L’Alliance autrichienne (Traité de 1756)/01

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L’Alliance autrichienne (Traité de 1756)
Revue des Deux Mondes4e période, tome 124 (p. 721-755).
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ÉTUDES DIPLOMATIQUES

L’ALLIANCE AUTRICHIENNE
(TRAITÉ DE 1756)

I.
KAUNITZ A PARIS

« Si jamais événement, dit un document ministériel du dernier siècle, eut des droits à l’étonnement public, c’est celui de l’union du roi et de l’impératrice-reine conclue en 1756. »

Effectivement la surprise fut extrême quand on apprit en Europe qu’une alliance intime allait être substituée à la rivalité séculaire des cours de France et d’Autriche. Mais ce qui est aussi singulier que le parut le fait lui-même, c’est qu’il y a peu d’années l’étonnement durait encore, et la postérité ne pouvait pas, mieux que les contemporains, s’expliquer les causes véritables de cette grande et soudaine révolution politique.

C’est la remarque que j’avais été amené à faire, il y aura tout à l’heure vingt-cinq ans, lorsque je fis part au public, dans ce recueil même, des particularités curieuses que j’avais eu le bonheur de découvrir sur la diplomatie secrète entretenue par Louis XV, à l’insu de ses ministres, pendant la plus grande partie de son règne. Dans ce récit, qui ne touchait qu’indirectement à l’histoire générale, je rencontrai pourtant le traité de 1756 et ne pouvais manquer de lui faire une place. J’exprimai alors le regret de ne trouver, sur un fait d’une telle importance qui fut suivi de conséquences si graves, que des renseignemens très incomplets, la plupart appuyés sur des anecdotes suspectes. Comment se fait-il, disais-je, que nous en soyons encore aux commérages rapportés par le littérateur Duclos et aux récits intéressés du grand Frédéric, deux documens, pour des raisons diverses, aussi peu dignes de foi l’un que l’autre ? Il en est, pouvais-je ajouter, de la politique des gouvernemens comme de la conduite privée des particuliers : quand on ne nous donne aucun motif d’une résolution qui surprend, nous supposons naturellement que c’est qu’il n’y en a eu ni de sérieux ni d’avouables. Un accusé qui se tait prononce sa propre condamnation. C’était bien le cas de Louis XV et de ses ministres, qui furent vivement attaqués pour leur nouveau système, d’abord par beaucoup de leurs propres agens (restés fidèles à l’ancienne tradition), puis par une nuée d’écrivains à la dévotion et à la solde du roi de Prusse et qui n’ont jamais répondu par un mot d’éclaircissement à l’adresse d’un public quelconque. Dès lors il était généralement admis que le traité de 1736 et l’alliance autrichienne étaient la faute capitale de ce triste règne et l’origine des malheurs qui en ont assombri la fin. C’est beaucoup si on n’y voyait pas même une cause suffisante pour expliquer la chute de la royauté. Une légende tout aussi accréditée imputait le tort principal à Mme de Pompadour, séduite, disait-on, par les caresses de Vienne et blessée par les sarcasmes de Berlin. Il demeurait entendu que l’affaire avait été entamée directement par une lettre de Marie-Thérèse à la maîtresse de Louis XV où elle assurait sa chère amie de son estime et de son amitié. C’étaient les termes consacrés et répétés avec tant d’ensemble par tous les narrateurs, qu’on eût dit vraiment que l’autographe en avait été vu quelque part. Puis tout avait été réglé en quelques heures, dans une maison de plaisance qui portait le nom singulièrement expressif de Babiole, par une entrevue secrète avec l’ambassadeur d’Autriche, où n’avait été admis en tiers qu’un prélat bel esprit, auteur de poésies galantes et médiocres, qui ne pouvait pardonner au roi de Prusse de s’être moqué de ses vers. Il n’en avait pas fallu davantage pour faire oublier au petit-fils d’Henri IV et de Louis XIV toutes les leçons politiques de ses illustres aïeux, et lancer notre patrie dans une sanglante et désastreuse aventure. Rien de plus triste pour l’histoire de l’ancienne France, mais rien de mieux fait pour fournir matière soit à des contes grivois, soit à des déclamations révolutionnaires. De là, sur la fatale influence des faiblesses royales et des intrigues de cour, un concert d’abord d’épigrammes, puis de tirades démocratiques, enfin d’imprécations populaires suivant jusqu’au pied de l’échafaud la princesse infortunée dont le seul crime fut, étant née fille d’Autriche, d’être montée sur le trône de France.

Je suis, je crois, le premier qui ait osé, et encore avec quelque timidité, émettre le soupçon que ce jugement était peut-être précipité et tirer, même des maigres documens que nous possédions alors, des conclusions un peu différentes du sentiment général. Je n’ai pas, assurément, la prétention que ce soit à ces doutes, modestement exprimés, et à cet appel fait à un supplément d’instruction que, des deux côtés du Rhin, à la fois, on se soit empressé de répondre. Toujours est-il que des deux parts, de France et d’Allemagne, une abondance de lumières nous est arrivée qui ne laisse aujourd’hui plus rien à désirer. De notre ministère des Affaires étrangères, bien que maintenant devenu très hospitalier, nous ne pouvions guère rien attendre, la négociation qui précéda le traité ayant été suivie à huis clos, en dehors des voies régulières, et n’ayant laissé à peu près aucune trace dans les archives. Mais, dans le silence des pièces officielles, un témoignage plus important s’est fait entendre : c’est celui du premier confident de cette transaction secrète. Les souvenirs de Bernis, laissés dans l’ombre pendant plus d’un siècle par un scrupule exagéré de ses héritiers, ont enfin vu le jour et ont été livrés au public, suivis de curieux complémens que M. F. Masson a recueillis avec le soin intelligent qui caractérise tous ses travaux. Puis M. d’Arneth, pour mener à fin sa belle histoire de Marie-Thérèse, a puisé avec une libéralité discrète dans le trésor des archives impériales confié à sa direction, et, grâce à cette facilité confiante qui est propre aux talens sûrs d’eux-mêmes, il permet qu’on glane encore après lui quelques épis sur le champ où il a passé. Enfin, les éditeurs de la correspondance politique de Frédéric II nous ont livré sur la conduite et les sentimens de leur souverain, — à ce moment critique de sa vie et en face d’une alliance qu’il jugea tout de suite comme une menace à son adresse, — tous les renseignemens qui étaient en leur possession, et ils ont fait en cela preuve d’une générosité d’autant plus louable qu’elle permet de prendre en faute sur plus d’un point la véracité du royal historien. L’obscurité n’existe donc plus nulle part et tous les points de l’horizon sont éclaircis. Une seule chose reste à faire : c’est de rassembler et de comparer ces documens encore épars pour acquérir, de l’ensemble de l’événement lui-même, une complète connaissance. Il reste aussi à distinguer, dans la part que fut appelée à y prendre chacune des puissances intéressées, ce qu’il faut attribuer soit à la nécessité de leur situation, soit aux dispositions personnelles, je dirais volontiers, au tempérament et à l’humeur de tous ceux qui ont agi ou parlé en leur nom, souverains, hommes d’État ou favoris, Louis XV, Marie-Thérèse, Frédéric, Kaunitz, Bernis ou Pompadour. C’est une recherche qui peut mettre en lumière des incidens ignorés dont la connaissance aura son prix pour les lecteurs curieux. Je ne me dissimule pourtant pas qu’avec le mystère tout le charme de l’inconnu, tout l’agrément des fictions anecdotiques ou romanesques courent risque de disparaître, pour faire place, devant la lumière de la vérité, à la sèche analyse des intérêts et à la peinture des passions ordinaires de l’humanité.


I

Un fait résultera d’une façon définitive, suivant moi, du rapprochement et de la comparaison des documens nouveaux (soit publics, soit inédits), et devra rester acquis à l’histoire, c’est que la déviation imprimée par le traité de 1750 au cours qu’avait jusque-là suivi la politique française, ne fut pas l’œuvre d’un coup de tête enlevé par surprise, ou d’une intrigue menée dans l’ombre ; ce fut l’effet inévitable d’une altération survenue dans les conditions d’existence et d’équilibre de la société européenne, amenant entre les États des rapports nouveaux, et dont la nécessité, tardivement reconnue, ne fut acceptée qu’à regret par ceux qui se virent forcés de la subir.

C’est ce qu’a déjà fait pressentir, je crois, l’exposé que j’ai présenté ici même, et dont quelques lecteurs peuvent se souvenir, des relations des divers États pendant la guerre de la succession d’Autriche qui a précédé de si peu d’années le traité de 1756. C’est ce qui ressort en particulier du tableau que j’ai essayé de tracer de la situation dans laquelle la paix d’Aix-la-Chapelle, qui termina ce long conflit, laissait les puissances belligérantes. À cette guerre-là l’histoire peut faire tous les reproches, excepté de s’être écartée des traditions de la politique française. Jamais imitation du passé n’avait été plus fidèle, on pourrait même dire plus aveugle. Le but primitivement proposé et même un instant atteint et qui consistait à enlever à la maison d’Autriche avec la dignité impériale la suprématie sur l’Allemagne, n’était autre chose que la répétition des vues déjà poursuivies à plusieurs reprises par tous les souverains de France depuis François Ier.

C’était donc, si on ose ainsi parler, la guerre classique par excellence. Aussi l’Europe s’était-elle trouvée tout de suite divisée en deux camps, suivant une ligne de démarcation exactement calquée sur celle qui l’avait partagée dans les luttes précédentes : d’un côté, la France appuyée sur les puissances germaniques secondaires dont l’indépendance avait été placée sous sa garantie par le traité de Westphalie ; l’Autriche, de l’autre, secondée par l’Angleterre et par la Hollande. mêmes combattans et souvent mêmes champs de bataille. Villars et Marlborough eussent été rappelés sur la terre qu’ils auraient reconnu et pu reprendre toutes leurs positions. Qu’était-il résulté cependant de cette répétition d’un drame, tant de fois joué, avec des dénouemens divers ? De stériles combats aboutissant à une paix qui ne contentait personne. Aucun des signataires du traité n’était parti satisfait de son partage : ni la France qui ne tirait aucun fruit de ses victoires ; ni l’Angleterre forcée de restituer des conquêtes coloniales dont la possession momentanée avait excité sa convoitise sans la satisfaire ; ni l’Autriche que la dignité impériale reconquise ne consolait pas d’une mutilation soufferte dans sa propre chair ; ni même le premier auteur de la guerre, le roi de Prusse, le ravisseur de la Silésie, qui ne trouvait pas qu’une reconnaissance, péniblement obtenue et froidement donnée, suffit pour assurer entre ses mains la possession du fruit de son attentat. Mais ce qui était encore plus digne de remarque, c’est que, tous se croyant lésés, aucun ne s’en prenait ni à la mauvaise fortune, ni à la supériorité de son adversaire, mais bien à la défaillance et à l’infidélité de ses propres amis. C’était, entre alliés de la veille, un échange de récriminations amères, dont aucune n’était sans fondement. Si Louis reprochait à Frédéric de l’avoir deux fois abandonné en pleine campagne sans prendre souci de le prévenir, Frédéric pouvait répondre que, l’armée française manquant au rendez-vous donné en Allemagne, il avait dû penser à lui-même. Si Marie-Thérèse gémissait d’avoir eu à payer tous les frais de la guerre par le démembrement de ses plus belles provinces d’Allemagne et d’Italie : Pourquoi, pouvait repartir l’Angleterre, m’en avoir laissé porter tout le poids ? Pourquoi étais-je seule à Dettingen, à Fontenoy, pour défendre votre territoire, avec mes soldats ou avec les auxiliaires payés par mes subsides ?

Quand on en est là, entre compagnons d’armes, le lendemain de la bataille ; quand des griefs qui se répètent chaque jour sont des deux parts également motivés, c’est un indice certain que, ni sentimens ni intérêts ne s’accordant plus, l’alliance a fait son temps et que les anneaux usés sont prêts à se rompre. Or ce n’est pas seulement dans les affections de la vie privée que la lassitude d’une ancienne liaison qui a trop duré fait naître la pensée et inspire l’attrait de chercher une liaison nouvelle.

