L’Abitibi, pays de l’or/Chapitre 13

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Les Éditions du Zodiaque (p. 118-127).

Chapitre XIII

QUATRE ENTREPRISES MINIÈRES ONT FAIT
NAÎTRE MALARTIC


Canadian Malartic, Sladen Malartic,
East Malartic et Malartic Goldfields —
Un « open stope » inverti et pas à ciel ouvert
— Le guide qui avait été enterré.

Les quatre principales entreprises de la zone minière de Malartic sont Canadian Malartic, Sladen Malartic, East Malartic et Malartic Goldfields. Cette dernière, dont le territoire est enclavé dans celui des deux précédentes, n’est qu’à l’état de prospection. East et Sladen sont à la veille d’entrer en production. Canadian Malartic, avec un moulin et une usine de cyanuration d’une puissance quotidienne de 750 tonnes, se trouve être, comme volume d’usinage, la deuxième mine d’or de la province de Québec. Elle vient tout de suite après la mine Beattie et, comme celle-ci, n’a donné jusqu’à présent que du minerai de basse teneur. Le succès de l’entreprise est pour une large part un succès du génie. Les ingénieurs de Canadian Malartic, dirigés par M. James P. Millenbach, sont parvenus à usiner une tonne de minerai pour environ deux dollars, ce qui ne se voit pas souvent.

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Cette zone minière de Malartic est de découverte relativement ancienne, puisque les premières concessions faites à MM. St. Barbe Sladen, H. S. Kennedy et J. C. Carroll, remontent à 1923. Dans le rapport du ministère provincial de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries, pour 1925, M. A.-O. Dufresne, ingénieur minier, devenu le directeur du service minier da la province, en fait mention. La région avait cependant été explorée avant cela, du point de vue colonisation comme du point de vue minier. Dès 1906, M. J. Obalski, qui était alors surintendant provincial des Mines, en parle dans sa relation d’un voyage de plusieurs mois qu’il fit dans ces parages, jusqu’au delà des sources de la rivière Kinojévis. Mais prospecteurs et capitalistes ne paraissent pas à l’époque s’être souciés beaucoup des constatations de M. Obalski.

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La propriété de Canadian Malartic, qui groupe aujourd’hui quatorze concessions, couvrant un territoire d’à peu près mille acres, sur lequel sera pris le site de la ville en formation de Malartic, a été la première à se mettre en valeur. En 1924, alors qu’il n’existait encore aucune route, simplement des sentiers à travers la forêt, la Porcupine Goldfields Development and Finance Co., Ltd., de Londres, Angleterre, y faisait pratiquer des premiers sondages. En 1925, les conditions n’étant guère meilleures, la propriété passait à la Malartic Gold Mines. En 1927, les travaux d’exploitation se continuaient sous la direction de M. J. P. Norrie, ingénieur minier, diplômé de McGill, et celui-ci entreprenait le forage d’un premier puits et quelques percements en travers-banc. À la suite de rapports défavorables tous les travaux étaient abandonnés en 1929. Ce n’est qu’en 1933 que Canadian Malartic s’organise, groupe les quatorze concessions de la propriété actuelle et passe aussitôt sous le contrôle d’un syndicat financier de Toronto, Ventures, Ltd. Un moulin de 150 tonnes se construit tout de suite ; à deux reprises, on l’agrandit, jusqu’à ce qu’il traite ses 750 tonnes par jour. D’ici quelque temps, paraît-il, le moulin pourra recevoir 1 500 tonnes de minerai quotidiennement. Il suffira d’ajouter des machines que le toit de l’usine est assez vaste pour abriter et que la mine peut facilement alimenter en minerai.

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Comme volume d’extraction et d’usinage, Canadian Malartic est en effet la deuxième mine d’or de la province de Québec, n’étant dépassée que par la mine Beattie, qui pratique l’abattage à ciel ouvert dans le canton de Duparquet. Au cours de l’année 1937, Beattie a usiné 580 520 tonnes de minerai qui lui ont donné 66 092 onces d’or représentant une valeur de 2 312 559 $, en fonds canadien, l’or cotant alors dans les environs de 35 $ l’once. Dans le même temps, Canadian Malartic usinait 232 326 tonnes de minerai, en récupérait 29 785 onces d’or, représentant une valeur de 1 042 177 $.

Comme valeur de production, Canadian Malartic le cède toutefois à plusieurs autres mines. Au cours de la même année, 1937, Siscœ récupérait 73 682 onces d’or, représentant une valeur de 2 578 133 $ de 200 502 tonnes seulement de minerai ; O’Brien ne traitait que 45 930 tonnes de minerai mais obtenait 38 499 onces d’or, soit une valeur de 1 347 080 $ ; Lamaque, de 230 465 tonnes de minerai récupérait 83 054 onces d’or, d’une valeur de 2 906 060 $. Canadian Malartic, pour la production de l’or, vient aussi après Noranda, mais celle-ci n’est pas considérée comme une mine d’or. C’est une mine de cuivre qui donne de l’or, en assez grande quantité tout de même, mais comme sous-produit seulement.

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Ce qu’il y a de remarquable dans le cas de Canadian Malartic, c’est que l’on soit parvenu à traiter avec profit un minerai de très basse teneur environ 4 $ à la tonne, parce que l’or est aux alentours de 35 $ l’once. Le coût d’extraction et d’usinage ne dépasse guère 2 $ la tonne.

Si le prix de l’or baissait bien en-dessous de 35 $ ? L’ingénieur, M. Millenback — notons en passant que c’est un Germano-Américain, de foi catholique, — n’entrevoit pas cela comme vraisemblable d’ici longtemps. Et si le prix de l’or tombait pour la peine, le coût d’exploitation, dit-il, tomberait nécessairement en proportion. L’outillage, le matériel coûterait moins cher ; les salaires s’amoindriraient.

