L’émancipation de la femme (Daubié)/01/La femme et le journalisme

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LA FEMME ET LE JOURNALISME.


Lorsque l’Empire, après avoir usé le régime discrétionnaire, accorda le régime légal à la presse, il permit à tout Français jouissant de ses droits civils et politiques, de publier un journal et d’y signer des articles.

Évidemment le législateur, souvent distrait, et même beaucoup trop distrait à notre endroit, n’avait pas songé que les femmes sont des Français qui, jouissant de leurs droits civils aujourd’hui, jouiront de leurs droits politiques demain, si elles les prennent. Aussi durent-elles dire à leurs maîtres oublieux : « Nous écrivons ostensiblement dans les journaux, donc nous avons le droit de les publier nous-mêmes, sinon vous devez nous retirer celui d’y faire paraître notre signature. »

L’Empire, qui était aussi fort en dilemme qu’en libéralisme, nous répondit à la fois par oui, par non et par peut-être ; en nous conservant notre liberté classique de prendre la parole dans le journal, il consentit ainsi en bon prince à nous reconnaître, sous ce rapport, comme Français jouissant de leurs droits civils et politiques. Mais, notre droit de propriété dans le domaine de la presse lui paraissant litigieux, il déclara que des jugements de cour nous y rendraient blanches ou noires, selon nos mérites ou nos démérites.

Devant, ces décisions ambiguës, ce privilége, cet arbitraire du plus fort régnant dans la loi même, nous frappions à la porte entre-bâillée du journalisme quand la République vint nous l’ouvrir par le décret du 5 septembre, permettant à tout Français d’émettre, à ses risques et périls, son opinion dans et par le journal, en dehors même de la ritournelle consacrée des droits civils et politiques.

L’esprit libéral de cette mesure honore les réformateurs qui ont enfin compris, comme l’Empire lui-même commençait à le comprendre, l’injustice d’interdire à la femme les publications périodiques, où se résument aujourd’hui la plupart des idées, et de la condamner ainsi à un mutisme d’autant plus pénible pour elle, qu’il n’est regardé ni comme l’attribut, ni comme la vertu spéciale de son sexe.

Nous voici donc décidément ici baptisées Français, pour parler comme pour nous taire, pour agir comme pour souffrir. Quoique nos mains pacifiques aient toujours repoussé les armes fratricides, nous venons en effet de subir toutes les calamités d’une guerre à jamais maudite. Dans nos campagnes appauvries et dévastées, partageant les douleurs et les périls de nos frères ; pressurées pendant la lutte par l’impôt, la rançon, la réquisition et le pillage, nous n’avons pu nous affranchir de la suprême douleur d’héberger un vainqueur insatiable, qui s’assied encore triomphant à nos humbles foyers insultés et conquis.

Eh bien, proclamons-le avec un légitime orgueil, dans ces jours néfastes où la France, par le principe de l’égalité civile, nous a jugées dignes de souffrir pour elle ; dans ces heures d’angoisse où elle nous a imposé les charges communes tous les citoyens, nous nous sommes trouvées fières surtout de porter le titre de Français ; nous en avons apprécié toute valeur en restant sur le sol de l’antique patrie, devant un horizon rétréci sur une frontière disputée, mais si nous en tirons gloire désormais parce qu’il nous a valu la prérogative de nous associer à tous les deuils de la patrie agonisante, nous demandons qu’il soit enfin à l’honneur comme à la peine, et qu’au sein d’un peuple libre, il nous rachète de notre ilotisme séculaire.

En heureux présage, constatons la première étape qu’ouvre dans la voie du progrès le régime actuel de la presse. Quoique nous n’ayons pas, pour la revendication de nos droits, la rude poigne de Jacques Bonhomme, confiants dans la justice de l’avenir, travaillons de tout notre cœur, de toute notre âme et de toutes nos forces à l’émancipation de Jacqueline Bonnefemme, si nous ne voulons pas voir la nation avilie s’asservir de plus en plus avec cette survivante attardée de la glèbe.