L’Angelus des sentes (recueil)/À Saint-Georges de Bouhélier

La bibliothèque libre.
L’Angelus des SentesBibliothèque de l’Association (p. 81-96).


À

Saint-Georges De Bouhélier

II

Pastores, hedera crescentem ornate poetam,
Proxima Phœbi versibus ille facit…
Virgile
I

 
Puisque la forêt lumineuse
Ô Saint-Georges de Bouhélier !
T’ouvrit les sentiers familiers
Des bacchantes et des faneuses ;


Puisque, dans leurs agrestes courses,
Les nymphes qu’adore le vent
Surent extasier souvent
Ton âme heureuse au bleu des sources ;

Puisque tes yeux splendides vers
La nature et ses vertes granges
Au fracas de flammes étranges
Soudainement se sont ouverts ;

Puisque la foi stelle tes yeux
Et que les strophes de lumière
Que ta lyre dérobe aux deux
Épanouissent les chaumières ;

Puisque notre terre bat toute
Au cœur de ta Lyre enivrée,
Et qu’à genoux le monde écoute
La voix des héros que tu crées ;


Puisqu’au bois où tu la promènes
Sous l’éternel soleil des nids,
Églé s’épanche en pleurs bénis
Qui font briller tes mains humaines ;

Puisqu’en ta jeune âme qu’enchante
La voix des brises et des eaux
Tressaille l’âme des roseaux
Aux vivantes harpes vibrantes ;

Puisque, tremblant, tu te recueilles
Lorsque les rossignols troubleurs
Qu’éclairent les flambeaux des fleurs
Mêlent leur hymne au bruit des feuilles ;

Puisque pour t’adorer sans doute
Une blonde escorte d’enfants
Agite des lis sur la route
Où chantent tes pas triomphants ;


Puisque tu viens, éclaboussant
D’allégresse la joie des roses,
Et que, dans nos nuits, ta Lyre ose
Jeter des cris resplendissants ;

Puisque, sous d’admirables dais,
Tu charmes les fleurs que tu foules,
Magnifique dieu qu’attendait
L’âme douloureuse des foules ;

Tu es celui qui porte la grâce
Et les prophétiques rayons ;
Sur nos chemins noirs tes haillons
Laissent de flamboyantes traces !

Gloire à Toi que salue l’Azur
Et que la terre heureuse adore !
Ta voix fait, dans les matins purs,
Surgir la foi dont tout se dore.


Tu es l’Orphée des demains promis.
Comme un soleil luit ta pensée
Sur l’humanité harassée :
Gloire à Toi qui nous a soumis !

L’aurore des terrestres fêtes,
Se lève, chantante, aux clartés
De tes sombres yeux de prophète.
Salut, doux porteur de beauté !


L’azur para d’antiques flammes
Ton vaste front d’illuminé,
Ton luth dans le désert des âmes,
Tel, un flambeau d’or, a tonné.


Tu nous viens, ceint de fleurs, prêchant
Le culte de la vie splendide,
Vers l’éternelle Isis tu guides
Les hommes que troublent tes chants.

Tu jettes à l’humanité
Qui, vieille et lasse, balbutie,
Tes éclatantes prophéties
En rythmes beaux comme un été.

Levant sur les âmes meurtries
Un flamboiement de chants nouveaux,
Tu solennises les travaux
De l’homme qui peine et qui prie.

Tu portes la manne de joie
Qui fleurira dans tous les yeux
La plaine où dort le blé joyeux,
Au son de tes hymnes, ondoie.


Les monts, les forêts et les champs
T’élèvent des apothéoses,
Et, dans l’allégresse des choses,
Ton beau Luth embrasé de chants,

À l’éclair des foudres pareil,
Convie les hommes solitaires
Aux belles fêtes de la terre,
Aux saintes rondes du soleil !


Le chant du monde entier monte dans la lumière
Saint-Georges de Bouhélier
II

 
Chantre d’Églé, de l’aube et des sources sonores
En qui la belle voix des dieux a resplendi,
La mer s’enflait vers Toi des chants qui vont éclore
Quand les merveilleux enfants des hommes t’ont dit :

— « Tu nous révélas l’ordre et la beauté des choses
Toi que les bois ont enivré de rires blancs !
Tu sais l’hymne des lys et des orphiques roses
Et tu fleuris nos fronts de myrtes consolants.

