L’économie politique en vingt-deux conversations/L’émigration, ou le nouveau-monde

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Traduction par Caroline Cherbuliez.
Établissement encyclographique (p. 320-328).


L’ÉMIGRATION,
OU
LE NOUVEAU-MONDE.


Ainsi que nous l’avons dit précédemment, madame Hopkins aimait tendrement ses enfants, et quelque peine qu’elle eût à se tirer d’affaire avec une famille si nombreuse, elle n’aurait pas voulu en avoir un de moins, car ils lui étaient tous également chers.

« Dick et Sally, disait-elle, gagnent leur vie, et j’ai eu assez de chagrin lorsqu’ils ont quitté la maison. Patty va se marier, et quoique ce soit pour la donner à un excellent mari, qu’elle aime de tout son cœur, il me sera bien pénible de me séparer d’elle. Pour Tom et Jenny, ils deviennent gros et grands, et ils ont si bon appétit, que c’est un plaisir de les voir à table ; ils n’en seront que mieux portants et plus forts quand ils commenceront à travailler. Betty mange très-peu, mais elle est fraîche et gentille ; il n’y a que ma pauvre petite Jenny qui m’inquiète ; c’est un enfant délicat, qui demande beaucoup de soins, et il me semble que je l’aime davantage à cause de toute la peine qu’elle me donne. »

C’est ainsi que cette bonne femme énumérait les diverses raisons qu’elle avait d’aimer ses enfants.

« Quel dommage, John, dit-elle en soupirant, que le monde ne soit pas un peu plus vaste, afin qu’il y ait de la place, de l’ouvrage et de la nourriture pour tous !

— Quant à cela, répondit Hopkins, le monde est assez grand ; c’est l’Angleterre seulement qui est trop petite pour ses habitants. Mais, en revanche, il y a des pays qui manquent de population ; l’Amérique, par exemple, où l’Angleterre envoie des vaisseaux chargés d’artisans de toute espèce, qui, arrivés là, trouvent de l’ouvrage et sont bien payés. On dit même que plus ils ont d’enfants, plus ils sont à leur aise, parce que, dès que ceux-ci sont en état de travailler, on les emploie. Aussi j’ai ouï dire qu’une veuve chargée de famille est regardée là comme un morceau friand ; lorsqu’elle veut un second mari elle n’a qu’à choisir.

— Alors on peut se marier de bonne heure.

— Sans doute, le plus tôt est le mieux ; le pays fourmille de jeunes enfants frais et bien portants.

— Tout cela est bel et bon, reprit madame Hopkins ; mais néanmoins il doit être dur de quitter sa patrie, les lieux qui nous ont vus naître, où nous avons été élevés : ce n’est ni plus ni moins que si l’on quittait son père et sa mère ; avec cela, s’il va tant de pauvres en Amérique, la place sera bientôt remplie, et alors on n’y sera pas mieux qu’ici.

— Dieu merci, il n’est pas si aisé de peupler l’Amérique. Le contremaître d’un vaisseau qui part de Liverpool pour les Indes m’a beaucoup parlé de ce qu’ils appellent l’émigration.

— L’émigration ? répéta madame Hopkins, ce mot sonne mal à mon oreille, il me fait penser à la déportation des criminels dans le Nouveau-Monde.

— Ce sont deux choses bien différentes.

— Eh bien, John, fais-moi le plaisir de me dire tout ce que tu sais sur ce sujet. »

Son mari l’assura qu’elle n’y comprendrait rien ; mais comme il était bon, et qu’il accédait aux désirs de sa femme toutes les fois qu’elle n’était pas trop déraisonnable, il se mit à lui expliquer que l’Amérique était un pays si vaste qu’il faudrait plus de mille ans pour le peupler.

« Presque tous ceux qui s’y rendent, ajouta-t-il, reçoivent un morceau de terrain et une ferme qui leur appartient entièrement.

— Une ferme ! s’écria madame Hopkins ; moi qui serais si heureuse si je possédais un peu de terrain à côté de ma chaumière. »

John commença à craindre qu’il ne lui prît fantaisie d’aller en Amérique.