C’est bien là, en effet, le sentiment qu’exprimait déjà sans détour, à Aix-la-Chapelle, l’envoyé de Marie-Thérèse offrant au plénipotentiaire français de remplacer, dans l’amitié de sa maîtresse, l’Angleterre qui avait trompé sa confiance. C’est aussi celui dont Frédéric faisait confidence au ministre anglais dans un entretien que j’ai rapporté et où il se déclarait pressé de rompre le lien qui le rattachait encore à la France, pour se rapprocher de la nation de foi protestante et de sang germanique vers laquelle le portaient naturellement la communauté de la religion et l’affinité de la race. Une double évolution était donc commencée sur deux lignes qui se croisaient, et le moment pouvait déjà être prévu où, Vienne se rapprochant de Versailles en même temps que Berlin de Londres, un échange complet de situation serait opéré entre amis et ennemis d’hier. C’est ce mouvement dont la paix de 1748 a marqué le point de départ et dont le traité de 1756 fixera le point d’arrivée. Entre ces deux dates huit années s’écoulent pendant lesquelles, toutes les puissances d’Europe étant condamnées à un repos momentané par l’épuisement de leurs forces et la lassitude des populations, leurs rapports ne donnent lieu à aucun événement important dont le souvenir mérite d’être conservé. Un tableau détaillé de ces jours de trêve, plutôt que de paix, offrirait donc peu d’intérêt, et imposerait à l’écrivain une tâche aussi ingrate pour lui que pour son lecteur. Un petit nombre de faits seulement peut être mis utilement en lumière pour suivre, pendant cette période de transition, le travail préparatoire qui se poursuit dans les esprits, et rendre ainsi la transformation de la dernière heure aussi naturelle pour l’histoire qu’elle a paru surprenante aux spectateurs.

En tout cas, si le changement de l’ancien système fédératif de l’Europe mit quelque temps à s’accomplir, ce ne fut pas la faute de l’Autriche. Dès le lendemain de la paix conclue, Marie-Thérèse était à l’œuvre. Le 7 mars 1749, un rescrit de sa propre main était adressé aux grands dignitaires de sa cour qu’on appelait les ministres de la conférence, auxquels elle ne s’adressait que dans des cas extrêmes. L’impératrice leur enjoignait de lui remettre une note par écrit, touchant le système qu’il convenait d’adopter à l’égard de la France, en raison des conditions de la paix et en vue des troubles qui pourraient s’élever par la suite[1]. Elle ne donnait à chacun que quinze jours pour lui faire réponse. C’était beaucoup presser de graves personnages dont la plupart étaient hors d’âge, quelques-uns tout à fait incapables, et presque tous tenus par elle-même habituellement à l’écart des affaires. Aussi, n’ayant pas le temps de se mettre en frais d’invention, ou ne se souciant pas d’en prendre la peine, ils trouvèrent plus simple de déclarer, d’une voix à peu près unanime, qu’en fait de système ils n’en connaissaient qu’un seul, l’ancien, celui qui consistait à tenir la France pour une ennemie irréconciliable et à lui faire face avec l’appui des puissances maritimes et au besoin de la Russie, alliées naturelles de l’Autriche dont un intérêt commun garantissait la fidélité.

Le mémoire qui se prononça le plus nettement pour cette stricte observation des traditions passées portait la signature de l’empereur lui-même, répondant à son rang et à son tour comme membre de la conférence à l’interrogation officielle de son épouse. Gardons-nous d’oublier, disait, sur un ton d’amère récrimination, l’ancien vassal du roi de France (toujours surpris de se trouver son égal, et heureux de pouvoir le braver), combien de fois nous avons été trompés par cette cour dont les caresses sont encore plus dangereuses que les armes. L’Angleterre et la Hollande, voilà les vraies amies : on ne saurait trop les ménager, et il faut se prêter de bonne grâce à tout ce que peut exiger d’elles la forme particulière de leur gouvernement. — Ces paroles renfermaient-elles sous une forme adoucie un regret et même un reproche indirects ? François avait été plus d’une fois le témoin muet des audiences orageuses où des agens anglais étaient venus s’acquitter auprès de l’impératrice de commissions ingrates : avait-il trouvé sans le dire que l’accueil qui leur était réservé manquait de douceur et d’aménité ?

Quoi qu’il en soit, le concert était complet en faveur de l’immobilité et de la routine. Une seule note s’éleva en désaccord : ce fut le plus jeune des conseillers qui la fit entendre. Le comte de Kaunitz, à peine de retour d’Aix-la-Chapelle, était admis pour la première fois aux honneurs de la conférence. Le mémoire qu’il fit remettre à l’impératrice formait un volume d’une étendue presque double de celle des cinq autres réunis. C’était un traité doctrinal rédigé dans le style verbeux de la chancellerie aulique. M. d’Arneth a su en dégager un résumé substantiel plein de sens et de perspicacité politiques.

Toutes les puissances d’Europe passées en revue sont rangées en deux catégories, les alliées et les ennemies de l’Autriche. Trois figurent en tête de la première : l’Angleterre, la Hollande et la Russie. Deux seulement auraient mérité naguère encore d’être placées au premier rang de la seconde : la France et la Porte. Une troisième s’est élevée, plus dangereuse et plus difficile à atteindre que toutes les autres : c’est la Prusse, installée sur le sol même du domaine héréditaire des archiducs, pouvant apparaître à tout moment sur une frontière restée béante, et n’ayant qu’à étendre le bras pour frapper au cœur ce qui reste de l’ancienne puissance autrichienne. Cet ennemi-là est le seul auquel il faille désormais songer, parce qu’il y va du salut même de la maison impériale à pouvoir l’écarter à temps de la position menaçante qu’il a prise : et, comme le spoliateur le sait et le comprend lui-même, comme il s’attend que tôt ou tard un effort sera fait pour le chasser, il est probable qu’il ne voudra pas se laisser devancer. L’hostilité de ce côté est donc irréconciliable et peut éclater à toute heure.

Contre cet ennemi implacable, continue Kaunitz, l’Autriche n’a malheureusement rien à espérer de ses anciens alliés. Sans doute, entre le roi d’Angleterre et son neveu existe toujours une antipathie réciproque, mais la nation elle-même ne s’associe point à ce dissentiment domestique ; elle ne partage pas les rancunes du souverain et moins encore sa prédilection pour sa principauté allemande. Détesté à la cour, le roi de Prusse est bien vu du peuple et de la Cité. L’Angleterre, au fond, n’est plus occupée que d’étendre sa puissance coloniale et maritime et devient indifférente aux luttes du continent, surtout au régime intérieur de l’Empire et de l’Allemagne. On a bien vu ce qu’on peut espérer d’elle, désormais, par sa précipitation à conclure une paix tout à son profit, sans souci des sacrifices qu’elle imposait à son alliée. Même jugement à porter sur la Hollande que l’Angleterre traîne à sa suite, toujours agitée d’ailleurs par des troubles civils, et dont les finances épuisées n’ont pu soutenir jusqu’au bout la dernière épreuve. On pourrait espérer mieux de la Russie, si la politique de cette cour, au lieu d’être dirigée en vue d’intérêts réels, ne dépendait pas du caprice à tout moment variable d’une volonté personnelle.

Il est donc également impossible, conclut l’impitoyable logicien, et de trouver un appui dans l’ancien système fédératif, et de tenter sans alliance une entreprise à la fois aussi périlleuse et aussi nécessaire que la reprise de la Silésie. Ne pouvant compter sur aucun ami, c’est un ennemi qu’il faut détacher. Le seul auquel on pût penser, il n’était pas besoin de le nommer. Ce n’est pourtant qu’après beaucoup de précautions oratoires, et avec le sentiment de tous les préjugés qu’il doit vaincre, que Kaunitz se décide enfin à prononcer le nom de la France. Il ne conteste ni n’atténue aucun des griefs anciens et nouveaux dont tout Autrichien a le droit de garder le ressentiment, et moins que tout autre la dernière et mortelle injure, l’odieux manque de foi qui a menacé le pouvoir naissant de l’impératrice. C’était une perfidie sans exemple dans l’histoire. Mais Fleury sur son lit de mort en a témoigné son repentir, et on assure qu’il n’est plus un homme d’État français qui ne parle de ce méfait avec une juste réprobation. Quant aux prétentions de domination arrogante affectées par Louis XIV, ni l’état intérieur de la France, dont les ressources sont bien affaiblies, ni l’humeur de son souverain ne donnent lieu d’en craindre le retour. Louis XV ne ressemble pas à son aïeul : il fuit le travail ; sa maîtresse le gouverne, son ministère est incapable ; toute son ambition, dans la dernière négociation, s’est bornée à réclamer pour l’infant, son gendre, un établissement princier. C’est encore là le point sensible par lequel on peut le séduire. Son intimité avec le roi de Prusse n’est plus qu’apparente : car à l’épreuve elle lui a fait défaut au moment où elle lui était le plus nécessaire. De ce tableau dont les couleurs sont justes et dont les traits n’ont rien de forcé, Kaunitz fait dériver cette conséquence rigoureuse que, la Prusse étant le seul ennemi à combattre, la rentrée en possession de la Silésie le seul but à poursuivre, l’appui de la France le seul qu’on puisse espérer, c’est à se ménager, pour le jour de cette grande entreprise, le concours ou au moins la connivence du seul auxiliaire possible que doit tendre tout l’effort de la politique impériale[2].

Un raisonnement si serré et de si longues considérations n’étaient pas nécessaires pour convaincre l’impératrice, et je serais même étonné qu’elle n’eût pas été convertie d’avance. Aussi, sans s’arrêter à la surprise peinte sur le visage de ses conseillers, ni aux objections assez timides qui lui furent présentées, elle entra tout de suite, avec l’impétuosité féminine, dans l’exécution d’un plan qui, flattant ses ressentimens et ravivant ses espérances, lus promettait à la fois la vengeance et la réparation de ses injures.

Dès que les relations diplomatiques avec la France furent rétablies, tandis qu’elle faisait attendre plusieurs mois une audience au nouveau ministre anglais, elle ouvrait la porte toute grande à un envoyé français d’assez médiocre condition, le chargé d’affaires Blondel, qui venait simplement prendre langue pour préparer l’arrivée d’un ambassadeur ; et à peine lui eut-elle laissé achever le compliment insignifiant qu’il avait préparé : — « Le roi, dit-elle vivement, doit être content de moi et comprendre le prix que j’attache à la paix par les sacrifices que j’ai faits pour la rétablir ; j’espère qu’elle sera durable, et c’est d’autant plus à croire que ma situation ne doit plus maintenant exciter la jalousie de personne. On a dû, ajouta-t-elle, vous donner des préjugés contre moi, et la trace doit s’en trouver dans vos instructions. Ouvrez les yeux et regardez, et si quelque chose dans notre conduite vous semble équivoque, venez nous en demander l’éclaircissement. » — Puis elle lui annonça qu’elle avait choisi pour l’ambassade de Paris le comte de Kaunitz, son meilleur serviteur, celui qui avait toute sa confiance, dont elle aurait le plus de peine à se passer ; mais elle espérait qu’on se souviendrait de l’inclination pour la France qu’il avait témoignée à Aix-la-Chapelle. Enfin, les jours suivans, elle fit indirectement savoir qu’elle aurait demandé au roi de France d’être parrain de l’enfant dont elle attendait la naissance, n’était qu’elle n’avait jamais pu faire d’offre pareille au roi d’Angleterre.

Blondel, simple commis, ne s’attendant pas à être admis si tôt dans une confiance venue de si haut, en fut complètement ébloui. « Le système politique que j’envisage de cette cour, n’hésita-t-il pas à écrire, me paraît uniquement viser à se concilier l’amitié, la confiance et l’appui du roi, pour tous les projets qu’on voudrait faire à l’avenir : soit pour reconquérir la Silésie, soit pour se dédommager un jour sur le roi de Sardaigne… On laisse assez apercevoir qu’on sent ici qu’on ne peut rien effectuer d’avantageux sans le concours de Sa Majesté et qu’on ne peut faire fond sur ses propres alliés que pour les cas extrêmes, et pour ne pas être écrasé ; maison ne les regarde pas, par la forme de leurs gouvernemens, par leur force et leur position, comme parties capables d’entrer dans un pacte offensif. » — Ainsi mis pleinement sous le charme, son attitude devint bientôt si déférente et les caresses dont il était l’objet si remarquées, qu’averti par son ministre à Vienne, Frédéric écrivait à Paris : « Est-ce donc un Autrichien dont vous avez fait choix pour l’envoyer auprès de l’impératrice[3] ?

