L’Abitibi, pays de l’or/Chapitre 5

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Les Éditions du Zodiaque (p. 53-60).

Chapitre V

NORD-OUEST DE QUÉBEC,
NORD DE L’ONTARIO


La situation géographique des régions minières
de l’Abitibi et du Témiscamingue,
selon les lignes de longitude et de latitude
— Les voies de communication qui s’établissent


Avant de pénétrer dans la région minière du Nord-Ouest de Québec, de la décrire, il convient de la mieux situer, avec plus de précision géographique. Ça n’est sans doute pas de surérogation, car le Canadien de langue française, surtout s’il est de Montréal, a ceci de commun avec ses cousins de France, qu’il ignore généralement la géographie, même la géographie de son pays et de sa province. Il faut entendre ici la simple géographie physique, car pour ce qui est, par exemple, de la géographie économique, bien peu de gens chez nous, parmi les nôtres, savent qu’il en existe une de cet ordre. Il faudra pourtant y venir, à moins que nous ne nous résignions à toujours rester pauvres au pays de l’abondance.

Situons donc ; notre voyage rétrospectif n’en sera ensuite que plus facile.

Le Nord-Ouest de Québec — comme tout est relatif — a ceci de particulier qu’il se situe au nord de l’Ontario et partant de Toronto. C’est, tout à fait en haut, le versant oriental du bassin de la baie James, avec en plus, vers le sud, le bassin de l’Outaouais supérieur et, à partir du lac Témiscamingue, la rive gauche de cette rivière, qui prend alors les proportions d’un fleuve. Le territoire de la rive droite appartient à l’Ontario. Comme l’Outaouais coule dans une direction à peu près ouest-est, la rive nord est québécoise, la rive sud est ontarienne. Le territoire québécois baigné par les eaux outaouaises, c’est le Témiscamingue. L’Abitibi comprend ce qui est plus au nord.

Un avocat de Montréal, M. Paul Ranger, qui a beaucoup fréquenté cette région et qui a été à même d’y suivre de près quelques-unes des entreprises minières parmi les plus importantes, en prononçant une conférence sur l’Abitibi, devant un auditoire montréalais, le situait entre le 48e et le 49e degrés de latitude nord, le 70e degré, 30 minutes et le 79e degré, 30 minutes de longitude ouest de Greenwich. Il faisait observer que le 74e degré, 30 minutes de longitude passe un peu à l’ouest de Pointe-Fortune, village ontarien, voisin du village québécois de Rigaud, situés tous les deux sur l’Outaouais ; que le 79e degré, 30 minutes de longitude, qui est la frontière occidentale de l’Abitibi québécoise, passe aussi à quelques milles à l’ouest de Toronto. Que l’on consulte une carte bien faite et l’on se rendra compte que c’est rigoureusement exact : Toronto se trouve au sud des mines d’or de l’Abitibi et du Témiscamingue.

Le quadrilatère formé par les lignes longitudinales et latitudinales qu’indiquait M. Ranger ne renferme pas cependant tout l’Abitibi, qui s’étend bien plus au nord que le 49e degré de latitude, n’inclut qu’une toute petite partie du Témiscamingue québécois, lequel descend bien plus bas que le 48e degré de latitude.

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Le quadrilatère contient toutefois à peu près toute la région minière actuelle du Nord-Ouest québécois, la région actuelle seulement, car rien ne permet d’affirmer qu’il ne se découvrira pas de dépôts minéralisés au delà du 49e. Une mine, la Normetal, l’ancienne Abana, que l’on remet en exploitation, se trouve à peu près à cheval sur la ligne 49e. Quant à la région de Chibougamau, qui se trouve elle aussi au nord de l’Ontario, c’est-à-dire à l’ouest du 74e de longitude, sa latitude est à peine en deçà du 50e.

Quelques autres mines en production ont aussi la fantaisie de s’isoler pour ainsi dire, par exemple, dans le canton Duparquet, le mine du même nom et la Beattie, au 48e degré, 30 minutes, et à moins de vingt milles de la frontière ontarienne ; des concessions qui paraissent prometteuses mais n’en sont encore qu’au stade préliminaire de l’exploration, de la prospection, se trouvent dans les cantons pas mal septentrionaux de Dalquier, de Béarn et de Duverny, au nord de la ville d’Amos.