Dans le monde minier de l’Abitibi, l’on reconnaît le savoir-faire des ingénieurs de Canadian Malartic. Sur tout le continent américain, il n’y aurait que deux mines qui seraient parvenues à maintenir leurs opérations à un coût aussi bas. Ces deux cas s’accompagnent, paraît-il, de circonstances particulièrement favorables. Canadian Malartic n’est pas seulement un coup de chance, mais aussi un coup de génie minier.

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M. Millenbach, qui est l’obligeance même, nous expose que la mine emploie à l’heure qu’il est 198 ouvriers dont la moitié sont des Canadiens français. Les uns sont venus des Cantons de l’Est, d’autres d’Ontario et un certain nombre sont des vieux Abitibiens.

Le sous-sol de la propriété se pénètre par deux puits, l’un vertical et l’autre incliné à 60 degrés, qui atteignent tous les deux le niveau en profondeur de 750 pieds, en partant presque tout de suite dans le roc, car la surface n’a qu’un léger manteau de matière stérile.

Jusqu’à 750 pieds, la roche d’éponte est du porphyre et de la wacke grise, sorte de sédiment altéré. Plus bas, découverte toute récente, le quartz paraît avec des traces d’or natif. Il est vraisemblable que le minerai quartzeux sera d’une plus haute teneur en or que le minerai porphyrique.

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M. Millenbach a imaginé pour le sous-sol de Canadian Malartic un procédé d’abattage qui est particulier à cette mine, qui ne se pratique nulle part ailleurs : l’inverted open stope, which is not an open stope. La définition est de M. Millenbach lui-même. Elle parait sans doute un peu longue et appelle une explication. M. Millenbach nous la fournit. L’open stope, c’est l’abattage à ciel ouvert, comme cela se pratique dans les carrières, en forme d’escalier. À la mine Beattie, par exemple l’abattage se fait de cette manière. Le procédé de M. Millenbach, c’est l’abattage en forme d’escalier renversé, non pas à ciel ouvert, mais sous un toit qui est la croûte de surface. Le puits descend d’abord de cent pieds et les galeries conduisent à un grand trou creusé au sein de la terre, plus exactement du roc. Cent pieds plus bas, encore le même trou mais qui a non seulement augmenté son cubage mais aussi sa superficie. Et ainsi de suite. Il va sans dire que d’un niveau à l’autre, de suffisants piliers de roc restent en place et soutiennent l’échafaudage.

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Pour avoir une meilleure idée de l’inverted stope j’ai tenu à descendre le voir, à ses divers niveaux. M. Millenbach alors m’a confié à un jeune mineur. Nous étions, revêtus tous deux des vêtements d’usage : bottes, casaque caoutchoutée, casque en fibre durcie, munis de la torche réglementaire, déjà dans la cage de l’ascenseur, quand je demande à mon compagnon quel est son genre de travail dans la mine. Sa réponse est réjouissante et encourageante : « Je travaille présentement à la surface. C’est ma première descente depuis six semaines, depuis qu’il m’est arrivé d’être enterré dans un éboulis au sous-sol. »

Les jours précédents j’avais fréquenté quelques autres sous-sols miniers. Je n’en avais pas rencontré d’aussi impressionnant que celui-là, à cause sans doute de l’inverted open stope.

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M. J. P. Norrie, celui qui commença les travaux de creusage à Canadian Malartic, est maintenant ingénieur en même temps que gérant de la mine Perron, des concessions Malartic Goldfields et Senore.

Perron, qui n’est pas dans la zone de Malartic, est une mine qui a donné 28 967 onces d’or, d’une valeur de 1 013 555 $, en 1937. Malartic Goldfields est à la veille de produire. Son territoire est de quatre milles carrés.

East Malartic a pour vice-président, gérant et ingénieur, M. James R. Norrie, frère du précédent. Ancien Montréalais, qui a fait ses études de génie minier à McGill, M. James Norrie — Jim, ainsi que l’on dit dans le monde des mineurs — parle couramment français. Nous ne l’avons appris toutefois qu’après avoir conversé bien longtemps avec lui en anglais.

La propriété qu’il administre, quatre milles carrés en surface, n’a connu le sondage au diamant qu’en 1935. Le printemps suivant, un premier puits se creusait, jusqu’à la profondeur de 350 pieds ; à l’automne, deuxième puits, à la même profondeur. Dans les deux cas, il s’est fait subséquemment des percements en travers-banc et des percements de recherche. Un troisième puits est en train de se creuser. Il descendra à 750 pieds, pour atteindre des dépôts que le sondage a révélés. À cet endroit, l’on serait assuré de 1 000 000 de tonnes de minerai. Sur une longueur de 850 pieds, une veine de 30 pieds de large, à pendage de 80 degrés, indiquerait du minerai de 7 $ à 8 $ la tonne. Au cours de 1938 un moulin et une usine de 500 tonnes par jour doivent s’établir à East Malartic, près de la sortie du troisième puits. À l’heure qu’il est la compagnie emploie 95 ouvriers dont une cinquantaine sont Canadiens français. Après la construction du moulin et de l’usine, le personnel sera de près de 200 ouvriers.

Sladen Malartic, qui se trouve tout à côté, projette de construire aussi un moulin et une usine, de 250 tonnes.

East Malartic, Sladen Malartic, Canadian Malartic, Malartic Goldfields sont des propriétés qui se touchent. L’on comprend alors que leur mise en valeur ait déterminé l’établissement sur le territoire de Canadian Malartic, de la ville de Malartic.