L’Au delà et les forces inconnues/La science matérialiste contre les religions

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Société d’éditions littéraires et artistiques (p. 220-228).


LA SCIENCE MATÉRIALISTE CONTRE LES RELIGIONS


Les religions seraient pour M. Binet-Sanglé l’œuvre des psychopathes. — La science des religions. — Les spirites sont de simples hystériques. — La télépathie assimilée à la télégraphie sans fil.


M. Binet-Sanglé a ceci de caractéristique qu’il est un adversaire décidé des principes religieux et spiritualistes. Il appartient à cette école qui continue dans la science moderne le mouvement rationaliste et positif commencé par les Encyclopédistes au xviiie siècle et repris par Büchner. Il a écrit de remarquables études sur Pascal et sur les religieuses de Port-Royal, examinant leur état d’âme en psychiatre plutôt qu’en psychologue et voyant des malades dans ces croyants.

Je reproduis sa lettre à peu près intégralement, car cette enquête est impartiale. Je remercie M. Binet-Sanglé d’avoir bien voulu me l’écrire. Je rends hommage à sa sincérité et à ses connaissances psychologiques et hypnotiques. Je reconnais volontiers avec lui qu’une certaine délicatesse nerveuse, une puissance de suggestibilité aussi bien que de suggestion caractérise les mystiques.

Ceci dit, je me sépare complètement de l’opinion de M. Binet-Sanglé principalement lorsqu’il recommence contre les prophètes la vieille querelle que seuls les plus ignorants parmi les libre-penseurs seraient excusables de ressasser.

Carlyle et Emerson ont fait justice des calomnies dirigées par exemple contre Mahomet. Par son œuvre principale, la destruction de l’idolâtrie et l’élévation de la mentalité de peuples dégradés et cruels jusqu’à la conception du Dieu unique pour qui la prière suffit et qui répudie les infâmes sacrifices sanglants, ce grand homme, ce génie surhumain, visité par un souffle supérieur, a prouvé qu’il avait été autrement civilisateur, que ne sauraient l’être les savants modernes, même psychiatres.

J’ai visité, dans mes courses à travers le monde, les nations que la parole de Mahomet a fortifiées et régénérées ; et j’ai pu constater que, si l’Islamisme est très inférieur au Christianisme, il n’en a pas moins fait du Musulman, un homme la plupart du temps sobre, énergique et pieux, avec peu de superstition. Il faut par exemple être allé dans l’Inde et comparer dans les mêmes villes les Hindous sectateurs de Shiva ou de Vichnou et les Musulmans adorateurs d’Allah ; quoique les uns et les autres soient de même race, du même pays et parfois de la même famille, la différence est telle qu’un Mahométan vaut pour l’honnêteté, le courage et même la force physique au moins dix Hindous.

Je n’ai supprimé dans la lettre fort intéressante de M. Binet-Sanglé qu’un très bref passage qui aurait choqué la plupart de mes lecteurs, même ceux qui ne sont chrétiens que de souvenir. Ces quelques phrases d’ailleurs ne renfermaient rien de nouveau et rééditaient des paradoxes que M. Jules Soury a aujourd’hui avec beaucoup de tact supprimés dans la dernière édition de « Jésus et les Évangiles ».

Si je défends contre le psychiatre la religion de Mahomet, vous pensez bien que ce n’est point pour rabaisser le christianisme qui lui est de tous points supérieur. Quand on connaît bien les livres de la sagesse antique, le profond matérialisme bouddhiste, la magnificence solennelle et dure de la Bible, et les vagues apophtegmes des Hillels et des Jésus de Sirach, on est bien obligé de constater la nouveauté stupéfiante de l’Évangile et l’apparition réellement surhumaine de cette morale. L’Évangile ne trouve chez les plus grands des philosophes antérieurs qu’une bien faible préparation et en revanche il renferme dans son ensemble une protestation merveilleuse contre tous les préceptes étroits ou égoïstes que l’humanité, réduite à ses propres forces, avait acceptés et pratiqués précédemment.

Mais voici la lettre de M. Binet-Sanglé.


« Monsieur,

» Les questions que vous voulez bien me poser ayant un caractère scientifique, j’ai plaisir à y répondre.

» Vous me demandez ce que je pense des religions ? Je vous dirai d’abord ce que je pense de la science.

