L’Abitibi, pays de l’or/Chapitre 6

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Les Éditions du Zodiaque (p. 61-68).

Chapitre VI

Au CŒUR DU PAYS DE L’OR


La route mouvante de l’Harricana,
où sont passés les premiers prospecteurs
— La richesse aux sources des rivières


Le lac de Montigny, que les anciens Algonquins nommaient Kienawisik, baigne de ses eaux presque toujours clapotantes ou moutonnantes les cantons abitibiens de Varsan et de Dubuisson. C’est au cœur du pays minier qui vient de s’ouvrir au Nord-Ouest du Québec. Le lac semble même avoir été le berceau de l’industrie minière dans cette région québécoise et cela se comprend assez : le chemin mouvant de la rivière Harricana, qui passe à Amos, devenu facilement accessible après 1912, par suite de la construction du Transcontinental, y conduit directement. Le lac de Montigny et son parent, le lac Lemoine, deux vastes nappes d’eau, soit dit en passant, bien que les géographies scolaires n’en fassent pas mention, sont l’une des sources de l’Harricana, rivière qui coule vers le nord, tributaire de la baie James.

C’est en remontant l’Harricana, vers le sud, que beaucoup de prospecteurs, dès 1910 et 1911, alors que le Transcontinental n’était encore qu’en construction, pénétrèrent le pays. M. Maurice Bénard, l’actuel propriétaire de l’hôtel Transcontinental, dans la ville d’Amos, prospectait par exemple une partie du canton de Cadillac, vers 1911. Il s’y était rendu par la voie de l’Harricana. Dans le même temps, Hertel Authier, cousin de l’ancien député de l’Abitibi, M. Hector Authier, que le gouvernement Taschereau choisit tardivement pour le ministère de la Colonisation, piquetait la mine qui porte maintenant le nom de Sullivan, sur les bords mêmes du lac de Montigny ; à quelques milles au large, peu de temps après, Siscœ prenait possession de l’île qui porte son nom ; sur le littoral du lac, à peu de distance, les prospecteurs Paul Martin et Lapalme piquetaient le terrain qui appartient maintenant à la Shawkey Gold Mine.

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D’autres voies de pénétration du sud vers le nord, par les affluents septentrionaux de la rivière des Outaouais, étaient connues depuis bien plus longtemps. Ce furent celles des découvreurs et des premiers explorateurs, des missionnaires. D’Iberville, ses frères et leur troupe, en allant déloger les Anglais de la baie d’Hudson, en 1685, suivirent probablement la Kinojévis, qui prend sa source près de Villemontel, ou encore une autre voie, plus à l’ouest, la rivière Solitaire, maintenant célèbre pour ses colonies, et le grand lac Opasatika. M. James Sullivan, l’un des plus vieux prospecteurs de la région, celui qui ouvrit la mine Sullivan, et Horne, qui découvrit la propriété maintenant, exploitée par la compagnie Noranda, étaient rendus là-bas en 1908. Ils n’étaient pas les premiers cependant à examiner les terrains. Larose, un Canadien français, avait à peine découvert, en 1904, la mine célèbre à laquelle il donnait son nom, dans la région de Cobalt, Porcupine, Larder Lake et Kirkland Lake commençaient à peine d’être connus que des prospecteurs canadiens-français de Villemarie, capitale du Témiscamingue, notamment Olier et Renaud, faisaient des découvertes dans les cantons de Beauchastel et de Dasserat, pas loin de Rouyn. À cause des difficultés de communication, de la pauvreté des moyens de transport, cela n’eut pas de suite, pas plus que d’autres découvertes du temps, dans le voisinage du lac Fortune, près de la mine Arnfield d’aujourd’hui. Tout cela indique toutefois que les Canadiens français ne furent pas lents à se mettre à l’exploration du Nord-Ouest québécois. Ils furent de ceux qui connurent les anciennes routes du bassin de la rivière des Outaouais.

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Horne, en allant piqueter la Noranda, avait dû suivre la Kinojévis. En 1926, c’était encore par cette voie que la ville naissante de Rouyn — quelques centaines de cabanes en billes et de tentes — s’approvisionnait. J’en garde le souvenir, pour avoir fait le voyage à cette époque, d’Angliers jusqu’à Rouyn, en passant par le lac des Quinze, le Haut-Outaouais, le lac Expansé, encore l’Outaouais, la Kinojévis. Les pionniers du lac de Montigny, Martin, Lapalme, Authier et Sullivan, ensuite Dumont, qui piqueta la mine O’Brien, pour le compte du sénateur O’Brien, de Toronto, déjà intéressé dans des entreprises minières de l’Ontario, tous les autres pionniers du lac de Montigny passèrent par l’Harricana.