Le ministère français fut lui-même assez disposé à croire que Blondel n’avait pas su garder son sang-froid devant les bonnes grâces royales, et qu’un ambassadeur, plus accoutumé à traiter avec des grandeurs, serait moins accessible à de telles séductions. Aussi fit-il choix d’un seigneur de haute qualité, le marquis d’Hautefort, dont le ministre de Prusse, Chambrier, dépeignait ainsi le caractère : « Le marquis est vain de sa noblesse, il est à espérer qu’il ne se laissera pas subjuguer par la cour de Vienne, à l’exemple de Blondel, parce que les caresses et les distinctions qui ont pu séduire ce dernier ne seront regardées par lui que comme des choses dues à sa naissance et à sa position. »

Si l’illusion était à craindre, la précaution pour s’en préserver ne fut pas suffisante. Hautefort arriva bien sur ses gardes et mis en défiance contre la crédulité de Blondel ; mais l’accueil qu’on lui fit fut tel qu’on peu de jours il se laissa convaincre que les bons sentimens dont on lui prodiguait l’assurance ne pouvaient être que sincères. Cette fois le couple royal tout entier se mit de la partie et ce fut l’empereur qui commença. La leçon lui avait été probablement faite d’avance, car il ne resta plus trace dans son langage des méfiances dont il avait consigné Tanière expression dans son mémoire. « Tenons-nous bien unis, dit-il à l’ambassadeur, contre ceux qui ne songent qu’à nous diviser pour en profiter. Tous les ministres vous tiendront le même langage, et quant à l’impératrice, j’en réponds comme de moi-même ; » et il ajouta, écrit d’Hautefort à Louis XV, « qu’ayant lieu de craindre qu’on ne mît sa bonne foi en doute, il était ravi que je fusse ici, pour me convaincre par mes propres yeux et me mettre à portée de rendre fidèlement compte à Votre Majesté : qu’il me parlait avec la candeur et la probité d’un bon bourgeois, que le titre qu’il estimait le plus de tous ceux qu’il pouvait avoir, était celui d’honnête homme. Enfin il me recommanda, si j’étais embarrassé de quelque chose, de m’adresser toujours à lui. »

Marie-Thérèse, parlant à son tour, crut devoir, elle aussi, répondre de la sincérité de son époux, et cette caution (pour le dire en passant) avait peut-être plus de valeur que l’autre. « Fiez-vous à l’empereur, dit-elle, il n’y a pas de plus honnête homme que lui : plus vous le connaîtrez, plus vous en serez convaincu : c’est un bon et honnête gentilhomme plein de candeur, et la bonne foi dont il est ne laisse pas que d’être une chose rare chez les princes. Je sais qu’il y a, à ma cour même, des ministres étrangers qui ne cessent de se déchaîner contre moi, de tenir les propos les plus durs et les plus dénués de vérité. On croit que je ne songe qu’à la Silésie. Je puis vous jurer que je n’y pense en aucune façon à présent. Je ne dis pas que je ne la regrette pas. Je ne dis pas que, si la suite des temps amenait des circonstances favorables, je ne penserais peut-être pas à la ravoir : mais je répète que je n’y pense pas dans le moment présent. »

Puis elle engagea aussi l’ambassadeur à s’adresser toujours à elle, et, s’il craignait de se faire remarquer par de trop fréquentes audiences, elle lui indiqua le moyen de faire arriver ses communications par un autre intermédiaire que son chancelier d’État, le comte Uhlfeld, brave homme plein de probité, mais qui avait le ton brusque, l’oreille dure et quelquefois le langage peu clair[4].

Hautefort fut étonné lui-même, mais charmé de ce ton d’intimité. « J’ose, disait-il au ministre, vous prier de faire attention que l’impératrice se jette, pour ainsi dire, à la tête de Sa Majesté. Elle est femme, pleine d’esprit et de sentiment. Vous êtes plus capable que moi de comprendre le danger qu’il y a de la rebuter jusqu’à un certain point et de l’attacher par là plus étroitement à l’Angleterre. »

Hautefort avait raison de croire que, si l’impératrice, repoussée par la France, se retournait vers l’Angleterre, elle y trouverait un bon accueil, car à Londres on ne tarda pas à être avisé de l’attitude qu’elle prenait et de l’urgence de faire un effort sérieux pour l’empêcher de s’avancer davantage dans la voie qui l’éloignait de ses anciens amis. Ce fut le ministre anglais Keith qui, pouvant mettre chaque jour en contraste le froid accueil qui lui était fait et les politesses dont son collègue de France était comblé, donna assez tristement l’alarme. Le pauvre diplomate exprimait, dans une lettre confidentielle, l’embarras qu’il éprouvait entre l’empereur et l’impératrice, qui, au fond, on le voyait bien, n’étaient pas d’accord, mais dont il n’eût pas été prudent de paraître remarquer la dissidence. « L’empereur, disait-il, est un excellent homme, mais il n’a pas tout le poids qu’il devrait avoir, et comme il le sent, il ne se soucie pas de rien prendre sur lui, car bien que l’impératrice se fâche, si on pouvait faire quoi que ce soit qui ait l’air de négliger l’empereur, elle se montre pourtant jalouse, si on a l’air de lui faire trop la cour, de sorte qu’entre ces deux extrêmes, il est difficile de toucher juste. Quant à l’impératrice, elle a certainement de grandes qualités, mais ses ministres en l’environnant, en tenant tout le monde à distance, ont, au dire de ceux qui la connaissent personnellement, changé son humeur qui est devenue très susceptible avec une légère teinte de maussaderie (with a little mixture of peevishness). »

Cette altération d’humeur que Keith se plaisait à attribuer à des causes générales pour ne pas convenir qu’il fût seul à en souffrir, dut être visible à Londres même, quand, au lieu d’un ministre autrichien qui était resté pendant toute la guerre en intimité avec le cabinet britannique, un nouvel envoyé arriva, le comte de Richecour, porteur d’instructions qui lui ordonnaient, au contraire, de maintenir avec soin une ligne d’extrême réserve. On lui recommandait d’éviter tout ce qui pourrait conduire, directement ou indirectement, à une rupture de la paix, de ne donner ombrage à personne, « afin de convaincre la maison de Bourbon de ses sentimens pacifiques… d’être très attentif à persuader à la France, par tous les moyens combinables avec la bonne foi due aux alliés et à notre dignité, qu’on ne garde aucune rancune du passé. »

Il ne semble pas que Londres fût naturellement le théâtre à choisir pour engager un agent autrichien à ménager la susceptibilité et même à rechercher la bienveillance de la France[5].

Rien ne pouvait moins convenir au roi George qu’un relâchement trop visible de l’ancienne alliance qui l’unissait à l’Autriche, car rien n’était plus propre à faire éclater le désaccord que Kaunitz avait si justement signalé entre le souverain et la nation britanniques : l’un attaché avec une obstination sénile à ses vieilles habitudes, à ses prédilections et à ses inimitiés de jeunesse, l’autre de plus en plus fatiguée de donner son sang et son argent pour des querelles de famille royale et de voisinage allemand. Ce dissentiment se prononçait chaque jour davantage et l’effet en était sensible même dans le sein du ministère, où des deux frères collègues, l’un, l’aîné, le duc de Newcastle, s’associait à toutes les passions du roi, tandis que le cadet, Pelham, chargé de traiter avec le Parlement, partageait les hésitations et les répugnances populaires. Si l’alliance autrichienne, déjà contestée au dedans, venait à manquer par le dehors, c’en était fait des préférences de la politique royale. Aussi le parti fut-il pris de tout faire pour calmer l’humeur irritable de l’impératrice. Elle réclamait la somme (très forte pour le temps) de cent mille livres sterling, comme solde des subsides qui lui étaient dus pendant la guerre. Bien que rien ne justifiât cette prétention, on se décida à demander la subvention au Parlement, qui fit de grandes difficultés pour l’accorder. La princesse reçut la nouvelle de cette largesse avec une bonne grâce un peu hautaine et même railleuse. « Ce n’est pas tant l’argent qui me touche, dit-elle au ministre Keith, que la preuve d’amitié du roi et l’espérance que nous voilà remis sur un tel pied que je n’ai plus à l’avenir à craindre d’être encore grondée. Après tout, je suis sa plus vieille amie, et je mérite d’être traitée avec autant de confiance que les nouveaux. » Keith répondit assez spirituellement qu’il ne savait trop de quels nouveaux amis elle entendait parler, mais qu’il se félicitait de voir qu’elle était jalouse parce que la jalousie était une preuve d’affection. — « Je suis jalouse, en effet, répondit-elle, et je ne le nie pas, mais je suis une femme, et c’est à moi d’attendre qu’on fasse les avances[6]. »

Toujours désireux de la fléchir, George crut avoir trouvé un moyen tout à fait sûr d’y réussir en faisant vibrer la corde la plus sensible de son cœur maternel. Il proposa de faire décerner par la Diète au jeune archiduc Joseph, qui n’avait pas encore achevé sa huitième année, le titre de roi des Romains, qui lui assurerait la succession à la dignité impériale, et il se posa même si hautement en champion de cette candidature que, non seulement il en fit l’objet d’une proposition formelle aux principales cours d’Europe et d’Allemagne, mais qu’il la mentionna déjà comme en passe d’être réalisée, dans un de ses discours officiellement adressés au Parlement : puis il vint lui-même en personne à Hanovre pour préparer l’exécution de son dessein.

L’effet ne fut pas complètement celui qu’il attendait. D’abord l’empereur fut au fond médiocrement flatté de la proposition. Peu de gens aiment, en santé et dans la force de l’âge, à entendre parler de leur mort et disserter sur leur succession. Puis il savait combien son origine étrangère nuisait à son autorité ; il n’était pas pressé de voir grandir un héritier qui aurait sur lui l’avantage de sa qualité d’Allemand et du sang de Habsbourg coulant dans ses veines. Quant à l’impératrice, elle répondit sèchement « qu’elle était assurément reconnaissante d’un dessein qui ne pouvait que fortifier son influence et celle de ses alliés dans l’Empire, mais que, dans les dispositions du collège électoral, le succès était douteux, à moins qu’il ne fallût le payer par des concessions qui pourraient avilir la dignité impériale et imposer de nouveaux sacrifices à son auguste maison. » Elle pressentait qu’on lui proposerait d’acheter la voix des électeurs récalcitrans par des largesses pécuniaires, ou même des cessions territoriales, et elle voyait reparaître les exigences qui deux fois déjà, à Worms et à Breslau, lui avaient coûté quelques-uns des plus beaux fleurons de sa couronne. D’avance elle disait : « Si je demande, on me demandera, et je n’ai plus rien à donner. »

Elle ne se trompait pas ! George eut beau lui assurer que de petites complaisances sans importance suffiraient pour assurer toutes les voix au futur roi des Romains, quand il fallut énumérer ces légères faveurs, le compte se trouva difficile à régler. Ce fut d’abord la participation à un nouveau traité avec l’électeur de Bavière, lui assurant un subside annuel de quatorze mille livres sterling dont l’Autriche dut consentir à payer le quart. Puis vint l’électeur palatin avec ses réclamations déjà présentées à Aix-la-Chapelle (dont le traité précipitamment conclu n’avait pas tenu compte) qui n’allaient à rien de moins qu’à la cession d’un district considérable ; plus une indemnité pour les pertes qu’il avait supportées pendant la guerre et qu’il évaluait à deux millions de livres. Marie-Thérèse se refusa nettement à cette double prétention qu’elle rejeta avec indignation. L’idée de venir après coup rouvrir les comptes de la guerre pour indemniser un de ses ennemis, lui parut, et non sans motif, insupportable. Mais le roi d’Angleterre, compromis par la publicité qu’il avait donnée à un projet mis en avant sous son patronage, et obligé de tout tenter pour le faire réussir, dut prendre parti pour la demande du Palatin, tout en convenant qu’elle était exagérée et en promettant de la faire réduire. Cette insistance acheva d’irriter l’impératrice et donna lieu, entre elle et un délégué spécial envoyé de Londres pour la circonstance, à des scènes très vives qui rappelaient celles dont la conclusion de la paix avait été l’occasion. Ainsi un dessein, formé pour réchauffer l’affection par la reconnaissance, aboutit à faire naître entre les deux souverains un nouveau sujet d’aigreur et de ressentiment[7].

