L’Encyclopédie/1re édition/CANCER

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 587-589).
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CANCER, s. m. terme de Chirurgie, est une tumeur dure, inégale, raboteuse, & de couleur cendrée ou livide, environnée tout au-tour de plusieurs veines distendues & gonflées d’un sang noir & limoneux, située à quelque partie glanduleuse ; ainsi appellée, à ce que quelques-uns prétendent, parce qu’elle est à peu près de la figure d’une écrevisse, ou, à ce que disent d’autres, parce que semblable à l’écrevisse elle ne quitte pas prise quand une fois elle s’est jettée sur une partie.

Dans les commencemens elle ne cause point de douleur, & n’est d’abord que de la grosseur d’un pois-chiche : mais elle grossit en peu de tems & devient très-douloureuse.

Le cancer vient principalement à des parties glanduleuses & lâches, comme les mamelles & les émonctoires. Il est plus ordinaire aux femmes qu’aux hommes, & singulierement à celles qui sont stériles, ou qui vivent dans le célibat. La raison pourquoi il vient plûtôt aux mamelles qu’à d’autres parties, c’est que comme elles sont pleines de glandes & de vaisseaux lymphatiques & sanguins, la moindre contusion, compression ou piquûre peut faire extravaser ces liqueurs, qui, par degrés contractant de l’acrimonie, forment un cancer. C’est pourquoi les maîtres de l’art disent que le cancer est aux glandes, ce qu’est la carie aux os, & la gangrene aux parties charnues.

Le cancer cependant vient quelquefois à d’autres parties molles & spongieuses du corps, & on en a quelquefois vû aux gencives, au ventre, au cou de la matrice, à l’urethre, aux levres, au nez, aux joues, à l’abdomen, aux cuisses, & même aux épaules.

On appelle loup, un cancer aux jambes ; & celui qui vient au visage ou au nez, noli me tangere. Voyez Noli me tangere.

On divise les cancers, selon qu’ils sont plus ou moins invétérés, en cancer occulte, & cancer ouvert ou ulcéré.

Le cancer occulte est celui qui n’a point encore fait tout le progrès qu’il est capable de faire, & qui ne s’est point encore fait jour.

Le cancer ulcéré se reconnoît par ses inégalités & par quantité de petits trous, desquels sort une matiere sordide, puante, & glutineuse, pour l’ordinaire jaunâtre ; par des douleurs poignantes, qui ressemblent aux piquûres que feroient des milliers d’épingles ; par sa noirceur ; par l’enflure des veines de l’ulcere ; par la couleur noirâtre, le gonflement, & les varices.

Quelquefois les extrémités des vaisseaux sanguins sont rongées, & le sang en sort. Dans un cancer au sein, la chair est quelquefois consumée au point qu’on peut voir dans la cavité du thorax. Il occasionne une fievre lente, un sentiment de pesanteur, fort souvent des défaillances, quelquefois l’hydropisie, & la mort à la fin.

La cause immédiate du cancer paroît être un sel volatil excessivement corrosif, qui approche de la nature de l’arsenic, formé par la stagnation des humeurs, &c. On est quelquefois venu à bout de le guérir par le moyen du mercure & de la salivation. Quelques-uns croyent que le cancer ulcéré n’est autre chose qu’une infinité de petits vers qui dévorent la chair petit-à-petit. Le cancer passe avec raison, pour une des plus terribles maladies qui puisse arriver. Ordinairement on le guérit par l’extirpation, quand la tumeur est encore petite, qu’elle n’est, par exemple, que de la grosseur d’une noix, ou tout au plus d’un petit œuf : mais quand il a gagné toute la mamelle, qu’il creve & devient ulcéré, on n’y peut remédier que par l’amputation de la partie.

Le cancer ulcéré est une maladie qui n’est pas méconnoissable : ses bords tuméfiés & renversés ; la sanie, semblable à celle d’une partie gangrenée, qui découle de ses chairs baveuses ; sa puanteur, & l’horreur qu’il fait au premier aspect, en annoncent le mauvais caractere. Mais il est important pour la pratique, qu’on établisse le diagnostic du cancer occulte commençant. Il y a une infinité de gens qui vantent des secrets pour la guérison des cancers naissans, & qui sont munis de témoignages & d’attestations des cures qu’ils ont faites, parce qu’ils donnent le nom de cancer à une glande tuméfiée qu’un emplâtre résolutif auroit fait disparoître en peu de tems. Les nourrices & les femmes grosses sont sujettes à des tumeurs dures & douloureuses aux mamelles, qui se terminent ordinairement & fort heureusement par suppuration. Il survient souvent presque tout-à-coup des tumeurs dures aux mamelles des filles qui entrent dans l’âge de puberté, & elles se dissipent pour la plûpart sans aucun remede. Le cancer naissant au contraire fait toûjours des progrès, qui sont d’autant plus rapides, qu’on y applique des médicamens capables de délayer & de résoudre la congestion des humeurs qui le forment. On n’en peut faire trop tôt l’extirpation, par les raisons que nous exposerons ci-après. Il faut donc le connoître par des signes caractéristiques, afin de ne le pas confondre avec d’autres tumeurs qui demandent un traitement moins douloureux, & afin de ne pas jetter mal-à-propos les malades dans de fausses allarmes.

