L’Encyclopédie/1re édition/ALCHIMISTE

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 249).
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ALCHIMISTE, s. m. celui qui travaille à l’Alchimie. Voyez Alchimie. Quelques anciens Auteurs Grecs se sont servis du mot χρυσοποιητὴς, qui signifie faiseur d’or, pour dire Alchimiste, & de χρυσοποιητικὴ, l’art de faire de l’or, en parlant de l’Alchimie. On lit dans d’autres Livres Grecs, ποιητὴς, fictor, faiseur, Alchimiste, qui signifie aussi Auteur de vers, Poëte. En effet, la Chimie & la Poësie ont quelque conformité entr’elles. M. Diderot dit, pag. 8 du Prospectus de ce Dictionnaire : la Chimie est imitatrice & rivale de la nature ; son objet est presqu’aussi étendu que celui de la nature même : cette partie de la Physique est entre les autres, ce que la Poësie est entre les autres genres de littérature ; ou elle décompose les êtres, ou elle les revivifie, ou elle les transforme, &c.

On doit distinguer les Alchimistes en vrais & en faux, ou fous. Les Alchimistes vrais sont ceux qui, après avoir travaillé à la Chimie ordinaire en Physiciens, poussent plus loin leurs recherches, en travaillant par principes & méthodiquement à des combinaisons curieuses & utiles, par lesquelles on imite les ouvrages de la nature, ou qui les rendent plus propres à l’usage des hommes, soit en leur donnant une perfection particuliere, soit en y ajoûtant des agrémens qui, quoique artificiels, sont dans certains cas plus beaux que ceux qui viennent de la simple nature dénuée de tout art, pourvû que ces agrémens artificiels soient fondés sur la nature même, & l’imitent dans son beau.

Ceux au contraire qui sans savoir bien la Chimie ordinaire, ou qui même sans en avoir de teinture, se jettent dans l’Alchimie sans méthode & sans principes, ne lisant que des Livres énigmatiques qu’ils estiment d’autant plus qu’ils les comprennent moins, sont de faux Alchimistes, qui perdent leur tems & leur bien, parce que travaillant sans connoissance, ils ne trouvent point ce qu’ils cherchent, & font plus de dépense que s’ils étoient instruits, parce qu’ils employent souvent des choses inutiles, & qu’ils ne savent pas sauver certaines matieres qu’on peut retirer des opérations manquées.

D’ailleurs, ils ont pour les charlatans autant de goût que pour les Livres énigmatiques : ils ne se soucient pas d’un bon Livre qui parle clairement, mais ne flate point leur cupidité comme font les Livres énigmatiques auxquels on ne comprend rien, & auxquels les gens entêtés du fabuleux, ou du moins du mystérieux, donnent le sens qu’ils veulent y trouver, & qui est plus suivant leur imagination ; aussi ces faux Alchimistes s’ennuieront aux discours d’un homme instruit de cette science, qui la dévoile, & qui réduit ses opérations à leur juste valeur : ils écouteront plus volontiers des hommes à secrets aussi ignorans qu’eux, mais qui font profession d’exciter leur curiosité.

Il faut dans toute chose, & surtout dans celles de cette nature, éviter les extrémités : on doit éviter également d’être superstitieux, ou incrédule. Dire que l’Alchimie n’est qu’une science de visionnaires, & que tous les Alchimistes sont des fous ou des imposteurs, c’est porter un jugement injuste d’une science réelle à laquelle des gens sensés & de probité peuvent s’appliquer : mais aussi il faut se garantir d’une espece de fanatisme dont sont particulierement susceptibles ceux qui s’y livrent sans discernement, sans conseil & sans connoissances préliminaires, en un mot sans principes. Or les principes des sciences sont des choses connues ; on y doit passer du connu à l’inconnu : si en Alchimie, comme dans les autres sciences, on passe du connu à l’inconnu, on pourra en tirer autant & plus d’utilité que de certaines autres sciences ordinaires. (M)