion les a-t-il embrasés de ses flammes ? À travers les armes, à travers l’incendie ils se sont frayé un passage. Ma puissance se rend-elle donc, lassée contre eux ? et, rassasiée de haine, me reposé-je ? (7, 299) Rejetés de leur patrie, j’ai osé dans ma fureur les poursuivre sur les ondes, et m’opposer sur toutes les mers à leurs restes fugitifs : j’ai épuisé contre eux les forces du ciel et de la mer. Que m’ont servi les Syrtes, Scylla, Charybde, et ses vastes gouffres ? Les voilà dans le lit tant désiré du Tibre, assurés contre la mer et contre moi. Mars a bien pu exterminer la race féroce des Lapithes : le père des dieux lui-même a livré l’antique Calydon aux fureurs de Diane. Quel était le crime si grand des Lapithes, quel celui de Calydon ? Et moi, l’épouse du plus grand des dieux, moi qui ai pu, malheureuse, tout oser, qui ai tourné à tout mon génie, (7, 310) je suis vaincue par cet Énée : ah ! puisque ma puissance n’est plus assez grande, il n’est rien aujourd’hui que je n’implore. Si je ne peux fléchir les cieux, je remuerai l’Achéron. Je n’empêcherai pas le Troyen de régner dans le Latium, soit ; et l’immuable arrêt des destins lui assure la main de Lavinie : mais je puis traîner en longueur, je puis retarder de si grands projets ; mais je puis exterminer les peuples des deux rois. Oui, qu’à ce prix le beau-père et le gendre s’allient. Le sang des Troyens et des Rutules sera ta dot, ô vierge, (7, 319) et Bellone fera les apprêts de tes noces. La fille de Cissé n’aura pas seule porté dans son sein un flambeau de discorde : Vénus aussi enfantera comme elle un autre Pâris, et les torches funestes de son hymen embraseront Pergame renaissante. »

À ces mots, la déesse redoutable descend sur la terre : elle évoque la plus effroyable des sœurs de l’enfer, Allecto, et la fait sortir des ténèbres du Tartare : Allecto ne respire que les tristes guerres, la vengeance, la trahison, les crimes. Pluton même, son père, a ce monstre en horreur ; il est haï de ses sœurs du Tartare : tant il revêt de visages divers, de figures atroces ; tant sa tête hideuse fourmille de serpents ! (7, 330) Junon excite l’horrible Furie par ces paroles : « Fille de la Nuit, rends-moi un service, que seule tu peux me rendre : fais tout pour empêcher que mon honneur, que ma renommée ne cèdent et ne se brisent, que le chef des Troyens n’achève son hymen avec la fille de Latinus, et n’établisse ses peuples dans l’Italie. Tu peux, quand il te plaît, armer le frère contre le frère, bouleverser les familles par les haines, porter dans les maisons tes fouets sanglants, tes funèbres flambeaux : tu as mille inventions funestes, mille moyens de nuire : secoue ton génie fécond : détruis la paix conclue ; sème les causes de guerre, (7, 340) et que des deux côtés la jeunesse crie aux armes, demande des combats, et y coure. »

Infectée des poisons de l’horrible Gorgone, Allecto se rend d’abord dans le Latium, gagne le palais du roi de Laurente, et pénètre jusqu’aux lieux secrets où la reine Amata, que troublent et l’arrivée des Troyens et l’hymen rompu de Turnus, nourrissait dans son cœur maternel les cuisantes douleurs de l’orgueil ulcéré. La déesse lui jette un des livides serpents de sa chevelure, et le plonge dans son sein et au plus profond de son cœur, afin que, saisie des fureurs de l’enfer, elle en remplisse toute sa maison. Le monstre s’insinue sous ses vêtements, se roule insensible autour de sa poitrine (7, 350) qu’à peine il effleure, et souffle à ses sens surpris son haleine de vipère. Tantôt de ses anneaux allongés il entoure le cou de la reine comme d’un collier d’or ; tantôt il s’entrelace en longue bandelette autour de ses cheveux, et il erre en glissant sur tous ses membres. Tant que le subtil poison, dans ses premiers accès, n’a fait que pénétrer ses sens et envelopper ses os d’un feu caché ; tant que son âme ne s’est pas livrée tout entière à la flamme dévorante ; mère encore tendre, elle parle le langage des mères ; elle pleure sur sa fille, elle gémit de son hymen avec un Phrygien : « Hélas ! est-il donc vrai ? vous, son père, vous donnez Lavinie à ces Troyens bannis ? (7, 360) Et vous n’avez pitié ni de votre fille, ni de vous-même, ni de sa mère, qu’au premier aquilon ce perfide ravisseur va délaisser, entraînant avec lui la vierge sur les mers ! N’est-ce pas ainsi que le berger phrygien pénétra dans Lacédémone, enleva la fille de Léda, et l’emmena vers les murs de Troie ? Que sont devenues vos saintes promesses, votre ancienne tendresse pour les vôtres, votre parole tant de fois donnée à Turnus, qu’unit à vous le sang de mes aïeux ? Si vous cherchez pour la fille des rois latins un époux de race étrangère, si telle est votre ferme résolution, et si les oracles de Faunus votre père vous pressent de leur sens impérieux, moi je regarde tout pays, libre de votre sceptre royal, (7, 370) comme étranger, et je pense que les dieux l’entendent ainsi : d’ailleurs Turnus, si vous remontez aux premières origines de sa maison, a pour ancêtres Inachus et Acrisius, et sort des rois de Mycènes. »