Mais ce qui fut plus remarquable encore et plus inattendu, c’est que ce dessein manqué, qui réussissait si mal à ramener Marie-Thérèse du côté de celui qui l’avait formé, fut au contraire pour elle une occasion nouvelle de rechercher la confiance de l’ambassadeur de France. Il avait bien fallu entretenir la France du projet d’élection auquel son opposition formelle aurait pu créer un obstacle difficile à vaincre. Mais toutes les fois qu’elle fut amenée à toucher ce sujet avec Hautefort, la princesse, au lieu de se montrer pressée d’assurer la grandeur de son fils, ne sembla songer qu’à faire part de ses griefs et parade de sa modération : « Croiriez-vous, lui dit-elle à plusieurs reprises et avec une insistance passionnée, que c’est l’Angleterre qui m’a embarquée dans cette entreprise sans m’en prévenir » ; et voyant quelque marque d’incrédulité sur le visage de son interlocuteur, « Non, vous ne le croirez pas, parce que cela n’est pas croyable : pourtant les choses se sont bien passées comme je vous le dis. Mais jamais, ajoutait-elle, je n’achèterai ce que je puis attendre, le pis aller est de rester comme nous sommes ! où est le mal ? » — Et ses ministres, témoins de son irritation, ne croyaient pas en devoir faire plus qu’elle mystère à l’ambassadeur. L’Angleterre, disait à Hautefort le froid et solennel Uhlfeld lui-même sortant d’un entretien avec l’envoyé anglais, n’a pas le droit de nous parler de si haut : c’est elle qui a tout entrepris de son chef, nous ne lui avons rien demandé sur cet objet. Elle n’est pas sans vues (en le poursuivant), mais il n’est pas juste qu’elle les remplisse à nos dépens. Et cela m’a fait venir dix fois dans la tête le vers que vous connaissez :

Et qui vous a chargé du soin de ma famille ?

« Le comte Uhlfeld, ajoute Hautefort, prononça ces mots avec une sorte d’émotion et se tut. »

Une fois les rapports mis sur ce pied de familiarité, ce fut presque chaque jour entre l’ambassadeur et les personnes royales des scènes qui donnaient lieu à de véritables épanchemens de confiance. Averti qu’à Berlin on accusait l’Autriche de faire des préparatifs pour une guerre prochaine : « Cela n’est pas vrai, » s’écriait l’empereur (car on mettait volontiers l’honnête gentilhomme en avant quand il y avait lieu de craindre qu’une parole féminine parût trop passionnée). Je ne veux pas la guerre, et on ne me la fera pas faire, car on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif. C’est le roi de Prusse qui, par ses soupçons continuels, veut donner prétexte à une nouvelle guerre pour mettre encore une fois, pendant qu’on sera occupé ailleurs, la patte sur nous. Mais s’il nous attaque, je sacrifierai tout, femme et enfans, et tout ce que j’ai de plus cher, et nous laisserons plutôt les Turcs arriver à Vienne que de lui céder. On me dit qu’on ne veut pas me croire chez vous, et on a tort. Je sais que Blondel est mal vu et qu’on cherche à le perdre parce qu’il a bien parlé de nous. Et qui sait ? peut-être va-t-il vous en arriver autant si vous rendez justice à la vérité[8] ! »

Hautefort, en effet, étonné lui-même de pousser si loin l’intimité, ne tarda pas à s’apercevoir qu’à Paris on commençait à le soupçonner de se laisser à son tour enjôler par de bonnes paroles. Il se justifia sur le ton d’un homme qui, se sentant en présence d’une vérité dénuée de vraisemblance, croit de son devoir et de son honneur de tout faire pour l’attester. — « Si l’on me trompe ici, écrivait-il, il faut avouer que jamais tromperie n’a été cachée sous plus d’apparence de vérité, sans que je puisse, quelque réflexion que j’y fasse, en deviner ni le motif ni la nécessité. Et puis, quand même Leurs Majestés Impériales ne désireraient dans le fond de leur cœur ni la confiance ni l’amitié du roi, serait-il de leur prudence de chercher de gaîté de cœur à se l’aliéner à jamais ?… N’imaginez pas qu’il y ait de prévention de ma part, je n’attribue rien à ma personne de toutes les attentions flatteuses qu’on peut avoir pour moi. Je sais, de reste, qu’elles ne se rapportent qu’au roi. Je ne suis venu ici que dans l’espérance de le bien servir, je serais fort affligé d’en partir après n’avoir été qu’une dupe : il est sûr que cela me touche de plus près, je crains de l’être plus que vous ne pouvez le craindre. Essayez donc vous-même d’un peu d’ouverture et vous verrez que pour un pas que vous ferez, on en fera deux. »

Puis, voyant que, malgré ses efforts, il ne réussissait pas à dissiper toutes les préventions, il ajoutait avec un peu de dépit : « Quand j’ai hasardé quelques-unes de mes réflexions, ce n’a jamais été par une sorte de confiance dans mes lumières, étant fort éloigné d’être susceptible d’un tel ridicule, ni sur un ton de décision… j’ai peine à imaginer même qu’elles pussent être prises dans ce sens-là. Cependant, pour éviter que cela n’arrive à l’avenir, je me renfermerai dans la plus grande exactitude à vous rendre compte et d’ailleurs dans le silence le plus complet[9]. »

Les appréciations d’Hautefort auraient peut-être obtenu plus de créance auprès du ministère français, si elles n’eussent été combattues par un contradicteur qui parlait trop haut pour n’être pas écouté et qui mettait à donner des avertissemens tout opposés une activité et une insistance sans relâche. Ce n’était autre que le roi de Prusse qui, par l’intermédiaire de son ministre à Paris, aussi bien que par ses conversations à Berlin et ses correspondances, ne cessait de représenter Marie-Thérèse comme uniquement occupée, sous cette apparence de bénignité pacifique, à préparer sa revanche, en nouant des intrigues dans l’ombre et en ressuscitant sous main la vieille coalition des ennemis de la France et de la Prusse. Il donnait ce signal d’alarme à toute heure et à propos de tout, avec une sorte d’agitation fébrile, d’autant plus remarquable que le contraste était plus complet avec l’état d’esprit dont il avait fait preuve pendant les dernières années de la guerre. Lui qui s’était montré si calme dans ce moment critique, affectant d’être indifférent à tout le bruit qui se faisait autour de lui, laissant les Russes passer à sa porte et pénétrer dans le cœur de l’Allemagne sans même en prendre souci, saisi maintenant d’un trouble inattendu, il semblait ne plus rêver que pièges tendus et complots formés pour sa perte. Il ne fallait peut-être pas chercher bien loin l’explication de ce brusque changement d’humeur. Tant que durait la guerre, les puissances qui y étaient engagées, tenues en échec, affaiblies et paralysées l’une par l’autre, le laissaient jouir en repos de la neutralité prudente qu’il avait su se ménager. Occupée à défendre les Pays-Bas, l’Autriche n’avait pas le loisir de songer à la Silésie, et c’était sur les champs de bataille de Flandre, non d’Allemagne, qu’elle appelait à son aide ses alliés anglais ou russes. Il y avait ainsi, au sud de l’Europe, comme une de ces plaies ouvertes qui, attirant toutes les humeurs aigries d’un corps malade, laissent intactes et saines celles que l’inflammation n’atteint pas. La paix avait fermé ce dérivatif. Marie-Thérèse, libre de toute préoccupation, pouvait s’abandonner à ses ressentimens, et le possesseur de la Silésie comprenait, tout aussi bien que s’il avait fait lecture de la consultation de Kaunitz, où était placé l’unique objet qu’elle allait désormais poursuivre. Si le feu se rallumait, il serait donc le premier ennemi à combattre et les premiers coups s’échangeraient à sa porte ou sur son territoire. Mais en regardant autour de lui, il ne trouvait nulle part ses frontières assurées, ni celle de Pologne où une armée russe pouvait apparaître presque sans coup férir ; ni celle de Saxe, dont le débile souverain lui portait une haine craintive ; ni celle du Hanovre, tant que son oncle l’électeur-roi, sourd aux vœux de ses sujets britanniques, continuait à le poursuivre d’une animosité mesquine. Que Vienne, Londres, Dresde et Saint-Pétersbourg viennent un jour à s’entendre sans que la France soit à temps ou en humeur d’intervenir, il peut se trouver enfermé tout seul dans un cercle de feu.

L’essentiel est donc de ne laisser la France ni s’éloigner ni s’endormir, de la tenir, pour ce cas de surprise, toujours prête et en éveil. Ainsi cette alliance française qu’il traitait naguère de si haut et dont il a su se dégager plus d’une fois avec une aisance si cavalière, dont il nourrit toujours (on l’a vu) le désir et le dessein de s’affranchir, il se rappelle qu’elle subsiste encore, au moins sur le papier et par habitude, et qu’il garde dans sa main un bout de cette chaîne qu’il a lui-même si souvent dénouée. C’est la France qu’il entretient des griefs imaginaires ou réels dont il s’effraie ou du moins fait mine de s’émouvoir ; c’est à la France qu’il signale tous les nuages qu’il croit apercevoir dans le ciel du Nord. Un jour, c’est cette élection du roi des Romains dont Marie-Thérèse ne feint de se désintéresser que pour mieux cacher son jeu et qu’elle compte enlever par surprise, au moyen d’une majorité achetée d’avance et en violation des libertés germaniques dont la garantie a été confiée à la France. Le lendemain, c’est l’adhésion de l’Angleterre à un traité défensif qui, depuis quelques années, liait l’Autriche à la Russie, mais dont il affirme qu’une clause secrète vient d’être particulièrement dirigée contre lui : et en échange la Russie a obtenu la permission de menacer l’indépendance de la Suède au moment où le mari d’une princesse prussienne est appelé à monter sur le trône de cette nation si fidèle amie de la France. Si Marie-Thérèse cherche à se mettre en bons rapports avec l’Espagne et veut se réconcilier avec le Piémont, c’est pour préparer contre la France, en vue d’un conflit nouveau, l’hostilité des deux péninsules ; et en même temps elle mène une intrigue en Pologne pour assurer, à la mort d’Auguste III, le trône électif à son beau-frère Charles de Lorraine. Contre ces dangers dont il grossit à plaisir la gravité et l’imminence, il réclame, c’est trop peu dire, il exige, l’intervention active et militante de la France. Il faut que la France fasse entendre à Londres une parole menaçante ; il faut qu’elle renouvelle et accroisse ses subventions aux petits princes allemands pour les enrôler plus que jamais dans une ligue contre l’ambition autrichienne ; il faut que son ambassadeur à Constantinople décide le Grand Turc à tenir une armée toute prête pour prendre à revers l’Autriche et l’attaquer sur ses derrières. Et comme la France ne s’exécute pas assez vite ni assez complètement à son gré, ce sont des plaintes quotidiennes qui prennent l’allure d’injonctions impératives ; c’est ce ton de hauteur sarcastique, ce sont ces coups de langue et ces expressions mordantes qui rendent tout entretien pénible avec lui et dont il convient lui-même qu’il a pris et ne peut plus refréner l’habitude. Les termes les plus doux dont il se serve pour qualifier la manière, trop lente à son gré, dont on répond aux inquiétudes qu’il se plaît à faire naître sont ceux de mollesse, d’indolence, d’assoupissement : « Par la grande indolence, s’écrie-t-il, avec laquelle la France envisage à présent toutes les affaires d’Europe, on oserait dire que cette partie du monde changerait trois fois de suite avant qu’elle en fût instruite… On ne conçoit pas comment des personnes aussi éclairées peuvent tenir une conduite aussi pitoyable… C’est à faire renoncer à s’embarquer à jamais avec cette couronne dans une affaire d’aucune espèce… Mais il est inutile de leur en parler, car ils sont trop suffisans et trop prévenus de leurs lumières pour être capables de correction. »

