L’émancipation de la femme/25

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Texte établi par Alphonse Constantau bureau de la direction de La Vérité (p. 113-115).

XXV

Les Utopistes modernes.


Honneur aux hommes de conviction et de dévouement qui s’avancent en éclaireurs à la tête de la caravane humanitaire !

Gloire à ces fous sublimes qu’autrefois on tuait et qu’aujourd’hui l’on se contente de railler agréablement pendant qu’ils expirent de misère !

L’humanité n’a jamais manqué de prophètes, et l’avenir qui s’ouvre devant nous a eu aussi ses révélateurs.

Swedenborg par la révélation des correspondances a annoncé l’unité et l’universalité de la science et a indiqué à Fourier son beau système des analogies.

Il a montré les sociétés célestes groupées par séries harmonieuses selon les degrés d’intelligence et d’amour.

Il a donné au ciel et à l’enfer les attractions pour mobiles, et sur l’antagonisme il a établi l’équilibre.

Fourier a voulu réaliser sur la terre le rêve céleste de Swedenborg, et a transfiguré en phalanstère le couvent du moyen âge.

Saint-Simon a donné l’initiative des transfigurations du dogme, et a révélé la fin du veuvage chrétien et le grand mariage humanitaire par l’affranchissement moral de la femme.

Un homme dont le nom sert encore de risée aux prétendus sages parce qu’il vit encore, Ganneau, résume ces divers systèmes dans une magnifique orthodoxie ; il justifie l’affranchissement de la femme par le culte de l’amour et l’honneur qu’il rend au titre de mère. Pour lui, l’empereur Napoléon est un type messianique représentant le grand Caïn ou l’usurpateur, mais il le réconcilie avec le Christ, qui est le grand Abel, et de cette union de l’obéissance et de la force naît l’équilibre parfait des droits et des devoirs.

Après ces grandes figures de prophètes, qui représentent des idées d’ensemble, viennent des architectes qui donnent des plans pour les diverses parties de l’édifice social.

Cabet, homme de conviction et de persévérance, à qui sa probité tient lieu jusqu’à un certain point d’idées et de talents, donne dans son Icarie le plan d’une grande manufacture commune et quelques règlements d’ateliers qui peuvent avoir leur côté raisonnable et utile. Proud’hon, raisonneur d’une logique lourde, mais écrasante, prend la propriété, telle qu’on l’entend de nos jours dans des tenailles où il la broie. Son livre n’a pas été poursuivi par le parquet.

Victor Considérant, le régénérateur de l’école sociétaire et le continuateur de l’œuvre de Fourier, homme de science et de talent, qui sera peut-être bientôt appelé à représenter à la tribune les idées d’émancipation pacifique et d’organisation sociale.

Voilà à peu près tous les hommes de notre époque qui se soient sérieusement occupés de l’avenir. Mais aucun d’eux n’a mis avec activité la main à l’œuvre, soit que les moyens d’exécution leur aient manqué, soit que leurs plans ne soient pas encore bien arrêtés, soit que leur foi ne soit pas assez vive.

On raconte qu’un architecte de l’antiquité, après avoir écoulé en silence le détail des plans gigantesques d’un autre architecte, grand faiseur de théories, le surpassa d’un seul mot, en s’écriant : « Ce qu’il a dit, je le ferai ! »

Oh ! si le courage et le dévouement suffisent, je serai, moi, cet architecte qui parle peu, mais qui agit.