L’Encyclopédie/1re édition/DISPENSE (complément)

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DISPENSE, s. f. (Droit natur. & polit.) privilége particulier accordé par le souverain, pour affranchir quelqu’un du joug de la loi.

L’obligation que les lois imposent, a précisément autant d’étendue que le droit du souverain ; & par conséquent l’on peut dire en général, que tous ceux qui sont sous sa dépendance, se trouvent soumis à cette obligation. Ainsi personne ne doit être tenu pour affranchi d’une loi, à-moins qu’il ne fasse voir quelque privilege particulier du souverain qui l’en exempte.

Si le législateur peut abroger entierement une loi, à plus forte raison peut-il en suspendre l’effet par rapport à telles ou telles personnes : c’est donc un droit du souverain qui lui est incontestable.

Mais je remarque qu’il n’y a que le législateur lui-même qui ait ce pouvoir : le jugé inférieur peut bien, & doit consulter les regles de l’équité dans les cas où la loi le permet, parce qu’en suivant à la rigueur les termes de la loi, il agiroit contre l’esprit du législateur. Ainsi la dispense est l’effet d’une faveur gratuite du souverain ; au lieu que l’interprétation suivant l’équité, est du ressort de l’emploi d’un juge. Grotius a donné un excellent petit ouvrage sur cette matiere.

2°. Le souverain est obligé de ménager les dispenses avec beaucoup de sagesse, de peur qu’en les accordant sans discernement, & sans de très-fortes raisons, il n’énerve l’autorité des lois, ou qu’il ne donne lieu à la jalousie & à l’indignation des citoyens, par une préférence partiale qui exclut des mêmes faveurs des gens qui en sont également dignes. Plutarque apporte l’exemple d’une dispense bien rafinée dans le tour que prit Agésilas, pour empêcher que ceux qui avoient fui dans un combat ne fussent notés d’infamie ; c’est qu’il suspendit pour un jour l’effet des lois : « que les lois, dit-il, dorment aujourd’hui ». Quand le souverain croit nécessaire de suspendre la force des lois, il ne doit jamais motiver cette suspension par des subtilités.

3°. Toute dispense accordée par le souverain, ne peut avoir lieu qu’en matiere de lois positives, & nullement en matiere de lois naturelles ; parce que Dieu lui-même n’en sauroit affranchir. Il y a sans doute des lois naturelles, dont l’observation est plus importante que celle des autres, & par conséquent la violation plus criminelle ; mais cela n’empêche pas, que par rapport à leur essence, elles ne découlent toutes de la sainteté de Dieu, & qu’ainsi elles ne soient également immuables. Or la nature de l’homme sur laquelle elles sont toutes fondées, demeurant toujours la même, il résulte, ce me semble, que Dieu ne sauroit dispenser d’aucune, sans se contredire, & sans blesser ses perfections. (D. J.)