L’Angelus des sentes (recueil)/À Paul Verlaine

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L’Angelus des SentesBibliothèque de l’Association (p. 97-105).

À Paul Verlaine


III
Heureux celui que les Muses adorent,
De doux accents découlent de ses lèvres.
Homère(Hymne aux Muses et à Apollon).

 
Toi qui voyant le mal planer au front des hommes
Semas la vérité dans les vivants sillons,
Et qui jetant la joie, en nous, comme des baumes
Fis défaillir nos yeux des feux dont nous brûlons

 
Toi qui vêtis, devant les riches de la terre,
Ta pauvreté d’amour, ton cœur d’unique foi,
Mais qui, le sceptre en main, ne sus pas être roi
Parce qu’en toi pleuraient des flammes solitaires ;

Ô toi qui fus l’aimé des Muses, doux Verlaine,
La blonde Isis berça ton luth appesanti !
Et ta voix pure, au cœur des hommes retentit
Comme un matin d’éclairs tempête au noir des plaines.


Tu baignas ta douleur — loin des fleuves brumeux ! —
Aux fontaines d’azur où les nymphes se mirent
Puis au rire des nids étincela ta Lyre
Vaste comme les flots, éternelle comme eux !


Tu conquis aux flancs bleus des forêts étoilées
Le bucolique amour des sources et des vents :
Les lys t’ont révélé l’âme des soirs rêvants,
Ton cœur bat aux sanglots des flammes en allées.

Et nous livrant entier le livre que tu lus
Aux mouvantes clartés de sang des soirs qui tombent,
Tu fis surgir, des bois sacrés qui n’étaient plus,
Un jardin embrasé d’azur et de colombes.

Aux torches de ton œuvre immense une aube à lui
Et la Déesse froide, au sein sonore, est morte ;
Les palais ruisselants de gemmes sont détruits ;
Ton magnifique geste a fait crouler leurs portes !




L’humanité nouvelle a pleuré dans tes pleurs :
Un jeune ciel tonnant d’éclats d’azur s’éveille,
La voix des vierges brille à ton âme pareille
Et nos lyres flamboient comme d’immenses fleurs.

Nous sommes ceux que ton amour a désignés
Pour annoncer par les cités, les fières joies ;
De feux chantants nos pas, dans le matin rougeoient,
Les roses de leur sang nous ont illuminés.

Polymnie a baisé nos lèvres éternelles,
Nous avons bu le charme et les sourires doux
Dans les frissons extasiés des ravenelles
Et l’étoile des soirs a palpité sur nous.

 
Comme toi, nous aimons l’amante lumineuse
De toutes les clartés qui bercent les matins ;
Nos luths ont arboré la santé des glaneuses
Dont l’allégresse, au vol des papillons s’éteint.

Et vois : Ô Lélian divin qui fus maudit
Pour avoir de tes chants ressuscité le monde !
Déjà, comme nos luths, le monde resplendit
Des flammes d’or dont tu trouas la nuit profonde.


Mais puisque ta simplesse auba nos fronts d’apôtres
Et que pour mieux revivre en nos Rêves, tu meurs !
Puisque la plaine, au vent futur de nos clameurs,
Ondule un rire d’or de seigles et d’épeautres ;


Puisque le ciel reçoit ton verbe dominant
Et que la nymphe en pleurs, vers tes yeux s’est penchée
Puisque brillent, les soirs, sous nos pas résonnants
Tes caresses de lyre en d’orphiques jonchées ;

Puisque la fleur d’amour aux yeux resplendissants
Est éclose du sang de tes sublimes plaies
— L’éternelle Chimère éparpillait ton sang ! —
Puisque nos mains ont recueilli tes larmes vraies,

Puisque vers ta douleur notre amour s’en alla
Et que tes yeux sont clos aux visions souffertes,
Dors sous l’envol des lys et des roses offertes,
Délaisse aux fleurs ton front que la Muse étoila !

Puisque ton nom préside aux glorieux levers
Et que dans l’éclat bleu des hêtres et des roses
Nous marchons aux sommets où tes pas ont rêvé
Que ton cœur douloureux sous nos hymnes repose !


Puisqu’à toujours ton luth sanglote dans les branches
Les plus poignants et les plus humains des sanglots
Sit qu’il ait la douceur des anémones blanches
Ou l’échevèlement prophétique des flots ;

Puisque l’humanité méconnaît le ciel bleu
Dans le dédain de l’Idéal dont on la prive
Sois le Consolateur ! et que ta foi de Dieu
Dans nos âmes d’enfants, éternelle, revive !

Puisque la Route où raille une foule rebelle
Au clair de tes flambeaux élus, nous la suivons !
Que, comme Toi, vers les fronts las, nous élevons
Des chants ! pour faire aimer la vie puissante et belle,

Puisque sonnant l’appel des Azurs attendus
Notre Lyre s’éclaire aux lueurs des jacinthes,
Agite, dieu nouveau, vers nos beaux fronts tendus
Le merveilleux rayonnement des palmes saintes !