Puis il n’épargne rien, critique et plaisante surtout, sur le désarroi des finances françaises, sur les démêlés du roi avec l’Église et les Parlemens, les robins, la prétraille et la mitraille, le dénûment et le mauvais état des troupes ; et afin que Louis XV n’ignore rien de ce qu’il pense de lui, de son mode de vivre et de gouverner, ce sont ses ambassadeurs qu’il prend à partie pour les cribler de ses railleries : « Je fus prévenu, dit Valori, prenant congé à la fin de sa laborieuse mission, qu’il voulait me tourmenter et émouvoir ma bête. Le tout roula sur des faits de guerre qui regardaient particulièrement la nation française. Préparé comme j’étais, je pus me tirer d’affaire. » Ses successeurs ne sont pas mieux traités : — « Les entretiens avec ce prince, dit l’un d’eux[10], sont un orage continuel. » À un autre[11], le jour même où il lui remettait ses lettres de créance : « Vos troupes sont-elles toujours, lui dit-il brusquement, comme je les ai vues à Strasbourg, vêtues d’habits rapiécés ? — Je lui dis, répond assez prestement le Français, que cela arrivait quelquefois à la fin des campagnes, mais que nos soldats trouvaient souvent le moyen de changer leurs habits contre ceux de nos ennemis, comme avait fait récemment le régiment de Navarre à Raucoux après avoir battu les Bavarois. J’ai cru devoir faire cesser par cette réponse une conversation que le roi de Prusse, quelquefois avantageux, aurait pu pousser plus loin. »

Ainsi le contraste est complet. De Vienne n’arrivent à Versailles que des paroles de paix et des offres d’amitié qui, pour l’heure présente, n’exigent rien en retour, ni efforts ni sacrifices : toutes les précautions sont prises pour ménager aussi bien l’amour-propre du souverain que son humeur nonchalante et la lassitude de la nation, qui, en ce moment, ne songe qu’au repos. De Berlin, au contraire, ce sont des conseils hautains et rogues donnés avec l’air de supériorité écrasante d’un censeur qui morigène, puis des exigences auxquelles on ne peut suffire que par une activité et une vigilance sans relâche et un état d’agitation qui ne laisse pas un instant respirer. Tandis que Marie-Thérèse flatte et prie, Frédéric raille, gourmande et commande. S’il ne s’agissait que de l’agrément des relations entre souverains, la comparaison serait bientôt faite. Mais, comme des deux parts on se livre à de violentes récriminations et que tout annonce une lutte prochaine, il est impossible d’agréer à la fois les avances de l’une et de répondre aux réclamations de l’autre. Il faut choisir, et c’est sur ce choix, qui peut à tout moment devenir nécessaire, que l’accord est loin de s’établir et dans le sein du conseil de Louis XV et moins encore entre ses ministres et le personnel de cour qui forme l’entourage royal.

Dans le ministère et ce qui lui tient par une attache officielle, c’est toujours l’influence de Frédéric qui prévaut, ou plutôt son autorité qui fait loi. Non qu’on ne le trouve un compagnon peu sûr et peu commode : non qu’on ne se plaigne de son humeur [12] irritable, ni qu’on partage toutes ses inquiétudes imaginaires : non qu’on ne garde et même, au besoin, on ne rappelle le souvenir de ses infidélités passées. — « Votre maître, dit Puisieulx au ministre de Prusse, veut toujours nous mettre en avant, pour agir après cela en ce qui lui conviendra ; il mène ses affaires comme il a voulu : qu’il trouve bon que nous fassions les nôtres comme nous le croyons le mieux pour nos intérêts. Ne pourrait-il donc pas dire à ses ministres dans toutes les cours de ne pas marquer une inquiétude pour lui-même qui ne paraît pas digne d’un si grand prince ? »

Parfois même la patience échappe. Le nouveau ministre de France à Berlin, ennuyé de ses demandes d’assistance continuelles, s’écrie : « Eh bien ! oui, nous vous soutiendrons ; mais si vous nous lâchez encore, mordieu ! vous serez écrasé. » Mais après ces témoignages de mauvaise humeur qui ôtent tout mérite aux démarches qu’on va faire, on n’en fait pas moins, de mauvaise grâce et en murmurant, ce qu’il demande. On se fait l’organe à Londres et à Vienne de griefs auxquels on laisse voir qu’on n’attache pas soi-même une foi complète. On évite surtout avec affectation tout ce qui aurait l’air d’entretenir à un degré quelconque une entente avec Marie-Thérèse, sujet sur lequel on le sait particulièrement susceptible. Bref, son caractère fait peur. C’est une maîtresse jalouse qu’on n’aime plus, mais dont on craint les éclats. — « Quel homme ! dit le maréchal de Saxe revenant d’une visite à Berlin où on l’a pourtant comblé d’honneurs. J’ai plus peur de lui en tête à tête que de son cousin Cumberland à la tête de cent mille hommes. » Puis, pour faire un pas loin de lui et vers l’Autriche, il faudrait s’aventurer sur un terrain inconnu, peut-être semé de pièges, dont on ne saurait se garder qu’avec cette hardiesse clairvoyante qui est le propre du génie. Or le génie n’est pas le cas de Puisieulx, qui a la conscience de sa propre médiocrité ; et quand Puisieulx doit se retirer, le successeur qu’on lui donne, Saint-Contest, plus inconnu encore que lui, n’apporte au poste où il le remplace aucune supériorité de talens ni de lumières[13].

Mais si par habitude, par crainte plutôt que par goût, par une sorte de vitesse acquise, la direction de la politique officielle obéit encore à l’impulsion de la Prusse, un état d’esprit tout différent règne dans un monde à la fois indocile et bruyant qui remplit les antichambres de Versailles et pénètre dans les cabinets secrets, — seigneurs, abbés et dames de cour, généraux que la paix laisse désœuvrés, diplomates en quête ou en attente d’emploi, financiers appelés pour venir en aide aux besoins de l’État, — tout un peuple de spectateurs et de critiques auquel la faiblesse du roi et l’esprit frondeur du temps ont laissé prendre l’habitude déjuger la politique et d’en parler tout haut. Là une opinion s’est formée et se répand chaque jour davantage : c’est que le roi de Prusse, ayant été seul à tirer profit de la dernière guerre, ne l’a vu terminer qu’avec regret, et ne songe, par ses plaintes constantes, qu’à la faire renaître, dans l’espoir d’y trouver une seconde fois le même avantage. On ajoute qu’il veut faire accepter de nouveau à la France un métier de dupe, celui de servir d’instrument désintéressé à son insatiable ambition. Le sentiment est si général qu’il se produit dans le conseil même, quand l’occasion se présente (et elle revient souvent) de répondre à quelque demande pressante de Frédéric. « C’est le roi de Prusse qui souffle le feu, » dit le vieux maréchal de Noailles en sortant d’une séance de ce genre, et le propos est aussitôt répété chez le jeune dauphin, qui reçoit par l’intermédiaire de la princesse sa femme toutes les inspirations de la cour de Dresde, et chez Mme de Pompadour, que le seul mot de guerre épouvante.

Puis on fait causer le chargé d’affaires Blondel, qui revient, racontant à qui veut l’entendre sur le ton de l’enthousiasme les paroles flatteuses de Marie-Thérèse, vantant son charme, sa bonne grâce, l’honnête droiture de l’empereur, en un mot, dit une correspondance du temps, la gueule complètement enfarinée. L’humeur contre le roi de Prusse devient alors si générale que son ministre Chambrier, qui en reçoit les échos de plusieurs côtés, malgré sa réserve habituelle et sa crainte d’offenser son maître, prend sur lui de l’en avertir : « Les ennemis de Votre Majesté, lui dit-il, font ce qu’ils peuvent pour rendre Votre Majesté non seulement suspecte à la France, mais très dangereuse pour elle. Ils l’attaquent du côté du cœur et du caractère ; ils se récrient non seulement sur l’ambition démesurée qu’ils attribuent à Votre Majesté, mais ils disent que Votre Majesté croit en savoir plus qu’eux tous, et qu’ils ont été sa dupe dans la guerre qui vient de finir… On ajoute que la France s’est trompée d’avoir cru qu’elle pouvait supporter et encore moins favoriser l’agrandissement de Votre Majesté, qu’il doit suffire que Votre Majesté ait arraché à la cour de Vienne une plume comme la Silésie, mais qu’il ne faut pas qu’Elle ville plus loin… Je ne suis pas assez téméraire, ajoute le prudent diplomate, pour croire qu’avec un maître aussi éclairé que Votre Majesté, je puisse dire quelque chose que Votre Majesté ne pense pas infiniment mieux que moi ; mais j’estime que, dans la position dans laquelle Votre Majesté se trouve, Elle ne peut rien faire de mieux que de voir tranquillement venir les choses, et tâcher d’éviter qu’on puisse attribuer à Votre Majesté qu’elle est inquiète et qu’elle brûle d’impatience que la guerre recommence[14]. »


II

C’est dans cet état de division des esprits, au milieu de ces rumeurs qui se croisent et de ces propos qui s’échangent, où les noms de Frédéric et de Marie-Thérèse sont sans cesse mêlés et leurs mérites mis en balance, qu’arrive à Versailles l’envoyé que Blondel présente comme le confident et le favori de l’impératrice, celui qu’elle a chargé de substituer une nouvelle amitié à de vieilles haines et de faire la conquête de la cour de France. Kaunitz a été précédé à Paris par tout le bien qu’ont dit de son habileté et de la sûreté de son commerce Maurice de Saxe, qui l’a connu à Bruxelles, et les commissaires qui ont vécu avec lui à Aix-la-Chapelle. Tout lui promet un accueil favorable, et la première impression que produit sa présence répond à l’attente générale.

Frédéric a fait en deux traits le portrait de ce célèbre personnage, dont la carrière a été pendant tant d’années mêlée à la sienne : — « Il était, dit-il, aussi frivole dans ses goûts que profond dans les affaires. » Mais il aurait dû ajouter que, pour ce que l’envoyé de Marie-Thérèse avait à faire à Versailles ce jour-là, la frivolité pouvait lui servir presque autant que la profondeur. On sait, en effet, les mauvaises plaisanteries qu’on faisait volontiers en France, et surtout à la cour, sur la raideur et la lourdeur germaniques. Ce ne fut donc pas sans surprise qu’on vit, dans le nouvel ambassadeur impérial, un Allemand à qui personne en France n’avait rien à apprendre ni pour la grâce exquise des manières, ni pour la recherche et même le raffinement de l’élégance. Rien ne manquait à Kaunitz sous ce rapport, pas même ces avantages extérieurs auxquels aucune éducation ne supplée. Une taille élevée et un port plein d’aisance et de noblesse, des traits réguliers, un regard animé et fin, et, bien qu’il fût déjà dans sa quarantième année, toute la vivacité de la jeunesse : c’était là un ensemble d’agrémens qui prévenait tout de suite en sa faveur. On ne pouvait lui reprocher que de trop laisser voir qu’il en avait lui-même le sentiment et de chercher à en accroître l’effet par une affectation de toilette, seule faute de goût qui trahît son origine étrangère. — « M. de Kaunitz, dit d’Argenson, se rend ridicule par son amour pour sa figure, qu’il prétend encore plus belle qu’elle n’est ; il lui faut quatre miroirs pour s’habiller ; sa perruque n’est pas frisée, mais en lacets d’amour[15]. » Ce léger travers, dont un censeur solitaire pouvait lui faire un crime, ne paraissait pas trop déplacé dans la compagnie de ces petits-maîtres (c’est l’expression dont se sert le même d’Argenson) que Mme de Pompadour réunissait autour du roi pour le distraire des ennuis de la grandeur.

