L’Encyclopédie/1re édition/ARQUEBUSE

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ARQUEBUSE, s. f. (Art milit.) arme à feu de la longueur d’un fusil ou d’un mousquet : c’est la plus ancienne des armes à feu, montée sur un fût ou long bâton. Ce mot vient de l’Italien acrobusio ou arco abuso ; arco signifie arc, & busio, trou : l’ouverture par où le feu se communique à la poudre dans les arquebuses qui ont succédé aux arcs des anciens, a donné lieu à cette dénomination.

L’arquebuse, selon Hanzelet, doit avoir quarante calibres de long, & porter une balle d’une once & sept huitiemes, avec autant de poudre. Le pere Daniel prétend que cette arme commença au plûtôt à être en usage sous la fin du regne de Louis XII. parce que Fabrice Colonne, dans les dialogues de Machiavel sur l’art de la guerre, ouvrage écrit à peu près dans le même tems, en parle comme d’une invention toute nouvelle : L’arquebuse, dit-il, qui est un bâton inventé de nouveau, comme vous savez, est bien nécessaire pour le tems qui court. L’auteur de la discipline militaire, attribué au seigneur de Langis, en parle de même : La harquebuse, dit-il, trouvée de peu d’ans ençà, est très-bonne. Il écrivoit sous le regne de François I. Cette arme avoit beaucoup de rapport à nos mousquetons d’aujourd’hui pour le fût & le canon, mais elle étoit à roüet.

Des arquebuses vinrent les pistolets ou pistolets à roüet, dont le canon n’avoit qu’un pié de long : c’étoient les arquebuses en petit.

Les arquebuses & les pistolets à roüet sont aujourd’hui des armes fort inconnues : l’on n’en trouve guere que dans les arsenaux & dans les cabinets d’armes, où l’on en a conservé par curiosité.

Le roüet qui donnoit le mouvement à tous les ressorts de ces armes, étoit une petite roue solide d’acier qu’on appliquoit contre la platine de l’arquebuse ou du pistolet : elle avoit un essieu qui la perçoit dans son centre. Au bout intérieur de l’essieu qui entroit dans la platine, étoit attachée une chaînette qui s’entortilloit autour de cet essieu quand on la faisoit tourner, & bandoit le ressort auquel elle tenoit. Pour bander le ressort on se servoit d’une clé, où l’on inséroit le bout extérieur de l’essieu. En tournant cette clé de gauche à droite, on faisoit tourner le roüet ; & par ce mouvement une petite coulisse de cuivre qui couvroit le bassinet de l’amorce, se retiroit de dessus le bassinet : par le même mouvement, le chien armé d’une pierre de mine, comme le chien du fusil l’est d’une pierre à fusil, étoit en état d’être lâché dès que l’on tireroit avec le doigt la détente comme dans les pistolets ordinaires ; alors le chien tombant sur le roüet d’acier, faisoit feu & le donnoit à l’amorce. On voit par cet exposé que nos pistolets d’aujourd’hui sont beaucoup plus simples, & d’un usage plus aisé que les pistolets à roüet. Hist. de la Mil. Franç. par le pere Daniel.

Lorsque l’arquebuse étoit en usage, on appelloit arquebusiers les soldats qui en étoient armés. Il y avoit des arquebusiers à pié & à cheval. On tire encore en plusieurs villes de France le prix de l’arquebuse pour le plaisir & l’amusement des bourgeois. On l’appelle ainsi, parce que l’établissement de ces prix avoit eu pour objet d’exercer les bourgeois des villes à se servir de cette arme avec adresse dans des tems où la garde de la plûpart des villes leur étoit confiée. Ces prix subsistent encore dans plusieurs villes, & quoique l’on s’y serve de fusils, ils retiennent leur ancien nom de prix de l’arquebuse. (Q)

Arquebuse à croc, est une arme que l’on trouve encore dans la plûpart des vieux châteaux : elle ressemble assez à un canon de fusil, & elle est soûtenue par un croc de fer qui tient à son canon, lequel est soûtenu par une espece de pié qu’on nomme chevalet. On s’en servoit beaucoup autrefois pour garnir les creneaux & les meurtrieres. On dit que la premiere fois qu’on ait vû de ces arquebuses, ce fut dans l’armée impériale de Bourbon, qui chassa Bonnivet de l’état de Milan. Elles étoient si massives & si pesantes, qu’il falloit deux hommes pour les porter. On ne s’en sert guere aujourd’hui, si ce n’est dans quelques vieilles forteresses, & en France dans quelques garnisons. Le calibre de l’arquebuse à croc est plus gros que celui du fusil, & bien moindre que celui du canon. On charge cette arme de la même maniere que le canon, & l’on y met le feu avec une meche. Sa portée est plus grande que celle du fusil. (Q)

Arquebuse ou Fusil à vent, (Physiq.) machine servant à pousser des balles avec une grande violence en n’employant que la force de l’air. Cette espece d’arme chargée d’air, a un effet qui ne le cede guere à celui des fusils ordinaires : mais en la déchargeant elle rend beaucoup moins de bruit. C’est apparemment ce qui a donné occasion aux histoires ou à la fable de la poudre blanche. Voyez Poudre à canon.