Mais la grande région minière du Nord-Ouest québécois, celle où se manifeste présentement le plus d’activité, là où se produit la course à l’or, où des villes surgissent du soir au matin, se situe en bordure de la ligne du 48e degré, 15 minutes. C’est la latitude de Rouyn et de Noranda, celle aussi de Kirkland Lake, en Ontario. À cette hauteur, les villes et les camps miniers se présentent comme en flèche, d’ouest en est, à travers les cantons de Beauchastel, de Rouyn, de Joannès, de Bousquet, de Cadillac, de Malartic, de Varsan, de Pascalis, de Tiblemont ; d’est en ouest, à travers les cantons immédiatement au sud de Vauquelin, de Louvicourt, de Bourlamaque, de Dubuisson et de Fournière.[1]

Au mois de décembre 1937, le chemin de fer Canadien National a inauguré la première partie de son embranchement Senneterre-Rouyn, la partie de Senneterre à Val d’Or. Le reste s’achève. Cet embranchement se soude à la voie principale qui relie, depuis 1912, l’Abitibi à Montréal et à Québec. La nouvelle ligne traverse la plupart des cantons que nous venons d’indiquer et passera à proximité des autres. Parallèlement au rail, il y aura une route carrossable dont la construction, entreprise par les deux bouts, progresse rapidement. La route est défrichée tout au long, sur un parcours de près de cent milles.

Du côté de Senneterre, quoique le gravier soit fraîchement posé et à peine nivelé, la route sert déjà à la circulation sur une distance de plus de soixante milles. C’est en bordure que s’établissent de façon convenable les villes d’O’Brien et de Malartic, de façon beaucoup moins convenable les invraisemblables villages que l’on affuble de noms stupides : le Petit Canada, Paris-Vallée, Paris-la-Nuit, Hollywood. Ce dernier, sur les bords du lac Lemoine et de la Rivière Piché, que certains s’obstinent à appeler rivière Thompson, a d’innombrables salles de danse, ouvertes du coucher au lever du soleil.

Cette même route Senneterre-Rouyn, quelque part dans le canton de Pascalis, près du littoral du lac Tiblemont, se bifurque. L’autre branche prend une direction franchement sud, traverse le canton de Louvicourt et se dirige sur Mont-Laurier. Les Abitibiens entretiennent l’espoir de pouvoir passer par là, dès l’automne de 1938, pour se rendre à Montréal. Le trajet sera d’environ 350 milles. Mais pour l’heure, il n’y a pas d’explorations minières ni de camps miniers de ce côté, si ce n’est dans le canton de Louvicourt. Plus au sud que Louvicourt, la région n’est pas encore cartographiée par le ministère des Terres et Forêts, aucun relevé géologique n’a même été fait. Une compagnie s’est fait autoriser à construire un chemin de fer entre Senneterre et Mont-Laurier. Le projet est-il sérieux ? Rien ne l’indique encore.

Les soixante et quelques milles de la route Senneterre-Rouyn, côté est, si cahoteux qu’ils soient, sont déjà soumis à un roulage intense. De chaque côté de la voie, à double rang parfois, cabanes en billes et tentes se succèdent. Des ingénieurs, des géologues sont à l’œuvre partout, explorant le terrain, dirigeant des équipes de terrassiers qui creusent des tranchées ici et là, au hasard des affleurements minéralisés. Une pauvre cabane peut ici loger un laboratoire de chimie dont l’installation a coûté fort cher alors que la cabane voisine, de même apparence extérieure, n’est qu’une boutique où se débitent le hot-dog et la canette de boisson gazeuse quand ça n’est pas la canette de bière — vendue à gros prix — ou encore le whisky de contrebande, qui ne se donne pas non plus.

Cette route, dont les littoraux se peuplent à vive allure, n’est pas la seule qui pénètre la région. De bien meilleures voies, parce que plus anciennes, viennent de quarante milles au nord d’Amos : l’une qui longe la rive droite de l’Harricana, touche le lac de Montigny, à la mine Sullivan et continue, en passant par Val d’Or jusqu’à la rivière Piché ; une deuxième suit l’autre rive de l’Harricana et ses élargissements, les lacs Lamotte et Malartic, se soude enfin, pas loin de la fameuse mine O’Brien et du petit lac Revillart, sur lequel l’on aménage déjà un aéroport, à la route Senneterre-Rouyn.

Le réseau de ces trois routes, les deux de l’Harricana et la route en construction Senneterre-Rouyn font en définitive ceinture autour du lac Montigny — Kienawisik, de son ancien nom algonquin — qui fut comme le berceau des explorations minières en Abitibi. C’est d’ailleurs dans son voisinage immédiat que se trouvent la mine Sullivan, les mines Lamaque et Sigma, d’autres mines encore et les villes de Bourlamaque et de Val d’Or.

  1. Le ministère des Mines de la province de Québec a publié une excellente carte de cette région.