Ainsi elle tentait, mais en vain, d’ébranler Latinus par ces plaintes : alors se glissant jusque dans ses entrailles le serpent y verse le poison des Furies, et se répand dans tout son corps, Bientôt la malheureuse, troublée par d’effroyables images, et saisie d’un furieux délire, s’emporte comme une insensée à travers la ville. Tel, chassé par le fouet, voltige ce buis tournant (7, 379) que les enfants, sous les portiques déserts, exercent sans relâche dans un vaste cercle : poussé par la sifflante courroie, il s’emporte en de vastes contours : la jeune et ignorante troupe l’observe avec étonnement, admire ses impétueux écarts et sa vitesse, que raniment les coups. D’une course non moins rapide la reine court à travers les villes et les peuples belliqueux de son empire. C’est peu : se figurant qu’elle est possédée de l’esprit de Bacchus, elle se porte à de plus grandes violences, elle entre dans de plus grandes fureurs : la voilà qui fuit dans les forêts, et qui cache sa fille sous les ombrages des monts, pour la ravir à l’hymen du Troyen, pour retarder le moment où s’allumeront les torches nuptiales. « À moi, s’écriait-elle dans ses transports, à moi, divin Bacchus ! toi seul es digne de ma fille ; (7, 390) c’est pour toi, oui, c’est pour toi qu’elle prend le thyrse léger, pour toi qu’elle se mêle à nos chœurs, pour toi qu’elle nourrit sa chevelure sacrée. » Le bruit se répand de ses fureurs : le même feu embrase toutes les femmes du Latium ; toutes ont déserté leurs demeures pour les forêts ; elles livrent aux vents leur cou et leur chevelure. D’autres remplissent les airs de hurlements poussés d’une voix tremblante, et, couvertes de peaux bigarrées, elles agitent des dards entrelacés de pampres. Au milieu d’elles Amata, une torche à la main, et brûlant de rage, chante l’hymen de Turnus et de sa fille. Tout à coup elle s’écrie, roulant des yeux égarés et sanglants : (7, 400) « Femmes latines, vous toutes qui êtes mères, écoutez-moi : si vous gardez encore quelque tendresse à la malheureuse Amata, si le saint droit des mères crie au fond de vos cœurs, dénouez vos cheveux, et célébrez avec moi les orgies. »

Ainsi errait au milieu des forêts et dans les déserts habités par les bêtes fauves la reine, qu’Allecto poursuit partout des aiguillons de Bacchus. Quand la funeste déesse voit que c’est assez exciter de premières fureurs, qu’elle a rempli de trouble la maison royale, renversé les projets de Latinus, elle s’élève sur ses ailes ténébreuses, et s’envole vers la ville de l’audacieux Rutule ; cette ville fut, dit-on, (7, 410) bâtie par la fille d’Acrisius, Danaé, qui conduisait une colonie, et que l’impétueux Notus jeta sur ces rivages. Ardua, son ancien nom, est devenue Ardea, nom d’un oiseau : un nom célèbre, c’est tout ce qui lui reste de son antique splendeur. C’était au milieu des ombres de la nuit : Turnus goûtait sous les lambris de son palais un profond sommeil. Alors Allecto dépouille son horrible figure et son corps de Furie : elle prend le visage d’une vieille femme ; son front hideux se sillonne de rides ; elle couvre sa tête de cheveux blancs que retient une bandelette sacrée, et qu’elle ceint d’une branche d’olivier. C’est Calybé, vieille prêtresse du temple de Junon. Ainsi métamorphosée, elle se montre aux regards du jeune guerrier, et lui parle en ces termes : (7, 420) « Quoi ! Turnus, tu souffriras que tant de travaux soient perdus pour toi, et que ton sceptre passe aux mains de colons troyens ? Le roi des Latins te refuse sa fille, et une dot que tu as achetée de ton sang ; il te préfère un héritier de race étrangère. Va donc maintenant affronter les dangers pour un ingrat qui te joue ; va renverser les phalanges tyrrhéniennes ; assure le repos des Latins. Junon elle-même, la toute-puissante fille de Saturne, lorsque tu dormais durant la nuit paisible, m’a envoyée vers toi et te parle par ma voix. Lève-toi ; arme la jeunesse de tes États, et d’un cœur résolu fais-la sortir de ses murailles (7, 430) et marcher contre les chefs phrygiens, campés tranquillement sur les belles rives du Tibre ; cours, et brûle leurs vaisseaux. C’est la puissante volonté des dieux. Que le roi des Latins lui-même, s’il persiste à te refuser sa fille et à manquer à sa parole, sache enfin qui tu es dans la guerre, et comment Turnus se venge. »

