L’Angleterre et la vie anglaise/19

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L’Angleterre et la vie anglaise
Revue des Deux Mondes, Nouvelle périodetome 42 (p. 777-817).
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L’ANGLETERRE
ET
LA VIE ANGLAISE

XVIII.
L’OR ET L’ARGENT DANS LA GRANDE-BRETAGNE.
LES CHASSEURS D’OR, LES RAFFINEURS DE LONDRES ET l’HÔTEL DES MONNAIES.

Le désir de faire fortune, ce stimulant partout si énergique de l’activité humaine, se présente en Angleterre comme une disposition universelle, qui imprime un cachet tout particulier au caractère national. L’Anglais ne recherche point seulement l’opulence pour le bien-être, il la poursuit aussi pour la considération qui s’y rattache. Chacun dans le royaume-uni aspire à la richesse, comme au plus sûr moyen d’élever aux yeux du monde sa condition sociale. Tous les corps puissans de l’état ne s’appuient-ils point en effet sur de grands revenus personnels ou sur des traitemens considérables ? En Angleterre comme ailleurs, il s’est bien rencontré de temps en temps des moralistes qui ont élevé la voix contre l’abus des richesses, mais c’est une maxime fort répandue au-delà du détroit que leur éloquence n’a jamais convaincu personne ; plusieurs ont même prouvé, l’occasion aidant, que, malgré tous leurs beaux raisonnemens, ils n’avaient point réussi à se convaincre eux-mêmes. Ce besoin d’acquérir, considéré par les uns comme un des dangers de la société britannique, par les autres comme le levier de l’intelligence et de la force, a exercé dans tous les cas une grande influence sur les mœurs et sur les entreprises de nos voisins.

Comment s’étonner après cela que les Anglais aient avidement recherché dans le sein de la terre l’or et l’argent, ces deux métaux précieux qui résument en quelque sorte la richesse sous une forme concentrée ? Ils les ont d’abord poursuivis chez eux. Si l’on en croit César lui-même dans ses Commentaires, les trésors métalliques de la contrée n’auraient point été étrangers à l’invasion des îles britanniques par les Romains. Tout porte en effet à croire que l’or et l’argent existaient autrefois en assez grande abondance sur le sol de l’Angleterre. L’histoire des anciennes mines britanniques se mêle d’une manière assez confuse durant la première période du moyen âge aux légendes du diable, aux contes de fées, de nains et de géans, tant à toutes les époques la découverte de l’or a eu le privilège de surexciter le sentiment du merveilleux. Des documens plus précis nous apprennent que, sous le règne d’Édouard Ier et d’Édouard II, trois ou quatre cents ouvriers étaient employés à Combmartin (Devonshire) dans des mines d’or dont le produit était assez considérable pour aider le prince Noir quand il guerroyait contre la France. L’or a été trouvé et se trouve encore de temps en temps dans beaucoup d’autres comtés du royaume-uni[1] ; mais de toutes ces découvertes la plus mémorable est celle qui eut lieu vers 1796 en Irlande dans le comté de Wicklow. Ce fut d’abord un secret, mais, comme le secret de Midas, il ne tarda point à transpirer à travers les roseaux des marais hiberniens, et toute la population rustique des environs, négligeant le produit de ses champs, accourut pour récolter cette moisson d’or. La foule resta en possession du terrain durant six semaines, et butina une grande quantité d’or vierge, quand le gouvernement, auquel de par la loi anglaise appartient toute la richesse métallique du sol et du sous-sol, résolut d’ouvrir des travaux réguliers. Un acte du parlement décida que l’entreprise serait conduite par trois directeurs. D’abord les produits de la mine payèrent les dépenses et donnèrent même un bénéfice[2] ; mais les travaux se trouvèrent tout à coup suspendus par la grande rébellion de mai 1798. Ce mouvement ayant été comprimé, on reprit les opérations en 1801 : des tranchées furent ouvertes dans les roches solides pour découvrir les veines qui, selon les règles de la science, devaient contenir le minerai. Tout ce labeur fut en pure perte : l’or semblait s’être évanoui. Aujourd’hui encore cependant une société vient de se constituer pour exploiter des terrains aurifères dans le pays de Galles. Tout annonce que cette contrée montagneuse a recelé autrefois le métal si convoité, et les anciens chants welches, connus sous le nom de triades, célèbrent quelques-uns de leurs princes comme ayant possédé des gerbes d’or. Un savant géologue anglais, M. Smyth, a retrouvé sur les filons de quartz d’Ogofau, près de Pampant, dans le Caermarthenshire, les traces de travaux entrepris par les Romains et semblables à ceux que l’on découvre dans la Transylvanie. Si l’or a existé autrefois à l’état naturel dans le pays de Galles, faut-il en conclure qu’il y existe encore aujourd’hui ? Non vraiment ; bien différentes en cela des autres veines métalliques, les veines aurifères paraissent être plus riches vers la surface des roches et s’appauvrir à mesure qu’on les poursuit dans l’intérieur de la terre. Il en résulte que l’or, dont des fragmens détachés de la roche-mère s’offrent en quelque sorte d’eux-mêmes aux premiers venus parmi les débris des montagnes et le lit desséché des torrens, devient ensuite d’une recherche beaucoup plus difficile et quelquefois même infructueuse.

L’argent s’est aussi montré à différentes reprises sur le sol de la Grande-Bretagne. En 1296, Édouard Ier reçut du Devonshire 704 livres pesant de ce métal, et jusqu’au règne de George Ier les mines du pays de Galles fournirent la matière première pour une certaine quantité de pièces d’argent frappées à l’hôtel de la monnaie. À la fin du XVIe siècle et au commencement du XVIIe, les mines d’Aberystwith, dans le Cardiganshire, acquirent une grande célébrité. Sir Hugh Middleton y réalisa, dit-on, une belle fortune, qu’il dépensa à conduire un cours d’eau, la New-River, de Ware jusqu’à Londres. À sa mort, un M. Bushell, Secrétaire de Francis Bacon, acheta ces mines à la veuve, et en tira des profits considérables. Ayant obtenu de Charles Ier le privilège de battre monnaie, il établit des forges sur les lieux, et habilla l’armée du roi avec une partie de l’argent qu’il extrayait de ses mines, et qu’il frappait lui-même. Durant les guerres civiles, Bushell sacrifia sa fortune, et se plaça bientôt à la tête d’un régiment de mineurs qu’il avait levé pour la défense de la cause royaliste. Le château d’Aberystwith fut attaqué et pris de vive force par les troupes du parlement. À dater de ce jour, la fabrique des monnaies et les mines furent abandonnées. Aujourd’hui l’argent ne se présente plus guère dans les îles britanniques qu’associé au minerai de plomb. Pendant longtemps, une assez grande partie de cet argent était perdue et négligée par les mineurs à cause de la difficulté qu’il y avait de l’isoler du plomb toutes les fois qu’il s’y trouvait en très petite quantité. Dernièrement un chimiste célèbre, M. Hugh Lee Pattinson, proposa un moyen plus sûr et plus économique de séparer ces deux métaux. Ce fut, tout calcul l’ait, une économie pour l’Angleterre de 60,000 liv. sterl. par an. Il faut en effet savoir que la Grande-Bretagne tire de ses mines jusqu’à 70,000 tonnes de plomb chaque année, et que plus de la moitié contient une certaine proportion d’argent. Cette découverte, connue sous le nom de méthode Pattinson, introduisit une sorte de révolution dans les mines, et ne fut pas sans influence, on le devine, sur la fortune publique.

Malgré quelques cas particuliers, les Anglais ne recueillaient jusqu’ici l’or et l’argent sur leur territoire que dans une quantité insignifiante pour leurs besoins. Ils ont dû par conséquent les demander au commerce, à l’industrie, aux grandes entreprises maritimes et coloniales. Comme la plupart des autres états de l’Europe, l’Angleterre achète depuis très longtemps sur le marché les métaux destinés à se convertir en numéraire. Quel était il y a quelques années, quel est aujourd’hui l’état de ce marché ? Vers 1840, la Grande-Bretagne recevait annuellement sa provision d’or de l’Amérique du Sud, de l’Afrique et de la Russie. Le produit des mines d’or américaines était alors estimé à 30,700,000 dollars par an. Les plus célèbres étaient celles du Mexique, du Chili, de Panama, de Buenos-Ayres et du Pérou. On a calculé que dans ces dernières la vie de neuf millions d’Indiens avait été sacrifiée dans l’espace de trois siècles. Toutes les mines du Nouveau-Monde alors connues étaient d’ailleurs en décadence, et l’on en peut dire autant de celles de l’Afrique. Peut-être existait-il à l’intérieur du continent africain des trésors naturels que la main de l’homme n’avait point encore pu atteindre. Un savant voyageur, sir James Campbell, s’étant arrêté quelque temps à Zante, une de ces îles ioniennes si délicieuses, avisa une petite espèce de pigeons de Barbarie qui, à un moment de l’été, arrivent par nuées des côtes de l’Afrique. Quelques-uns de ces oiseaux ayant été tués à coups de fusil, il observa que leurs pattes étaient chargées d’un sable brillant. Il recueillit cette poudre luisante sur une feuille de papier, et, après l’avoir analysée avec soin, reconnut qu’elle contenait une proportion considérable d’or. Le champ était ainsi ouvert aux conjectures. Le plus probable est que ces émigrans ailés, avant de se mettre en route, s’abattent pour boire sur les bords de courans d’eau dont le sable est imprégné de parcelles métalliques. Où se trouvent maintenant ces rives fortunées ? C’est ce que les pigeons messagers de l’or n’ont nullement su dire, et ce que les voyageurs n’ont pas encore découvert. En attendant, les mines les plus riches étaient celles de la Sibérie et des montagnes de l’Oural. Les terrains aurifères qui s’étendent le long de cette chaîne imposante semblent avoir été exploités anciennement par les Scythes. En 1842, le produit général des travaux était évalué par les Anglais à 2 millions de livres sterling par an. Il s’est élevé depuis, selon sir Roderic Murchison, à près de 3 millions de la même monnaie. Malgré ces diverses sources d’approvisionnement, l’or, — plus abondant en Angleterre que dans les autres états de l’Europe, — était relativement assez rare, et plus d’une fois la presse britannique fut l’organe de craintes très sérieuses sur la disette du métal précieux par excellence.

Tel était l’état des choses lorsqu’au moment où l’on s’y attendait le moins, le monde apprit que des champs d’or venaient d’être découverts l’un après l’autre en Californie, en Australie, dans la Nouvelle-Zélande, dans la Nova-Scotia et dans la Colombie britannique. La nouvelle des trésors trouvés dans la Californie produisit en 1848 une immense sensation dans toutes les classes de la société anglaise. En moins de six mois, cinq mille personnes, appartenant surtout à la race anglo-saxonne, s’étaient rendues sur le théâtre des fouilles. Combien plus merveilleux encore fut l’enthousiasme qui éclata en 1851 dans toute la Grande-Bretagne au récit surprenant des richesses aurifères de l’Australie ! L’Angleterre allait donc avoir une Californie à elle, des champs d’or protégés par son drapeau ! Elle, qui jusque-là recevait de l’étranger le précieux métal, allait maintenant l’imposer aux marchés de l’Europe. La découverte cette fois était d’ailleurs bien anglaise ; elle était partie de Londres et des hauteurs de la science. Dès 1844, un célèbre géologue, sir Roderic Murchison, après avoir examiné des échantillons de roches recueillis par un de ses amis, le comte Strzelecki, sur la chaîne orientale des montagnes de l’Australie, s’était écrié, en posant le doigt sur la carte : « Ici cherchez, il y a de l’or ! » Cette prédiction de la science fut répétée par les journaux de l’Australie, et en 1849 un certain M. Smith se présentait à Sydney avec un morceau d’or brut devant les membres du gouvernement colonial. Il proposa de désigner l’endroit où il avait trouvé ce spécimen, et où il y avait beaucoup de minerai précieux à découvrir, si l’on voulait lui donner une forte somme d’argent. Le gouvernement refusa. Rien ne prouvait, après tout, que cet échantillon ne venait point des mines de la Californie, et les autorités de Sydney ne voulaient point encourager sans motif ce que les Anglais appellent une fièvre d’or (gold fever). On engagea donc M. Smith à montrer d’abord le champ d’or qu’il voulait vendre, et à se reposer pour le reste sur la libéralité du gouvernement. M. Smith se retira, emportant avec lui un secret qui ne tarda point d’ailleurs à se répandre. Un autre colon plus désintéressé, M. Hargraves, qui avait acquis dans la Californie l’expérience des mines, eut en 1851 tous les honneurs de la découverte, et, n’ayant point posé de conditions, reçut la récompense du gouvernement. Depuis 1852, l’Australie envoie à la Grande-Bretagne une masse d’or qu’on peut évaluer à 10 millions de livres sterling par an.

M. Robert Hunt, archiviste du Musée de géologie pratique de Londres, a fait observer[3] que les grandes découvertes de l’or ont toujours coïncidé avec de grandes époques historiques. En vertu d’une loi qu’on serait tenté d’appeler providentielle, elles sont venues apporter en temps utile de nouvelles ressources au progrès du genre humain. De nos jours elles se relient au développement merveilleux de l’industrie et des arts utiles. La conséquence naturelle de ces découvertes a été une affluence du noble métal, comme disent les Anglais, sur le marché de Londres. En 1858 seulement, la Grande-Bretagne a reçu en matières d’or et d’argent pour une somme qui excédait 37 millions de livres sterling. Il est aisé de se figurer l’essor qu’ont dû imprimer ces richesses métalliques au commerce de la métropole et à la prospérité naissante des colonies. La population de Victoria (Australie), qui en 1836 était de 177 habitans, compte aujourd’hui 540,322 âmes. Les récentes découvertes de l’or n’ont-elles point aussi exercé une influence sur la vie anglaise en ressuscitant chez nos voisins ce qu’ils appellent le génie de l’émigration et en développant dans la ville de Londres d’anciens métiers qui se rapportent au travail des métaux précieux ? Il y a là tout un ordre de faits bien dignes d’une attention sérieuse.

En France, nous avons, au point de vue du système monétaire, deux étalons de la valeur, l’or et l’argent ; les Anglais n’en ont qu’un, l’or : c’est donc à ce dernier métal que nous devrons surtout nous attacher. L’or se présente à nous sous trois formes successives : au sortir de la mine, c’est ou de la poudre ou ce que les Anglais appellent un nugget (morceau d’or brut) ; plus tard, il se convertit en lingot (ingot) ; enfin il devient une pièce de monnaie (coin), après avoir reçu l’empreinte légale. À chacun de ces divers états du métal se rapportent des industries spéciales et des groupes particuliers de travailleurs. Dans les docks, nous rencontrerons quelques représentans de cette hardie famille d’émigrans ou de chasseurs d’or (gold hunters) qui vont saisir la fortune à travers les mers ; chez les fondeurs et les raffineurs de Londres (melters and refiners), nous verrons l’or brut se changer en lingots ; enfin à l’hôtel des monnaies (royal mint), nous pourrons nous former une idée de la manière dont se frappent les pièces d’or ou souverains.