« Tout n’est pas si beau que tu l’imagines, reprit-il. D’abord il faut traverser la mer, et quelquefois on y est très-malade ; puis, arrivé en Amérique, il faut choisir son terrain, et il n’y a là ni ferme, ni granges, ni magasins de grains, ni prés, ni champs prêts à être labourés ; il n’y a que d’immenses forêts.

— N’y a-t-il pas des bêtes féroces dans les forêts ? »

— Je ne crois pas ; mais il y a beaucoup de serpents et d’autres reptiles venimeux. La première chose à faire en arrivant, c’est de couper les arbres, puis de construire de petites cabanes pour se loger avant de songer à semer du grain. Il faut que les émigrants emportent avec eux leurs outils, des chaudrons et des marmites, car on n’en trouve pas dans les forêts.

— Je suis surprise, dit madame Hopkins, que les ouvriers renvoyés des fabriques faute d’ouvrage, n’aient pas l’idée de s’embarquer pour aller cultiver ce nouveau pays.

— Il faut avoir de quoi payer son passage ; le capitaine d’un vaisseau ne peut pas prendre les voyageurs et les nourrir pendant la traversée sans rétribution : et d’ailleurs qu’iraient-ils faire là ? Un tisserand s’entend-il mieux qu’un enfant à couper et déraciner un arbre ? Il en aurait pour une semaine entière ; l’hiver viendrait avant qu’il eût bâti sa maison, et il mourrait de faim et de froid ; car, étant accoutumé à l’air chaud d’une fabrique et à dormir dans une chambre fermée, il ne pourrait supporter la température des forêts désertes de l’Amérique.

— Et ne pourrait-il pas faire du feu avec du bois sec ?

— Sans doute le bois n’y manquerait pas, et rien ne serait plus aisé que d’y faire bouillir la marmite ; mais il faut avoir quelque chose à mettre dedans. Ce sont les gens de la campagne, habitués à de rudes travaux, qui doivent aller là-bas, et non des ouvriers de fabrique qui ont toujours vécu renfermés comme des poulets dans un poulailler ; la première nuit qu’ils passeraient dans la forêt leur donnerait la fièvre. Non, cela ne peut convenir qu’à des hommes de peine, et encore faut-il qu’ils possèdent un peu de bien, afin d’être en état de pourvoir à leur subsistance jusqu’à ce qu’ils puissent faire leurs récoltes ; autrement ils courraient la chance de mourir de faim : cela est arrivé à plus d’un d’entre ceux qui y sont allés. On dit même que des colonies entières ont péri par la famine et la maladie.

— John, je ne sais que penser de ce que tu me contes là. Tu commences par me faire un si beau tableau de l’Amérique que l’eau m’en vient à la bouche, puis ensuite tu me parles de tant de fatigues et de dangers que je n’irais pas là pour tout l’or du monde.

— C’est qu’il y a un bon et un mauvais côté. Par exemple, un laboureur, bon travailleur, bien portant, et qui possède de quoi acheter des outils et payer sa traversée, peut, après quelques années d’un rude travail, devenir un riche fermier et élever sa famille dans l’aisance.

— Mais tu m’as dit que les ouvriers y étaient très-bien payés ?

— Oui, un bon charpentier, ou un charron, y gagne bien sa vie ; mais les ouvriers des fabriques ne sont guère propres à ces métiers-là.

— Ne pourraient-ils pas trouver de l’ouvrage dans les fabriques d’Amérique, et y être bien payés, puisqu’il y manque des ouvriers ?

— Il n’y a pas encore de fabriques en Amérique ; jusqu’ici les colons ne se sont occupés qu’à défricher la terre.

— Et comment s’habillent-ils ?

— La plupart de leurs vêtements viennent d’Angleterre. Les terres qu’ils ont défrichées et ensemencées produisent une grande abondance de blé, dont ils chargent des bâtiments qu’ils envoient à Manchester et à Birmingham, où ils obtiennent en échange du coton, des étoffes, et toutes les choses dont ils peuvent avoir besoin. Le blé est leur monnaie ; ils s’en servent pour payer tout ce qu’ils achètent.