Il y a quelques années encore, c’était la seule route à suivre, celle que je prenais, au mois d’août 1934, en compagnie de M. Jean Beauchemin, l’un des réorganisateurs de la Sullivan, lors de ma première visite dans ces parages.

Le voyage, de près de cent milles, à cause des détours de la rivière, se faisait en canot automobile et prenait une bonne partie de la journée. La mine Siscœ, orgueilleuse insulaire, et la Sullivan étaient les deux seules alors en production de ce côté. Encore la Sullivan venait-elle à peine d’expédier à la Monnaie d’Ottawa sa première brique d’or. La mine n’était encore pénétrée que par un seul puits dont le chevalement dominait une pointe qui s’avance dans le lac en se donnant des mines — ce qui se comprend — de petit Gibraltar.

Au lac de Montigny, on apercevait, à cette époque lointaine de 1934, que deux autres chevalements, celui de la mine Siscœ, et modeste, perdu dans la grisaille des épinettes, celui de la mine Martin, devenue la Shawkey. En pleine forêt, en suivant sur une distance d’environ un mille un sentier mal battu, on pouvait découvrir la Greene-Stabell, aujourd’hui la Jacola. Son chevalement était imposant mais on ne le pouvait voir que de près. Tout autour, la forêt dense. De Sigma et de Lamaque, deux opulentes entreprises en 1937, il n’était même pas alors question.

Au cours de ce même voyage de 1934, nous nous étions rendus, interminable détour, par l’Harricana, le lac Blouin, la rivière Coulombière, jusqu’à la mine Beaufor, voisine de la mine Perron. La Beaufor était également lancée par les frères Beauchemin et quelques associés. De Sullivan à Beaufor, navigation de quatre ou cinq heures, par canot rapide. Aujourd’hui l’automobile couvre facilement la route de l’un à l’autre endroit, une vingtaine de milles, en moins d’une heure. La voiture ne roule pas sur du velours, comme de raison, mais assez allègrement tout de même. En pays neuf, on ne regarde pas de si près aux secousses, bien que l’on se plaigne généralement des chemins et des lenteurs administratives.

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En sortant du village de Sullivan (Saint-Bernard est le vocable patronymique de la paroisse), qui s’ébauche en marge du territoire de la mine, c’est tout de suite la Jacola, l’ancienne Greene-Stabell, en train de forer un puits nouveau ; moins d’un quart d’heure et c’est Val d’Or, magma en ébullition, et Bourlamaque, ville fermée et figée, qui étire ses rues larges, pavées de bon bitume, bordées de jolies maisons, où l’urbanisme dernier cri a su mettre partout des plates-bandes de fleurs et des pelouses bien peignées. Dans Val d’Or et dans Bourlamaque, comme autour des deux villes, des chevalements qui sont installés ou qui s’installent, partout du forage dans le roc vif. Quand ce ne sont pas des entreprises minières qui font vriller le roc, ce sont les administrations municipales et toutes neuves. Val d’Or achève présentement ses canalisations d’aqueduc et d’égout. Quant à Bourlamaque, c’est fait, du moins pour la partie habitée du territoire. Au delà de ces deux villes, vers l’est d’abord, le long de la route Senneterre-Rouyn, ensuite vers le nord, par un chemin de traverse qui conduit à la Perron et à la Beaufor, encore des chevalements et des chantiers de sondage. Quand les sondages de surface seront plus avancés, ça ne sera bientôt plus, dans tout le paysage, qu’une forêt de chevalements, véritable paysage minier.

Autour du lac de Montigny, sur ses bords mêmes, l’aspect a bien changé depuis trois ans. La route a fait se multiplier les chantiers miniers. Il en est d’établis sur toutes les îles du lac, l’île Dalton, l’île Kiena, l’île Wisik et d’autres encore. L’île de Siscœ est en train de devenir presqu’île. Le résidu de son usine achève de remplir un étroit du lac, sur une distance d’un mille, formant un isthme qui reliera bientôt l’île à la terre ferme. Sullivan, qui était isolée sur son littoral, est maintenant entourée de tout un chapelet de camps miniers : Dorval-Siscœ, Siscœ-Extension, Gale, Shawkey, West-Siscœ, etc., etc.

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Le lac de Montigny est l’une des entrées du pays de l’or et l’Harricana, l’une des voies qui y conduisent. La route carrossable n’est survenue que comme un complément. Il semble que ce soit une loi de la nature que l’or et les autres représentations de la richesse se trouvent aux sources des rivières. Selon la Bible, c’est dans le pays d’Ophir que la tradition et les vieux textes situent aux sources du Nil, que le roi Salomon, la reine de Saba et les Pharaons allaient chercher l’or, l’ivoire, les pierreries. En Abitibi pareillement, l’or se trouve à la source des eaux laurentiennes et hudsoniennes, dans le vaste bassin qui s’alimente au muskeg servant de manteau humide au vieux roc précambrien.