Ce fut dans ce cercle intime, dont un extérieur plus grave l’aurait peut-être tenu à distance, que Kaunitz eut la bonne fortune de se faire accueillir. Mais en même temps, par sa manière de traiter les affaires avec une franchise aimable, il faisait tomber les préventions des ministres. Il leur glissait avec art quelques insinuations discrètes sur les torts du roi de Prusse, mais sans insister de manière à les mettre dans l’embarras de lui répondre. Sa maison, dont la tenue était brillante sans être fastueuse, s’ouvrait largement même aux visiteurs qui ne fréquentaient pas la cour, principalement aux financiers dont le crédit était devenu si grand. Il ne négligeait pas non plus de se mettre en rapport avec les gens de lettres, ceux qu’on appelait déjà les philosophes, laissant discrètement entendre que, quoique représentant d’une puissance catholique, il n’était pas dépourvu de liberté d’esprit, et que sa souveraine, malgré sa piété, savait (ce qui était vrai) dans ses rapports, soit avec la cour de Rome, soit avec l’épiscopat autrichien, tenir tête aux empiétemens des influences sacerdotales. Bref, il en vint rapidement à se concilier dans toutes les classes une véritable popularité[16].

C’est dans sa correspondance privée adressée au secrétaire du cabinet, Koch, et destinée à passer sous les yeux de l’impératrice, qu’on aperçoit tout l’art qu’il sut déployer à la fois sur la scène et dans les coulisses. On y reconnaît également les principales qualités de ce rare esprit politique, un jugement perspicace porté sur le caractère des hommes et les mobiles qui les font agir, et, dans la poursuite d’un grand dessein, une persistance d’autant plus méritoire qu’il ne se fait aucune illusion sur les difficultés qu’il rencontre.

« Mes premières audiences du roi et de la famille royale, écrit-il, ont été fort bien. Le roi m’a parlé avec beaucoup de bonté, et avec un air de connaissance et de familiarité qui a étonné tout le monde et, naturellement, à mesure qu’il s’accoutume plus à me voir, il est plus à son aise avec moi. Il n’y a sorte de questions qu’il ne m’ait faites, sur Leurs Majestés et leur auguste famille, toutes les plus petites particularités de notre cour et de la ville de Vienne. Hier, entre autres, et mercredi dernier, il m’a fait l’honneur, à son grand couvert, de s’entretenir avec moi tout seul et d’une façon si suivie que je n’ai pas pu trouver le moyen de m’en aller de tout le repas qui a été fort long. Quant à M. de Puisieulx, j’ai rencontré en lui ce que je comptais y trouver, une belle âme, beaucoup de-noblesse, de douceur et de vérité dans le caractère. Je tâche de me mettre sur un pied de cordialité avec lui. Mon projet est de traiter les affaires vis-à-vis de lui, sur ce pied ; je ne puis pas vous répondre si je réussirai. J’ai été avec lui à la grande chasse de Saint-Hubert, à cheval et en voiture. Mille propos différens à cette occasion ont avancé notre connaissance. Ce n’était pas le moment de parler, d’affaires, et d’ailleurs j’ai été bien aise de différer et de me borner à sonder le gué. Mon intention était d’abord, en venant ici, à Fontainebleau, de n’y rester que cinq ou six jours et de m’en retourner à Paris pour mettre ordre à mes affaires domestiques, mais comme je fais ma cour au roi en restant, je compte demeurer ici jusqu’à son départ. Je ne puis que me louer ici, en général, des politesses de tout le monde, et il est fort heureux que j’aie débuté. La cour y est assemblée et j’ai eu, au moyen de cela, l’avantage de faire en peu de jours plus de connaissances que je n’en aurais fait en six mois à Versailles… Je suis déjà, dit-il quelques mois après, avec M. de Puisieulx sur un assez bon pied de cordialité et de franchise, mais comme il me croit plus habile que je ne suis, et que d’ailleurs il s’aperçoit que je ne suis pas homme à me laisser payer de paroles, il ne laisse pas d’être un peu embarrassé vis-à-vis de moi, entre le désir de ne point manquer à ce ton de cordialité, et la crainte que je ne l’entraîne au-delà de ce qu’il peut et doit aller. J’espère cependant que je le mettrai successivement toujours plus à l’aise, et j’aurai toujours grand soin de tenir un juste milieu et de ne rien précipiter. Le reste dépend du temps et des événemens. Je me rappelle souvent le dicton de Philippe II, qu’il faut aspirer au parfait, mais savoir en même temps se contenter du bon… Sa Majesté l’empereur s’est conduit divinement vis-à-vis de M. de Hautefort : j’en suis comblé, parce que je m’aperçois déjà que l’on commence ici à revenir de l’idée de sa haine personnelle contre le roi, et que, comme on ne peut pas prévoir tous les événemens de ce monde, il n’y a rien de plus dangereux selon nous que les préventions que les grands princes ont ou croient avoir les uns contre les autres… Nous perdons M. de Puisieulx (dit-il quand la retraite de ce ministre paraît décidée). Je suis très fâché de ce changement, je traitais des affaires avec lui d’une façon fort agréable et j’avais fait quelques progrès dans sa confiance, c’est à recommencer avec le nouveau ministre : on ne peut pas savoir à quel point nous nous conviendrons, au moins est-il certain que cette familiarité qui fait tout l’agrément du commerce entre les hommes ne pourra pas y être dès l’abord… »

Et quelques jours après, il juge en ces termes le successeur avec qui il a eu le temps de faire connaissance : « Le style de M. de Saint-Contest est beaucoup plus laconique que ne l’était celui de M. de Puisieulx. C’est un homme qui n’a pas cette dose de confiance en lui-même qui est nécessaire à l’homme sage vis-à-vis de lui-même et qui a toujours peur de se commettre. » Enfin il résume ainsi son jugement sur l’état qu’il a sous les yeux : « À mesure que j’e vois de plus près cette cour et le gouvernement interne de cette monarchie, j’y découvre plus de défectuosités. C’est une charrue assez mal attelée, et la plupart des choses s’y font par intrigue et par cabale. Nous avons de quoi nous consoler de ce que les choses ne vont pas mieux. »

Voilà pour ce qui regarde les dépositaires officiels du pouvoir. Mais il sait bien que là n’est pas toute l’influence, qu’on peut la chercher et, en la ménageant bien, utilement l’exploiter ailleurs. Mme de Pompadour ne vient-elle pas d’être appelée, comme autrefois Mme de Maintenon, en tiers dans les entretiens du roi avec le ministre chargé des affaires étrangères ? « Dès la première audience je n’ai point oublié, dit-il, d’avoir des attentions pour Mme de Pompadour. Je sais que le roi m’en a su gré et qu’elle y a été sensible. » Peu de temps s’écoule, et il a déjà vu la maîtresse royale d’assez près pour porter sur elle un jugement plein de finesse. C’est une bourgeoise, elle n’a point d’appuis naturels à la cour où sa famille n’est pas reçue, ni à l’armée où elle ne compte pas de parens : elle est menacée à tout instant par les caprices du roi, ou par les accès de dévotion qui le reprennent assez souvent et la jettent dans de cruelles alarmes, bien que jusqu’ici elle en ait été quitte pour la peur. Ce sont là des conditions favorables et dont on peut profiter. « Il serait très fâcheux, dit-il, que le roi eût pour maîtresse une femme de condition, parce qu’elle serait obligée de s’en tenir au ministère de la guerre pour faire la fortune de ses parens, n’en ayant point d’autres pour les gens de condition dans ce pays-ci, que dans le militaire ; sa connexion avec ce ministre augmenterait nécessairement son crédit ; et comme un ministre de la guerre ne joue jamais un plus beau rôle qu’en temps de guerre, son crédit serait dangereux. Tant que Mme de Pompadour sera en place, je ne crains ni M. d’Argenson, ni aucun des gens de ce parti… Si Mme de Pompadour, dit-il encore, se mêlait des affaires, j’ai lieu de croire qu’elle ne me rendrait pas de mauvais services, elle a beaucoup de bonté et de confiance en moi. À Compiègne j’ai eu occasion, par l’état de ma maison que j’y ai tenue, de faire des politesses aux principaux courtisans qui sont de ses amis et de la coterie du roi. Je sais que ce prince y a été sensible, et que plusieurs de ces messieurs sont de mes amis : on m’a même fait entendre, mais que cela reste entre nous, je vous prie, que, s’il était possible de mettre un ambassadeur de la coterie du roi, j’en serais, mais cela ne se peut pas. Bref, je ne sais pas comment cela s’est fait, mais il est vrai que le roi et Mme de Pompadour et ceux qui l’environnent ont beaucoup de bonté pour moi. Tout cela ne fait rien assurément au fond des affaires, mais ces sortes d’affections personnelles ne gâtent rien cependant et peuvent être de grande conséquence dans les occasions. »

Vient enfin une offre de parrainage (l’occasion en revenait souvent) que l’impératrice s’est enfin décidée à faire à Louis XV, sans plus songer cette fois au dépit que peut en avoir le roi d’Angleterre. « Le roi, dit Kaunitz, a été très sensible à cette marque d’amitié de Leurs Majestés Impériales ; j’ose dire même qu’il est entré de la tendresse dans la façon dont il l’a témoigné, à moi d’abord, et ensuite à ses courtisans par lesquels tout cela m’est revenu. J’ai eu occasion de causer aussi fort longtemps dans la même matinée avec Mme la marquise de Pompadour, et je lui ai dit beaucoup de choses que je suis bien aise qu’elle redise au roi. Elle m’a assuré que le roi, non seulement aimait actuellement l’impératrice, mais que même au milieu de la guerre, il avait toujours eu pour elle beaucoup d’amitié et la plus haute estime. Elle est convenue aussi avec moi que, si le roi et Sa Majesté l’impératrice pouvaient se connaître, se voir et se parler, il régnerait entre eux à jamais la confiance la plus intime et la plus parfaite[17]. »

Les rapports familiers de l’envoyé autrichien avec la maîtresse du roi devaient être d’autant plus remarqués que les représentans du roi de Prusse, s’ils tentaient de s’insinuer auprès de Louis XV par la même voie, étaient bien loin d’obtenir le même succès, faute ou d’adresse de leur part, ou de direction donnée par leur maître. Il ne faut ici pourtant rien exagérer : il n’est nullement vrai que Frédéric, comme on l’a beaucoup dit, et comme il s’en est vanté lui-même, se soit refusé de parti pris à ménager la triste et scandaleuse influence qui ne régnait que trop ouvertement sur l’esprit de Louis XV. C’eût été porter dans sa politique un principe d’austérité morale qu’il n’imposait à personne autour de lui et dont il est plus que douteux qu’il fît l’application à lui-même dans sa vie privée. C’eût été de plus un scrupule entièrement nouveau, car il n’avait fait aucune difficulté d’entretenir avec la duchesse de Château roux un échange de lettres et de portraits qui ne se ressentait nullement d’un puritanisme si rigoureux, et ce n’était pas la différence d’une grande dame à une bourgeoise qui importait à la morale plus qu’à la politique.

Voltaire raconte bien, il est vrai, dans une lettre à sa nièce Mme Denis, que, chargé par Mme de Pompadour d’offrir ses respects au roi de Prusse, il n’obtint de lui que cette sèche réponse : Je ne la connais pas. — « Je compris alors, dit-il, que nous n’étions pas au Lignon », et il en fut réduit à composer lui-même un madrigal pour offrir à Vénus le compliment de Mars. — Mais il faut croire que Frédéric tenait, ce jour-là, à se faire voir au public philosophe que Voltaire venait représenter auprès de lui, dans une pose de convention, car ses correspondances récemment publiées nous font assister à un dialogue entre les ministres de Prusse et leur souverain sur ce sujet délicat où il ne joue pas ce rôle de censeur des mœurs.