Turnus lui répond avec un sourire moqueur : « La flotte troyenne est entrée dans les eaux du Tibre ; ne crois pas que je l’ignore, et la nouvelle en est venue jusqu’à mes oreilles. Cesse d’imaginer pour moi de vains sujets d’alarmes ; la reine des dieux ne m’a pas oublié. (7, 440) Le grand âge, je le vois, prêtresse caduque, agite de vains soucis ton esprit crédule, et, au milieu des querelles des rois, tu te forges de fausses terreurs. Prends soin des temples et des images des dieux ; voilà ton ministère ; et laisse aux guerriers à faire ou la guerre ou la paix. »

Ces mots allument le courroux d’Allecto : Turnus, qui l’a reconnue, veut la conjurer ; mais un soudain tremblement s’empare de ses membres ; son regard reste fixe : la Furie a fait siffler tous ses serpents ; elle s’est montrée dans toute son effroyable laideur. Alors roulant ses yeux enflammés, elle repousse le prince interdit et qui veut la supplier encore, (7, 450) fait dresser sur sa tête deux de ses serpents, déploie son fouet retentissant, et, d’une voix qu’enfle la rage, s’écrie : « La voilà cette prêtresse vieille, décrépite, et qui, au milieu des querelles des rois, se forge de vaines terreurs. Regarde-moi ; je suis Allecto ; je sors du sombre séjour des Furies, mes sœurs ; je porte dans mes mains la guerre et la mort. » Elle dit, jette à Turnus une torche qui va s’attacher fumante et lumineuse à la poitrine du guerrier. Une immense et soudaine épouvante le tire de son sommeil ; il se lève ; des flots de sueur coulent de tout son corps, inondent ses membres et ses os. (7, 460) Il s’agite dans un belliqueux transport ; ses armes, il les cherche autour de sa couche, et dans tout son palais ; il ne respire que le fer homicide, que la guerre atroce, insensée ; la colère enflamme encore ses esprits : telle, quand sous l’airain bouillonnant s’embrase et pétille un sarment aride, l’onde furieuse écume et bondit dans sa prison murmurante, exhale des tourbillons de fumée, monte, déborde, n’est déjà plus contenue, et se répand dans les airs en noire vapeur. Turnus donc déclare aux principaux guerriers de sa nation qu’il va marcher contre le roi Latinus, violateur de la paix, leur ordonne de prendre les armes, d’assurer la défense de l’Italie ; de chasser l’ennemi de ses frontières : (7, 470) lui seul, et c’est assez, ira au-devant des Troyens et des Latins. Il dit, et invoque les dieux. Les Rutules s’animent les uns les autres à prendre les armes. Les uns aiment Turnus à cause de sa beauté et de sa jeunesse ; les autres vantent en lui le sang des rois ses aïeux ; ceux-là sont frappés de l’éclat de ses exploits.

