L’Anaphylaxie/Chapitre XVI

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Félix Alcan (p. 227-231).

XVI

ANAPHYLAXIE GÉNÉRALE.

On peut se demander si les animaux anaphylactisés, c’est-à-dire préparés par des injections antigéniques plus ou moins anciennes, n’ont pas acquis de ce fait une sensibilité aux actions toxiques qui est différente de la sensibilité normale. Pour éprouver cette sensibilité, j’ai pris l’apomorphine, dont la dose émétisante peut être déterminée avec grande précision. D’ailleurs, l’apomorphine possède une action en quelque sorte congénère de celle des antigènes crépitine et actinocongestine, lesquelles sont toutes deux très nettement émétisantes (surtout l’actinocongestine).

Le chlorhydrate d’apomorphine, lorsqu’il est injecté dans le péritoine des chiens à des doses inférieures à 0,004 g de sel par kilogramme d’animal, ne provoque pas le vomissement en général, tandis qu’à la dose de 0,005 g le vomissement est à peu près constant. À cette dose d’ailleurs les symptômes autres que les vomissements sont à peu près nuis. Le chien bâille, s’étire, est un peu triste ; parfois il a des démangeaisons ; parfois un peu de diarrhée.

Mes expériences ont porté sur un grand nombre de chiens normaux (auxquels je puis ajouter 8 chiens ayant reçu antérieurement et longtemps auparavant de l’émétine qui n’est pas anaphylactisante).

Alors, sur 36 chiens ayant reçu la dose de 1,1 cm³ par kilogramme dans le péritoine (le titre de la solution était de 0,25 g de chlorhydrate d’apomorphine par litre), il y en a 8 qui ont vomi à la dose de 0,00275 de sel par kilogramme. Le vomissement s’est produit en moyenne 6 minutes après l’injection. Sur 42 chiens normaux (ou non anaphylactisés, parce que l’injection préparante était trop récente, moins de 17 jours, ou trop ancienne, plus de 200 jours) 25 ont vomi : soit 60 p. 100. Chez les normaux, au contraire, la proportion a été de 22 p. 100.

Mais ce chiffre brut n’est pas adéquat à la réalité ; car, parmi les chiens ayant reçu de la crépitine, l’un n’en avait reçu qu’une quantité insignifiante : 0,00001. Un autre avait reçu de la crépitine chauffée à 103°. Nous pouvons donc dire que la proportion des vomissements pour les normaux a été de 8/38 ; et, pour les animaux ayant reçu antérieurement des toxines, elle a été de 25/40 ; soit 63 p. 100 contre 21 p. 100, ce qui représente un écart considérable, d’autant plus important qu’il porte sur un grand nombre d’animaux (78), étudiés dans les conditions les plus diverses.

Par là se trouve établi ce fait essentiel que les centres nerveux bulbaires (qui président au vomissement) peuvent être sensibilisés à l’action de toute substance toxique, émétisante, même quand il s’agit de substances aussi diverses que l’apomorphine d’une part, et les congestines de l’autre.

Peut-être y aura-t-il là un moyen clinique d’épreuve pour savoir si tel ou tel individu est anaphylactisé.

En tout cas, un fait s’est montré dans ces expériences, qui est d’importance considérable. Chez les chiens normaux le vomissement a eu lieu 4, 5, 6, 7, et 8 minutes après l’injection péritonéale. Au contraire, chez les anaphylactisés, il y a eu vomissement avec un grand retard, soit 54, 38, 37, 32, 23 minutes, après l’injection ; en moyenne 18 minutes après l’injection, alors que chez les chiens normaux le vomissement a eu lieu en moyenne 6 minutes après l’injection.

Il semble qu’il y ait là un processus secondaire spécial aux anaphylactisés, processus qui ferait complètement défaut chez les normaux, et qui se produirait seulement, avec un grand retard, chez les chiens anaphylactisés, comme s’il se passait dans leur organisme des réactions chimiques plus tardives, en tout cas différentes de celles qui se passent dans les organismes non anaphylactisés.

Il faudra donc approfondir ce phénomène d’anaphylaxie générale sur laquelle on a très peu de documents encore. Jusqu’à présent on ne s’est occupé que de l’anaphylaxie spécifique. Mais l’anaphylaxie générale, c’est-à-dire l’augmentation de la sensibilité à tous les poisons — fût-elle même très légère — provoquée par l’injection d’un seul antigène, sera sans doute du plus grand intérêt ; et elle entraînera, au point de vue pratique comme au point de vue doctrinal, des conséquences importantes.