Chambrier, par exemple, lui écrit que le crédit de Mme de Pompadour devient très apparent depuis qu’elle assiste aux conférences du roi avec le ministre Puisieulx, il lui rappelle à cette occasion, qu’étant sa plus ancienne connaissance parmi les ministres étrangers elle lui a fait des agaceries dans le voyage de Fontainebleau sur ce qu’elle ne le voyait pas assez souvent… puis il demande s’il ne conviendrait pas de voir « si on peut faire quelque chose par son moyen… et tâcher de la rendre de bonne foi et ardente pour Votre Majesté. — Il m’est indifférent, répond le roi, à qui de l’un ou de l’autre sexe je dois m’adresser, pourvu que tout succède à bien. C’est pourquoi je laisse à votre dextérité et à votre prudence de faire à Mme de Pompadour autant de visites et de politesses et même d’insinuations et d’assurances de ma part que vous trouverez convenables à mes intérêts. »

L’autorisation, bien que formelle, n’est pas conçue, j’en conviens, en termes bien chaleureux, mais Frédéric n’avait nulle confiance (et il n’avait pas tort) dans la dextérité de l’honnête Neuchâtelois qui le représentait à Versailles, et en qui il ne trouvait lui-même pas plus de finesse d’esprit, ni de grâce de manières qu’on n’en accordait généralement aux Suisses ses compatriotes. En concurrence avec Kaunitz, Chambrier était sûr de ne pas soutenir la comparaison et Frédéric faisait bien de ne pas trop le presser de s’y exposer[18]. Mais Chambrier étant venu à mourir, Frédéric, pensant probablement que son successeur serait homme à s’y mieux prendre, se montra tout de suite beaucoup moins froid sur la pensée de faire agir en sa faveur la grande influence féminine. « Comme je m’aperçois, écrit-il, que c’est la maîtresse qui fait la pluie et le beau temps, je serais bien aise que vous m’informiez s’il n’y a pas moyen de la gagner pour moi et quels seraient les moyens d’y parvenir. »

Seulement ce nouvel envoyé lui-même se trouva, par d’autres raisons, presque aussi impropre que son prédécesseur à ce rôle insinuant et discret qu’on voulait lui faire remplir. Il était, à la vérité, assez singulièrement choisi. C’était un seigneur écossais qui, banni de son pays comme jacobite, avait, par un accident extraordinaire, trouvé asile à Berlin ; son nom propre était lord Keith, mais on l’appelait généralement Mylord Maréchal d’Ecosse, parce qu’il gardait le titre de la fonction à laquelle, sous ses rois légitimes, sa naissance lui aurait donné droit. On prétendait assez généralement que le neveu du roi George n’avait désigné cet étranger comme son représentant à Paris que pour contrarier son oncle et répondre aux taquineries mesquines dont il était l’objet de la part de son maussade parent. Mylord Maréchal était un homme de mœurs aimables, d’un esprit doux et éclairé, toutes qualités dont il fit preuve lorsque, appelé au gouvernement de Neuchâtel, il accueillit et protégea Jean-Jacques Rousseau persécuté. Ce souvenir a fait à son nom une place honorable dans l’histoire des lettres. Mais son âge était déjà avancé, son tempérament maladif, et il n’avait accepté qu’à regret une fonction active dont il ne devait pas tarder à se démettre. Il ne se sentit pas d’humeur à rivaliser avec Kaunitz dans les soins empressés qu’il aurait fallu rendre à une beauté comblée d’hommages et ayant le droit d’être difficile sur leur nature ; et ce fut lui qui à son tour découragea son souverain de recourir, pour servir ses intérêts, à un genre d’auxiliaire dont son génie n’avait pas besoin. « Toutes les petites attentions, lui dit-il, ou même les petits présens flatteraient la vanité de la marquise surtout de la part de Votre Majesté, quoiqu’elle y soit si accoutumée qu’elle ne le sent non plus qu’un parfumeur sent les bonnes odeurs dans sa boutique ; mais on ne la gagnerait pas par là. Elle est très intéressée, cependant elle n’oserait pas recevoir une somme de Votre Majesté et elle courrait trop risque de se montrer partiale en votre faveur. De plus, Sire, à supposer que vous lui donniez une grosse somme, ce serait en pure perte : elle aurait toujours bien des échappatoires honnêtes de ne rien faire que ce qu’elle voudrait bien d’elle-même et ce qu’on lui conseillerait… Il se pourrait aussi qu’il y entrât de la jalousie envers Votre Majesté. Quand un bel esprit veut donner l’exemple d’un grand homme et d’un grand roi, on va d’abord à trois cents lieues de Versailles : il est bien vrai qu’on n’épargne pas ici l’encens, mais ce sont les sujets qui l’offrent : les étrangers n’en offrent guère… Je suis persuadé que Votre Majesté leur fera toujours faire dans le besoin tout ce qu’Elle voudra et qu’ils se conformeront à ses lumières, sans autre secours, ni aide, que celui de l’esprit de Votre Majesté. Après tout, je ne perdrai pas de vue les occasions qui pourraient se présenter pour rendre la marquise plus favorable à Votre Majesté, et si j’entrevois quelque moyen, j’aurai l’honneur d’en rendre compte à Votre Majesté. »

Il faut croire qu’il ne s’en présenta pas, au moins tant que dura la mission fort courte de Mylord Maréchal. Quant à son successeur, le chevalier de Knyphausen, c’était un lourd personnage à qui Frédéric reproche lui-même à plusieurs reprises de ne savoir et de ne lui mander, en fait de nouvelles, que celles qui courent les halles de Paris. Aussi, renonçant à plaire, on ne lui voit à partir de ce moment que chercher à s’enquérir des sentimens de la marquise sans prétendre à se la rendre favorable. Un point cependant le préoccupe, et il en recommande la vérification à plusieurs reprises à ses agens. Serait-il vrai que l’Angleterre a gagné la favorite à ses intérêts, on lui offrant un placement avantageux des fonds qu’elle tient de la libéralité du roi ? Si l’enquête ordonnée au sujet de ce soupçon injurieux vint aux oreilles de Mme de Pompadour, on conçoit qu’elle en ait été vivement émue, n’ayant aucune bassesse de ce genre à se reprocher ; et personne, on le sait, n’est plus sensible aux reproches calomnieux que ceux qui donnent sur d’autres points plus de prise à de justes blâmes. Il y avait là, pour la maîtresse offensée, un sujet d’irritation plus légitime que celui qu’elle put trouver dans des plaisanteries de mauvais goût qui lui furent, dit-on, rapportées et dont, ne fût-ce que par convenance d’État, un roi aurait bien fait de s’abstenir[19].

Kaunitz restait donc le maître incontesté du terrain, et personne ne lui disputait les bonnes grâces de Mme de Pompadour. Aussi n’est-il pas surprenant que, lorsque peu d’années après l’alliance autrichienne devint une réalité qui éclata à l’improviste, l’opinion se soit accréditée que le plan en avait été ébauché dans ces confidences entre l’ambassadeur et la favorite, et qu’on ne l’avait tenu secret que pour ne pas l’exposer avant l’heure aux indiscrétions et aux contradictions d’un débat ministériel. Mais c’est ici que l’impitoyable rigueur des textes vient détruire les fantaisies de la légende, et les romanciers doivent faire leur deuil de cette conspiration féminine. Si Kaunitz avait obtenu autre chose de Mme de Pompadour que la permission d’entrer avec elle dans un échange de coquetteries aimables qui lui permettait de discrètes insinuations ; si Mme de Pompadour avait répondu à ces avances autrement que par quelques sourires gracieux, bien naturels chez une personne de petite condition recevant les hommages d’un grand seigneur : assurément l’ambassadeur n’aurait pas manqué d’informer de ce succès sa souveraine et de s’en faire un mérite auprès d’elle. C’est au contraire lui qui l’avertit à plusieurs reprises que, malgré les politesses et même les caresses dont il est comblé, il ne peut se vanter d’avoir fait un pas vers une entente sérieuse, et que rien ne lui permet d’espérer que l’ancien système soit encore ébranlé. Si Louis XV paraît pour sa personne flatté des bonnes paroles de Marie-Thérèse, « c’est affaire d’amitié et non d’alliance, et le roi de Prusse est toujours le maître de la politique… C’est déjà beaucoup, dit-il, d’être parvenu à partager l’attention de la France et à l’engager à ne plus envisager désormais comme le principal objet de ses soucis, celui de nous pincer et de nous susciter des embarras à propos de tout. Je vous démontrerai un jour au doigt et à l’œil les raisons pour lesquelles nous n’avons pas pu faire certains progrès à cette cour. Je suis trop heureux d’avoir fait en sorte qu’on ne nous hait pas[20]. »

Parmi les motifs auxquels il pouvait imputer le succès imparfait de ses efforts, il devait assurément compter au premier rang le caractère du roi et cette timidité, étrange chez un souverain, qui empêchait Louis XV, non seulement d’imposer, mais même de faire connaître ouvertement sa volonté à ses ministres. Nul doute que Louis, au fond de l’âme et dans son for intérieur, ne fût inquiet et mécontent de la politique toute dévouée à la Prusse qu’on lui faisait suivre, et Kaunitz était trop perspicace pour ne pas s’être aperçu de ce malaise dont l’origine remontait aux faits de la dernière guerre.

Ce n’est donc pas assez (pensait évidemment Louis XV) de l’avoir rendu presque ridicule en lui faisant signer une paix dont les résultats insignifians ont prêté à rire à tous les juges compétens, et que de tristes détails d’exécution ont fini par rendre humiliante. Depuis lors on le traîne à la suite d’un prince qui n’est son égal ni par l’ancienneté ni par l’éclat de la race, qui était hier son protégé, qui a grandi par son appui, s’est enrichi à ses frais et qui prend avec lui des airs de maître. Combien avec Marie-Thérèse il se sentirait plus à l’aise dans des rapports plus dignes du roi de France, et, si on peut ainsi parler, en meilleure compagnie royale ! Quels autres motifs n’a-t-il pas encore de déplaisance et de juste ressentiment contre ce difficile et volage allié ? Peut-il ignorer que la cour de Berlin sert de rendez-vous et d’asile à toute une colonie française uniquement composée des lettrés et des savans qui, par des écrits irrévérencieux contre la religion et la royauté, ont mérité les censures de l’Église et du Parlement ? Et n’est-ce pas de ce centre que partent tous les quolibets à l’adresse ou de sa personne ou de ses ministres, ou de ses favoris, qui circulent dans les cafés de Paris et prennent place dans les gazettes de Hollande ? Ceux de ces médisans et de ces mécréans que Frédéric ne peut pas appeler auprès de lui, il les recherche et les pensionne en France même, ne négligeant rien pour se créer là une cour d’adulateurs et d’admirateurs plus dévoués à sa personne que celle de Versailles ne l’est au roi. Hier c’était Voltaire qui abandonnait pour aller servir ce maître étranger le poste de chambellan et d’historiographe auquel Mme de Pompadour l’avait fait appeler. Puis c’est le petit abbé de Prades, censuré en Sorbonne pour un discours athée, qui va recevoir à Berlin un poste lucratif. Quant à d’Alembert, qui ne veut pas émigrer, on ne lui en sert pas moins une rente de quinze cents francs. Par toutes ces raisons diverses, le joug ministériel qui attache Louis XV à la Prusse lui pèse, mais, pour le secouer, il faudrait faire un effort et surtout prendre une charge qui lui pèserait encore davantage. Il faudrait imprimer lui-même à la politique une impulsion nouvelle, choisir ou révoquer ces agens d’après l’appréciation de leurs mérites, et non par complaisance pour l’intrigue et la faveur, leur dicter des instructions, en surveiller lui-même l’accomplissement, parler haut et faire entendre sa voix au dehors, apparaître, en un mot, au milieu des rivalités qui partagent l’Europe dans une attitude d’arbitre souverain qui ferait reconnaître l’héritier de Louis XIV. Mais cette tâche virile et royale que son aïeul aurait su remplir, il n’est pas né pour l’entreprendre et n’en sent en soi ni la capacité ni le courage. Ce serait trop de peine et de soucis, trop d’heures de plaisir à sacrifier, trop de résistances à braver, autour de lui trop d’intrigues à déjouer, à étouffer trop de murmures. Il continuera donc à laisser passer ce qui lui déplaît, et ce qu’il n’a pas le courage d’empêcher, et à suivre mollement la pente qu’on lui fait descendre ; mais il reste témoin ennuyé et chagrin de tout ce qui se fait en son nom.