Tandis que Turnus remplit les Rutules de sa fougueuse ardeur, Allecto, déployant ses ailes infernales, vole au camp des Troyens, et, méditant un stratagème nouveau, elle observe les lieux d’alentour : elle voit le bel Ascagne poursuivre d’un pied léger et pousser dans des pièges les bêtes sauvages. (7, 480) Alors la fille du Cocyte souffle une soudaine rage aux chiens du jeune chasseur, apporte à leurs narines ardentes l’odeur bien connue d’un cerf, et les précipite sur sa trace. Telle fut la première cause des maux qui désolèrent les campagnes du Latium, celle qui enflamma le feu de la guerre dans les cœurs de ses rustiques habitants. Il y avait un cerf d’une admirable beauté, à la haute ramure, que les enfants de Tyrrhée avaient enlevé à la mamelle de sa mère, et qu’ils nourrissaient dans la maison de leur père : Tyrrhée était commis à la garde des troupeaux du roi et de ses vastes domaines. Silvie, leur sœur, l’avait accoutumé à obéir à sa voix, en faisait ses délices, enlaçait à ses cornes de molles guirlandes, peignait de sa main son poil fauve, et le lavait dans le courant d’une onde pure. (7, 490) L’animal, s’abandonnant aux caresses, et accoutumé à la table de sa maîtresse, errait le jour dans les forêts ; et le soir, quoique tard, il revenait de lui-même à la demeure connue. Ce jour-là, il errait au loin, quand la meute furieuse d’Ascagne le relança, comme il se laissait dériver au courant du fleuve, et se reposait des ardeurs du midi sur la rive verdoyante. Ascagne, qui brûle de signaler son bras, lui décoche une flèche : Allecto la guidait ; le trait poussé siffle, et va percer de part en part les flancs du cerf. (7, 500) L’animal blessé accourt à son asile, entre en gémissant dans l’étable ; et, tout sanglant, comme s’il implorait du secours, il remplit la maison de ses plaintes. Silvie la première l’a revu, et, se meurtrissant les bras, pousse un cri de détresse, et appelle tous les rudes habitants de la campagne. Ceux-ci (l’horrible Furie les excitait, cachée dans les profondeurs des bois) accourent soudain, les uns armés de bâtons durcis au feu, les autres de lourdes et noueuses massues ; leur colère fait des armes de tout ce qui se rencontre sous leur main. Tyrrhée lui-même rassemble leur troupe agreste : en ce moment il enfonçait des coins dans un chêne, (7, 510) et le séparait en éclats : il saisit sa cognée, il accourt, respirant la rage. Cependant l’affreuse déesse, qui de sa retraite épiait l’occasion d’irriter le mal, la saisit, va s’abattre sur le toit de l’étable du cerf, et du faîte donne le signal des pasteurs, enfle la trompe champêtre des sons de sa voix infernale : toute la forêt en est ébranlée, et les bois profonds en mugissent. Le signal fut entendu au loin sur le lac d’Aricie ; le Nar l’entendit dans ses eaux blanches et sulfureuses, les sources du Vélino l’entendirent ; et les mères épouvantées pressèrent leurs entants sur leur sein.(7, 519) Aussitôt, saisissant leurs armes indomptables, les laboureurs accourent vers les lieux d’où partent les funestes sons de la trompette ; les Troyens à leur tour, sortant de leur camp, s’élancent en flots impétueux au secours d’Ascagne. On se range en bataille : ce n’est plus un combat agreste ; on ne s’attaque plus avec des bâtons noueux, avec des pieux durcis à la flamme, mais avec le fer, et à travers les chances sanglantes des batailles. La plaine se hérisse au loin d’une horrible moisson d’épées nues ; l’airain étincelle, frappé par les feux du soleil, et renvoie sa lumière jusqu’aux nuages. Ainsi, lorsque la vague commence à blanchir au premier souffle des vents, la mer s’enfle peu à peu, élève plus haut ses ondes, (7, 530) et enfin les lance du fond de ses abîmes jusqu’aux astres. On se mêle ; Almon, l’aîné des enfants de Tyrrhée, tombe, au premier rang, sous la flèche sifflante : le trait lui perce la gorge, ferme les humides passages de la voix, et arrête le souffle de la vie sur ses lèvres ensanglantées. Autour de lui s’entassent mille corps : là tombe le vieux Galésus, tandis qu’il s’avance jetant des paroles de paix entre les combattants. Il était le plus juste et le plus riche entre tous les Ausoniens ; cinq troupeaux bêlants et cinq de bœufs revenaient chaque soir dans ses étables ; et cent charrues retournaient ses terres.

(7, 540) Tandis que l’on combat de part et d’autre avec des chances égales, Allecto, qui a tenu ce qu’elle a promis à Junon, voyant la guerre se teindre de sang, et les premiers combats s’engager dans le carnage, quitte l’Hespérie, et, s’élevant d’une aile triomphante jusqu’à l’Olympe, elle tient à Junon ce langage superbe : « Reine des dieux, j’ai consommé pour vous cette œuvre de discorde et de guerre. Réconciliez, si vous pouvez, les deux peuples ; renouez les liens de la paix, depuis que j’ai arrosé les Troyens du sang de l’Ausonie. Je ferai plus encore, si vous m’assurez de votre puissante volonté : j’irai par de sinistres rumeurs soulever les villes voisines, (7, 550) et j’enflammerai les cœurs de l’amour insensé de la guerre ; si bien que toute l’Ausonie viendra au secours des Latins ; je couvrirai les champs d’armes et de soldats. » « Non, répondit la fille de Saturne ; c’est assez de ruses et d’alarmes : ils ont un sujet de guerre ; les voila aux prises ; et ces armes que le hasard leur a mises entre les mains, un premier sang les a rougies ; que ce soient là les auspices sous lesquels le noble fils de Vénus et le roi Latinus lui-même célèbrent leur hymen. Mais toi, tu ne pourrais errer plus longtemps au-dessus des espaces éthérés ; le souverain maître de l’Olympe ne le souffrirait pas. Retire-toi ; ce que les événements me laisseront à faire, (7, 560) je le ferai moi-même. » Ainsi parla la fille de Saturne. La Furie secoue les serpents qui sifflent sous ses ailes déployées, et, regagnant les bords du Cocyte, descend du haut des airs.