I.

Il n’est guère de théâtre de mœurs plus intéressant que les docks de Londres. Durant ces dernières années, je m’y suis rendu en qualité de curieux chaque fois qu’une nouvelle recrudescence de la fièvre d’or poussait des flots d’émigrans vers de lointaines colonies. Au moment où le vent de la faveur publique était aux mines d’Otago (Nouvelle-Zélande), c’est-à-dire en 1861, je me promenais un jour le long des magnifiques bassins des West-India docks, qui confinent à Lime-house et à Blackwall, tout près de la rive gauche de la Tamise, qui s’en va vers la mer. Blackwall, autrefois un village, aujourd’hui un quartier excentrique de Londres, est occupé par des boutiques et des industries qui se rapportent plus ou moins à la navigation. Les West-India docks, dont la première pierre fut posée en 1800 et qui s’ouvrirent aux vaisseaux en 1802, développent sur une longueur de près de trois quarts de mille un large canal contenu dans le mur d’enceinte. Sur ce canal, parmi une masse serrée de navires au repos, je découvris un vaisseau d’émigrans qui allait partir pour la Nouvelle-Zélande. Ce dernier, quoique un solide trois-mâts, contrastait par son apparence modeste avec les airs superbes des autres bâtimens qui s’élevaient sur les eaux du dock, et à l’intérieur desquels on trouvait un salon d’acajou avec toutes les délicatesses du luxe. Le capitaine, voyant que j’observais avec une grande attention les diverses circonstances du départ, m’invita d’une manière bienveillante à entrer dans le vaisseau. Là le spectacle était navrant et solennel. J’avais devant les yeux toutes les misères de la société relevées par le sentiment d’héroïsme qui s’attache à une résolution extrême comme celle de quitter la mère-patrie. C’est une grande erreur de croire que les jeunes colonies n’attirent à elles, comme on l’a dit trop souvent, que les plus vigoureux enfans du vieux monde. Il y a sans doute parmi les émigrans de fortes et belles natures, mais combien aussi de visages pâlis par la faim, de membres usés, délabrés, vaincus par les privations et les souffrances amères ! Le vaisseau qui allait partir ce jour-là donnait une assez triste idée des forces que l’Angleterre envoie aux antipodes. La première personne que je rencontrai sur le pont était une jeune femme maigre qui donnait le sein à un enfant d’un mois ; mais ce sein n’avait point de lait, et l’enfant se montrait aussi étiolé que la mère. On aurait dit à première vue qu’il n’y avait point d’hommes à bord ; ils étaient alors occupés à déclouer les caisses et à ranger les gros bagages. En revanche, les femmes et les enfans se montraient en grand nombre ; les premières étaient presque toutes tête nue et portaient les cheveux enroulés derrière le cou dans un filet. Ce détail mériterait fort peu d’être remarqué ailleurs ; mais en Angleterre, où les femmes et les jeunes filles portent toujours un chapeau en plein air, il était évident que ces nouvelles venues se regardaient déjà comme chez elles sur le vaisseau. Il y en avait de toutes les îles de la Grande-Bretagne et de tous les âges. Une mère avec six enfans, dont les têtes s’échelonnaient les unes au-dessus des autres comme les tuyaux de la flûte de Pan, devait en arrivant rejoindre son mari, qui était mineur dans les nouveaux champs d’or d’Otago, et qui faisait, disait-elle, de belles trouvailles. Chacune racontait volontiers son histoire en peu de mots. Une fille irlandaise, qui avait eu le malheur de se laisser séduire et qui tenait un enfant sur ses genoux, allait sans doute lui chercher un père dans la Nouvelle-Zélande. Une autre était mariée depuis quelques jours à un Irlandais beaucoup plus vieux qu’elle, et lui passait sans façon les bras autour du cou, tandis que sa sœur, mal vêtue, négligée, les mains et la figure noires, riait à tout moment et à propos de tout avec des dents très blanches. Comme je lui disais qu’elle trouverait sans doute un mari là-bas : « Je l’espère bien, reprit-elle ; c’est pour cela que j’y vais. » Elles appartenaient toutes deux à une famille de pauvres fermiers dont la récolte avait été détruite par la nielle. Un jeune couple attirait surtout l’attention des passagers eux-mêmes : c’était un Écossais et une Écossaise qui étaient mariés de la veille ; cette dernière s’était sauvée de chez ses parens et n’apportait pour tout bagage sur le vaisseau que ses vêtemens de noces. L’Ecosse était encore représentée par un vieux berger à cheveux blancs et par sa femme, qui se donnait quarante-neuf ans, mais qui en paraissait hardiment soixante. « J’ai passé, ajoutait-elle, par tant d’épreuves ! (I have been through so many things !) » Quoiqu’on fût en octobre, la plupart des jeunes filles portaient des robes claires et décolletées : on eût dit qu’elles se croyaient déjà dans les pays chauds. Il y avait dans leur toilette un mélange de coquetterie et d’indigence qui serrait le cœur ; leurs légères chaussures étaient plus ou moins percées, et l’on voyait la misère à travers les trous du châle dans lequel certaines d’entre elles se drapaient orgueilleusement. Du reste pas une larme, pas un murmure, pas une plainte : tous ces émigrans affectaient au contraire au moment du départ un air calme et ironique. Il y avait peut-être de la tristesse sous cette indifférence ; mais chacun avait une manière de cacher ses regrets ou ses inquiétudes. Le caractère des différentes provinces du royaume-uni se reflétait aussi sur la physionomie des individus l’Irlandais par exemple ne se contentait pas d’être impassible et grave comme l’Écossais, il provoquait le rire autour de lui par toute sorte de tours et de grimaces bouffonnes.

Après avoir visité le pont, je descendis dans les cabines. Là les visages étaient plus sombres ; on eût dit que tous ceux qui avaient un poids sur le cœur s’étaient retirés dans ces lieux obscurs pour dérober aux regards leur mélancolie. Il y avait entre autres un jeune homme qui, assis sur un banc devant une table, jouait à l’aide du petit instrument appelé concertina un air triste et bien connu de nos voisins : les « adieux de Byron à la vieille Angleterre. » Quelques bonnes ménagères étaient déjà occupées à blanchir le peu de linge qu’elles emportaient avec elles, tandis que pendant ce temps-là les hommes étaient obligés de bercer les petits enfans dans leurs bras. Les cabines se divisaient seulement en deux classes (il y en a au moins quatre sur les grands vaisseaux d’émigrans), et les dernières surtout étaient très loin de donner l’idée du comfort. L’air, la lumière et l’espace y étaient dispensés avec une affligeante parcimonie ; il y avait des cases, berths, où s’étageaient comme les rayons d’une armoire jusqu’à huit couchettes superposées les unes aux autres, et si étroites que deux personnes seulement pouvaient s’y habiller ou s’y déshabiller à la fois. Le vaisseau devait rester au moins trois mois sur mer, et l’on se figure douloureusement ce que doit être la vie dans ces prisons flottantes ! Telle est d’ailleurs l’infirmité du cœur humain que les moindres circonstances grotesques font aisément diversion aux pensées les plus mélancoliques. Une scène amusante attira tout à coup sûr le pont un nombre considérable de passagers : c’étaient de jeunes cochons de trois ou quatre mois que l’on chargeait à bord et que les marins se passaient de l’un à l’autre au milieu d’un concert de cris aigus, car les animaux, effrayés et peu accoutumés à être portés entre les bras comme des enfans, exprimaient énergiquement leur détresse, qui soulevait des éclats de rire. Il était déjà cependant cinq heures du soir, et les émigrans regardaient le soleil rouge et insensible se coucher une dernière fois pour eux en Angleterre. Le vaisseau s’ébranla lentement dans le canal au milieu d’une forêt de mâts immobiles. Je comptais descendre à la sortie des docks, mais l’eau se trouva trop basse pour que le vaisseau pût s’approcher de la jetée sans toucher le fond, et je me vis contraint de demeurer à bord. Je commençais à me croire décidément parti pour la Nouvelle-Zélande, ce qui divertissait beaucoup les passagers. Nous entrâmes dans la Tamise, et nous descendîmes le cours du fleuve, remorqués par un steamer. Mes compagnons de voyage (car je m’habituais à les considérer ainsi) se retirèrent en grande partie dans les cabines, où ils s’accommodèrent pour passer la nuit. D’autres au contraire, malgré la brise froide et les ténèbres, restèrent obstinément sur le pont, les regards attachés aux rives obscures du fleuve qu’ils ne devaient plus revoir. Je profitai de l’espèce de familiarité qui s’introduit tout de suite à bord de ces sortes de vaisseaux pour interroger les émigrans sur leurs projets, et j’obtins de la plupart d’entre eux les mêmes réponses. « Pourquoi quittez-vous votre pays ? — Il n’y a point de place pour nous dans la vieille Angleterre. — Que comptez-vous faire à la Nouvelle-Zélande ? — Ce que nous pourrons. — Emportez-vous un capital ? — Oui, notre courage et nos bras. » Un petit nombre d’entre eux se vantaient d’être libres, c’était assez dire que les autres ne l’étaient point. Par libres, on entend ceux qui ont payé tout leur passage, tandis que beaucoup, n’ayant donné en partant qu’un faible à-compte, doivent travailler en arrivant jusqu’à ce qu’ils aient payé le reste. Ces derniers se trouvent sous une sorte de servitude, en ce sens qu’ils sont tenus de déclarer le lieu de leur résidence, dont ils ne peuvent s’écarter sans prévenir la compagnie. Il arrive même assez souvent, d’après ce qu’on m’a raconté à bord, qu’au moment où le vaisseau se trouve en pleine mer, on voit sortir d’un tas de cordages ou de toute autre cachette un visage qu’on n’avait point aperçu jusque-là. C’est le plus souvent un jeune homme, quelquefois même une femme, qui a inventé ce stratagème, n’ayant point d’argent pour émigrer. Il est maintenant trop tard pour qu’on songe à renvoyer l’intrus (intruder) ; on est donc obligé de le garder et de le nourrir tout en le faisant travailler pour payer son passage.

Parmi les émigrans se distinguait sur le vaisseau un groupe de chercheurs d’or (gold seekers) qui se rendaient aux mines d’Otago. Ceux-là du moins avaient un but et une destination. Ils se faisaient aisément reconnaître à leur haute stature, à leurs membres vigoureux et à leur air déterminé. Plusieurs d’entre eux étaient d’anciens navies (ouvriers terrassiers), qui emportaient la patrie à la pointe de leur pic, car l’Anglais est chez lui tant qu’il trouve à travailler. À ceux qui leur demandaient : « Que ferez-vous, si vous ne trouvez pas d’or ? » ils répondaient fièrement : « N’y a-t-il point la terre ? » Quelques-uns, en très petit nombre, témoignaient l’intention de revenir dans la Grande-Bretagne quand ils auraient fait fortune. Ce mot semblait étrange dans leur bouche pour qui regardait les rudes vêtemens dont ils étaient couverts. C’est pourtant de ces mains vides au départ, de ces misérables et grossiers enfans du travail, que l’Angleterre attend après tout le précieux métal destiné à accroître le signe de la richesse publique. Plus d’un, parti de même pour l’Australie vers 1853, envoie aujourd’hui son aumône à la mère-patrie pour venir au secours des ouvriers sans ouvrage du Lancashire. Les mines nouvellement découvertes de la Nouvelle-Zélande devaient-elles produire d’aussi heureuses conséquences ? On l’ignorait encore ; mais les récits des journaux étaient séduisans, et la foi des gold diggers (ouvriers qui creusent la terre pour y trouver de l’or) se montrait inébranlable. Il était près de deux heures du matin quand nous arrivâmes à Gravesend. Là du moins je pus descendre à terre, car le vaisseau s’arrêta pour faire des vivres et pour prendre quelques nouveaux passagers. Tous ceux qui étaient à bord me serrèrent cordialement la main ; dans ces momens-là, le dernier auquel on dit adieu n’est plus tout à fait un étranger. Ces voyages à la Nouvelle-Zélande ont tout le caractère d’une transition redoutable ; il y a souvent durant le trajet deux ou trois morts et deux ou trois naissances ; plus d’un navire aussi fait naufrage en doublant le cap des Tempêtes. J’attendis sur la plage de Gravesend le point du jour, et je vis alors le pauvre vaisseau d’émigrans s’éloigner avec ses voiles ; je ne le quittai des yeux que quand il fut loin, bien loin. Combien cette masse noire et en quelque sorte ailée, portant vers l’inconnu les éprouvés du vieux monde, avait l’air de l’espérance flottant sur l’abîme !

Les mines d’Otago ont-elles tenu leurs promesses ? À coup sûr elles ne se sont point montrées stériles, elles ont produit et produisent encore aujourd’hui une belle moisson d’or ; mais elles ont causé dans les commencemens plus d’un désastre. Comme on était alors sous l’impression des merveilles aurifères de l’Australie, le théâtre des nouvelles découvertes se vit en quelque sorte submergé par un déluge d’ouvriers. Beaucoup d’entre eux s’étaient jetés tête baissée dans l’aventure sans avoir devant eux aucun moyen d’existence ; ils comptaient vivre au jour le jour sur l’or qu’ils trouveraient. Par malheur, le noble métal ne se prodigue point, il faut pour le saisir avoir, comme on dit, la main heureuse ; d’un autre côté, le prix des vivres étant très élevé, quelques-uns des chercheurs d’or moururent presque de faim ; les autres se retirèrent découragés. Après tout, cette réaction a été utile en ce sens qu’elle n’a laissé sur les lieux que le nombre de bras nécessaire pour exploiter un champ de travail et de richesse à coup sûr fructueux, mais limité. Au moment où l’attention se détournait des fouilles d’Otago, la fureur des entreprises se porta sur un autre point des colonies anglaises. Il y a quelques années, British-Columbia avait à peine un nom sur la carte du Nouveau-Monde ; aujourd’hui ce nom vole en Angleterre sur toutes les bouches. À quoi doit-on attribuer un tel changement ? On l’a deviné, à la découverte de l’or. Cette découverte fut pourtant d’une éclosion lente et laborieuse. Dès 1856, M. Douglas, gouverneur de l’île Vancouver, avait écrit à Londres au chef du département des colonies pour lui annoncer qu’on avait trouvé de l’or dans la Colombie britannique. Il ne reçut qu’une réponse assez sèche ; le gouvernement anglais se défiait évidemment des illusions qui pouvaient se mêler à cette première reconnaissance du sol, ainsi que les fausses couleurs au creuset des alchimistes. Peu à peu néanmoins la rumeur publique et les rapports du parlement imprimés dans les blue books répandirent la grande nouvelle. Ce ne fut guère qu’en 1858 que l’imagination des Anglais s’enflamma ; une des premières conséquences et peut-être la plus solide de ces bruits merveilleux fut d’ouvrir aux explorations de nos voisins une vaste colonie qu’ils possédaient sans la connaître. Le territoire qui s’étend sur la côte ouest de l’Amérique, au point d’intersection des États-Unis et des possessions russes, n’était guère considéré jusque-là que comme une contrée impénétrable et habitée par des sauvages qui viraient du produit de leur chasse[4].

