L’Aigle et la Colombe

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Traduction par Gérard de Nerval.
Garnier frères (p. 323-324).


L’AIGLE ET LA COLOMBE


Un jeune aigle avait pris son vol pour chercher sa proie ; la flèche d’un chasseur l’atteint et lui coupe le tendon de l’aile droite. Il tombe dans un bois de myrtes, où, pendant trois jours, il dévore sa douleur ; où, pendant trois longues nuits, il s’abandonne à la souffrance. Enfin, le baume universel le soulage, le baume de la bienfaisante nature : il se glisse hors du bois, et agite ses ailes… Hélas ! c’en est fait ! le tendon est coupé ! à peine peut-il raser la surface de la terre pour chasser une vile proie ; profondément affligé, il va se poser sur une humble pierre, au bord d’un ruisseau ; il lève ses regards vers le chêne, vers le ciel, et puis une larme a mouillé son œil superbe.

Voilà que deux colombes qui folâtraient parmi les myrtes viennent s’abattre près de lui ; elles errent en sautillant sur le sable doré, traversent côte à côte le ruisseau, et leur œil rouge, qui se promène au hasard autour d’elles se fixe enfin sur l’oiseau affligé. Le mâle, à qui cette vue inspire un intérêt mêlé de curiosité, presse son essor vers le bosquet le plus voisin, et regarde l’aigle avec un air de complaisance et d’amitié :

« Tu es triste ! ami, reprends courage : n’as-tu pas autour de toi tout ce qu’il faut pour un bonheur tranquille ? Des rameaux d’or te protégent contre les feux du jour ; tu peux, sur la tendre mousse qui borde le ruisseau, exposer ta poitrine aux rayons du couchant. Tu promèneras tes pas parmi les fleurs couvertes d’une fraîche rosée ; ce bois t’offrira une nourriture délicate et abondante, ce ruisseau pur apaisera ta soif… Ô mon ami ! le vrai bonheur est dans la modération, et la modération trouve partout ce qu’il lui faut. — Ô sage ! s’écria l’aigle en retombant sur lui-même avec une douleur plus sombre ; ô sagesse ! tu parles bien comme une colombe ! »