— Ce doit être un bon pays pour les braconniers, observa madame Hopkins ; il doit y avoir beaucoup de gibier dans ces grandes forêts, et beaucoup de blé pour le nourrir, et personne qui empêche les braconniers de chasser.

— Il serait inutile d’en tuer plus qu’on ne peut en manger, reprit John, car il n’y a personne à qui on puisse le vendre. Il n’y a pas de mal à savoir manier un fusil, on se procure ainsi de quoi mettre le pot-au-feu en attendant la récolte du blé.

— Il doit s’y trouver aussi beaucoup de fruits sauvages et des herbes bonnes à être mangées en salade avec le gibier ?

— Oui ; mais ce qui serait encore mieux, c’est d’avoir un petit jardin à côté de sa maison, et d’y planter des pommes-de-terre et des choux.

— De manière ou d’autre, dit Madame Hopkins, il y a trop de dangers à courir ; il vaut mieux rester chez soi.

— Oui, si l’on peut y gagner sa vie ; mais, dans le cas contraire, mon avis est qu’il vaut mieux chercher fortune ailleurs que de mourir de faim ou d’avoir recours à la mendicité ; mais il ne faut pas s’embarquer comme des imbéciles sans savoir ce que l’on aura à faire. Le gouvernement, quelquefois, pour soulager les paroisses, se charge d’expédier à ses frais quelques-uns de ceux qui ont envie d’émigrer et qui n’ont pas de quoi payer le voyage.

— Ils ne lui doivent pas une grande reconnaissance, car ce n’est qu’une manière de se débarrasser d’eux.

— Mais on ne les envoie par là contre leur volonté, et, s’ils se conduisent prudemment, ils peuvent y faire une petite fortune.

— Ne pourrions-nous pas faire de même sans quitter notre pays ? demanda madame Hopkins.

— Non, répondit John, et pour une bonne raison, c’est que le pays est tout cultivé.

— Comment peux-tu dire cela, John ? N’y-a-t-il pas à deux lieues d’ici une grande pièce inculte et couverte de bruyères ?

— Si elle n’est pas cultivée, c’est que le sol n’en vaut rien.

— Je sais bien qu’il ne vaut pas le champ que tu as labouré l’autre jour et qui produit de si belles récoltes ; mais s’il était bien labouré et bien ensemencé, il rapporterait toujours quelque chose, et peu vaut mieux que rien, comme tu sais, John. Quand il n’y aurait que pour faire une vingtaine de pains, ce serait tout autant de plus.

— Oui ; mais quand le terrain est si mauvais, il prend beaucoup de temps à cultiver, et se donner la peine de l’ensemencer à ce prix serait une folie ; il y aurait perte au lieu de gain. Ainsi donc, si on me donnait ce morceau de terrain dont tu parles, je ne dirais pas seulement : Bien obligé.

— Cependant n’est-il pas avantageux quelquefois de mettre en culture des communaux ? N’y a-t-il pas la commune de John Ashton qui a été morcelée et divisée entre les paroissiens ?

— Oh ! c’était un meilleur sol ; il croissait de l’herbe, et toute la paroisse y envoyait ses bestiaux avant le partage. Je ne sais pas si ce terrain leur rapporte davantage depuis qu’il a été converti en terre labourée.

— J’ai entendu dire à la voisine Pastridge qu’elle regrettait le bon lait que lui donnait sa vache, lorsqu’elle broutait sur la commune. Cependant elle croit que son mari gagne plus avec ses cinq arpents de terre, qu’il ne le faisait avec sa vache, et quoiqu’elle soit très-contrariée qu’il l’ait vendue : « Il le fallait bien, dit-elle, puisque l’argent qu’il en a retiré a servi à acheter du fumier pour mettre sur notre champ, qui sans cela n’aurait rien produit.