La plupart des découvertes de l’or sont anonymes en ce sens qu’elles ont été faites à la fois sur plusieurs points et par plusieurs individus. Un des premiers mineurs qui aient enfoncé la pioche dans les champs aurifères de British-Columbia était toutefois un Écossais nommé Adams. Il voyageait sur le territoire de la baie d’Hudson lorsque, s’étant arrêté à l’un des comptoirs, il apprit d’un ami que des Indiens vivant près de Fraser-River avaient apporté à ce même comptoir de la poudre d’or qu’ils avaient offerte pour la vente. Cette nouvelle lui fit dresser les oreilles, car Adams avait été mineur dans la Californie, et il résolut d’examiner les faits par lui-même. Il se mit donc aussitôt à suivre la trace de ces Indiens, et finit par les découvrir dans leur hutte, occupés à laver de l’or dans des corbeilles. S’étant rendu lui-même sur les bords de Fraser-River, il reconnut que le terrain était riche en or, loua un couple d’Indiens et travailla avec eux durant trois mois. Las de vivre loin de la société des blancs et ayant recueilli dans ces trois mois la valeur de plus de 1,000 dollars, il quitta les lieux et confia plus tard son histoire à des matelots américains qui l’accompagnèrent l’année suivante sur le théâtre des travaux commencés. Cependant la rumeur de cette découverte s’était répandue à Victoria, la capitale de l’île Vancouver, et avait même gagné San-Francisco, d’où les mineurs accoururent.

Depuis lors, les champs d’or de la Colombie britannique, mal connus et mal définis à l’origine, ont pris une place certaine sur la carte ; les plus riches paraissent être sans contredit ceux de Cariboo, situés le long de Fraser-River et en face des Montagnes-Rocheuses. Ces derniers furent découverts par un jeune homme appelé Mac-Donnell, qui était de race mêlée, moitié Français et moitié Écossais, combinant dans sa personne et dans son caractère les qualités des deux peuples. Ainsi que beaucoup d’enfans des highlands, il était de forme athlétique et avait ce mépris des obstacles qui tient peut-être chez eux à l’habitude de lutter contre la rude nature des montagnes ; mais à cette force de résistance il joignait une activité d’esprit toute gauloise. Sa robuste santé avait toutefois été ébranlée par un séjour de trois ans dans les mines de la Californie, où il avait été constamment exposé à l’intempérie de l’atmosphère et à mille privations ; il s’était donc rendu pour se rétablir dans la colonie anglaise, où, soit par hasard, soit par des calculs d’analogie avec les gîtes aurifères qu’il avait vus auparavant, il désigna Cariboo comme la terre promise de l’or. À partir de ce moment, les nouvelles venues en Angleterre du théâtre des mines furent de nature à séduire les imaginations les plus froides. Selon toute vraisemblance, les beaux jours de la Californie allaient renaître sur le sol de British-Columbia : l’or, dans quelques endroits, se ramassait par pelletées ; au mois de mai 1860, un M. Smith avait gagné 185 livres sterling 6 shillings en un jour de travail ; beaucoup d’autres, dont on citait les noms, avaient réalisé en peu de temps des sommes fabuleuses. Un Anglais, Richard Willougby, avait trouvé sur le terrain de ses fouilles plusieurs veines très riches de minerai d’argent, mais il les avait dédaignées ; à Cariboo, on ne se baissait que pour ramasser de l’or. Un ancien casseur de pierres était revenu à Victoria avec des sacs pleins de poudre jaune qui lui permettraient de vivre désormais en rentier. On se figure aisément l’effet produit par de tels récits sur l’esprit d’un peuple toujours prêt à tenter la fortune et la mer. Ces richesses sorties de terre en quelques mois, en quelques semaines, souvent même en une nuit, miroitaient au-delà de l’Océan comme ces morceaux de verre qui attirent l’alouette. La fièvre de l’émigration, qui était un peu calmée depuis 1857, époque où plus de deux cent mille individus quittèrent le royaume-uni, parut à la veille de se ranimer chez nos voisins. L’abondance de cette moisson d’or contrastait d’ailleurs péniblement avec la disette du coton en Angleterre et avec la détresse des ouvriers du Lancashire. Peut-être dans la nouvelle colonie était le remède aux maux dont souffre aujourd’hui la classe si nombreuse des fileurs. À cela il y avait pourtant un obstacle : diverses voies de mer et de terre conduisent à la Colombie anglaise, mais elles sont toutes longues et dispendieuses. Nul ne doit songer à ce voyage, s’il n’a au moins dans sa poche 50 guinées. Cet Eldorado ne se trouve protégé, comme on voit, contre l’affluence des aventuriers, que par l’éloignement et les difficultés du passage. Au point de vue des mines, cette limite des distances est peut-être utile ; comme tous les obstacles, elle éprouve les forces et ne cède qu’aux volontés héroïques. L’état aurait bien pu, il est vrai, prêter la main à ceux qui étaient tout à fait sans ressources ; mais le gouvernement anglais, tout en voyant d’un œil favorable se détacher les essaims qui encombrent la ruche sociale, s’abstient en général de protéger directement l’émigration. Cette réserve se comprend surtout en ce qui regarde British-Columbia ; les champs d’or se montrent souvent trompeurs après un certain temps, et l’autorité britannique ne veut point que les émigrans lui reprochent un jour d’avoir encouragé des illusions funestes.

Il y a d’ailleurs beaucoup d’Anglais que les frais de passage n’arrêtent point. J’accompagnais au mois de mai 1862 dans les docks de Londres, où il devait s’embarquer, un ancien gold digger qui avait fait ses premières armes dans les campagnes de la Californie et de l’Australie, ces deux grandes épopées de l’or au XIXe siècle. Comme il avait beaucoup vu, il aimait à raconter, et c’est à lui que je dois plusieurs renseignemens sur la vie des mineurs. Cet homme était attiré en sens contraire par deux passions très fortes, le mal de l’or et le mal du pays. Il en résultait une situation flottante : quand il était sur le théâtre des fouilles, il regrettait l’Angleterre, et quand il était en Angleterre, il regrettait les champs lointains d’où s’échappe la richesse. Cette humeur inquiète est, avec une disposition errante, un trait de caractère qui distingue d’ailleurs en général les chercheurs d’or. Les gypsies, ces vagabonds qui ne s’attachent à rien, se sont quelquefois arrêtés çà et là aux lieux où la rumeur publique signalait la présence du métal convoité. Le travail d’une mine d’or est une loterie : de là sans doute la sombre attraction qu’il exerce sur le cœur de l’homme. À cette loterie, le vieux mineur que j’accompagnais dans les docks n’avait point été heureux jusque-là ; pourtant il ne se montrait point du tout découragé et espérait bien un jour ou l’autre gagner le gros lot. Le steamer qui allait partir pour Victoria, et qui portait le nom de Tynemouth, était un magnifique navire à hélice et en fer ; il contenait environ trois cent soixante passagers, parmi lesquels un tiers au moins allait chercher fortune avec la bêche dans la Colombie britannique. La plupart des futurs mineurs occupaient cette partie du navire connue sous le nom de steerage, près du logement des matelots. À quelques exceptions près, ils n’emmenaient point de femmes avec eux, mais un assez grand nombre de jeunes filles les avaient suivis jusqu’au vaisseau. Il y eut là des adieux murmurés à voix basse, tandis que les hommes promettaient sans doute à leurs bien-aimées des montagnes d’or quand ils reviendraient des mines. Ces départs pour la Colombie et les autres Eldorados ont d’ailleurs fait plus d’une victime. Traversant, il y a deux années, l’Yorkshire, je rencontrai près d’un ruisseau une fille, les cheveux en désordre, les yeux hagards, qui lançait sur l’eau des coquilles de noix en se répétant à elle-même d’une voix tour à tour gaie ou plaintive : « Il reviendra, il ne reviendra pas ! » Des gens de l’endroit m’apprirent qu’elle avait été l’amante (sweetheart) d’un aventurier qui était parti depuis assez longtemps pour les champs d’or et qui lui avait promis de l’épouser ; ne recevant plus de ses nouvelles, la malheureuse était devenue folle. Les femmes ne seraient pourtant point de trop dans la nouvelle colonie ; il faut en effet savoir que les Colombiens se trouvent à peu près dans la même situation que les Romains avant l’enlèvement des Sabines. On devine que le sexe faible y est par conséquent en grande demande, pour me servir de l’expression anglaise. L’évêque de l’île Vancouver, frappé de cet inconvénient, s’est entendu avec une association établie à Londres pour faciliter les conditions du passage à un certain nombre de jeunes filles intelligentes et honnêtes. Il y en avait sur le Tynemouth soixante-deux ; l’une est morte en route, les autres sont arrivées saines et sauves dans la colonie, où elles ont trouvé immédiatement à se placer comme domestiques ou comme gouvernantes en attendant des fortunes meilleures. Quant à celles qui nourrissent des idées de mariage, elles voient affluer les candidats, et n’ont vraiment plus que l’embarras d’un bon choix[5].

Les hommes, parmi lesquels se glissaient bien çà et Là quelques chétifs enfans des grandes villes, formaient en général un corps de vigoureux et intrépides aventuriers ; mais, arrivés dans la colonie, ils ne donnent plus une impression aussi favorable à ceux qui les comparent aux anciens mineurs accourus de San-Francisco. Les vêtemens des premiers sont trop neufs, leurs membres trop blancs, et ils apportent avec eux trop de bagages, tandis que les seconds se distinguent par des traits bronzés, des habits usés qui rendent témoignage de longs services rendus, et par un air de confiance en soi-même qu’ils ont acquis dans la lutte obstinée avec la terre. Entre les uns et les autres, il y a cette différence qu’on remarque entre de nouvelles recrues et de vieux troupiers qui ont reçu dans les îles lointaines le baptême du soleil et de la brise. Arrivés à Victoria, les chercheurs d’or sont encore très loin du lieu de leur destination ; les riches terrains qu’il s’agit de fouiller se trouvent à cinq cents milles de la mer. Pour les atteindre, les hardis mineurs doivent se frayer leur chemin à travers des forêts vierges et sur le sommet de farouches montagnes. La plupart d’entre eux campent autour de la ville, attendant le moment du départ : une avant-garde de jeunes aventuriers s’étant mise trop tôt en marche dans le printemps de 1863, sans doute pour arriver des premiers sur le théâtre des travaux, faillit périr, dans le voyage, de faim et de froid, et au lieu de champs d’or trouva en arrivant des champs de boue détrempée par une neige fondue. Cette même année, le courant des chercheurs s’est divisé en deux branches : les riches et les intrépides se sont rendus à Cariboo ; les autres, effrayés par les difficultés du voyage et par la disette des vivres, se sont dirigés vers les bords de la rivière Sticken. Cette rivière coule sur le territoire russe, dans cette bande de terre qui s’étend du mont Elias au détroit de Portland sur une longueur de trente milles, et conduit dans l’intérieur d’une région où se trouvent quelques milles d’or. La rivière Sticken porte des steamers, même de petits vaisseaux chargés de voyageurs et de provisions. Ces champs aurifères du pauvre homme, poor man’s diggings, comme les appellent les Anglais, quoique ayant l’avantage d’être plus accessibles, ne sont du reste considérés par les mineurs que comme un pis aller ou tout au moins comme une ressource provisoire ; l’idéal est Cariboo, et ils se promettent bien de l’atteindre l’année prochaine ; seulement ils ont cru prudent d’attendre que le gouvernement de la colonie ait ouvert des routes vers cette terre de Chanaan.

La marche de ces caravanes de mineurs à travers le désert est extrêmement curieuse ; le chemin, — si l’on peut appeler cela un chemin, — se trouve en quelque sorte tracé par une longue file de charrettes recouvertes d’une voûte de toile et de cerceaux, traînées par des chevaux, des bœufs ou des mulets, et qui contiennent, avec les instrumens da travail, tout le ménage des ouvriers. Quelques hommes suivent à pied, poussant au besoin devant eux une brouette chargée de leurs outils ou aidant de l’épaule dans les endroits difficiles l’âne qui sue et souffle attelé à une petite voiture où s’entassent pêle-mêle quelques provisions de route et des sacs vides qu’on espère bien rapporter pleins d’or. Il y a peu de femmes et d’enfans ; mais s’il s’en trouve par hasard, leurs mains ne restent point oisives et se prêtent vaillamment à tous les tours de force. Le courage de ces voyageurs est véritablement épique ; on en a vu porter sur leur dos, à des distances énormes, des fardeaux extraordinaires. De tout temps la recherche de l’or a enfanté des prodiges, et la fable des Argonautes est encore à quelques égards de l’histoire moderne. Arrivés sur le terrain des fouilles, quelques jeunes mineurs se montrent tout d’abord désappointés ; ils espéraient, suivant l’expression de l’un d’entre eux, voir l’or pousser de terre comme des champignons ; leurs anciens rêves ne tardent point à s’évanouir ; il faut travailler et travailler dur pour découvrir le rare métal. Les montagnes d’or, ainsi que les îles de diamans, n’existent que dans les pantomimes anglaises de la Christmas. La nature a voulu qu’à Cariboo même l’homme gagnât son pain à la sueur du front. Pour nous faire une idée de ces travaux, il est nécessaire de remonter à la formation et en quelque sorte à l’histoire naturelle de l’or. Au moment des merveilleuses découvertes de l’Australie, les professeurs du Museum of practical geology ouvrirent à Londres un cours public pour les ouvriers qui se proposaient de prendre part au butin, et certes leurs leçons n’ont point été stériles, car les théories de la science se rattachent ici d’une manière intime aux pratiques des mineurs.