Le cancer des mamelles & de toute autre partie, est toûjours la suite d’un skirrhe : ainsi toute tumeur cancéreuse doit avoir été précédée d’une petite tumeur qui ne change pas la couleur de la peau, & qui reste indolente, souvent plusieurs mois, & même plusieurs années sans faire de grands progrès. Lorsque le skirrhe dégénére en cancer, la douleur commence à se faire sentir, principalement lorsqu’on comprime la tumeur. On s’apperçoit ensuite qu’elle grossit, & peu de tems après elle excite des élancemens douloureux, qui se font ressentir sur-tout dans les changemens de tems, après les exercices violens, & lorsqu’on a été agité trop vivement par les passions de l’ame. La tumeur croit, & fait ensuite des progrès qui empêchent qu’on ne se trompe sur sa nature. Les élancemens douloureux qui surviennent à une tumeur skirrheuse, sont les signes qui caractérisent le cancer. Ces douleurs ne sont point continues ; elles sont lancinantes ou pungitives ; elles ne répondent point au battement des arteres comme les douleurs pulsatives, qui sont le signe d’une inflammation sanguine : il semble que la tumeur soit de tems à autre piquée & traversée, comme si on y enfonçoit des épingles ou des aiguilles. Ces douleurs sont fort cruelles, & ne laissent souvent aucun repos, ce qui réduit les malades dans un état vraiment digne de pitié : elles sont l’effet de la présence d’une matiere corrosive, qui ronge le tissu des parties solides. Les remedes fondans & émolliens ne conviennent point à ces maladies, parce qu’en procurant la dissolution des humeurs qui forment le cancer, ils en accélerent la fonte putride, & augmentent par-là considérablement les accidens.

On voit par ces raisons, qu’on ne peut pas trop promptement extirper une tumeur cancéreuse, même occulte. Après avoir préparé la malade par des remedes généraux, (je suppose cette maladie à la mamelle), on la fait mettre en situation convenable ; elle doit être assisse sur un fauteuil, dont le dossier soit fort panché. Je fais fort volontiers cette opération, en laissant les malades dans leurs lits. On fait tenir & écarter le bras du côté malade, afin d’étendre le muscle grand pectoral. Si la tumeur est petite, on fait une incision longitudinale à la peau & à la graisse qui recouvre la tumeur ; on la saisit ensuite avec une errine, voyez Errine, & en la disséquant avec la pointe du bistouri droit qui a servi à faire l’incision de la peau, on la détache des parties qui l’environnent, & on l’emporte. J’ai fait plusieurs fois cette opération, j’ai réuni la plaie avec une suture seche, & cela m’a réussi parfaitement.

Si la tumeur est un peu considérable, qu’elle soit mobile sous la peau, & que le tissu graisseux ne soit point embarrassé par des congestions lymphatiques, on peut conserver les tégumens : mais une incision longitudinale ne suffiroit point ; il faut les inciser crucialement ou en T, selon qu’on le juge le plus convenable. On disseque les angles, & on emporte la tumeur ; on réunit ensuite les lambeaux des tégumens ; ils se recollent, & on guérit les malades en très-peu de tems.

Lorsque la peau est adhérente à la tumeur, ou que les graisses sont engorgées, si l’on n’emporte tout ce qui n’est pas dans l’état naturel, on risque de voir revenir un cancer avant la guérison parfaite de la plaie, ou peu de tems après l’avoir obtenue : on l’impute alors à la masse du sang, que l’on dit être infectée du virus cancéreux ; virus, de l’existence duquel tout le monde n’est point persuadé. Le préjugé que l’on auroit sur ce point, pourroit devenir préjudiciable aux malades qui ne se détermineroient pas à se faire faire une seconde opération, de crainte qu’il ne vînt encore un nouveau cancer. On a vû des personnes qu’on a guéries parfaitement après s’être soûmises à deux ou trois opérations consécutives. Le cancer est un vice local qui a commencé par un skirrhe, effet de l’extravasation & de l’épaississement de la lymphe : le skirrhe devient carcinomateux par la dissolution putride des sucs épanchés ; dès que les signes qui caractérisent cette dépravation se sont manifestés, on ne peut faire trop tôt l’extirpation de la tumeur, pour empêcher qu’il ne passe de cette matiere putride dans le sang, où elle causeroit une colliquation qu’aucun remede ne pourroit empêcher. Le docteur Turner assûre que deux personnes de sa connoissance perdirent la vie pour avoir goûté de la liqueur qui couloit d’un cancer à la mamelle. Malgré toutes les précautions que puisse prendre un habile Chirurgien, il peut y avoir encore quelques points skirrheux, qui échappant à ses recherches dans le tems de l’extirpation d’un cancer, feront le germe d’un nouveau, qu’il faudra ensuite extirper : alors ce n’est point une régénération du cancer ; c’est une maladie nouvelle, de même nature que la premiere, produite par un germe local qui ne succede point à celui du cancer précédent. On peut en faire l’extirpation avec succès ; ces cas exigent des attentions, & doivent déterminer à faire faire usage des délayans, des fondans, & des apéritifs tant internes qu’externes. J’ai vû faire deux & même trois fois l’opération avec succès : si la masse du sang est atteinte de colliquation, on ne doit pas craindre la production d’un nouveau cancer ; on se dispense absolument de faire une opération, qui en ôtant la maladie, n’affranchiroit pas la malade d’une mort certaine ; on se contente alors d’une cure palliative. L’expérience a prouvé l’utilité des préparations de plomb dans ces cas : on peut appliquer sur le cancer ulcéré des remedes capables d’agir par inviscation sur les sucs dépravés ; les remedes coagulans qui donneroient de la consistance aux sucs exposés à l’action de l’humeur putride, pourroient les mettre, du moins quelque tems, à l’abri de la dissolution. M. Quesnay persuadé que la malignité de l’humeur cancéreuse dépendoit d’une dépravation alkaline, a pensé que les plantes qui sont remplies d’un suc acerbe, devoient modérer la férocité de cette humeur ; il a fait l’essai du sedum vermiculare dans quelques cas avec beaucoup de succès.