L’indice de ce singulier état d’esprit, je le trouve surtout dans le fait très singulier lui-même, naguère encore mal connu et sur lequel j’ai eu la bonne fortune de jeter quelque lumière ; car c’est précisément en ces années d’incertitude et de transition, pendant que des influences contraires se disputent autour de lui une confiance qu’il n’accorde tout entière à personne, qu’une idée étrange, un caprice en apparence inexplicable lui vient : c’est d’organiser lui-même, à l’insu de tout le monde, de son ministère comme de sa maîtresse, en dehors de la diplomatie officielle, une diplomatie occulte, servie souvent par les mêmes agens, mais ne recevant d’instructions que de lui seul et ne communiquant qu’avec lui. Le secret du roi, en un mot (comme on l’a appelé), date précisément de cette époque. C’est aussi à ce moment que dans les journaux du temps (ceux du duc de Luynes et d’Argenson par exemple) on voit mentionner, à côté des conseils de cabinet et des audiences accordées au comte, de Kaunitz, de mystérieuses conférences du roi avec le prince de Conti, dont la longueur et la fréquence étonnent et dont l’objet est inconnu. Et nous savons aujourd’hui que c’est ce prince, disgracié pendant la guerre pour ses dissentimens avec le maréchal de Saxe, mais rentré bientôt en faveur, qui est le chef de ce cabinet secret, et que c’est par son intermédiaire que se passent et s’échangent les correspondances. Nous avons appris également que le premier acte de la diplomatie clandestine est l’appui prêté au prince de Conti lui-même pour préparer, en vue de la mort prochainement attendue d’Auguste III, sa propre candidature au trône de Pologne. L’idée d’assurer à un prince français cette royauté élective n’était pas nouvelle, puisqu’elle avait été réalisée un instant dans la personne du dernier Valois, et que le prince pouvait se souvenir que l’exécution en avait été tentée de nouveau avec quelque chance de succès sous Louis XIV, en faveur d’un autre Conti, son aïeul. Mais c’était une vue politique qui paraissait complètement abandonnée et réputée chimérique depuis qu’on n’avait pu réussir, malgré de sérieux efforts, même à maintenir en possession d’une dignité déjà acquise le père de la reine de France, Stanislas Leczinski. C’est dans le tête-à-tête royal que le dessein est repris en cachette, et c’est par un ordre exprès de Louis XV lui-même qu’un jeune et nouvel ambassadeur, le comte de Broglie, va se trouver à la fois officiellement accrédité à Dresde auprès d’Auguste III, et chargé de s’entendre à Varsovie avec tous les ennemis de sa famille, et personne à Versailles n’est averti de ce double jeu. Rien de plus bizarre, assurément, que ce procédé d’un maître se cachant de ses serviteurs au lieu de s’en faire obéir ; mais, quelque explication qu’on donne d’une si étrange fantaisie (et elle ne sera jamais satisfaisante), on y trouve au moins la preuve certaine de la persistance, dans l’âme de Louis XV, d’une méfiance sourde et profonde contre des ministres qu’il ne veut prendre l’embarras ni de révoquer ni de désavouer. Sincérité, habileté, il ne croit évidemment plus à rien de leur part, et la politique qu’il leur laisse conduire, il veut au moins être sûr de la connaître et en mesure de la contrôler. Peut-être conserve-t-il encore un dessein vague de tenir tous les instrumens prêts pour apparaître un jour lui-même, écarter les comparses qui occupent la scène, et, faisant acte de maître, arrêter le cours ou prévenir les conséquences de trop graves erreurs. Ce jour, on le sait, n’est jamais venu. La diplomatie secrète ne recevra jamais aucune application utile. Louis la conservera jusqu’à sa dernière heure comme un jouet qui amusera sa curiosité sénile, ou comme une protestation impuissante contre les fautes que sa débile volonté aura laissé commettre en son nom.

Quoi qu’il en soit, aux yeux et de l’aveu de Kaunitz lui-même, l’épreuve est faite. D’un prince qui se dérobe à toute action personnelle, d’un ministère que toute nouveauté effraie, le confident de Marie-Thérèse n’espère pas voir partir l’initiative du grand changement politique qu’il est venu provoquer. Des événemens seuls qu’il n’est pas impossible de prévoir, en les pressant et même en les forçant d’agir, feront sortir l’un de son indolence et les autres de leurs habitudes routinières. Mais cette nécessité venant du dehors, il faut savoir l’attendre. C’est ce que Kaunitz fait entendre en termes formels à l’impératrice. — « Je ne me flatte pas, lui écrit-il, que nos représentations les plus solides fassent changer cette cour de principe et de système. Cela ne peut arriver que par quelqu’un de ces événemens dans lequel la France verrait son avantage réel, et jusqu’ici il ne s’en est pas présenté de cette espèce. »

Marie-Thérèse comprit l’avertissement et calma son impatience. Seulement, voyant que rien de mieux n’était à faire à Paris et ne voulant pas se passer plus longtemps du plus aimé de ses conseillers, elle rappela Kaunitz auprès d’elle en lui confiant la direction suprême de la politique, avec le poste de chancelier d’État. C’est la haute situation qu’il devait garder, on le sait, pendant près de quarante ans. Son successeur à Paris, le comte de Stahremberg, reçut de lui une instruction volumineuse, où il lui était recommandé seulement de rester en bons rapports avec la cour de France, mais sans excès de condescendance. Tous les personnages importans de la cour, Belle-Isle, Noailles, Richelieu, Tencin, y sont passés en revue dans une suite de portraits tracés évidemment par Kaunitz lui-même d’après les originaux qu’il a connus. Mais le nom de Mme de Pompadour (fait justement remarquer M. d’Arneth) n’est même pas prononcé.

Pendant que Kaunitz quittait Versailles, Hautefort, de son côté, retournait en France, rappelé par le soin de ses affaires privées, dégoûté peut-être aussi de n’avoir pu faire partager ses vues à ses supérieurs. L’impératrice le vit partir avec regret et sans cacher sa contrariété de la froideur obstinée qui répondait à ses avances. Quelques jours après le départ de l’ambassadeur, le chargé d’affaires qui le remplaçait étant venu à la cour annoncer la naissance d’un fils de la dauphine, la princesse lui témoigna la joie la plus vive, et, lui serrant le bras avec une sorte d’enthousiasme : — « Croyez-moi, dit-elle, monsieur Dumont, je suis Française plus qu’on ne le pense. » — Mais le successeur d’Hautefort arrivait mis en garde par ses instructions contre des politesses dont on lui avait enjoint de se méfier. Il ne rechercha aucune confidence, et on ne lui en offrit pas. Rien ne l’empêcha de suivre à la lettre les instructions ministérielles qui lui étaient données dans ces termes maussades :

« Chargé d’exposer avec franchise à Leurs Majestés Impériales les véritables sentimens du roi, le sieur d’Aubeterre saura se tenir en garde contre les complimens affectueux d’une cour artificieuse qui ne s’est jamais occupée que de son intérêt particulier. Il ne doit cependant montrer aucune méfiance a cet égard, mais, en paraissant convaincu de la sincérité apparente de LL. MM. II., il aura soin d’épier toutes leurs démarches. Il tâchera de pénétrer si la cour de Vienne ne songe point à enfanter de nouveaux projets, à faire de nouvelles alliances, à réveiller d’anciennes prétentions, ou bien à en former de nouvelles[21]. »

La plume qui a tracé ces lignes est bien la même qui, presque à la même date, rappelle au ministre de France à Berlin de bien remarquer que « la gloire et la sûreté du roi de Prusse ont la principale part dans les motifs qui dirigent les vues et les démarches du roi… qu’on n’en peut trop donner l’assurance à ce prince, ainsi que celle de la véritable amitié du roi et de son admiration sincère pour ses grandes qualités[22]. »

Ainsi rien n’est fait et rien n’est changé : le rapprochement tenté sans succès par Kaunitz n’a laissé que des semences jetées d’une main adroite qui devront lever et fructifier à leur heure.


Duc DE BROGLIE.

  1. D’Arneth, t. IV, p. 262-318.
  2. D’Arneth, t. IV, p. 272 et suiv.
  3. Blondel à Puisieulx, 5 juillet 1749, 21 janvier, 18 février 1750 (Correspondance d’Autriche). — Frédéric à Chambrier, 1er septembre 1749 (Correspondance interceptée : ministère des Affaires étrangères).
  4. D’Hautefort au roi et à Puisieulx, 21 et 24 octobre, 3 décembre 1749 (Correspondance d’Autriche : ministère des Affaires étrangères).
  5. Keith au duc de Newcastle, 6 novembre 1748 (Record Office). — D’Arneth, t. IV, p. 536.
  6. Keith au duc de Newcastle, 16 avril 1749 (Record Office).
  7. D’Arneth, t. IV, p. 290-292. — C’est avec le ministre d’Angleterre à Pétersbourg, lord Hyndfort, passant par Vienne, que les discussions les plus vives eurent lieu au sujet des prétentions de l’électeur palatin.
  8. Hautefort à Puisieulx, 16, 24 janvier, 3 février 1751 ; 19 avril, 3 mai, 17 mai 1752 et passim. (Correspondance d’Autriche : ministère des Affaires étrangères.)
  9. D’Hautefort à Puisieulx, 16 janvier, 14 février, 4 mars 1751 (Correspondance d’Autriche : ministère des Affaires étrangères).
  10. L’Anglais jacobite mylord Tyrconnel, qui mourut après peu de mois de fonction.
  11. L’officier général La Touche, qui succéda à Tyrconnel.
  12. Frédéric à Keith, successeur de Chambrier à Paris, 8 août 1752. — Pol. Corr., VIII, p. 176, 180, 249, 402, etc. ; IX, p. 69-71, etc.
    Pour noter toutes les réclamations du roi de Prusse, il faudrait citer toutes ses lettres à son ministre à Paris, qui n’ont pas d’autre objet que de signaler les dangers des intrigues de l’Angleterre, de l’Autriche et de la Russie. — Tyrconnel à Puisieulx, 18 janvier 1750. — La Touche à Puisieulx, 30 juillet 1752 (Correspondance de Prusse : ministère des Affaires étrangères).
  13. Chambrier à Frédéric, 1er septembre 1752. — Valori, Mémoires, t. I, p. 298.
  14. Chambrier à Frédéric, 20 janvier 1749 ; 8 janvier 1750, 2 janvier, 4 février 1751 et passim (Ministère des Affaires étrangères).
  15. Journal de d’Argenson, 5 décembre 1750.
  16. « M. de Kaunitz, dit encore d’Argenson, fait la cour aux financiers et à leurs femmes ; ils conversent avec lui le soir en se promenant, et ils lui disent le fort et le faible de ce qu’ils savent. » (23 janvier 1752.)
  17. Kaunitz a Koch, 7 novembre, 11 décembre 1750 ; 22 août 1751 ; 12 février, 23 juin 1752 : Archives de Vienne. — Un fait très singulier est à remarquer dans ces correspondances intimes, que je tiens de la bienveillance de M. d’Arneth. Kaunitz s’exprime à plusieurs reprises comme s’il connaissait le compte que l’ambassadeur d’Hautefort rendait au ministre français de ses entretiens avec l’empereur, et même les réponses du ministre français. Il faut croire que la cour de Vienne avait une police épistolaire si bien faite qu’elle se procurait la copie de toutes les correspondances ministérielles de France. — J’aurai, dans la suite de ce récit, à signaler un fait de la même nature plus significatif encore.
  18. Pol. Corr., t. VIII, p. 313, 29 mars 1751.
  19. Pol. Corr., t. VIII, p. 313 ; t. IX, pp. 275, 297, 420, 452 ; t. X, pp. 175, 445, 476.
  20. Kaunitz à Koch, 22 août 1751, 12 février 1752 (Archives de Vienne). — D’après M. d’Arneth, il y a eu même un moment, pendant le cours de cette ambassade, où Kaunitz semble perdre tout à fait courage. Il propose à l’impératrice de renoncer à se concilier la France, mais il l’avertit qu’alors il faudra se rapprocher tout à fait de la Prusse et renoncer à lui disputer la Silésie. J’ai peine à croire que ce remède héroïque ait été proposé sérieusement à l’impératrice, qui ne paraît pas non plus l’avoir pris au sérieux (D’Arneth, t. V, p. 331-333).
  21. Instructions du marquis d’Aubeterre, ambassadeur à Vienne, 20 septembre 1753 Correspondance de Vienne : ministère des Affaires étrangères).
  22. Instructions données à La Touche, mai 1752 (Correspondance de Prusse : ministère des Affaires étrangères).