Parmi les zones de terrains si nombreuses formant l’écorce de notre globe, il n’en est qu’une où l’or se soit jamais présenté en quantité notable : c’est celle que les géologues désignent sous le nom de roches siluriennes. Ces roches sont très anciennes dans l’histoire de la nature, et pourtant, s’il faut en croire sir Roderic Murchison, l’or, du moins sous sa forme actuelle, serait un produit assez récent des dernières révolutions de notre planète. Sir Roderic veut dire par là que l’or existait sans doute déposé à l’état diffus à travers la masse des roches siluriennes depuis leur origine, mais qu’il ne s’est réuni en veines, en cordons et en cristaux que beaucoup plus tard et à une époque relativement peu éloignée. Quelle est maintenant cette époque ? Le savant géologue anglais croit pouvoir la fixer un peu avant les vastes dénudations de terrains qui eurent lieu presque partout à la surface de notre globe, et durant lesquelles les grands mammifères périrent. Dans les chroniques de la nature, l’âge d’or ne serait donc point au commencement des temps, ainsi que dans les fables des poètes, mais presque à la fin de la dernière période. Quelle est toutefois la cause qui a fondu et aggloméré les molécules aurifères dans le creuset des roches siluriennes ? On ne peut guère la rapporter qu’à ces grandes actions chimiques de la nature connues sous le nom de forces métamorphiques, et dans lesquelles la chaleur et l’électricité combinées avec la vapeur d’eau ont vraisemblablement joué un rôle. Tout annonce en effet que le métal liquide s’est répandu et ramifié en veines dans l’épaisseur de la roche dure, tandis que le quartz, qui sert surtout aujourd’hui de matrice à l’or, était lui-même à l’état mou quand il a rempli les cavités. Cette théorie explique bien la présence de l’or dans les anciennes masses ardoisières et les filons de quartz ; mais comment se fait-il que le précieux métal se trouve aussi et même en grande abondance dans certains terrains d’alluvion, tels que les vallées, le bord des rivières et le lit des torrens ? Sans nul doute par l’action des eaux, des vents, des neiges et des autres causes érosives. Les fragmens qu’on ramasse dans ces terrains et à une profondeur variable sous forme de morceaux irréguliers, de grains ou même de paillettes, ont été détachés à l’origine de la roche-mère.

Ces deux conditions bien différentes sous lesquelles se montre l’or, — associé aux roches solides et aux gaines de quartz, ou en quelque sorte désagrégé par d’anciennes inondations et roulé pêle-mêle comme un caillou parmi les détritus de toute sorte dans les bassins creux, — ont donné lieu à deux ordres de travaux. Attaquer les roches solides et les filons de quartz, les moudre, séparer à l’aide du mercure les molécules d’or qui s’y rencontrent, c’est quelquefois une entreprise fructueuse, mais qui exige beaucoup de capitaux, de puissantes machines et une main-d’œuvre très considérable. Dans les terrains d’alluvion au contraire, où se trouve ce qu’on appelle stream-gold (l’or entraîné par des courans), la nature a déjà fait la moitié de la besogne du mineur. Il ne s’agit plus que de trouver ce qu’elle s’est donné la peine d’arracher aux roches séculaires dont la base reste inébranlable. De très belles masses d’or, nuggets, ont été découvertes plus d’une fois à la surface, mais le plus souvent il a fallu creuser avec la bêche ou la pioche dans ces sables ou ces terrains d’alluvion. D’ailleurs, comme le roi des métaux est avare de sa personne, qu’il se présente volontiers en grains et qu’il n’en faut rien perdre, une des plus sûres méthodes est de laver la terre. Durant l’exposition de 1862, on pouvait aisément se faire une idée de ce procédé curieux au palais de South-Kensington, car un homme envoyé tout exprès de Ballarat, en Australie, pratiquait durant des heures entières devant le public le gold washing, lavage de l’or. Si la terre est argileuse, on la jette d’abord dans un baquet où elle se trouve mêlée à une certaine quantité d’eau, et on la remue avec la bêche pour en séparer le limon gras. Quand le sable ou gravier aurifère se trouve suffisamment libre, l’ouvrier le ramasse et le pose dans un berceau (cradle), sorte de boîte en bois qui a bien à peu près la forme d’un berceau d’enfant. Le sable est étendu à la surface sur une plaque de fer perforée, et, après avoir versé de l’eau en assez grande abondance, deux hommes agitent le berceau en le balançant de droite à gauche et en chantant volontiers ces paroles bien connues des mineurs : « Courage, mes braves garçons, courage ! Berçons allègrement, berçons ! Il y a là dedans un nouveau-né qui ne demande qu’à bien venir. Quelles sont nos pensées en balançant le quartz de çà et de là ? Nous songeons que nous enverrons bientôt un peu d’or à nos familles ! » Pendant ce temps-là, les grains de métal mêlés au sable déjà raffiné tombent dans un compartiment inférieur du berceau destiné à les recueillir. Il faut les laver une troisième fois dans un bassin que l’homme secoue jusqu’au moment où le sable est tout à fait chassé, et alors vous voyez apparaître au fond la poudre et les parcelles d’or. Le cradle appartient à l’enfance des découvertes : il a été remplacé en Australie par d’autres machines plus ingénieuses pour laver et séparer l’or ; mais ces dernières n’ont guère pénétré dans la Colombie anglaise, où l’on continue de bercer avec les bras le métal bien-aimé.

La vie des gold diggers et des gold washers (bêcheurs et laveurs d’or) est une vie d’aventures et de privations austères. Il leur faut demeurer durant plusieurs mois de suite sous une tente, rester exposés durant le jour à toutes les intempéries de l’air, coucher la nuit sur un fit dur ou même sur la terre nue. Si l’un d’eux, plus délicat, veut une hutte de bois, il est obligé de la construire de ses propres mains. Plus tard, il est vrai, comme en Australie, de solides bâtimens de pierre et de brique, de vastes ateliers, des villes éclairées au gaz remplacent sur les mêmes lieux ces maisons de toile et de planches ; mais il ne faut chercher rien de pareil dans les mines à l’état d’enfance, comme celles de British-Columbia. Les mineurs de cette dernière colonie paient au gouvernement un très faible tribut pour acheter l’autorisation de creuser la terre et d’y chercher de l’or, seulement une livre sterling par an, et encore ce tribut est-il facultatif. Très peu néanmoins s’y dérobent, parce que la somme payée assure au mineur la protection de la loi et lui garantit la propriété de son claim, quartier de terrain qu’il s’est choisi et sur lequel il travaille. Ces claims se revendent ensuite à d’autres entrepreneurs pour des sommes quelquefois considérables. Il y a là des hommes de tous les pays et de toutes les couleurs, des nègres, des Indiens, des Chinois, des Anglais, des Américains, des aventuriers des divers états de l’Europe ; mais ils vivent entre eux sur un pied d’égalité. Tous les mineurs s’appellent boys (garçons) ; leur identité se perd sous un sobriquet tel que Dick, Tom, Harry. Le costume des mineurs est le plus souvent une chemise de flanelle rouge ou bleue, un pantalon de velours de coton et des bottes fortes[6]. La plupart d’entre eux bêchent ou piochent durant la journée, et le soir pratiquent le lavage de l’or chez eux, c’est-à-dire dans leur tente. L’eau est un auxiliaire indispensable des travaux, non-seulement pour laver l’or, mais aussi, et en plus grande abondance, pour détremper le limon aurifère, connu sous le nom de pay dirt (boue qui doit payer son homme). Or c’est ici surtout qu’éclatent le courage et l’esprit entreprenant des mineurs. Cette eau est amenée souvent d’assez grandes distances sur le théâtre des fouilles, dans des conduits de bois, des aqueducs ou des canaux creusés à travers l’épaisseur des roches. Une des plus grandes privations est la rareté des vivres ; la famine règne au milieu des sacs d’or. Vers 1858, quelques hommes payèrent jusqu’à 4 shillings pour une livre de viande de mule. Une seule chose console et soutient les mineurs au milieu de ces épreuves sévères, c’est l’espoir de faire fortune en peu de temps. Les chances qui s’attachent à la recherche de l’or sont pourtant très incertaines et très capricieuses : il arrive souvent qu’un quartier de terre (claim) remué et retourné sans succès par un premier groupe de diggers puis abandonné comme décidément stérile, mais repris ensuite par de nouveau-venus, récompense ces derniers en leur offrant des résultats extraordinaires. Sur le sol de la Colombie britannique, les volumineux nuggets (agglomérats d’or), qui ont fait la fortune de plus d’un en Australie, sont assez rares ; mais dans certains endroits la terre abonde en petits fragmens précieux, et la valeur de 150 livres sterling a été extraite d’une seule terrine pleine de boue (dirt). La méthode du travail diffère selon le caractère des individus ; il y en a qui ramassent seulement le plus gros, on appelle cela « éventrer la poule aux œufs d’or, » tandis que d’autres épuisent par de savans lavages toutes les richesses aurifères du champ qu’ils exploitent. La saison des mines (mining season) finit au commencement de l’automne ; les mineurs se forment en caravane ou en colonne de sûreté, et reprennent avec leurs sacs gonflés le chemin de Victoria. Quelques-uns, ayant pour principe que les travaux d’or (gold diggings) sont une table de jeu et qu’il faut savoir s’en retirer à temps, rentrent prudemment chez eux avec les dollars ou les livres sterling qu’ils échangent contre leur poudre jaune ; mais les ambitieux entendent bien revenir l’année suivante, et croient tenir cette fois sous leur bêche les trésors de Sardanapale. L’argent gagné en si peu de temps se dissipe de même. On ne voit plus guère aujourd’hui les extravagances de 1853, les bains au vin de Champagne et les cigares allumés avec des billets de banque, alors que des fortunes étaient faites, défaites, refaites en quelques semaines ; mais il arrive encore dans le voisinage des champs d’or que les pauvres de la veille soient les riches d’aujourd’hui et redeviennent les pauvres de demain.

L’or se présente jusqu’ici sous sa forme naturelle : aux yeux du commerce, cette forme est rude et grossière ; le minerai, — poudre ou nugget, — se trouve en outre mélangé de parties étrangères qui en altèrent la valeur. Il est donc extrêmement difficile dans cet état de le soumettre à une juste expertise. Dans les commencemens, c’est-à-dire à l’origine des découvertes de l’Australie, ces nuggets étaient quelquefois vendus au-dessous de leur valeur à des agens qui faisaient métier de les envoyer en Angleterre ou ailleurs. Aujourd’hui presque tout homme qui a trouvé de l’or brut sous n’importe quelle forme se présente à l’une des banques qui existent dans toutes les colonies anglaises ; là, le minerai est fondu, c’est-à-dire converti en lingots, et le prix est estimé au poids, soit 76 shillings par once. Suivons maintenant ces lingots à la Banque d’Angleterre, le grand rendez-vous de l’or.


II.

Le vaste édifice qui porte le nom de Banque d’Angleterre s’étend sur une surface de terrain enveloppée par quatre rues ; dans l’une de ces rues adjacentes, Lothbury, s’aligne une longue masse d’architecture qu’on pourrait appeler l’arrière-façade des bâtimens ; là s’ouvre une grande porte cochère constellée de grosses têtes de clous, encadrée dans une voûte de pierre en forme d’arcade et masquant derrière elle une grille de fer qui s’adapte aux deux solides battans revêtus de plaques de tôle. À l’autre extrémité de ce vestibule, il y a une seconde grille ouverte qui conduit dans une première cour où l’on se trouve en face d’une troisième grille fermée et doublée jusqu’à une certaine hauteur de fortes lames de fer. Dans l’épaisseur de ces lames ont été pratiqués d’étroits guichets, sorte de meurtrières d’où les soldats retranchés derrière la grille pourraient tirer au besoin sur la foule des assaillans, sans être eux-mêmes exposés aux balles. Ces dispositions stratégiques ont été introduites il y a quelques années, lors du mouvement des chartistes. En Angleterre, où toutes les réformes peuvent s’accomplir dans l’état par des voies légales, on suppose aisément aux émeutiers des intentions de pillage. Cette troisième grille défend une seconde cour, recouverte à une assez grande élévation par un toit de verre. De lourdes voitures pesamment chargées, à en juger du moins par la force des chevaux et par l’ébranlement qu’elles impriment au pavé, pénètrent de temps en temps sous les deux voûtes jusqu’à cette seconde cour intérieure, où elles s’arrêtent à gauche devant une aile de bâtiment sur laquelle on fit : Bullion office. Les Anglais donnent le nom de bullion à toutes les matières d’or ou d’argent se présentant sous une autre forme que celle de pièces monnayées. Ces voitures déchargent en effet à la porte de l’office (bureau) des caisses de bois blanc qui contiennent des richesses métalliques. On devine que le public est exclu de cette cour, et à plus forte raison des bureaux. Si pourtant quelqu’un est appelé là pour affaires ou admis en vertu d’une autorisation spéciale, il pousse la porte et se trouve dans un couloir vitré d’où il aperçoit à droite et à gauche deux salles éclairées par de hautes fenêtres cintrées et dans lesquelles règne un religieux silence. Dans l’une de ces salles, — celle de gauche, — on reçoit, on pèse et on vérifie les lingots. Il faut savoir en effet que la Banque d’Angleterre est tenue par la loi d’acheter toute quantité d’or d’une pureté convenue (of standard fineness) qui lui est offerte à raison de 3 livres sterling 17 shillings 9 pence l’once[7]. Cet or, d’où qu’il vienne et sous quelque forme qu’il apparaisse, doit pourtant, comme mesure de précaution, être d’abord fondu par les fondeurs de la Banque. Il existe bien, il est vrai, une manière de contrôler la qualité de l’or : cette méthode consiste à couper, à l’aide d’une machine, un coin du lingot et à soumettre ensuite ce coin détaché de la masse aux expériences des essayeurs ; mais la fraude pourrait encore se glisser à côté de la pierre de touche : les coins pourraient être purs, et le milieu du lingot contenir une partie d’alliage. Pour défier tout subterfuge, la Banque trouve prudent, — car ici l’erreur serait grave, — de faire refondre toutes les matières d’or ou d’argent par des mains sûres et habiles. Cette opération délicate, qui exige des fourneaux et des appareils chimiques, ne saurait se pratiquer dans l’intérieur de la Banque ; elle constitue donc une branche d’industrie privée que nous devons poursuivre à Londres chez les gold metters and refiners (fondeurs et raffineurs d’or).