En effet, si ces histoires ont quelque réalité, on doit sans doute les entendre dans le sens figuré du fusil à vent, qui est capable de porter un coup assez meurtrier sans faire un bruit considérable : car comme le bruit d’un fusil ne vient point de la couleur de la poudre, mais qu’il est une suite nécessaire de l’explosion subite dont elle est capable, on doit croire que toute matiere qui se dilatera avec la même vîtesse, qu’elle soit noire ou blanche, éclatera de même.

Voici la description de l’arquebuse ou fusil à vent, donnée par M. Musschenbroek. On a conçu ce fusil comme partagé par le milieu, tant pour être plus clair, que pour mieux indiquer les parties qui le composent. AK, (fig. 14. Pneum.) représente le canon, dans lequel il y a une balle proche de K ; ce canon est entouré d’un autre canon ou conduit CDRE, de plus gros calibre que le précédent, & dans lequel l’air est pressé & gardé. MN est une pompe, dans laquelle coule le piston S ; la pompe est située dans la couche ou crosse du fusil : c’est avec cette pompe qu’on presse l’air dans le canon extérieur ECDR ; l’air y est introduit par la soûpape P près de la base de la pompe, mais l’air quand il est condensé, la tient fermée. Proche de L se trouve une autre soûpape, laquelle ouvre & ferme le trou ou la lumiere qui est au fond du canon S, & qui est de même diametre que le calibre du canon. Cette soûpape est toûjours poussée en-bas par un ressort spiral. La queue de cette soûpape traverse une petite boîte garnie de cuir gras, qui ne donne aucun passage à l’air ; & après s’être recourbée, elle se jette en-dehors du fusil proche de O dans une cannelure, de sorte qu’on peut la mouvoir en-dedans & en-arriere par le moyen de la clé du fusil, à laquelle elle est attachée. Lorsqu’on tire la queue en-arriere, la soûpape s’ouvre & laisse échapper l’air, qui sort alors par la lumiere située au fond du gros canon, & va frapper la balle, qui n’en reçoit guere moins de vîtesse que si elle étoit poussée par la poudre dont on charge un fusil ordinaire. Comme la clé ouvre & ferme la soûpape L fort brusquement, il ne s’échappe du canon que peu d’air à la fois ; de sorte que lorsque le fusil se trouve bien chargé d’air, on peut tirer plusieurs fois à l’aide de ce même air, avant qu’on soit obligé de recharger le fusil.

Lorsque l’extrémité de l’arquebuse n’a point la forme d’une crosse de fusil, alors la machine a plûtôt la forme d’une canne que d’un fusil, & on l’appelle en ce cas canne à vent.

La soûpape ne demeurant ouverte qu’un instant, il ne s’échappe à chaque fois, comme on vient de le dire, qu’autant d’air qu’il en faut pour faire partir une balle. On place les autres dans un petit canal ou réservoir que l’on tourne par le moyen d’un robinet, pour les placer successivement dans la direction du petit canon, ou pour les déplacer si on ne veut pas tirer. Au reste il faut remarquer que les dernieres balles sont poussées plus foiblement, parce que le ressort de l’air diminue à mesure que ce qu’il en sort lui laisse plus de place pour s’étendre : néanmoins communément le huitieme coup perce encore une planche de chêne épaisse de six lignes, & placée à la distance de 20 à 25 pas. De plus, l’air & la balle en sortant font peu de bruit, sur-tout si le lieu où l’on est, n’est point fermé : ce n’est qu’un souffle violent qu’on entend à peine à 30 ou 40 pas. La raison de cela est, que ni la balle, ni l’air qui la pousse, ne frappent jamais l’air extérieur avec autant de violence & de promptitude qu’une charge de poudre enflammée, dont l’explosion se fait toûjours avec une vîtesse extreme. Le fusil à vent se fait pourtant plus entendre dans un lieu fermé, que dans un endroit découvert, parce qu’alors la masse d’air qui est frappée, étant appuyée & contenue par des murailles ou autrement, fait une plus grande résistance. Au reste ces instrumens sont plus curieux qu’utiles. La difficulté de les construire, celle de les entretenir long-tems en bon état, les rend nécessairement plus chers, & d’un service moins commode & moins sûr que les fusils ordinaires. Le seul avantage qu’on y pourroit trouver, c’est-à-dire celui de frapper sans être entendu, pourroit devenir dangereux dans la société, & c’est une précaution fort sage de restraindre le plus qu’il est possible l’usage de ces sortes d’instrumens. De plus, ils n’ont point la même force que les armes à feu, & c’est une chose fort rare que les soûpapes retiennent l’air assez constamment pour garder long-tems l’arquebuse chargée. Voyez leç. de Physiq. exp. de M. l’abbé Nollet. (O)

On trouve la construction de cette espece d’arme, dans les élémens d’Artillerie de David Rivaut, précepteur du roi Louis XIII : elle a été inventée par un nommé Marin, bourgeois de Lisieux, & présentée au roi Henry IV. ce qu’il est à propos de remarquer, dit M. Blondel dans son livre de l’art de jetter les bombes, afin de desabuser ceux qui ont crû qu’on en devoit le secret à des ouvriers d’Hollande, qui en ont débité depuis. On peut encore observer qu’on en trouve la description dans la plûpart des traités de Physique, entre autres dans les leçons de Physique de M. l’abbé Nollet, pag. 233. tom. III. (Q)