» La science n’embrasse qu’une très petite portion des phénomènes naturels. De la coordination que nous constatons entre les phénomènes connus, nous induisons la même coordination entre ces derniers et ceux qui sont situés en dehors du champ actuel de notre observation. La légitimité de cette induction est d’ailleurs confirmée par chaque découverte nouvelle. — Autrement dit, si pour les phénomènes actuellement inobservables nous en sommes réduits aux hypothèses, ce que nous savons du développement de la science nous oblige du moins à n’admettre que celles de ces hypothèses qui ne sont pas en opposition avec les données des sens et de la raison. Leur ensemble constitue la métaphysique rationnelle.

» Les religions sont tout autre chose. Les idées qu’elles nous présentent comme des vérités indubitables sont en contradiction :

» 1o avec les acquisitions de la science.

» 2o entre elles, non seulement de doctrine à doctrine, mais dans une même doctrine.

» L’incohérence, tel est en effet le caractère commun des doctrines religieuses.

» Tel est aussi le caractère commun des productions de l’aliénation mentale.

» C’est que les religions sont l’œuvre de psychopathes. Le chamelier Mohammed présentait des hallucinations visuelles et auditives et des crises nerveuses de nature probablement hystéro-épileptique.

. . . . . . . . . . . . . . . .

» Des troubles mentaux semblables ou analogues ont été constatés chez des mystiques de moindre envergure ou qui furent moins bien servis par les circonstances, et j’ai relevé pour ma part des symptômes manifestes d’hystérie chez la moitié environ des religieuses de Port-Royal.

» Les idées religieuses se propagent par suggestion et si en dépit de leur absurdité elles sont si aisément reçues c’est que les victimes de ces suggestions les subissent pour la plupart dans l’enfance, âge où la suggestibilité (le fait a été scientifiquement démontré) est à son maximum.

» Quant aux conséquences sociales de ces suggestions, quant au rôle qu’elles jouent dans les discordes et la décadence des groupes ethniques je n’ai rien à ajouter à ce que j’ai écrit naguère dans les Archives d’anthropologie criminelle.

» J’ai proposé d’ajouter au programme des examens de fin d’études la « Science des religions » et les « Lois de la suggestion mentale ».

» C’est qu’en effet les religions ne sauraient survivre à la connaissance de leur histoire et à celle des phénomènes psychiques qui sont la condition de leur propagation. — Lorsqu’on saura comment elles naissent, comment elles se transforment, lorsqu’on connaîtra l’état mental de leurs fondateurs et de leurs propagateurs, les religions auront vécu. Elles sont destinées à faire place à la métaphysique qui est la religion de l’avenir…

» En attendant cette évolution bienfaisante, condition indispensable de la paix universelle, l’attitude de tout homme dégagé des suggestions religieuses à l’égard des mystiques, doit être celle d’un homme sain à l’égard des malades, une attitude toute de respect, de bienveillance et de pitié.

» Votre seconde question a trait aux phénomènes dits spirites. Ceux dont j’ai connaissance me paraissent devoir être rapportés à des hallucinations ou au dédoublement de la personnalité. On ignore communément, en effet, que le cerveau est une colonie de cellules nerveuses qui peuvent s’isoler fonctionnellement et que cette dissociation de la colonie cérébrale est fréquente chez les hystériques. — Non seulement les hémisphères peuvent travailler séparément, ce que Dumontpallier a fait voir, mais des groupes relativement petits, de cellules corticales peuvent entrer en action à l’insu du reste de la colonie. Tel est le mécanisme de la cérébration inconsciente, de l’écriture automatique et de l’automatisme verbal.

» Les sujets qui sont le théâtre des phénomènes dits spirites, sont, j’en ai bien peur, de simples hystériques, ce mot étant d’ailleurs dégagé de son sens vulgaire et n’impliquant qu’une constitution spéciale de la cellule nerveuse. Ils s’en consoleront aisément, je pense, en songeant qu’ils partagent cette particularité avec un grand nombre d’hommes de génie.

» Quant aux phénomènes télépathiques, trois savants anglais : Gurney, Myers et Podmore, ont réuni à ce sujet des observations qui paraissent plaider en faveur de la réalité de ces phénomènes ; et une expérience que j’ai faite moi-même m’a conduit à considérer comme possible la transmission des ondulations nerveuses de cerveau à cerveau sans l’intermédiaire analogue à celui qui sert de base à la télégraphie sans fil, les ondulations nerveuses étant d’ailleurs très voisines des ondulations électriques.

» Il n’y aurait là, bien entendu, rien de surnaturel.

» Au demeurant, je ne sais rien de plus merveilleux que les choses de la science, et les conceptions délirantes des religions, grandes et petites, ont quelque chose de mesquin devant l’admirable enchaînement des phénomènes naturels.

» Veuillez agréer.
» Dr Binet-Sanglé. »