L’Au delà et les forces inconnues/Le mysticisme anarchiste contre le mysticisme religieux

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Société d’éditions littéraires et artistiques (p. 180-184).


LE MYSTICISME ANARCHISTE CONTRE
LE MYSTICISME RELIGIEUX


(LE COMPAGNON JEAN GRAVE)


Le mysticisme religieux tentative mort-née. — La théorie transformiste et l’évolution seraient suffisantes pour expliquer l’univers. — Roublardise des mystiques ; bêtise et détraquement de leurs victimes.


L’anarchie n’est pas seulement une secte politique, mais aussi, quoique bien rudimentaire, une certaine philosophie. C’est le dernier rejeton des idées nouvelles. L’anarchie, comme tous les partis jeunes, est intransigeante. Il ne faut pas lui demander de faire la part des hommes qui sont faillibles et des idées qui peuvent, malgré ceux qui les adoptent, être généreuses et belles. Une certaine ignorance, surtout en ce qui concerne la tradition, sied à l’anarchiste. On s’est beaucoup plu à comparer la doctrine des « compagnons » avec le christianisme primitif. Cependant, il y a cette différence que les premiers chrétiens ne moururent que pour avoir renversé des idoles, tandis que les anarchistes, martyrs eux aussi si l’on veut, ne furent immolés qu’après avoir eux-mêmes tué ou essayé de tuer des êtres vivants. Ce qu’il y a de vrai dans cette comparaison assez arbitraire, c’est que l’anarchie en arrive à être à son tour un certain mysticisme malgré les allures positives qu’elle tâche de prendre et qu’ensuite, malgré ses éclats et ses violences, elle rêve comme bases de la société future la fraternité et l’amour.

Le compagnon Jean Grave m’a semblé entre tous plus susceptible d’impartialité par l’élévation morale de ses théories et sa répugnance pour les actes de destruction brutale. Un de ses livres préfacié avec éloquence par M. Octave Mirbeau restera comme le monument le plus respectable jusqu’ici de la mentalité anarchiste.



Lettre du compagnon J. Grave.


« Cher monsieur,


» Je ne voudrais pas que vous croyiez à une mauvaise volonté de ma part, mais j’ai pris la ferme volonté de ne jamais répondre aux interviews, que je trouve bêtes et prétentieux ; ce n’étant, la plupart du temps, qu’un moyen de poser pour la galerie.

» De plus dans la question dont il s’agit, je suis absolument incompétent. Considérant le mysticisme comme un anachronisme, je ne m’en suis pas occupé. J’ignore ses tendances, dans leur détail.

» Je sais, qu’il y a quelques années, de jeunes littérateurs et artistes, cherchèrent à se singulariser dans cette voie qu’ils essayèrent de remettre à la mode, sous prétexte, disaient-ils, de réagir contre le naturalisme. Mais cette tentative, resta, il me semble, très bornée et elle ne tarda pas à se disloquer sous l’influence de l’idée anarchiste qui attira à elle ceux qui avaient quelque chose dans la tête, en leur apportant une note plus juste et plus vraie.

» Convaincu que la théorie transformiste et l’évolution sont bien plus capables de nous expliquer les origines de l’homme et de l’univers en appuyant leurs démonstrations par des faits, que ne pourraient le faire toutes les fantasmagories des prêtres, mystiques et cabalistes, qui ne savent répondre aux hypothèses que par d’autres hypothèses, je m’en tiens aux choses positives, sans m’occuper de divagations qui ne prouvent que la roublardise de ceux qui les exploitent et la bêtise ou le détraquement de ceux qui coupent dedans.

» Bien cordialement.
» J. Grave. »


Je ferai seulement remarquer au compagnon Jean Grave que les théories de Darwin (transformisme, évolutionisme etc.) sont loin, — quoiqu’il semble l’ignorer, — d’être définitives et incontestables ; elles sont des hypothèses aussi qui, acceptées aujourd’hui, seront abandonnées peut-être demain pour d’autres hypothèses plus satisfaisantes encore.