Au milieu de l’Italie et au pied des plus hautes montagnes est un lieu célèbre et renommé par toute la terre ; c’est la vallée d’Amsancte : des deux côtés la pressent de leurs noirs ombrages des bois touffus qui s’étendent sur le revers des monts, et elle est traversée par un torrent qui, battant les rochers de ses ondes tortueuses, s’y abîme avec fracas. Là se voit une caverne, affreux soupirail du sombre empire de Pluton, gouffre immense par où l’Achéron débordant (7, 570) ouvre une issue à ses exhalaisons empestées : là l’odieuse Furie se plonge, et délivre enfin la terre et les cieux de ses fureurs.

Cependant Junon met la dernière main à la guerre. Déjà la troupe innombrable des pasteurs court à Laurente, emportant le corps du jeune Almon et celui du vieux Galésus, dont le visage est souillé de sang : tous ils implorent les dieux et conjurent le roi. Turnus paraît, et, triomphant de la clameur publique et du sang versé, il augmente encore la terreur par des discours qui ne respirent que le sang et l’incendie : « Voilà, s’écrie-t-il, ces Troyens qu’on appelle à succéder au trône ; on s’allie à des Phrygiens, et moi on me chasse du seuil des rois. » (7, 580) Bientôt les fils de ces femmes qui, frappées de l’esprit de Bacchus, erraient à travers les forêts profondes et se démenaient dans les orgies, se rassemblent de toutes parts, et fatiguent Mars de leurs cris furieux. Tous, contre les présages célestes, contre l’arrêt des destins, demandent une guerre sacrilège et condamnée par les dieux ; tous assiègent les portes du palais de Latinus. Celui-ci leur résiste, calme et inébranlable comme un rocher au milieu de la mer : les vents viennent le battre avec fracas, les vagues accumulées mugir autour de ses flancs ; (7, 589) il se soutient par sa masse ; et, tandis que les écueils semés à ses pieds frémissent blanchis par l’écume, il brise et refoule l’algue impuissante. Enfin quand il voit qu’il ne peut surmonter l’aveugle fureur des esprits, et que tout va au gré de la cruelle Junon, il prend à témoin les dieux et l’air qu’il respire : « Hélas ! s’écrie-t-il, nous sommes écrasés par les destins, emportés par la tempête. Vous payerez, malheureux Latins, vous payerez de votre sang ces emportements sacrilèges ! et toi, Turnus, un triste supplice t’attend, et tu imploreras, mais trop tard, les inflexibles dieux. Pour moi, le repos m’est assuré, et je touche au port : je ne perds qu’une mort tranquille. » Il dit, (7, 600) se renferme dans son palais, et abandonne les rênes de son empire.