— Je connais aussi le fermier Stubbs, reprit Hopkins ; c’est lui qui possède la plus grande partie de la commune, parce qu’il a acheté la part de plusieurs pauvres gens, qui n’avaient pas les moyens de cultiver le petit morceau qui leur était échu. Eh bien ! il prétend qu’il a été obligé d’y mettre tant de fumier qu’il n’en a plus assez pour sa ferme ; il croit avoir perdu en appauvrissant le terrain qu’il possédait déjà, autant qu’il gagnera avec celui qu’il vient d’acquérir, car, après tout, c’est un terrain qui ne donne que de maigres récoltes, et quand je pense à tout le travail qu’il a fallu pour le rendre ce qu’il est, c’est peu encourageant ; cependant avec le temps il se bonifiera. Tu vois bien, ma chère, que je ne prétends pas qu’il n’y ait aucun avantage à mettre en culture des communaux ou des terrains stériles.

— Tu aurais tort de le faire, John, car tu sais quelle jolie récolte de pommes-de-terre nous donna cette bande de terrain qui borde notre jardin la première année qu’on nous permit de la cultiver.

— Mais as-tu oublié, dame Hopkins, combien tu te plaignis de nos choux cette même année ; et pourquoi en eûmes-nous si peu et furent-ils moins beaux qu’à l’ordinaire ? c’est qu’une partie de l’engrais qui leur était destiné fut employé sur la nouvelle terre ou j’avais planté mes pommes-de-terre : ainsi c’était, comme on dit, voler Pierre pour payer Paul. Cependant ce terrain n’est pas mauvais et il se bonifie chaque jour ; mais, comme je te l’ai déjà dit, notre profit n’est pas si clair, si tu évalues l’engrais que j’y ai dépensé et le travail qu’il m’en a coûté pour le rendre ce qu’il est maintenant.

— Comment fait-on en Amérique pour fumer les terres ? elles doivent en avoir grand besoin, car je ne suppose pas qu’on y ait mis de l’engrais depuis la création ?

— Non, sans doute, mais n’ayant jamais été labourée ni ensemencée, la terre y est encore dans toute sa virginité.

— Il doit en être de même d’une commune qu’on laboure pour la première fois.

— Avec la différence que nos communes et nos landes sont le plus mauvais terrain qui reste après qu’on a choisi tout ce qui pouvait se mettre en culture, tandis que l’Amérique est un vaste pays désert, où vous avez à choisir dans une immense étendue ce qui vous convient le mieux ; on assure que le terrain y est si bon, que lorsqu’il est bien cultivé, il produit pendant plusieurs années de suite de superbes récoltes sans demander à être fumé.

— Cela nous paraît fort étrange ici, dit madame Hopkins.

— Cependant il est assez probable que toute espèce de terrain a été mise en culture de la même manière. On a commencé par labourer la première qualité, puis la seconde, ensuite la troisième, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il ne soit resté que la plus mauvaise, qu’il faut nécessairement engraisser, si l’on veut en tirer parti. Mais les bois d’Amérique qui datent de la création du monde…

— Non pas, interrompit madame Hopkins, ils ne remontent qu’à Noé, car ils ont dû être détruits par le déluge.

— Peu importe, reprit John impatienté, tu me fais perdre ce que je voulais dire… Ah ! j’y suis ! Les arbres de ces bois perdent leurs feuilles chaque année, et comme il n’y a là personne pour les relever, elles restent sur la terre où la pluie les pénètre, et elles forment un engrais qui nourrit le sol ; quand une fois on a coupé les arbres, labouré et ensemencé la terre, elle produit de superbes récoltes.

— Mais comment se fait-il qu’un si beau pays soit inhabité ?

— Parce qu’il est si éloigné que pendant longtemps on en a même ignoré l’existence. Les marins disent qu’autrefois pas un d’eux ne se serait hasardé sur une mer inconnue ; ils n’étaient pas si habiles navigateurs qu’à présent, et les vaisseaux n’étaient pas si bien construits. Quant aux bateaux à vapeur, on en ignorait complètement l’usage.

— Et comment a-t-on découvert l’Amérique ?

— Il y a environ trois cents ans qu’un nommé Christophe Colomb, un brave jeune homme, se mit en tête d’aller à la découverte d’un nouveau monde. Il fréta un vaisseau, s’embarqua sur les mers inconnues, et navigua jusqu’à ce qu’il atteignît cette terre, qui était l’Amérique.