Lorsque le cancer occupe toute la mamelle, & que la masse du sang n’est point en colliquation, on peut amputer cette partie : pour faire cette opération, après les préparations générales, on met la malade en situation. Le Chirurgien placé à droite, soûleve la mamelle avec sa main gauche, & la tire un peu à lui ; il tient de l’autre main un bistouri avec lequel il incise la peau à la partie inférieure de la circonférence de la tumeur. Il introduit ses doigts dans cette incision pour soûlever la tumeur & la décoller de dessus le muscle pectoral ; & avec son bistouri il coupe la peau à mesure qu’il disseque la tumeur. Il doit prendre garde de couper la peau en talud pour ne pas découvrir les houpes nerveuses, ce qui rendroit les pansemens très-douloureux ; s’il restoit quelques pelotons graisseux affectés à la circonférence de la plaie ou vers l’aisselle, il faudroit les extirper. On panse la plaie avec de la charpie brute ; je suis dans l’usage de faire une embrocation tout autour de la plaie avec l’huile d’hypericum ; je pose des compresses assez épaisses sur la charpie, & je contiens le tout avec le bandage de corps, que j’ai soin de fendre par une de ses extrémités pour en former deux chefs, dont l’un passe au-dessus, & l’autre au-dessous de la mamelle saine, afin qu’elle ne soit point comprimée. Voyez Bandage de corps. Je ne leve l’appareil que le troisieme ou quatrieme jour, lorsque la suppuration le détache, & je termine la cure comme celle des ulceres. Voyez Ulcere.

L’on a fait graver quelques figures pour l’intelligence des choses qui viennent d’être dites, & pour qu’on puisse juger des anciennes méthodes de pratiquer l’opération du cancer.

Planche XXVIII : fig. 3. cancer occulte à la mamelle droite, & qui n’en occupoit qu’une partie.

Fig. 4. La cicatrice qui reste après l’extirpation méthodique d’une pareille tumeur.

Fig. 5. Autre cancer qui occupe toute la mamelle, & dont on a fait l’extirpation avec succès.

Fig. 6. Méthode que les anciens prescrivoient pour l’opération du cancer. Lorsqu’ils avoient passé deux fils en croix sous la tumeur, ils soûlevoient la mamelle, & l’amputoient comme on voit Planche XX. fig. 1. cette méthode est absolument proscrite pour sa cruauté & ses imperfections.

Planche XX. fig.. 2. Fourchette que l’on a crû pouvoir substituer aux points d’aiguille, pour soulever les tumeurs dont le volume est considérable.

Fig. 4. Autre instrument pour les petites tumeurs.

Fig. 3. Instrument tranchant comme un rasoir pour l’amputation de la mamelle.

Fig. 5. Nouvel instrument avec lequel on embrasse la mamelle, comme on voit fig. 6. la branche moyenne est d’acier & tranchante sur sa convexité.

Ces instrumens ne peuvent servir qu’à une opération défectueuse. Les figures sont d’après M. Heister, dans ses Instituts de Chirurgie. (Y)

Cancer, (en Astronomie.) est un des douze signes du zodiaque : on le représente sur le globe sous la forme d’une écrevisse, & dans les ouvrages d’Astronomie, par deux figures placées l’une auprès de l’autre, & assez semblables à celles dont on se sert pour exprimer soixante-neuf en Arithmétique, 69. Voyez Signe, Constellation.

Ptolomée compte 13 étoiles dans le signe du cancer ; Ticho, 15 ; Bayer & Hevelius, 29 ; Flamsteed, 71 au moins.

Tropique du Cancer, (en terme d’Astronomie.) est un des petits cercles de la sphere, parallele à l’équateur, & qui passe par le commencement du signe du cancer. Ce tropique est dans l’hémisphere septentrional, & est éloigné de l’équateur de 23d . Voyez Tropique. Voyez aussi Sphere. (O)