Il y avait dans le Latium un usage antique, depuis révéré par toutes les villes du royaume d’Albe : aujourd’hui la reine des cités, Rome l’observe, quand elle ouvre à Mars la carrière des combats : soit qu’on se prépare à porter la guerre et la désolation aux Gètes, aux Hyrcaniens, ou aux Arabes, soit qu’on menace l’Indien, et que, poussant jusqu’aux contrées de l’Aurore, on aille redemander aux Parthes nos étendards. Le temple de la guerre a deux portes, que la religion et la crainte du cruel Mars ont consacrées ; elles sont fermées par cent verrous d’airain et par d’éternelles (7, 610) barres de fer ; et Janus ne cesse point d’en garder le seuil. Lorsque le sénat a décrété la guerre, le consul lui-même, revêtu de la trabée romaine, ceint de la robe Gabienne, et dans toute la pompe de ses insignes, ouvre les portes, et les fait crier sur leurs gonds. Lui-même il appelle les combats ; toute la jeunesse romaine le suit ; et les sons rauques du clairon répondent à l’immense cri de guerre. Avant de se déclarer contre les Troyens, Latinus devait obéir à cette coutume antique, et ouvrir les portes fatales. Mais le vieux roi ne les toucha même pas, et, rejetant loin de lui ce ministère horrible, il s’enfonça dans sa ténébreuse solitude. (7, 620) Alors la reine des dieux descend du ciel, pousse elle-même de ses mains impatientes les portes du temple, les fait tourner sur leurs gonds, et rompt les barrières de fer qui retiennent la Guerre. Voilà l’Ausonie en feu, l’Ausonie jusqu’alors immobile dans la paix. Les uns s’avancent, fantassins intrépides ; les autres, montant de superbes coursiers, bondissent sur la poudreuse arène : tous cherchent des armes. Ceux-ci essuient leurs boucliers, et font reluire leurs dards dérouillés ; ceux-là aiguisent le tranchant de leurs haches. On déploie à l’envi les étendards ; on s’anime au son des trompettes. Cinq grandes villes à la fois font retentir l’enclume (7, 630) et forgent des armes : ce sont la puissante Atine, le superbe Tibur, Ardée, Crustumère, Antemne couronnée de tours. On creuse les casques qui doivent couvrir d’un impénétrable airain le front des guerriers ; le saule s’arrondit en bouclier ; ici l’airain trempe les cuirasses ; là l’argent, amolli par la flamme, s’allonge en brillants cuissards. Le soc perd ses honneurs, on délaisse et la faux et la charrue. Tous replongent dans la fournaise les glaives de leurs pères. Déjà les trompettes sonnent, déjà les ordres courent de rang en rang. Celui-ci tout en alarme saisit son casque, celui-là range sous le joug ses coursiers frémissants ; l’un charge son bras de son bouclier, (7, 640) l’autre ceint sa fidèle épée.

Muses, dévoilez à mes yeux les secrets de l’Hélicon, et daignez exciter ma voix. Dites-moi les noms des rois engagés dans cette guerre fameuse ; les armées qui suivant leurs étendards couvrirent les champs ; les guerriers que dès ce temps-là vit fleurir la féconde Italie ; quels peuples conjurés la mirent en feu. Déesses, vous vous en souvenez, et vous seules pouvez raconter ces grandes choses ; à peine un faible souffle de la renommée les a-t-il portées jusqu’à nous.

Le premier qui s’avance pour combattre est le féroce Mézence, contempteur des dieux : il vient des bords tyrrhéniens avec ses bataillons armés. Lausus, son fils, marche à ses côtés ; Lausus, le plus beau des guerriers de l’Ausonie, (7, 650) après Turnus. Habile dompteur de coursiers et la terreur des bêtes sauvages, il conduit, mais en vain, mille soldats de la ville d’Agylle ; digne d’obéir à un meilleur roi, d’aimer un meilleur père. Après eux, guidant son char décoré des palmes du cirque, et ses coursiers tant de fois vainqueurs, se montre le fils d’Hercule, Aventinus, beau comme son père ; il porte gravée sur son bouclier, marque de sa haute naissance, l’hydre paternelle, et ses cent serpents qui y entrelacent leurs replis. (7, 659) La prêtresse Rhéa, simple mortelle unie à un dieu, le conçut furtivement et lui donna le jour dans la forêt du mont Aventin ; alors le dieu de Tyrinthe, après avoir terrassé Géryon, avait atteint les campagnes de Laurente, et baignait les génisses d’Ibérie dans les eaux du fleuve tyrrhénien. Les soldats d’Aventinus portent dans les guerres un javelot croche et des pieux terribles, qui recèlent une longue pointe de fer ; c’est la lance sabine. Le fils d’Hercule, ramassant sur ses épauies l’immense peau d’un lion, et la tête couverte de la crinière hérissée du monstre dont la gueule étale des dents blanches, marche vers le palais du roi dans cette pompe horrible qu’aimait Alcide.

(7, 670) Puis viennent deux frères : Catillus et le bouillant Coras, la fleur de la jeunesse argienne : tous deux ont quitté les murs de Tibur, ainsi appelé du nom de Tiburte leur frère ; tous deux au premier rang se jettent à travers les traits serrés des ennemis. Tels, abandonnant d’une course rapide les crêtes des monts, deux Centaures, enfants de la nue, descendent des sommets neigeux de l’Omole et de l’Othrys ; les vastes forêts s’écartent devant eux, et les rameaux fracassés plient sous leurs pas.