La nymphe aux sombres yeux d’azur fut ton élue,
Son cœur pacifia ton cœur. Quand tu nous vins
Les ombrages t’avaient appris les mots divins,
La terre t’avait dit : Héros, je te salue !


Au temple où gronde un chœur de verdoyants clairons,
Que les sureaux pieux investissent d’ombelles,
L’heureuse hamadryade avait mis à ton front
La clarté des levants et des étoiles belles.

Flore t’offrait l’éclat de ses seins nus où dort
Un ciel mystérieux de grappes ruisselées,
Tu revenais, plus grand, l’âme toute troublée,
De ton hyménée chaste avec les sources d’or.

La Beauté sanglotait, en deuil comme une veuve…
Ton luth brillait du sang des dieux dont il est teint,
Et dans la gloire éblouissante des matins
Tu jetas la douceur de tes paroles neuves !

Tes poèmes ouataient de baisers les chemins,
La Vie vers toi tendait ses beaux bras de faunesse
Et tu disais : Chantons l’amour pour qu’il renaisse !
Et les vierges joignaient leurs étoilantes mains !


Et les méchants obscurs qui s’en vont reniant
L’opulente eurythmie des moissons et des brises,
Les femmes que le cœur des fleurs n’a point éprises,
Tous, au bruit des clartés, te suivaient en priant ! »…


Tu répondis : « — Les sycomores et les houx
Dans l’urne de mon cœur mirent l’encens des joies,
Et si mes chants sont beaux c’est pour que l’homme croie
À la vie qui triomphe au creux des vallons roux.

Voici que l’amour luit aux fêtes des matins
Et que sur les prairies ruisselle mon ivresse !
Je viens exalter l’œuvre et bercer le destin
De ceux dont l’âme lasse est close à l’allégresse.


Puisque la foi se fane et que les pauvres pleurent
Indifférents aux soirs qui me laissent troublé,
Je viens mêler, au seuil des rustiques demeures,
Toutes mes stances d’aube au tremblement des blés.

Et disant la candeur des humbles dans l’étable,
Je fais luire la joie sur leurs plaintifs foyers
Pour que toujours le pain ensoleille leur table
Et que leurs doigts d’enfants se joignent pour prier.

Et je conduis, avec des chants, leurs pas obscurs
Vers tous les éblouissements qui me bercèrent
Voulant que les coteaux fassent leurs yeux plus purs
Et l’azur apaisant, plus douce leur misère.

Et comme sur la glèbe douloureuse, ils prient
Sans que le ciel s’entr’ouvre à leurs sanglots, afin
Que tout sur notre terre sainte leur sourie,
J’apporte les clartés d’amour dont ils ont faim ! »



Eux chantaient : « Verse-nous ta flamme cadencée
Toi qui portes la grâce et la bonté du juste !
Ton luth, bénissant l’homme et son labeur auguste,
Épand le vin de vie en lyrique rosée.

Ton âme pure, aux sons des chants, ruisselle toute,
Tu vêts d’harmonieux rayons tous les vouloirs,
En toi le sang des terres bat ! Et l’on t’écoute
Ainsi qu’on prie à l’heure où naissent les grands soirs.

Ivre d’amour, ton luth disperse au vent humain
Comme un vin de lueurs les semences croyantes,
Tu domines le monde ! Et les mers flamboyantes
Ont soufflé des éclairs d’épopée dans tes mains.


L’âme du monde brûle aux flammes de ta foi
Doux Chantre ! Et nous nous prosternons devant ta Lyre,
— Ton héroïque Muse a nourri nos délires
— Eurydice s’en vient, suppliante, vers toi.

La terre immense, crie d’allégresse en voyant
Tes clartés ! Et demain, sur les bouches des hommes,
Comme un vaste feu d’or fulgure aux sombres dômes
Ton beau nom immortel volera, flamboyant ! »