L’Encyclopédie/1re édition/ANATHÉME

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 408-409).

ANATHÉME, s. m. (Théol.) du Grec ἀνάθημα, chose mise à part, séparée, dévoüée. Ce nom est équivoque, & a été pris dans un sens odieux & dans un sens favorable. Dans le premier de ces deux sens, anathème se prend principalement pour le retranchement & la perte entiere d’un homme séparé de la communion des Fideles, ou du nombre des vivans, ou des priviléges de la société ; ou le dévoûment d’un homme, d’un animal, d’une ville, ou d’autre chose, à être exterminé, détruit, livré aux flammes, & en quelque sorte anéanti.

Le mot Hébreu חרם, cherem, qui répond au Grec ἀνάθημα, signifie proprement perdre, détruire, exterminer, dévoüer, anathématiser. Moyse veut qu’on dévoue à l’anathème les villes des Chananéens qui ne se rendront pas aux Israëlites, & ceux qui adoreront les faux dieux. Deuter. VII. 2. 26. Exod. XXII. 19. Quelquefois on dévoüoit à l’anathème ceux qui n’avoient pas exécuté les ordres du Prince ou de la République : ainsi le peuple Hébreu assemblé à Maspha dévoüa à l’anathème quiconque ne marcheroit pas contre ceux de Benjamin, pour venger l’outrage fait à la femme du jeune Lévite. Judic. xix. & xxj. Saül dévoüa à l’anathème quiconque mangeroit quelque chose avant le coucher du soleil dans la poursuite des Philistins. I. Reg. xiv. 24. Il paroît par l’exécution de tous ces dévoûmens, qu’il s’agissoit de faire mourir tous ceux qui s’y trouvoient enveloppés. Quelquefois des personnes se dévoüoient elles-mêmes, si elles n’exécutoient quelque chose.

De-là l’Eglise chrétienne, dans ses décisions, a prononcé anathème, c’est-à-dire, qu’elle a dévoüé au malheur éternel ceux qui se révoltent contr’elle, ou qui combattent sa foi. Dans plusieurs conciles, tant généraux que particuliers, on a dit anathème aux hérétiques qui altéroient la pureté de la foi ; & plusieurs autres ont conçû leurs décisions en cette forme : si quelqu’un dit ou soûtient telle ou telle erreur ; si quelqu’un nie tel ou tel dogme catholique, qu’il soit anathème : si quis dixerit, &c. anathema sit ; si quis negaverit, &c. anathema sit.

Il y a deux especes d’anathèmes ; les uns sont judiciaires, & les autres abjuratoires.

Les judiciaires ne peuvent être prononcés que par un concile, un Pape, un Evêque, ou quelqu’autre personne ayant jurisdiction à cet égard : ils different de la simple excommunication, en ce qu’elle n’interdit aux Fideles que l’entrée de l’Eglise ou la communion des Fideles, & que l’anathème les retranche du corps des Fideles, même de leur commerce, & les livre à Satan. Voyez Excommunication.

L’anathème abjuratoire fait pour l’ordinaire partie de l’abjuration d’un hérétique converti, parce qu’il est obligé d’anathématiser l’erreur à laquelle il renonce. Voyez Abjuration.

Les critiques & les commentateurs sont partagés sur la maniere d’entendre ce que dit S. Paul, qu’il desiroit être anathème pour ses freres. Rom. ix. 3. les uns expliquent ce mot par celui de maudit ; les autres par celui de séparé.

Cependant comme le mot anathème, ἀνάθημα, signifie en général consacré, dévoüé, on le trouve pris en bonne part dans les anciens Auteurs ecclésiastiques ; c’est-à-dire, pour toutes les choses que la piété des Fideles offroit dans les temples, & consacroit d’une maniere particuliere, soit à leur décoration, soit au service de Dieu. Quelques Grammairiens distinguent scrupuleusement entre ces deux mots Grecs ἀνάθηματα, & ἀνάθεματα, dont le premier, disent-ils, signifie les choses dévoüées à périr, en signe de malédiction & d’exécration ; & le second s’applique aux choses retirées de l’usage profane, pour être spécialement consacrées à Dieu : mais ils ne donnent aucune raison solide de cette distinction. D’ailleurs, les peres Grecs employent indifféremment ces deux termes dans le double sens dont il s’agit ici, sans y mettre la distinction qu’ont imaginé les Grammairiens. Pour nous, nous nous contenterons de remarquer que les anciens donnoient le nom d’anathème à toutes les offrandes, mais principalement à celles qu’on suspendoit aux piliers ou colomnes, & aux voûtes des églises, comme des monumens de quelque grace ou faveur signalée qu’on avoit reçûe du ciel. Bingham, Orig. ecclés. tome III. liv. VIII. c. viij. S. I. (G)