Tu ne manquas pas non plus au Latium alarmé, fondateur de Préneste, Cécu!us, fils de Vulcain, roi né dans les champs, parmi les troupeaux, (7, 680) et trouvé dans un foyer ; ainsi l’ont cru d’âge en âge les peuples de l’Ausonie. Toute une armée d’agrestes combattants l’accompagne, et ceux de Préneste aux hauts remparts, et ceux des campagnes de Gabie chère à Junon, et ceux des rives fraîches de l’Anio, et ceux des monts Herniciens, arrosés de ruisseaux limpides ; ceux que nourrit la riche Anagnie, et le fleuve Amasène. Tous n’ont pas d’armes, de boucliers, de chars retentissants ; les uns (c’est le plus grand nombre) lancent le plomb balancé par la fronde ; les autres portent deux dards à la main ; la dépouille fauve d’un loup (7, 689) couvre leur tête et retombe sur leurs tempes : leur jambe gauche est nue, la droite est chaussée d’un cuir grossier.

Cependant le dompteur de coursiers, le fils de Neptume, Messape, que ne peuvent renverser ni le fer ni le feu, a déjà réveillé ses peuples endormis, appelé aux armes ses bataillons désaccoutumés de la guerre, et ressaisi le glaive. Il arme les Fescennins, les Falisques célèbres par leurs lois, ceux qui habitent les hauteurs du Soracte, les plaines de Flavinie, les bords montueux du lac Cimin, les bois de Capène. Tous marchaient en ordre, chantant les louanges de leur roi. Ainsi, à travers les cieux azurés, des cygnes au plumage de neige chantent (7, 700) en revenant des pâturages, et tirent de leurs longs gosiers des sons mélodieux ; le Caïstre en retentit, et les bords émus de l’Asia y répondent au loin. À leur nombre on croit voir, non pas des bataillons ramassés sous leurs armes d’airain, mais une nuée de ces oiseaux aux cris rauques, qui s’élevant de la haute mer va s’abattre sur le rivage.

Voici venir, à la tête d’une troupe nombreuse, Clausus, de l’antique race des Sabins ; lui seul vaut une armée. C’est de lui que sortent et la famille et la tribu Claudienne, encore aujourd’hui répandue par tout le Latium, depuis que Rome a associé les Sabins aux droits de ses enfants. (7, 710) Sous ses ordres marchaient les cohortes d’Amiterne, des Cures, pères des Quirites romains, d’Érétum, de Mutusca féconde en oliviers ; les peuples qui habitent Nomente, les humides campagnes du Vélino, les rochers affreux de Tétrica, le mont Sévère, les champs de Caspérie et de Forule ; ceux qui boivent les eaux de l’Himelle, du Tibre et du Fabaris ; ceux qu’ont envoyés la froide Nursie, le pays d’Horta, les cités Latines, et ceux que sépare de ses flots l’Allia, nom à jamais funeste. Aussi pressées sont les vagues que la mer de Libye roule vers le rivage, quand l’orageux Orion se plonge dans les ondes ; (7, 720) aussi serrés les épis que le soleil de ses feux renaissants brûle dans les plaines de l’Hermus ou dans les campagnes dorées de la Lycie. Leurs boucliers résonnent, et la terre émue tremble au loin sous leurs pas.

D’un autre côté arrive Halesus, fils d’Agamemnon, ennemi du nom troyen ; il a attelé ses coursiers à son char, et entraîne sous les drapeaux de Turnus cent peuples redoutables ; ceux qui promènent les râteaux le long des pentes du Massique, favorisées de Bacchus ; les Aurunces descendus de leurs hautes montagnes, les Sidicins venus de leurs plages ; ceux de Calès et des bords du Vulturne aux courants fangeux ; l’âpre Saticule (7, 730) et la troupe des Osques : ils sont armés de courts javelots, mais que rattachent à leur main de souples lanières ; un petit bouclier couvre leur bras gauche, et de près ils combattent avec des glaives recourbés.

Je ne t’oublierai pas non plus dans mes vers, illustre Œbale, toi, dit on, le fils de la nymphe Sébéthis et du vieux roi Telon, qui régnait sur les Téléboens de Caprée. Mais Œbale ne s’était pas contenté du royaume paternel ; et déjà il étendait sa domination sur les Sarrastes, sur les plaines qu’arrose le Sarno, sur les peuples de Rufras, de Batule, de Célenne, (7, 740) et sur ceux que regarde du haut de ses remparts Abella, si fertile en fruits. Leurs armes sont un lourd javelot qu’ils lancent à la manière des Teutons, des casques faits d’écorce enlevée au liège, des boucliers et des glaives d’airain qui resplendissent. Et toi, brave Ufens, toi, renommé, par tes armes tant de fois heureuses, tu quittas pour les combats les montagnes de Nersa : là tu commandes à des nations sauvages, à d’infatigables chasseurs, à l’ÉquicoIe indomptable qui laboure tout armé une terre ingrate, et qui, toujours traînant avec lui une proie nouvelle, n’aime, ne respire que rapine. (7, 750) Le vaillant Umbron, grand prêtre de la nation des Marrubiens, vient aussi, envoyé par le roi Archippe ; il porte sur son casque l’olivier de la paix. Les vipères et les hydres, soufflant la rage et le poison, s’apaisaient, endormies par ses chants et par ses magiques attouchements : il savait aussi guérir leurs morsures. Mais son art fut impuissant contre les coups du fer troyen ; et sa blessure ne put être adoucie ni par ses enchantements, ni par les herbes soporifiques cueillies sur les montagnes des Marses. Malheureux Umbron ! les bois d’Anguitie, la claire fontaine et le lac limpide du Fucinus (7, 760) te pleurèrent.

