L’Amour paillard/1

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Imprimé par ordre des paillards (p. 7-12).
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L’Amour paillard, Bandeau de début de chapitre
L’Amour paillard, Bandeau de début de chapitre


I


À Asnières, dans une maisonnette entourée d’un jardin, clos par des murs assez élevés, vivait une famille, étroitement unie, et composée de cinq membres. C’étaient Jacques Phoncinot, trente-deux ans, et sa femme Thérèse, chatain-blonde de dix-neuf ans ; Antoine Gorgon, cinquante-cinq ans, et sa femme Lina, vingt-cinq ans, gentille brune, cousine de Jacques ; Léa Dorial, blonde cendrée, dix-sept ans, sœur de Thérèse. Trois femmes, deux hommes. Vivant pour eux, n’ayant aucune profession apparente, allant souvent à Paris ou en voyage, sans qu’on s’inquiétât pourquoi, ils ne faisaient pas de bruit et nul ne les troublait. Cependant, s’il eût été permis à quelque voisin de jeter un œil curieux sur ce qui se passait dans l’intérieur du ménage, il aurait eu à réfléchir et à faire des hypothèses à perte de vue. Pas de serviteur pour l’extérieur et le travail du logis. Antoine Gorgon se chargeait des provisions au marché, et des courses au dehors ; Jacques veillait à la cuisine ; Lina et Thérèse se réservaient les chambres, Léa la lingerie et le couvert. Était-ce un phalanstère ? Non.

Cette famille exploitait simplement les plaisirs de l’amour dans leurs tableaux suggestifs, près de quelques hautes notabilités de la vieille aristocratie ou de la finance, près de quelques horizontales huppées voulant réchauffer les sens d’un entreteneur sérieux, ou en découvrir un nouveau. Métier peu banal et pas facile, qui nécessitait une entente très serrée et une liberté absolue entre soi, pour se satisfaire d’abord dans ses goûts personnels afin de bien les traduire pour les fantaisies d’autrui, pour n’éprouver ensuite aucune contrainte dans les aventures qui parfois en résultaient. Aussi, si le maire et le curé avaient consacré les mariages, la volonté familiale avait décrété qu’on userait sans jalousie les uns et les autres des caprices d’une sensualité souvent excitée par les tableaux qu’on répétait pour bien les rendre devant les clients. On s’était expliqué bien gentiment et bien franchement, pour que les goûts particuliers se déroulassent sans choquer aucun des associés, et pour que l’on jouit largement, honnêtement, généreusement, des joies paradisiaques réservées à un pacha dans son sérail. Jacques était le baiseur hors-ligne de la bande : il distribuait loyalement ses coups de queue aussi bien à Lina qu’à Thérèse, et même quelquefois à Léa, à la charbonnière, pour ne pas trop endommager le pucelage. Il possédait une langue très experte pour les minettes, alors qu’Antoine adorait la lune, en plein, en quart ou en demi-apparition, parfois même voilée par les jolis et luxueux dessous que revêtaient les trois nymphes précieuses, dont Jacques et lui se considéraient comme les heureux sultans. Lina et Léa brillaient dans des arrangements plastiques pour le saphisme, étant plutôt passives qu’actives, au lieu que Thérèse, nature très vibrante, gamahuchait et jouissait tantôt de l’une, tantôt de l’autre. La femme de Jacques était, de plus, une suceuse de premier ordre, et par cet art mignon elle savait à propos mettre en train soit son mari, soit son cousin Antoine. Elle avait toujours les lèvres et la langue des mieux disposées.

On ne manquait pas d’agrément dans la maison, quand on ne travaillait pas au dehors ; on y triturait des étoffes de soie, satin, velours, etc., pour créer des merveilles de toilettes originales, s’adaptant au genre de beauté de chacune des trois femmes ; on confectionnait des blouses, des culottes courtes, même des caleçons riches pour les hommes ; on essayait les modèles, on imaginait des scènes, des pantomimes, on s’échauffait le tempérament, on se lançait dans des postures excitantes et paillardes, on étudiait la finesse des caresses, on se lutinait, on ne s’embêtait pas, et le baisage se produisait toujours dans d’excellentes conditions.

Or, le jour où commence ce récit, Jacques, tout son monde assemblé, venait de terminer la lecture d’une lettre, écrite par un sportman distingué, Arthur des Gossins, amant en titre de La Férina, dont il ne parvenait pas à dissiper la noire mélancolie, ce à quoi il espérait parvenir par les scènes mignardes et polissonnes que la famille rendait avec tant de talent, et qu’il avait admirées chez un de ses amis. Il était facile de voir la profonde impression que le montreur de plaisirs et son monde avaient produite. Arthur des Gossins s’étendait longuement sur la façon coquette, élégante, suggestive, avec laquelle ils donnaient la vision des voluptés amoureuses, excluant toute pensée grossière, et il ne doutait pas que sa chère maîtresse, assistant à un tel spectacle, ne sentit s’émouvoir ses sens et ne le récompensât de l’amour qu’il lui vouait. Jacques, la lettre à la main, se rengorgeait. Il s’écria :

— Hein ! on arrive à nous comprendre, on ne nous injurie pas.

— Il ne manquerait plus que ça, répliqua Thérèse : on leur montre trois femmes, jeunes, jolies, bien bâties, habiles à jouer de leur corps, et ils ne seraient pas contents ! Ils peuvent toucher, ils peuvent obtenir une caresse, ils ou elles, et tu voudrais qu’ils fissent les méchants !

— La clientèle est si restreinte, qu’il faut toujours s’étonner d’un nouveau qui se présente pour son propre compte.

— Le fait est, intervint Lina, que les nouveaux, en général, aiment mieux nous retrouver là où ils nous ont rencontrés ; ils ne nous appellent que rarement chez eux. Et, comme les trois quarts du temps nous travaillons surtout chez quelques cocottes intelligentes recevant beaucoup de Messieurs, qu’elles veulent attirer en leur montant le tempérament grâce à nous, les Messieurs ne demandent presque jamais notre adresse.

— Cette fois, c’est le contraire qui arrive : l’amant de la cocotte nous invite à aller aguicher les sens de sa belle. Qu’est-ce qui connaît La Férina ? Je l’ignorais avant cette heure.

— J’en ai entendu parler, répondit Antoine ; il paraît que c’est une jolie blonde, très froide et très faiseuse d’embarras. On a prononcé son nom l’autre soir ; on disait qu’elle avait une bonne amie, avec qui elle se moquait de son amant.

— Ça, ce ne sont pas nos affaires. On ne sait rien de la dame, l’amant nous invite à aller chez elle, il paye pour les tableaux, occupons-nous de ce qu’on lui servira.

— Je te crois, mon beau, dix fois plutôt qu’une.

— Que jouerons-nous à cette princesse ?

— Si elle est froide pour les hommes, on lui montrera le gamahuchage des femmes.

— Tu as raison : tu t’emballeras sur Lina et sur Léa ; on musiquera à l’espagnole ; en avant tulles et mousselines, torsions des reins et des cuisses, danses du ventre et du cul, petits bécots, grosses lippées ! Elle pissera dans ses bas ! Je suis sûr de votre triomphe, mes belles déesses. Maintenant, en place pour la répétition des poses.