Cette même rue Lothbury, qui s’étend derrière la Banque d’Angleterre, donne passage à une ruelle que les habitans de Londres appellent Founders-court. Comme il arrive souvent, le nom est resté, quoique la raison d’être du nom ait disparu depuis longtemps ; 6ar si l’inscription de la ruelle et le voisinage de la Banque indiquent assez qu’autrefois il y avait là des fondeurs, il n’y en a plus aujourd’hui. Il n’existe dans la ville que trois grands établissemens pour la fonte des métaux précieux : ce sont ceux de Rothschild, de Browne et Wingrove et de Johnson et Matthey[8]. La fonderie de M. de Rothschild est de beaucoup la plus considérable de toutes ; mais, comme elle n’emploie guère que des étrangers, j’aime mieux m’arrêter à une maison ayant un caractère bien anglais. Je fus conduit chez MM. Browne et Wingrove, fondeurs et raffineurs de la Banque d’Angleterre, par un des chefs du Bullion office M. A. Johnson, qui, à un esprit distingué, ajoute des connaissances très étendues sur le commerce de l’or et l’économie politique. Nous nous dirigeâmes vers Wood-street à travers un labyrinthe de rues encombrées de camions, de déchargemens et de marchandises que soulevaient des chaînes de fer. Au-dessus de nos têtes, il y avait toutefois des nuées de pigeons qui volaient bravement dans la fumée, attendant sans doute que l’heure des affaires fût écoulée pour descendre à terre et becqueter entre les pavés les grains d’avoine répandus çà et là par les chevaux. Cet éclair de nature, si l’on peut l’appeler ainsi, se dissipa bientôt, et nous nous trouvâmes dans Wood-street, une rue toute dévouée au commerce, mais au coin de laquelle s’élève pourtant, du côté de Cheapside, un grand arbre qui ombrage avec un air de défi une cour froide et nue, autrefois un cimetière. Il s’est trouvé des antiquaires pour compter le nombre de ces arbres, véritables prodiges, qui ont survécu on ne sait comment dans la Cité de Londres au déluge de la population, à la vapeur fuligineuse des fabriques et à l’invasion des ouvrages de maçonnerie se disputant entre eux le moindre pouce de terrain. Nous entrâmes par une grande porte où l’on n’aperçoit aucun nom écrit, aucune enseigne, et nous parvînmes dans une cour au centre de laquelle se dresse, sur quelques marches de pierre, une pompe qui ressemble à un lampadaire de gaz. Là, nous avions devant les yeux trois ailes de bâtiment, à gauche une maison bourgeoise, en face une construction qui rappelait assez bien une chapelle de méthodistes, et sur laquelle était écrit : « On n’entre pas (no admittance) ; » puis à droite s’étendaient les bureaux (counting-house). C’est par la porte des bureaux que nous pénétrâmes dans l’intérieur de ce que les Anglais nomment premisses (local d’une personne ou d’une fabrique).

La counting-house (littéralement : maison où se tiennent les comptes) est une grande et vieille salle paisiblement éclairée, avec des estrades de bois, des tables et des espèces de comptoirs aux formes arrondies et ventrues, derrière lesquels se tiennent des commis. Ce qui frappe le plus en entrant est le nombre des balances ; il y en a de toutes les grandeurs et de toutes les puissances, car dès qu’on touche à l’or et à l’argent il faut des instrumens de précision qui poussent l’exactitude jusqu’au scrupule. Dans cette même salle, il y a souvent des nuggets ou des lingots jetés çà et là sur le plancher avec un air de profusion et de négligence. Le maître raffineur (master refiner), un gentleman très aimable et très intelligent, voulut bien me conduire et m’initier aux secrets de la fabrique. Des bureaux (counting-house), nous passâmes dans un endroit qu’on appelle safe ou trésorerie. C’est une sorte de voûte dans laquelle on renferme les matières d’or et d’argent. Il y avait là des richesses à faire envie au roi Crésus, de massifs lingots d’argent que je n’avais point la force de soulever, de la poudre ou du minerai d’or qui avait passé la mer dans des caisses de bois. Les travaux peuvent se diviser en trois branches qui se trouvent représentées par les trois départemens de l’usine. Il y a l’atelier où se fondent l’or et l’argent (melting room), celui où l’on raffine l’argent, dégagé ainsi du plomb ou du cuivre qui se trouvent associés à ce métal (refining room), et enfin celui où les ouvriers séparent l’or de l’argent et l’argent de l’or (parting room). Nous entrerons d’abord dans la fonderie.

C’est une belle et vaste salle au plancher de fer, au toit de fer et aux murs de brique ; c’est la même que nous avons comparée pour l’extérieur à une chapelle, mais l’intérieur ressemble beaucoup mieux à ces lieux de damnation dont les prédicateurs méthodistes menacent peut-être trop souvent leur auditoire. On pourrait dire dans tous les cas, en adoptant leur langage, que c’est le purgatoire des métaux précieux. Il y a dans le melting room trente-deux fournaises chauffées au coke ; quand elles sont toutes allumées, on peut fondre à la fois 32,000 onces d’argent ou d’or. Il se trouvait ce jour-là sur le plancher de fer des nuggets d’or qui avaient figuré à l’exposition de 1862, l’un entre autres pesant 200 onces et venant d’Australie ; on voyait en même temps des masses d’argent dont quelques-unes avaient été auparavant broyées sous un marteau mû par la vapeur et assenant des coups de la pesanteur de 12 tonnes. Le nugget d’or fut d’abord déposé dans un pot fait de terre et de mine de plomb, qu’on appelle crucible. Ces pots, de toutes les grandeurs, mais à peu près de la même forme, s’étagent par centaines sur des planches enfumées dans toute la longueur de la salle. Alors une des portes en fer qui masquent les fours ardens s’ouvre, et l’on voit apparaître à l’intérieur une clarté incandescente qui fatigue les regards. Le creuset est plongé dans cette bouche de feu. Dès que le métal entre en fusion, un ouvrier écume avec un instrument de fer la surface de l’or bouillant. Cette écume d’or est précieuse ; on la recueille avec soin, et on la soumet à une sorte de lavage pour en extraire les parties qui ont de la valeur. Au bout d’environ vingt minutes, la face de l’or fondu (c’est l’expression employée par les gold melters) se montre pure ; on dirait de la lumière liquide. Cet éclat est si vif en vérité que les gens du métier seuls peuvent le poursuivre à l’œil nu ; les étrangers regardent volontiers ce qui se passe dans le foyer à travers un morceau de verre violet semblable à ceux dont on se sert pour observer le soleil un jour d’éclipsé. Cependant l’ouvrier a préparé un moule de fonte terminé par un manche ou une queue ; après avoir jeté quelques pincées de poudre noire à la surface du métal lumineux, il retire le creuset du feu avec des pinces, et verse l’or liquide dans le moule. On l’emporte alors dans une autre salle pour le refroidir en le plongeant dans l’eau ; il revient dans la fonderie au bout de trois ou quatre minutes (l’or se refroidit très vite), mais il a changé de couleur durant le trajet : de rouge il est redevenu jaune. L’or a généralement besoin d’être fondu plusieurs fois et traité par le borax avant de se dégager entièrement des matières étrangères qui s’attachaient au minerai : on ne veut indiquer ici que la méthode générale.

L’argent passe de son côté par les mêmes épreuves ; seulement on le fond d’ordinaire en plus grande quantité et dans des vases plus longs. Le jour où je visitai la raffinerie, il y avait au feu un creuset déjà rougi où l’on jetait d’anciennes pièces d’argent espagnoles, qui tombaient avec un bruit clair et harmonieux. L’ouvrier fit chauffer un moule qui ressemblait, pour la forme et le volume, à ces moules de fer-blanc dont les cuisinières anglaises se servent pour faire une espèce de gâteau, cake ; il répandit ensuite dans les parois intérieures du moule de la poudre de craie, imitant cette fois encore les mêmes cuisinières, qui jettent une poignée de farine[9]. Alors le creuset ôta poliment sa casquette (c’est le couvercle qu’on veut dire, mais ce couvercle ressemble beaucoup à une casquette de jockey anglais), et peu de temps après le pot lui-même apparut. De l’urne de feu penchée coula une liqueur de feu, et, après avoir renversé le moule, les ouvriers, armés de grosses pinces, entraînèrent sur le plancher en fer une masse d’argent incandescente d’où sortaient des étincelles.

À côté de la fonderie, melting room, est une autre salle où l’on raffine l’argent, refining room. Dans cette dernière s’élève un « four réverbératoire, » reverberatory furnace ; c’est le nom donné par les hommes de l’art à une grande fournaise construite de façon à réfléchir la flamme sur le lit où s’étendent les métaux qu’on se propose d’atteindre par l’action de la chaleur. La bouche du four allumé présente un spectacle magnifique : par instans, on ne découvre à l’intérieur qu’un tourbillon, une tempête de feu et de flamme ; d’autres fois au contraire, on aperçoit le métal liquide se plissant comme la surface d’un lac sous une brise douce et avec cette blancheur éclatante de la lune quand elle semble se fondre sur les eaux légèrement ridées. Un tel appareil n’a pourtant point été construit, on le devine, pour le plaisir des yeux ; il sert à diviser de l’argent le plomb et le cuivre, qui coulent et tombent goutte à goutte dans un compartiment inférieur du four. Nous avons vu que l’or venait surtout d’Australie. D’où vient l’argent ? Les neuf dixièmes de ce métal arrivent en Angleterre du Mexique et de l’Amérique du Sud. La Grande-Bretagne produit aussi par semaine trente mille onces d’argent indigène que, grâce aux procédés de la science, on trouve moyen de séparer des métaux inférieurs. Le refinement est donc une opération qui consiste à épurer, ou, si j’osais risquer le mot, autorisé du reste par la pratique des fondeurs, à désencanailler l’argent.

Un des grands profits du raffineur consiste en outre à extraire l’or de l’argent ou l’argent de l’or. Ici même il agit le plus souvent pour son propre compte ; il lui arrive par exemple d’acheter sur le marché des amalgames d’or et d’argent qu’il paie plus cher que le prix courant, se promettant bien de retrouver la différence ou le surplus sur les bénéfices que lui donnera la séparation des deux métaux. Cette dernière pratique est délicate et réclame toutes les lumières de la chimie. C’est dans le parting room que nous pourrons nous en faire une idée. Il y a dans cette salle, éclairée par un toit de verre, des appareils chauffés au gaz qui ressemblent assez, pour la forme et le volume, à des cruches d’huile ; Dieu nous garde pourtant de leur manquer de respect, car ces vaisseaux, connus en anglais sous le nom de retorts sont en platine et coûtent chacun un millier de livres sterling. Il est vrai qu’ils possèdent un autre avantage, celui d’être inusables ; au bout de dix ans, ils se montrent aussi jeunes et aussi solides que le premier jour. Qu’on n’aille pas croire cependant qu’ils pratiquent la maxime de ne rien faire pour vivre longuement ; on y verse continuellement de l’argent marié à une partie d’or, et cela sur un amalgame d’acide nitrique[10] ; en même temps mille langues de feu, ou pour mieux dire de flamme, lèchent le fond extérieur du vase. Le liquide entre ainsi en ébullition, et l’un des premiers résultats est d’opérer au bout d’un certain temps le divorce de l’or et de l’argent. L’or tombe dans un des compartimens inférieurs du retort sous la forme de grains et avec une couleur brune qui le rend méconnaissable aux yeux des profanes. Il reste alors l’eau d’argent, silver water c’est-à-dire l’acide nitrique, dans lequel l’argent est contenu à l’état de dissolution. Cette eau est versée dans de grands baquets, et l’on devine que le vœu du raffineur est de retrouver l’argent, qui a en quelque sorte disparu dans le liquide. C’est un travail de plusieurs jours ; mais ce travail se fait presque tout seul, et l’on peut suivre sur les baquets se succédant les uns aux autres le progrès d’une désalliance qui doit rétablir entre le métal et l’acide nitrique l’inégalité des conditions naturelles. Les premiers baquets, ceux où vient d’être précipité le liquide, contiennent une eau trouble et verdâtre à la surface de laquelle flotte une écume épaisse ; cette écume d’assez mauvaise apparence est pourtant de l’argent dissous. Plus tard, c’est-à-dire au bout de trois ou quatre jours, cette même eau devient azurée et transparente comme celle dont se servent les lavandières pour passer leur linge au bleu. De minces flocons d’écume ne se montrent plus que de distance en distance à la surface ; des plaques de cuivre qui se trouvent introduites dans le liquide ont exercé sur la dissolution une action galvanique et ont entraîné l’argent au fond du baquet. Il y avait dans chacun de ces baquets huit cents onces d’argent, j’oserais presque dire de boue d’argent, car le plus noble des métaux après l’or se présentait jusqu’ici sous forme de substance vaseuse qui lui faisait peu d’honneur. L’art du raffineur consiste à torturer le métal de toutes les manières ; il le change en eau, en limon, en cristal ou en sel. Je pus enfin voir dans un hangar voisin le terme de ces métamorphoses. Sur une espèce d’auge s’étalait une poussière sèche, mais terne et couleur de gravier : ici je ne pus retenir une exclamation : « Vous ne voulez pas dire que ce soit là de l’argent ? — Je l’espère bien, répondit le maître raffineur avec un sourire ; autrement ce serait malheureux pour mes intérêts. » C’était en effet de l’argent, et du plus pur ; il ne demandait qu’à être remis au feu pour le prouver.

De tels établissemens exigent des capitaux très considérables. Non content de fondre l’or et l’argent des autres, le maître raffineur achète lui-même à l’occasion les métaux précieux et paie toujours au comptant. Les ateliers de Wood-street emploient vingt-huit ouvriers ; c’était autrefois une coutume de la maison de n’occuper que des hommes du pays de Galles (welshmen) : aujourd’hui les ouvriers viennent de différentes provinces, mais ils forment en tout cas une race de travailleurs d’élite qui se distinguent par une haute stature, une honnête figure ronde et des membres cyclopéens. Sur le théâtre des travaux, ils portent en général une jaquette bleue, un bonnet de papier gris et une paire de gros gants pour défendre les mains contre les injures du feu. Il n’y a jamais eu d’exemple qu’aucun d’eux ait cherché à soustraire une partie des richesses qui abondent sans cesse dans l’usine. Cette probité, qui est sans doute dans leur caractère, a en outre pour point d’appui une base matérielle que les Anglais considèrent comme importante : je veux dire de forts salaires. La plupart d’entre eux reçoivent au moins 2 livres sterling par semaine. Il se peut aussi que l’habitude engendre chez ces hommes l’indifférence pour l’or et l’argent qui coulent à flots sous leurs mains. Une partie de ces métaux se répand de la fonderie dans le commerce. On estime la consommation de l’or et de l’argent dans le royaume-uni, pour les ouvrages d’art, à 2,500,000 livres sterling par année, tandis que la France n’en emploie que pour 25 millions de francs. Une beaucoup plus grande masse d’or néanmoins se dirige, en sortant de la maison du fondeur, vers la Banque d’Angleterre.