Comme lui marchait le beau Virbius, digne fils d’Hippolyte et d’Aricie ; sa mère l’envoya dans les champs de la gloire : elle l’avait élevé dans les bois sacrés d’Égérie, le long de cet humide rivage où se voit encore un riche autel élevé à Diane compatissante. Hippolyte, si l’on en croit la renommée, après qu’il eut péri par les artifices de sa marâtre, et satisfait par son sang à la colère d’un père, traîné de çà et de là, et déchlré par ses coursiers, fut rendu à la lumière et rappelé sous la voûte des cieux par la vertu merveilleuse des herbes de Péou, et par la pitié de Diane attendrie. (7, 770) Alors le père tout-puissant des dieux, indigné qu’un mortel, plongé dans les ombres des enfers, se fût élancé de nouveau à la lumière, foudroya le fils d’Apollon lui-même, l’inventeur de cet art impie, et le précipita dans les gouffres du Styx. Mais Diane dans sa bonté cacha Hippolyte au fond de ses bois les plus secrets, et le confia à la nymphe Égérie. Là, seul dans les forêts, inconnu de l’Italie, il devait couler des jours mystérieux sous le nom emprunté de Virbius. Encore aujourd’hui on écarte du temple de Diane et de ses bois sacrés les coursiers à la corne sonnante : c’est que sur ces mêmes rivages les coursiers d’Hippolyte, (7, 780) épouvantés par un monstre marin, emportèrent et le jeune héros et son char fracassé. Son fils ne laissait pas d’exercer dans la plaine des chevaux fougueux, et de lancer son char dans les batailles.

Cependant Turnus, les armes à la main, efface les guerriers par sa beauté majestueuse, et les passe de toute la tête. Le cimier de son casque, orné d’un triple panache, porte la Chimère vomissant, comme l’Etna, des tourbillons de flammes ; plus le sang coulait et plus s’échauffait le combat, plus elle frémissait, plus s’irritaient et sa rage et ses feux. Sur l’orbe poli de son bouclier la belle Io dressait ses cornes (7, 790) d’or, Io déjà couverte de poils, déjà transformée en génisse : longue et lamentable histoire gravée sur l’airain. Argus est là qui garde la vierge, et près d’elle Inachus, son père, épanche les ondes de son urne. Turnus est suivi d’une nuée de fantassins ; les boucliers se serrent, les bataillons se pressent dans toute la plaine : c’est la jeunesse argienne, la troupe des Aurunces, celle des Rutules ; ce sont les antiques Sicaniens, les Sacraniens, les Labiques aux boucliers peints ; ceux qui habitent, ô Tibre, tes forêts, et qui labourent les rives sacrées du Numicus ; ceux qui enfoncent le soc dans les montagnes Rutuloises et Circéennes ; ceux des vallons auxquels préside Jupiter Anxur ; (7, 800) ceux des bois verdoyants aimés de la déesse Féronia ; enfin les peuples des bords du noir marais de Satura et des fraîches rives de l’Ufens, qui cherche un chemin tortueux à travers de profondes vallées, et va s’engloutir dans la mer.

On vit après eux arriver du pays des Volsques, à la tête d’escadrons d’airain étincelants, Camille, la vierge guerrière : elle n’a point accoutumé ses mains de femme au fuseau et aux ouvrages délicats de Minerve ; mais elle s’est endurcie aux combats ; elle sait lutter avec les vents, les devancer à la course. Elle eût, sans les toucher ni plier leur tête, rasé les vertes moissons, couru sur les tendres épis ; (7, 810) ou encore, d’un pas suspendu sur la vague gonflée, elle eût effleuré les mers sans mouiller ses pieds rapides. Tous, les guerriers, les mères, se répandant hors des bourgades et des champs, l’admirent, et la suivent de leurs regards ébahis : un manteau royal couvre de sa pourpre éblouissante ses délicates épaules, l’or retient sa chevelure nouée. On admire sa grâce à porter le carquois lycien, et le myrte pastoral armé d’une pointe de fer.


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