— Oh ! qu’il dût être heureux lorsqu’il aperçut cette terre ! s’écria madame Hopkins ; car c’était une entreprise hardie, et il aurait pu périr en chemin.

— Sans doute, c’est ce que craignit son équipage ; aussi il y eut un moment où ses gens se révoltèrent et voulurent le jeter à la mer ; mais il leur demanda d’attendre encore trois jours, au bout desquels, si on n’apercevait pas la terre, il leur promettait de les ramener dans leur pays. À la fin du troisième jour, un matelot cria du haut d’un mât : Terre ! terre ! et peu après ils descendirent sur le rivage et entrèrent dans ce pays que depuis on a nommé l’Amérique. Il a été écrit tout un livre sur cette découverte ; on le dit fort intéressant.

— Ce Christophe Colomb, avec son nom si difficile à prononcer, était un hardi compagnon, et la vieille Angleterre doit s’en glorifier.

— Christophe Colomb n’était pas anglais ; son nom seul aurait dû te le faire soupçonner.

— Comment donc ? Il n’était pas anglais ! et un étranger a pu accomplir ce qu’un marin anglais n’avait osé entreprendre ?

— Je ne le croirais pas, reprit John, si je ne le savais de très-bonne part ; mais nous devons nous rappeler que nous sommes tous les enfants d’un même père, anglais ou étrangers, protestants ou catholiques, juifs ou païens, ainsi que nous l’apprend la parabole du bon Samaritain, que Patty nous lisait l’autre jour : il était étranger parmi les Juifs, et cependant il fut meilleur qu’eux.

— Y a-t-il d’autres pays où l’on puisse aller comme en Amérique ?

— Oui ; mon frère Bob m’a dit qu’il y en avait plusieurs, entre autres un où il aborda lors de ses grands voyages, et qu’il déclare être un vrai paradis. Le climat y est doux, les points de vue ravissants, et l’on y trouve en abondance toutes sortes de choses, telles que du poisson, de la viande, de la volaille, des fruits, des légumes. Eh bien ! malgré cela, femme, ce pays ne te plaira jamais.

— Pourquoi donc, je te prie ?

— Parce que c’est là qu’on envoie les criminels condamnés à la déportation. Cependant cela n’ôte rien au mérite d’un si beau pays, et Bob dit qu’on y est trop heureux de pouvoir prendre à son service quelques-uns de ces déportés, les ouvriers et les domestiques y étant très-rares.

— Dieu me soit en aide ! s’écria madame Hopkins ; je croirais toujours qu’ils vont m’assassiner.

— Les femmes ont toujours de sottes imaginations. Tu y serais bientôt habituée ; il n’y a d’ailleurs aucun danger, parce que ceux qui sont indisciplinés sont enchaînés et surveillés continuellement pendant leurs travaux. Plus d’un jeune homme a été conduit au crime par la misère, et une fois qu’il est déporté, il peut se corriger et devenir aussi bon qu’un autre. On en a vu qui ont réussi et prospéré et sont devenus d’honnêtes gens élevant leurs enfants en bons chrétiens.

— Et quel est le nom de ce pays ?

— C’est la terre de Van-Diémen, près de Botany-Bay, à l’autre bout du monde. Dick White a reçu une fois une lettre de son frère qui habitait ce pays-là ; elle resta toute une année en route. C’est dommage que ce soit si loin et que le voyage soit aussi coûteux, sans cela on irait bien volontiers dans un si beau pays !

— Pour ma part, reprit sa femme, je n’aime pas les longs voyages, parce qu’on est malade sur mer ; et je déteste les déportés, parce que ce sont de vilaines gens. Ce serait le paradis que je n’irais pas, sûre que je serais d’y trouver le diable sous la forme d’un déporté. »

John se mit à rire.

« C’est là tout juste ce que les femmes comprennent à de pareilles matières, dit-il ; je vois que j’ai perdu mon temps à te conter tout cela. » Puis il prit son chapeau et partit.

Sa femme, qui aimait à répliquer, lui cria :

« Un paradis rempli de criminels ; en vérité c’est pire qu’une prison. »