Les lingots, revêtus d’une marque et de certains chiffres qui constatent désormais leur identité, sont reçus au Bullion office. Là on les pèse de nouveau dans des balances infaillibles : telle est la sensibilité d’une de ces machines qu’un morceau de papier grand comme le creux de la main, jeté dans l’un ou l’autre plateau, le fait aussitôt fléchir. On vérifie ensuite la qualité de l’or, et, quand les lingots sont sortis triomphans de toutes ces épreuves, on les conduit dans les caveaux de la Banque sur une petite voiture (truck) à quatre roues de fer surmontées d’une plate-forme en bois. Les caveaux à voûte de pierre surbaissée se succèdent ou s’embranchent les uns aux autres comme les galeries souterraines dans la crypte d’une église romane. Des becs de gaz y brûlent toute la journée et se confondent avec la faible clarté qui pénètre par de rares ouvertures. Sous ces voûtes en plein cintre luit aussi ce que les anciens alchimistes appelaient du soleil solidifié. On y retrouve ces petits chariots à forme caractéristique (trucks), sur lesquels se voiture le bullion, mais cette fois immobiles, rangés contre le mur et chargés de massifs lingots qui, par la forme et l’épaisseur, ressemblent à des briques d’or. Ce que ces voûtes muettes et obscures ont vu passer de richesses est incalculable. Le jour où je visitai les caves, conduit par le gouverneur de la Banque, M. Alfred Latham, il y avait cent énormes lingots sur chaque truck, représentant une valeur de 80,000 livres sterling, et je comptai dans un seul caveau douze de ces voitures également chargées. On ne s’étonnera plus maintenant des grilles ni des autres moyens de défense qui protègent tant à l’extérieur qu’à l’intérieur ces casemates de l’or. Si j’en crois pourtant une tradition plus ou moins authentique (à laquelle, il faut le dire, les chefs actuels du Bullion office n’ajoutent aucune croyance), toutes ces mesures de précaution auraient failli être mises en défaut, il y a de cela un assez grand nombre d’années, par une circonstance qu’on n’avait point prévue. Les directeurs de la Banque reçurent un jour une lettre anonyme disant que quelqu’un avait trouvé le moyen de pénétrer dans les caveaux où se trouvait le bullion. Cet avis fut considéré comme une mystification, et l’on ne s’y arrêta nullement. La lettre fut pourtant suivie d’une seconde, puis d’une troisième, dans laquelle l’inconnu proposait aux directeurs de les rencontrer en personne dans le bullion room (chambre des trésors) à l’heure qu’ils voudraient bien indiquer pour le rendez-vous. Cette fois leur curiosité était piquée au vif ; ils répondirent à leur étrange correspondant par la voie qu’il avait spécifiée lui-même et désignèrent l’heure de minuit. Des députés du conseil de la Banque, lanterne en main, se rendirent dans le caveau, s’y enfermèrent et attendirent la visite de l’être mystérieux. À l’heure juste du rendez-vous, on entendit un bruit sous terre. Quelques dalles du pavé massif se soulevèrent, et l’on vit apparaître un homme. Il déclara avoir eu connaissance d’un ancien égout d’eau de pluie qui passait sous la salle, et c’est à travers cet égout qu’il s’était frayé un chemin. On vérifia le fait, et l’on récompensa l’honnêteté de l’homme qui, ayant trouvé le défaut de cette cuirasse de pierre, aurait pu abuser si largement de sa découverte. Aujourd’hui de telles surprises sont impossibles ; il n’existe plus de conduit souterrain, et la nuit une garde composée de soldats et de policemen veille comme le dragon antique autour de la toison d’or.

À quoi est destiné le bullion qui dort dans ces caves ? Dort est, je crois, le mot propre, car il ne fait rien jusqu’ici, et en outre il est entouré de silence, de demi-jour, aussi bien qu’un millionnaire dans sa chambre à coucher. Ce bullion sera envoyé un jour ou l’autre par la Banque d’Angleterre à la Monnaie de Londres (Mint), pour y être converti en pièces d’or. La Banque sert en effet d’intermédiaire entre les marchands d’or brut et l’ancienne compagnie des monnayeurs, qui appartient au gouvernement. Est-ce à dire que sous ce rapport l’intervention de la Banque soit obligatoire ? Non vraiment : les propriétaires du bullion pourraient très bien se présenter eux-mêmes à la Monnaie ; ils auraient même, en agissant ainsi, un léger bénéfice de 1 penny 1/2 par chaque once d’or[11] ; mais il leur faudrait attendre plusieurs jours avant que leur or fût frappé en souverains. D’après cette maxime « le temps est de l’argent, » ils trouvent alors plus avantageux de recevoir les bank-notes qui leur sont comptées immédiatement en échange des lingots. La Banque d’Angleterre achète donc à peu près tout l’or qui doit se changer en numéraire et le dirige au fur et à mesure de ses besoins vers l’hôtel des Monnaies (Royal Mint).

Jusqu’en 1806, ce fut dans la Tour de Londres que l’on frappa la monnaie anglaise ; mais le gouvernement, ayant reconnu que cet ordre de travaux ne pouvait se développer dans l’enceinte étroite d’une forteresse et sous la pression des arrangemens militaires, résolut de séparer deux branches si distinctes du service public. L’édifice qu’on appelle aujourd’hui Royal Mint, terminé vers 1811, a été construit d’après les dessins de Johnson et Smirke. C’est un bâtiment de pierre à trois étages, dans le style plus ou moins grec, avec deux ailes et un centre décoré de colonnes ; sur le fronton se déploient les armes de la Grande-Bretagne. Cet hôtel de la monnaie a conservé, tout en se détachant, des liens avec la Tour de Londres, dont la sombre masse s’élève droit en face de lui, flanquée de bastions et couronnée de pièces d’artillerie, qui passent traîtreusement le cou entre les échancrures des parapets. Une telle voisine se trouve évidemment là pour protéger l’autre édifice en cas de besoin. Sur la gauche, en tournant le dos à l’hôtel des monnaies, se présente l’entrée principale de Saint-Katharine’s Docks, dont le mur d’enceinte, massif et très élevé, se prolonge avec monotonie dans tout le parcours d’une interminable rue. À droite, sur la place, se dresse un palais de gin (gin palace) avec la pompe et le clinquant fané qui distinguent ces maisons de commerce. Une grille avec deux entrées défend la cour de l’hôtel ; une de ces entrées, surveillée par deux policemen et une sentinelle, s’ouvre pour les visiteurs et les employés de la Monnaie ; l’autre, toujours fermée, se trouve en outre gardée par un poste de soldats. Si l’on veut maintenant se faire une idée de l’étendue des bâtimens où se frappe la monnaie et du voisinage qui les enveloppe, il faut tourner une ruelle à gauche qui conduit derrière l’édifice. Là on se trouve dans un des quartiers les plus pauvres et les plus sinistres de Londres. De vieilles maisons de bois à toits angulaires et à deux ou trois étages, des allées étroites et humides, des rez-de-chaussée aux vitres sales et ternes, qui sont à la fois des taudis et des boutiques, tel est l’aspect général de Royal Mint-street ; quelques-uns de ces rez-de-chaussée, s’il faut en croire un écriteau suspendu à la porte, sont des échoppes de blanchisseuses. Je ne sais point quelle peut être la couleur du linge qui sort de ces endroits-là ; mais à coup sûr la boutique aurait grand besoin de se blanchir elle-même. Une des plus lugubres parmi ces allées est celle de Saint-Peter’s Court. Là s’étalent devant les portes des vieillards immobiles et paralysés, véritables statues de la caducité ; des jeunes filles qui végètent, pâles et décolorées comme des fleurs à l’ombre ; des femmes dont le visage ne marque point d’âge, et qui se montrent obscurcies par la misère comme par un voile. Avec tout cela, les enfans pullulent dans la rue ; gravement assis en rond sur le pavé, par groupes de huit ou dix, on les voit jouer avec des morceaux de faïence cassée. Cette cour est dominée dans toute sa longueur par un grand mur au-dessus duquel s’élèvent de hauts tuyaux de brique ; ce mur appartient à l’hôtel de la Monnaie et sépare l’extrême indigence des immenses trésors.

Bien peu de visiteurs se donnent la peine de tourner ainsi autour de l’édifice ; munis d’une permission écrite, délivrée par le maître de la Monnaie (master of the Mint), ils entrent par la place de la Tour (Tower-hill), franchissent la grille, traversent un sentier de pierre qui s’aligne entre deux nappes de gazon, et se trouvent dans une salle d’attente. Là, ils signent leur nom sur un registre et sont ensuite conduits dans l’intérieur de l’établissement par des guides qui ont le talent de laisser croire qu’on a tout vu sans avoir rien montré ni rien expliqué. Une sorte de mystère plane sur les travaux du monnayage (coinage), et c’est à l’obligeance du directeur que je dois d’avoir pu soulever un coin du voile. Autrefois les pièces de monnaie se faisaient à la main ; on forgeait avec le marteau des bandes d’or et d’argent qu’on réduisait à l’épaisseur voulue ; on coupait dans ces bandes des carrés qu’on arrondissait ensuite, puis on plaçait un de ces ronds entre deux coins ou poinçons (dies) contenant en creux l’effigie et l’exergue qu’on voulait marquer en saillie sur les deux faces du métal. Un coup de marteau déterminait alors la double empreinte[12]. Qui ne voit ici l’origine de cette expression consacrée, « battre monnaie ? » Aujourd’hui pourtant la monnaie ne se bat plus, elle s’imprime. Dès 1623, un artiste français nommé Briot avait inventé une machine pour remplacer le monnayage à la main, méthode grossière et très imparfaite : il proposa cette machine à son gouvernement ; mais, n’ayant pu obtenir qu’on l’adoptât, il passa le détroit et vint en Angleterre, où il reçut un accueil très favorable. Briot fut nommé graveur en chef, et la nouvelle machine s’éleva par ses soins dans le Royal Mint, qui était alors à la Tour de Londres. Durant une quarantaine d’années, il y eut comme une sorte de lutte entre le balancier (coining press) et le marteau, auquel on revenait encore de temps en temps. Le balancier finit par triompher vers 1662. À partir de ce moment, les monnaies anglaises firent de grands progrès en ce qui regarde la forme et la pureté du travail ; de 1806 à 1811, l’art des coiners (monnayeurs) atteignit encore un nouveau degré de développement par un ensemble de machines installées aujourd’hui à Londres, hôtel de la Monnaie, et appelées du nom de l’inventeur Boulton’s machinery. Ce ne fut pas uniquement au point de vue de l’art que le moderne système rendit de grands services ; ce fut surtout au point de vue de la rapidité du travail. Telle est la puissance des moyens mécaniques dont dispose aujourd’hui le Royal Mint qu’une masse d’or de la valeur de 50,000 livres sterling peut être reçue la veille à la Monnaie sous forme de bullion et être rendue le lendemain sous forme de souverains.

Par quels traitemens a passé l’or durant ce temps-là sous la main des ouvriers et sous l’action des machines ? C’est ce que nous apprendra une promenade dans l’intérieur de l’établissement. En sortant de la salle d’attente, le visiteur se trouve dans une grande cour carrée et enfermée par de vastes bâtimens de brique, dont la couleur jaunâtre et monotone contraste avec l’arrière-façade de l’hôtel, qui est en pierre. Le pavé de cette cour se montre entrecoupé çà et là par des tramways, sortes de rubans de fer incrustés dans le sol, et sur lesquels roulent au besoin de petits chariots couverts de sacs d’or. On a là devant soi trois départemens dont les noms donnent bien une idée de la division générale du travail : dans le premier, on coule l’or (gold melting house) ; dans le second, on le lamine (rolling house) ; dans le troisième, on le frappe d’une empreinte (coining press house). L’ordre rationnel des faits veut que nous visitions d’abord le département où l’or va recevoir encore une fois le baptême du feu.

À son entrée dans le Royal Mint, le bullion, ou lingot d’or, est reçu par le maître député et ouvrier (deputy master and worker) ; il passe ensuite par les mains de l’essayeur du roi (king’s assayer) ; enfin il est inscrit sur un livre par le contrôleur (comptroller), avec le poids tel qu’il a été déclaré par le peseur (weigher and teller), le degré de raffinement, la valeur, le nom du propriétaire et la date du jour. Muni de tous ces certificats de mérite, le lingot se trouve maintenant propre à être mis au pot. C’est à ce degré des nouvelles épreuves que nous le retrouvons dans le melting room de la Monnaie. Cette dernière salle, — avec une fournaise chauffée d’abord au charbon de bois, puis au coke, des creusets de terre et de mine de plomb rougis au feu, des ouvriers à la figure noire et au tablier de cuir, — ressemble beaucoup à ce que l’on a vu déjà chez les fondeurs d’or. La refonte du métal a pourtant ici un but particulier : il s’agit de l’amener au type (standard) qui est exigé en Angleterre pour le cours légal de l’or (legal tender). Si le lingot est trop pur, on y mêle dans les pots un peu plus d’alliage de cuivre, et si au contraire il ne se montre point à la hauteur du titre voulu par la loi, on y ajoute de l’or raffiné. Dans tous les cas, la proportion d’alliage ne doit être que de deux parties de cuivre contre vingt-deux parties d’or ; il n’y a dans le monde que le souverain anglais et les pièces russes qui atteignent ce degré de valeur intrinsèque. Lorsque le métal a bouilli à plusieurs reprises sur le feu et qu’il dégage une belle clarté, les ouvriers l’agitent de temps en temps avec des baguettes de fer chauffées à blanc, qui, au milieu de ce pandémonium, ont tant soit peu un air magique, puis ils le versent dans des moules. Chacun des vases rougis et transparens d’où l’or coule en flamme contient la valeur de 5,000 livres sterling. Les moules forment des espèces de tuyaux creux rapprochés les uns des autres, et qui, s’ils étaient ronds au lieu d’être carrés, ne ressembleraient pas mal à des tuyaux d’orgue. Le jour où je visitai le Royal Mint, il y avait seize de ces tuyaux de fonte qui furent successivement remplis jusqu’au bord. On ouvre alors les moules, et quand le métal est durci et refroidi, il se présente sous une nouvelle forme : de lingot. l’or est devenu barre. Ces barres d’or massif ont environ 1 mètre de longueur sur 1 pouce ou 1 pouce l/2 d’épaisseur ; deux d’entre elles pèsent 60 livres anglaises. Après avoir été éprouvées dans une balance, elles quittent le melting room, qu’on appelle par dérision la « cuisine de l’or, » et se trouvent solidement enfermées sous clé dans une sorte de cachot jusqu’au moment où l’essayeur (king’s assay master) déclare qu’elles sont d’une qualité conforme aux exigences de la loi. Ce jugement rendu, elles sont remises entre les mains de l’ancienne société des moneyers. Ici commence en effet la série des travaux qui doivent convertir ces barres en monnaie courante.

