L’Arc d’Ulysse/Je n’ai jamais aimé mes vers que nouveau-nés

La bibliothèque libre.

JE N’AI JAMAIS AIMÉ MES VERS QUE NOUVEAU-NÉS

1

Je n’ai jamais aimé mes vers que nouveau-nés,
Et tièdes de mon souffle avant qu’il s’évapore.
Mais à mes propres yeux le temps les décolore,
Et voilà sur la nue un palais ruiné.

2

Une image y brillait qu’aujourd’hui je repousse ;
À peine si le vers s’imprègne d’elle encor,
Ainsi qu’au lit foulé de l’Absente, un fil d’or
Atteste le sommeil blondin et l’aîne rousse.

Court mirage ! La vie, ancelle aux tâches promptes,
Contre la molle empreinte et le cheveu fervent
Vient ouvrir la fenêtre, et appelle le vent,
Et refait le lit clos sur sa joie ou sa honte.

Court prestige des mots refroidis, de la couche
Où le genou n’est plus de feu pour le genou,
De ce qui fut la lave et n’est plus qu’un caillou,
De la strophe que ne roucoule plus la bouche.

3

Mon rêve devant moi vit, obstacle à ma main,
Non déesse de marbre aux yeux blancs, non Sylvaine
Dont le crin dans l’agate ondoie avec la veine,
Non sein mûr qui boutonne et le doit au carmin.

Devant mes yeux intérieurs épanouie,
La forme pure luit sous ta lampe, ô Psyché,
Et la gorge concrète, et le ventre touché
Font ma main palpitante et ma nuit éblouie.

4

Mais s’il me faut tisser mon rêve dans la laine,
Que ferai-je de toi, chère Image ? — Artemis,
Furtive entre les pins, et ruée ? ou, parmi
Les roseaux, à l’émoi d’Endymion soudaine ?

T’armerai-je de l’arc, la tunique de bysse
Agrafée à l’épaule, écourtée au genou ?
Dois-je, pour te garder de l’épine et du houx,
Croiser la bandelette à ta cheville lisse ?

Mais non. Point de carquois ; que jaillisse la torche !
Ceins d’un bandeau ce front qu’un croissant fait turquin ;
Sois Phœbé-Lucifère, ôte ce brodequin ;
Nulle ronce au parvis du temple qui t’écorche.

Tu n’es plus Artemis… — Effacée et lointaine,
Pourtant tu l’es encor sous d’autres attributs.
Ce pied est prêt au bond, l’œil mesure le but
Au javelot qui va boire le cou des daines.

Mais qui le sait que moi ? Et moi-même demain
— Pour que se fane un songe il suffit d’une aurore, —
Je l’aurai oublié ; de l’œuvre s’évapore
Ce qu’ébaucha le rêve et n’a fixé la main.