Le premier théâtre de ces procédés mécaniques est le rolling room. Dans cette salle se trouvent transportées et empilées en tas les barres d’or qu’il s’agit maintenant de réduire par degrés à l’épaisseur d’un souverain ou même d’un demi-souverain. Elles passent pour cela à travers une série de laminoirs (rollers). Une machine à vapeur de la puissance de trente chevaux communique le mouvement, la vie à ces énergiques rouleaux d’acier, dont le rôle est d’aplatir les barres d’or au point de les transformer en lames amincies comme des rubans. Ces rubans, qui traînent à terre, ont une largeur de deux souverains posés l’un à côté de l’autre ; si l’on juge cette largeur trop considérable, des ciseaux circulaires divisent chaque bande en deux lanières égales. Les lanières d’or ont bien acquis à peu près, sous l’horrible pression des rouleaux, le degré d’amincissement voulu, mais elles doivent encore subir dans une autre chambre une dernière épreuve. Cette autre chambre, qu’on appelle drawing room, sert de logement à une machine le draw-bench (banc à étirer), qui passe pour un des chefs-d’œuvre de l’art. Le devoir de cette machine est, comme on me l’a expliqué, de régler la substance du métal, c’est-à-dire d’obtenir un degré plus parfait d’uniformité dans l’épaisseur des fillets ou rubans d’or. Une des extrémités du ruban est introduite entre deux cylindres d’acier poli dans la bouche d’un instrument qu’on appelle le chien (dog). Plusieurs de ces machines ont des organes qui ressemblent à ceux de la vie animale et qui en ont reçu les noms, tels que les doigts, la langue, la mâchoire. Le chien, lui, a une face ronde, deux yeux qui sont des vis, une large gueule, des dents, une queue, et, comme le chien Toby un petit chapeau sur la tête. Il s’avance maintenu par une longue chaîne ; avec sa gueule, il saisit le bout du ruban d’or ; avec ses dents et sa queue, fixée sur la chaîne, il attire toute la longueur du ruban vers les cylindres ; à la fin, son chapeau se soulève par l’effet d’une légère secousse, l’avertissant ainsi de lâcher prise et d’abandonner sa proie, c’est-à-dire la bande de métal, qui a maintenant passé par tous les degrés d’aplanissement. On s’assure alors que ces bandes ont juste l’épaisseur d’un souverain, et s’il en est ainsi, on les transfère dans le cutting room pour être coupées.

Cette dernière salle est une des plus belles et des plus bruyantes de l’établissement ; je parle du bruit des machines, car les ouvriers sont muets comme des statues, — caractère qu’on retrouve du reste dans la plupart des fabriques anglaises. Ce silence associé au travail répand une sorte de solennité religieuse sur les ateliers, qu’on prendrait alors volontiers pour des temples ou des lieux de prière. Le principe de nos voisins est qu’on ne peut pas bien faire deux choses à la fois, axiome qui paraît extrêmement simple, mais qui n’est guère pratiqué en France, où nous rions, parlons et travaillons en même temps. Au milieu de la salle, cutting room, s’élève une grande flèche (shaft) et tourne à une certaine hauteur une immense roue volante (revolving fly-wheel) au-dessous de laquelle s’arrondit une plate-forme circulaire en bois, haute d’environ deux pieds. Autour de cette plate-forme se dressent en cercle et de distance en distance douze massives presses ou cylindres à couper (cutting presses). Ces presses aiment l’or, mais c’est pour le mordre : à chaque coup de dent, elles emportent un morceau rond qui a la forme d’un bouton d’habit, et elles donnent un de ces coups de dent par seconde. Douze jeunes garçons sont chargés de les nourrir, c’est-à-dire de placer des lames d’or sous les emporte-pièces (punches), qui s’élèvent et retombent de moment en moment. Au bout d’une minute, ces lames, — lesquelles sont, on le devine, des morceaux coupés dans les bandes d’or que préparent les ouvriers du drawing room, — se montrent toutes percées d’yeux ; on les recueille avec soin, on les lie en paquets égaux, et, ainsi que tous les autres déchets ou copeaux d’or, on les renvoie dans le melting room pour être refondues le lendemain. Quant aux ronds ou boutons connus sous le nom de blanks[13], ils tombent dans des boîtes destinées à les recevoir, et où ils se précipitent avec la libéralité de Jupiter changé en pluie d’or. On peut maintenant se faire une idée de l’ensemble de cette machine à la fois puissante et délicate, blank-cutting machine ; les presses se trouvent animées par la grande roue centrale, qui domine tout et met tout en mouvement, mue qu’elle est elle-même par la pression de l’air atmosphérique.

De la salle où l’on coupe (cutting room) les blanks (pièces rondes qui sont encore vierges de toute empreinte) passent dans le weighing room, où ils vont être pesés. Qui ne comprend toute l’importance de cette pratique au point de vue de la sécurité commerciale, laquelle s’appuie en partie sur la sincérité du numéraire ? La salle du pesage se distingue par un silence particulier, car ici les machines elles-mêmes ne parlent plus ; si le recueillement du travail donne aux autres ateliers de la Monnaie l’air d’un temple, le weighing room en est le sanctuaire. On dirait, pour le style de l’architecture et pour le choix des ornemens, le laboratoire secret d’un musée scientifique. Sur une sorte de comptoir qui court tout autour de la salle, laissant un vide au milieu, s’élèvent douze balances automatiques. Il ne faudrait pourtant point se figurer, sur la foi du nom, la forme des balances ordinaires, avec un fléau et deux plateaux d’égale grandeur ; celles-là sont de rares et curieuses machines, enfermées dans une boîte d’acajou, posées sur un piédestal en fer orné, et recouvertes d’une cage de verre qui les préserve de la poussière et de l’humidité ; elles ressembleraient plutôt à autant de pendules ou de chronomètres. Ces machines ont été inventées en 1842 à la Banque d’Angleterre par William Cotton, un des gouverneurs ; plus tard elles furent adaptées aux besoins de l’hôtel de la Monnaie par Napier, d’après les conseils de M. Pilcher, l’officier qui préside encore aujourd’hui aux travaux du weighing room, et qui voulut bien m’expliquer tous les détails de son département avec les lumières d’un esprit pratique et l’obligeance d’un homme du monde. Telle est la perfection du mécanisme, qu’après au moins une dizaine d’années de service quotidien les parties les plus délicates de ces balances sont encore aussi intactes que le premier jour où elles sortirent des mains de l’ouvrier. L’épithète d’automatiques est bien celle qui leur convient, car, non contentes de peser, elles exécutent machinalement une des plus minutieuses opérations de l’esprit, celle de juger et de choisir. Ces douze machines tiennent en quelque sorte conseil entre elles et décident en dernier ressort sur la valeur de tout le travail qui a été fait jusqu’ici dans les ateliers. Qui croirait que malgré l’excellence des laminoirs et toutes les précautions prises pour assurer l’uniformité de l’épaisseur, il ne se rencontre guère deux surfaces rondes de la même grandeur (blanks) qui se ressemblent exactement pour le poids ? Dans cet état de choses, il a fallu établir, comme remède au mal, une zone conventionnelle dans laquelle on laisse flotter le poids légal des pièces d’or. Ces dernières peuvent peser en plus ou en moins à peu près le quart d’un grain : on les appelle alors moyennes (medium ), c’est-à-dire comprises dans les bornes étroites du droit ; mais en-deçà ou au-delà de cette limite elles sont déclarées trop légères ou trop lourdes. Qui décidera cette délicate question ? Le juge, c’est-à-dire la balance automatique, appelle l’un après l’autre devant son tribunal les blanks, qu’on pourrait appeler jusqu’ici des candidats au titre de souverains. Cette machine a une main qui avance et se retire à intervalles égaux, — quelques secondes environ, — et à chaque fois elle pousse un blank sur une sorte d’index en acier doué d’une sensibilité merveilleuse. Ici la machine hésite, on dirait qu’elle réfléchit ; enfin elle se décide, et le blank jugé, poussé d’ailleurs par un autre qui lui succède et qui va subir la même épreuve, tombe dans un des trois compartimens intérieurs de la boîte, selon qu’il est lourd, léger ou moyen. Cette scrupuleuse balance, qui découvre et dénonce la moindre erreur avec une sûreté inévitable, qui apprécie la centième partie d’un grain, me rappela l’effrayante balance qui pèse les âmes dans les mythologies antiques.

Toutes les opérations que nous venons d’indiquer se font d’ailleurs en un clin d’œil ; chaque machine juge vingt-trois blanks par minute, et, comme il y en a douze, ces ingénieux appareils peuvent peser 80,000 livres sterling dans une journée. On a calculé que le pesage exécuté par ces automates, n’étant plus fait à la main dans des balances ordinaires, constituait pour la Monnaie de Londres une économie annuelle de 50,000 francs. Derrière les machines muettes se tiennent des jeunes gens encore plus muets, à l’air intelligent et sérieux, qui n’ont d’ailleurs qu’à laisser faire les balances et à les nourrir de blanks. Qu’advient-il pourtant de ces pièces d’or qui ont été séparées en trois classes dans les trois compartimens des weighing machines ? Les légères (light) sont à jamais réprouvées (vade retro) ; elles ne sont plus bonnes qu’à être refondues. Les lourdes (heavy) jouissent du droit d’appel en grâce ; elles passent en conséquence par une ingénieuse machine qui se trouve dans la même salle, et qui, au moyen d’une lime, enlève l’excédant du poids. Elle réduit ainsi mille pièces par minutes[14]. Enfin les moyennes vont poursuivre, sans aucune altération, le cours des progrès mécaniques. Il leur reste pourtant encore une épreuve à traverser : le poids ne suffit point, il faut en outre que les blanks résident un son musical. On les jette l’un après l’autre, avec force, sur un bloc de fer, et les muets (dumb) sont rejetés et reportés dans la fonderie aussi bien que les légers, car il n’y a point d’autre moyen de rendre la parole à l’or que de le remettre au feu.

Les travaux qui vont se succéder maintenant de salle en salle convergent tous vers le même but, préparer les blanks à recevoir l’empreinte légale. Ces derniers sont envoyés dans le marking room, où les attend une nouvelle machine, marking machine, destinée à relever en bourrelet les contours circulaires de leur surface plate et unie. Cette machine est douée d’une adresse et d’une activité prodigieuses : elle crache (splits) six cents pièces d’or par minute. Elle les reçoit par une bouche à l’état lisse, et, après avoir exercé la pression nécessaire, les rend par l’autre bouche avec un bord saillant qui protège la circonférence du futur souverain. Un homme ou un enfant suffit à la gouverner. Du marking room, les blanks voyagent alors dans l’annealing room, où ils s’arrêtent pour être recuits et amollis. Il faut en effet savoir que, dans l’état présent, ils briseraient le poinçon (die) plutôt que de se laisser jamais entamer par lui et par la force du balancier. Pour amollir ces pièces dures, on les place par rangées dans l’intérieur d’une grossière boîte en fonte assez semblable aux moules dont se servent les cuisiniers anglais pour faire cuire les pies (pâtés). Ces moules, contenant chacun deux mille huit cents pièces d’or, sont ensuite recouverts d’argile et introduits dans la bouche d’un des grands fours qui règnent sur toute l’étendue de la salle (annealing room). Devant un de ces fours se détachait la haute et imposante stature d’un ouvrier à barbe blonde, à membres cyclopéens, à figure grave et bienveillante, qui dirige cet ordre de travaux connus aussi sous le nom de pickling (maniage de l’or). Quand un de ces moules de fonte a été rougi au feu pendant vingt minutes, on le retire et on le jette tout ardent sur le plancher ; puis, quand il est un peu refroidi, on l’ouvre et on extrait les rouleaux de pièces sans effigie, qui n’ont plus guère maintenant cette belle nuance de soleil luisant auquel on reconnaît le roi des métaux. Il s’agit alors de faire revenir la couleur ; c’est une grande affaire, et, pour nous former une idée des moyens qu’on emploie à cet égard, il faut suivre les blanks recuits et mortifiés (annealed) dans le blanching room (salle à blanchir). Il n’est guère de maison anglaise, si pauvre qu’elle soit, où ne se trouve un wash house, chambre du rez-de-chaussée dans laquelle se font les blanchissages du linge. Là s’élève, à trois ou quatre pieds de terre, un copper, cuvier ou chaudière de zinc fixée dans une maçonnerie de brique sous laquelle s’allume un fourneau de charbon de terre. Cette construction domestique est en tout semblable à celle du blanching room, la chambre à blanchir l’or. Les pièces brûlantes sont d’abord plongées dans un bain d’eau froide qui les amollit, puis dans une solution d’acide sulfurique et d’eau bouillante qui les lave et leur restitue une belle couleur, enfin dans un second bain froid qui en écarte toute trace de sulfate de cuivre pouvant se former à la surface par suite de la combinaison de l’acide avec l’alliage. Après les avoir blanchies, on les emporte dans une salle voisine pour les sécher. On sèche l’or en le frottant et en l’agitant dans un crible avec de la sciure de bois chauffée sur des plaques de fer par un four approprié à cet usage, drying stove. Cette sciure, qui doit provenir du hêtre ou du buis (aucun autre bois ne produirait le même effet), agit sur les blanks mouillés comme une éponge sèche. Pour les dépouiller de toute humidité, on les présente encore à la chaleur dans une passoire de cuivre (calander) ayant un peu l’apparence des poêles trouées dans lesquelles on fait rôtir les marrons. Désormais les ronds d’or (blanks) sont jugés dignes de recevoir l’empreinte qui doit les élever à la dignité de pièces de monnaie légale ; ils se trouvent par conséquent transportés sur des plateaux de cuivre dans le stamping ou coining room salle où ils vont être frappés.

En entrant dans ce département des travaux, il est difficile de ne point se sentir frappé du grand aspect qui s’offre aux regards ; je ne parle point de l’étendue de la salle, qui, malgré la nudité de l’architecture, est une des plus monumentales du Royal Mint ; j’ai surtout en vue le caractère imposant et superbe des agens mécaniques. Sur un soubassement de pierre, d’où s’élancent de distance en distance vers le plafond de robustes piliers de chêne, s’élève une rangée de huit colossales presses à imprimer les monnaies, coining presses. Huit jeunes gens, boys, assis et comme ensevelis jusqu’à mi-corps dans des trous carrés ou fausses trappes qui s’ouvrent à l’intérieur de la massive plate-forme en pierre revêtue d’une couverture de fonte, se contentent de verser de temps en temps dans un tube soixante blanks à la fois ; ceci fait, chaque machine travaille toute seule sans être aidée par la main de l’homme. Comme ces presses automatiques se meuvent en vertu d’un mécanisme invisible, on dirait qu’elles vivent ; les ouvriers ajoutent même qu’elles parlent, et elles font en effet autant de bruit que de besogne. Sur le lit de la presse est placé un des dés ou poinçons en acier, die ou matron, délicats ouvrages d’art qui se gravent dans l’établissement d’après le dessin primitif de M. Léonard Wyon. Ce type a été reproduit religieusement depuis l’avènement au trône de la reine Victoria et ne varie jamais ; la reine Victoria ne vieillit point sur les pièces d’or. Au moment où le balancier s’abaisse, le blank se trouve étroitement enfermé par le jeu intérieur de la machine dans un collier, collar, entre deux dés, l’un placé au-dessus de lui, l’autre au-dessous, de telle sorte qu’il puisse recevoir à la fois toutes les impressions sur les deux faces et sur la bordure. Chaque coup fait un souverain, et le balancier frappe de soixante à quatre-vingts coups par minute. Au moment où je visitai ce coining room, il n’y avait que deux machines en action ; je demeurai environ une heure à contempler ce grave et ingénieux mécanisme : c’étaient donc 7,200 liv. st. qui avaient été frappées durant ce temps-là ; qu’eût-ce été, si, comme il arrive souvent, toutes les presses avaient fonctionné dans la même salle ! 28,800 livres sterling, c’est-à-dire une fortune. Le souverain imprimé est aussitôt chassé par un ressort de la machine comme par un doigt, et roule négligemment avec la figure de la reine d’un côté, avec les armes d’Angleterre sur l’autre face, dans un plateau de cuivre où s’amassent pêle-mêle ses semblables, car la presse continue gravement de travailler, et à chaque palpitation de cette vie mécanique une nouvelle goutte d’or monnayé coule dans le même déversoir. De temps en temps on emporte ces bassins de cuivre remplis jusqu’aux bords, on recueille les souverains, et on les examine avec soin pour séparer les bons des mauvais. Errare humanum est. et ces machines, malgré l’excellence du travail, étant après tout filles de l’homme, se trompent encore quelquefois. Il y a des souverains qui sortent de la presse brisés ou mal imprimés ; ils sont mis à part, et, comme les initiés aux mystères antiques ayant failli, il leur faudra recommencer toutes les épreuves, à commencer par celle du feu. La monnaie d’or anglaise consiste à présent en souveraine et en demi-souverains qui valent vingt ou dix shillings (25 ou 12 francs l/2). Dans certains magasins de Londres, on trouve bien encore des marchandises annoncées sur des écriteaux au prix d’une guinée (21 shillings) ; mais cette pièce de monnaie ne se rencontre plus en réalité ni au Royal Mint, ni ailleurs, si ce n’est dans les cabinets de numismatique ou aux vitrines de quelques changeurs. La guinée devait son nom à une côte d’Afrique, dont une partie a même été appelée gold coast (côte d’or) ; elle fut frappée sous le règne de Charles II avec l’or qui venait d’être découvert dans ces parages. Aujourd’hui c’est une monnaie nominale, un mythe, et l’on s’étonnerait qu’elle figurât encore dans le langage des affaires, si le commerce et surtout les professions libérales n’avaient un intérêt assez grand à l’y conserver. D’après un usage immémorial, la visite d’un physician (médecin de premier ordre) se paie une guinée. c’est-à-dire une ancienne pièce d’or ; on comprend dès lors que le docteur n’aime point le nouveau système monétaire : aussi exige-t-il, qu’on ajoute 1 shilling au souverain pour maintenir intactes les bonnes traditions.

Au point où nous en sommes arrivés, la monnaie d’or est faite ; û ne lui reste plus qu’à passer un examen avant d’être lancée dans le monde. Des ouvriers ou porteurs ployant sous le faix des souverains les enlèvent, les pèsent et les mettent dans des sacs qui contiennent chacun sept cent une livres sterling ; c’est surtout pour ces hommes que la fortune est un fardeau. Les sacs sont ensuite ouverts, et l’on en tire au hasard deux pièces d’or : l’une est examinée par une sorte de conseil d’essayeurs ; l’autre est conservée dans un coffre-fort pour subir un jour ce qu’on appelle l’épreuve du pyx. Cette dernière opération a généralement lieu avec une grande solennité dans Westminster-Hall, à la nomination d’un nouveau maître de !a monnaie ; des membres du conseil privé et douze jurés de la société des orfèvres, goldsmith’ s compayy, y assistent ; le lord grand-chancelier, ou en son absence le chancelier de l’échiquier, y préside, et ce tribunal prononce entre le Royal Mint et le public sur la sincérité des monnaies du royaume. Sans attendre, bien entendu, les séances du pyx, et sur la décision d’un premier tribunal les souverains, désormais considérés comme parfaits, sont le plus souvent consignés pour quelques jours sous des voûtes de pierre à portes de fer, jusqu’à ce qu’il plaise à la Banque d’Angleterre de venir les réclamer. On m’a montré, chemin faisant, une de ces « chambres fortes, » strong rooms, où se trouve quelquefois plus d’un demi-million de livres sterling : l’or est une majesté, et cette chambre ne ressemble pas mal aux cachettes ou cellules de sûreté personnelle qu’on rencontre dans les anciens châteaux royaux.

Jusqu’ici, nous ne nous sommes occupé que de l’or, qui doit, en partie du moins, à la fixité de sa valeur l’honneur d’avoir été choisi pour étalon unique de toutes les monnaies anglaises[15]. Il se frappe en outre au Royal Mint beaucoup de pièces d’argent et de cuivre qui doivent servir d’appoint aux pièces d’or (change). Comme les procédés de fabrication se ressemblent avec des nuances, il est inutile de nous arrêter à ces dernières. Entre les unes et les autres, il y a toutefois une différence sur laquelle je dois insister ; tout le travail relatif au monnayage de l’or est donné gratis au public anglais. En principe, le premier venu peut apporter au Mint une certaine masse de lingots, et il recevra au bout de quelques jours exactement le même poids et la même valeur sous forme de souverains ; on lui fera même cadeau de l’alliage qui entre dans la composition de ces pièces : tous les frais de fabrication se trouvent payés par le gouvernement. En est-il ainsi pour l’argent et pour le cuivre ? Le Royal Mint achète au contraire l’argent pour son propre compte sur le marché, et tout dernièrement cette administration a réalisé pour l’état de grands profits par la conversion de l’ancienne et lourde monnaie de cuivre en une monnaie de bronze plus légère. Cette refonte donna même lieu pendant un temps à de petites industries : je me souviens d’avoir vu dans la Cité des hommes qui recueillaient l’ancien billon dans des charrettes à bras ; ils le portaient ensuite à la Monnaie, où ils recevaient pour leur peine un léger bénéfice de 2 pour 100. Toute la nouvelle monnaie de cuivre ne se frappe d’ailleurs point dans l’enceinte du Royal Mint ; l’administration communique le privilège royal de fabriquer pour son compte des pennies et des demi-pennies à deux entrepreneurs qui demeurent à Birmingham, et qui ont monnayé (coined) dans ces derniers temps jusqu’à 10 tonnes de bronze par jour. De 1816 à 1836, la masse des monnaies d’or, d’argent et de cuivre émises par le Royal Mint a été de 67 à 68 millions de livres sterling ; depuis une dizaine d’années, la production du numéraire a beaucoup varié : mais en 1853 il est sorti des murs du Royal Mint la valeur de 12,664,425 livres sterling.

De tels chiffres donneront une idée de l’activité des machines et des ouvriers. Ces derniers ont conservé l’esprit et un peu les mœurs des anciennes corporations anglaises. Ils se succèdent volontiers de père en fils. Quelques-uns d’entre eux sont logés dans l’enceinte du Royal Mint ; d’autres demeurent en ville, mais ils se montrent tous comme rapprochés par certains traits de famille. Qu’ils habitent ou non ces grands bâtimens cénobitiques où la vie se trouve en quelque sorte réglée par l’uniformité de l’architecture, ils prennent leurs repas durant le jour dans l’intérieur de l’établissement. Après leur journée de travail, ils ne peuvent sortir avant que la balance des comptes ne soit bien établie sur les livres de chaque département, et qu’on soit ainsi assuré qu’il ne manque rien. Un certificat est alors délivré à chacun d’eux pour franchir la haie de gardiens qui veillent à la grille de l’hôtel. On ne fait aucune différence de religion entre les ouvriers ; tout ce qu’on exige d’eux est l’adresse et la probité. Dans les ateliers, la plupart travaillent aux pièces et gagnent généralement de bons salaires ; au bout d’un certain temps, ils sont admis à la retraite et reçoivent une pension. Le principal trait de leur caractère est, en ce qui regarde l’or et l’argent, cette espèce de mépris qu’engendre la familiarité. L’un d’eux, auquel on parlait en ma présence d’une personne riche, demanda, suivant l’usage anglais, combien elle valait. Quelqu’un lui ayant répondu 5,000 livres sterling par an : « Bah ! s’écria l’ouvrier monnayeur, nous en faisons plus que cela dans une journée ! » Il y a encore beaucoup d’autres employés, contre-maîtres, officiers supérieurs, dont la plupart reçoivent des traitemens fixes, résident dans l’établissement, et portent des titres qui rappellent les anciennes associations ouvrières.

Je sortais de l’hôtel des Monnaies, Royal Mint, la tête chargée de visions d’or, quand je me retrouvai sur la place de Tower-hill, où soufflait un acre vent d’automne qui dispersait les dernières feuilles d’une rangée d’arbres et les roulait en tourbillon jusque sous mes pieds. Comme dans les vieilles légendes du moyen âge, où le diable joue si souvent le rôle de faux-monnayeur, les souverains semblaient s’être changés en feuilles mortes.

Parti de la Banque d’Angleterre sous forme de lingots, ballion, l’or y retourne sous forme de souverains dans un chariot accompagné par un des officiers de cette administration : c’est là qu’il faudra le suivre dans une prochaine étude, si l’on veut se faire une idée de la circulation du numéraire dans la Grande-Bretagne.


ALPHONSE ESQUIROS.

  1. Dans la Cornouailles, les ouvriers des mines ramassent assez souvent des parcelles d’or combinées avec le minerai d’étain, qu’ils recueillent dans un tuyau de plume. On peut voir à Londres, au Museum of practical geology, plusieurs échantillons de cet or britannique.
  2. La quantité d’or recueilli par le gouvernement dans le comté de Wicklow fut d’environ 944 onces, représentant une somme de 3,675 livres sterling. Un des morceaux d’or ramassé dans la vallée pesait 22 onces et était regardé comme un des plus beaux spécimens d’or naturel qu’on eût jamais trouvés en Europe.
  3. History and Statistics of gold, discours prononcé en 1853 devant les ouvriers qui se proposaient de grossir l’émigration.
  4. La Revue des Deux Mondes a publié une intéressante étude sur l’île Vancouver et la Colombie anglaise (15 août 1861) ; mais l’auteur de ce travail, M. Alfred Jacobs, n’a pu s’occuper qu’en passant des mines d’or, dont l’exploitation n’était point alors développée. L’étendue et la valeur de ces mines ne sont même point encore très connues ; en les signalant, je ne veux ici que donner une idée de l’impression produite en Angleterre par les premiers récits, vrais ou exagérés.
  5. Ces associations pour fournir des femmes aux colonies anglaises prennent chaque jour de nouveaux développemens. Une des difficultés était de les placer durant le passage sous la sauvegarde d’une personne instruite et considérée. Miss Rye, une Anglaise de grand cœur et de noble dévouement, partait il y a quelques semaines de Londres sur un vaisseau, emmenant avec elle cent émigrantes pour l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
  6. Des maisons de commerce connues à Londres sous le nom d’emigrants outfitters ont réalisé depuis ces dix dernières années des fortunes considérables et ouvert dans la ville des magasins qui sont des palais. On vend là les habits, les outils, les tentes et tout ce qui est nécessaire aux chercheurs d’or.
  7. Lors des découvertes de la Californie et de l’Australie, quelques économistes déclarèrent que la valeur de l’or ne tarderait point à décroître. Depuis 1848, près de 160 millions de livres sterling ont été ajoutés à la richesse de l’Europe et de l’Amérique ; mais la prédiction des économistes ne s’est point réalisée jusqu’ici. Peut-être avaient-ils perdu de vue deux ordres de faits : d’abord les demandes toujours croissantes des fabriques où l’or est employé pour les arts utiles, et ensuite la distribution très restreinte des couches aurifères dans la contexture du globe terrestre. En raison de cette dernière circonstance, les géologues n’ont jamais partagé les craintes des économistes sur la dépréciation future de l’or.
  8. Je parle ici des fondeurs qui travaillent pour la Banque d’Angleterre, car on rencontre ailleurs, mais surtout dans Clerkenwell, beaucoup d’autres usines d’un caractère différent où l’on prépare l’or pour les orfèvres.
  9. On procède ainsi pour que l’argent ne s’attache point à la fonte.
  10. On peut employer avec bien plus d’économie l’acide sulfurique ; mais l’usage de ce dernier agent est interdit dans la Cité de Londres à cause de la fumée et pour d’autres raisons sanitaires. M. de Rothschild, dont les fourneaux sont situés hors de l’enceinte de la Cité de Londres, à Tower-Hill, se sert de l’acide sulfurique au lieu de l’acide nitrique.
  11. La Banque paie le bullion ou lingot 3 livres sterling 17 shillings 9 pence l’once, et la Monnaie le reçoit à raison de 3 livres sterling 17 shillings 10 pence 1/2.
  12. Un de ces anciens dies fut trouvé il y a quelques années dans Westminster Abbey et envoyé à l’hôtel de la Monnaie, où on le conserve comme objet de curiosité.
  13. Tout en cherchant à éviter les noms techniques, nous ne saurions remplacer celui-là, qui, par allusion sans doute à une feuille blanche, indique l’état où se trouve une pièce d’or avant d’avoir encore reçu aucune écriture ni aucune effigie.
  14. Cette machine a été inventée par M. Pilcher.
  15. Au-delà de 40 shillings, tout paiement doit être fait en souverains.